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Lu sur STRASS : "Le mercredi 19 janvier 2011 au soir, trois militantEs du STRASS se sont renduEs à la « formation » et au débat organisé par Osez Le Féminisme (OLF).
Bien que les organisatrices pensent qu’elles ont tenu un débat de qualité ouvert et respectueux de la parole de chacune, nous ne partageons pas le même sentiment. Si en effet, nous avons eu le droit à trois minutes par tour de parole, nous avons également eu droit à une heure de « formation » au préalable de la part de Caroline De Haas (CDH) à laquelle nous n’avons pas pu répondre dans les détails étant donné notre temps de parole limité, et étant dans une position minoritaire parmi les membres de la salle. La conclusion a ensuite été faite de nouveau par les organisatrices qui ont bien tenu à diriger le débat dans le sens qu’elles avaient décidé, à savoir la préparation d’une prise de position par OLF en faveur de la pénalisation de nos clients.
Notre parole a tout le long du débat était réduite au statut de témoignage individuel non représentatif, tandis que les organisatrices se positionnaient en tant qu’expertes qui avaient lu sur le sujet. Elles ont bien expliqué que le fait de ne pas être prostituée ne les empêchait pas de pouvoir s’exprimer et d’avoir une analyse sur la prostitution, faisant des comparaisons en disant qu’on n’avait pas besoin d’être noir pour être contre le racisme ou pas besoin d’être une femme pour être contre le sexisme, etc. Certes, elles peuvent ne pas être travailleuses du sexe pour avoir une opinion contre le travail sexuel. Le problème c’est que tout le monde a le droit apparemment d’avoir une opinion sur le travail du sexe sauf les travailleurs du sexe eux-mêmes dont la parole n’est que rarement reprise politiquement et jamais considérée comme une parole d’expert.
Pour nous, la prise de parole à la première personne est à la fois un acte politique et un principe féministe et progressiste parce que nous croyons que l’émancipation des travailleurs du sexe est l’œuvre des travailleurs du sexe eux-mêmes. Par exemple, les hommes ont le droit d’avoir une opinion sur le sexisme, mais nous nous demandons comment OLF réagirait si elles se retrouvaient dans une salle pleine d’hommes avec seulement trois femmes dans la salle qui auraient droit à trois minutes par tour de parole, et que les hommes à la tribune leur faisaient une « formation » sur le sexisme, et leur expliquaient qu’ils s’opposent à la reconnaissance du travail des femmes afin de les protéger contre l’exploitation et la violence.
Parce que de nombreuses contre-vérités ont été dites durant notre « formation », nous aimerions interpeller nos formatrices maintenant que nous avons plus de trois minutes pour les exposer et leur répondre. Beaucoup de chiffres ont été avancés sans que nous sachions toujours comment ils ont été fabriqués. Mais simplement parce qu’après des années de lobby intensif certaines organisations internationales les reprennent, ils deviennent soudainement des arguments d’autorité.
Nous avons eu droit à des chiffres sur le nombre de travailleurs du sexe dans le monde et en France bien qu’il n’existe aucun moyen de nous comptabiliser. Nous avons déjà expliqué comment les chiffres en France sont construits par la police en s’appuyant uniquement sur les arrestations qui visent en priorité les étrangères travaillant dans la rue et comment l’amalgame entre immigration et traite permet de mieux expulser. Or, les leaders d’OLF choisissent de reprendre ces chiffres.[1]
Nous avons eu droit à un chiffre sur l’âge moyen d’entrée dans la prostitution dans le monde sans aucune comparaison avec l’âge d’entrée moyen dans le travail en général comme si le travail des enfants dans le monde n’était pas une chose courante. Or, c’est seulement lorsqu’il s’agit du travail sexuel, que le travail des enfants devient un argument pour interdire toute une profession, y compris pour les adultes consentants que nous sommes. Nous refusons cet amalgame et nous pensons que ce n’est pas en lutant contre le travail sexuel qu’on réduira le problème du travail des enfants.
Nous avons appris ensuite qu’il y aurait entre 3000 et 8000 enfants prostitués en France. Pourtant, en 2005, il est dénombré 60 jeunes filles et 4 garçons de moins de 18 ans sur les 1 200 personnes prostituées identifiées dans des procédures. En outre 7 mineurs figurent parmi les 895 personnes mises en cause pour proxénétisme en 2005. Pour Paris, les données produites par la Police nationale font état de 55 cas de prostitution de mineurs, une moitié de nationalité française (24 filles et 4 garçons), une autre moitié de nationalité roumaine (27 personnes mineures). Selon l’aide sociale à l’enfance, 0,1% des 1188 mineurs ont été signalés pour « réseau de prostitution » par les services éducatifs auprès des tribunaux. Seuls 15 mineurs en situation de prostitution sont enregistrés en 2005.[2]
Tandis que nous ne savons pas combien de travailleurs du sexe nous sommes réellement en France, CDH déclare que 85 à 90% d’entre nous aurions un proxénète, et que 80% d’entre nous aurions été victimes de viol. Pour le prouver, elle nous cite entre autres un rapport Raymond sur une étude comparative de la prostitution dans 5 différents pays qui montrerait l’impact de ces violences sur les prostituées et de la nécessité de les exposer. En réalité, ce rapport a été écrit non pas par Janice Raymond mais par Melissa Farley et ce rapport ne concerne de toute façon pas la France. Farley est par ailleurs discréditée dans le monde scientifique anglo-saxon pour avoir mené des interviews de prostituées dans des centres psychiatriques afin de prouver que l’immense majorité des prostituées souffrent de troubles psychiatriques post-traumatiques. Dans la même logique, « nos formatrices » vont même jusqu’à nous expliquer que 100% des prostituées qui appellent les centres d’appel contre le viol le font suite à un viol. L’intérêt de ces chiffres de toute façon invérifiables, c’est surtout de nous enfermer dans un statut de victime par essence pour confisquer notre parole et accuser de non-légitimité et de non-représentativité toute parole pute qui leur serait contradictoire.
CDH pour nous expliquer que la légalisation du travail sexuel serait un échec nous cite ensuite plusieurs exemples de pays étrangers sans même faire de distinction entre les régimes de légalisation, de dépénalisation et de pénalisation préférant parler de systèmes d’abolitionnisme, prohibitionnisme et réglementarisme qui par les exemples ensuite donnés portent complètement à confusion puisqu’un système comme la Suède où les clients sont pénalisés est décrit comme abolitionniste plutôt que prohibitionniste. Le travail sexuel en tant que tel étant déjà légal en France et les revendications des travailleurs du sexe ne correspondant pas aux modèles de ces pays, cela ajoute à la confusion.
CDH cite par exemple le Maire d’Amsterdam qui tente de se débarrasser d’une partie de son quartier rouge en instrumentalisant la question de la traite et du travail des enfants. Il ne lui vient pas à l’esprit bien entendu les spéculations financières autour des prix de l’immobilier et la pression des riverains. Ces déclarations politiques n’ont donné pour seul changement législatif qu’une plus grande restriction de la migration, et en termes pratiques, uniquement un rachat à plus bas prix de biens immobiliers.
CDH explique ensuite que la légalisation du travail sexuel en Allemagne a amené une augmentation de 70% de la traite des femmes. Or ces chiffres correspondent à l’augmentation des moyens policiers alloués à la lutte contre la traite mais ne reflète en aucun cas celui du nombre de victimes de la traite identifiées par la police et qui sont les suivant :
2000 – 926 victimes
2001 – 987 victimes
2002 – 811 victimes (Année de la légalisation)
2003 – 1235 victimes
2004 – 972 victimes
2005 – 642 victimes
2006 – 775 victimes
2007 – 689 victimes
2008 – 676 victimes
2009 – 710 victimes[3]
Au sujet de l’Allemagne encore, CDH nous affirme comme vérité absolue le fait que les chômeuses allemandes peuvent perdre leurs allocations si elles refusent un emploi de travailleuse du sexe. Cette rumeur a pour origine un article du Tageszeitung daté du 18 décembre 2004 “Ein Job wie jeder andere”[4] qui émet l’idée d’une possibilité technique de perte de ses droits après un refus de travail incluant des services sexuels à la suite de la récente loi légalisant le travail du sexe en 2002. Dans cet article, l’auteur estime qu’il y a pu y avoir des cas isolés mais n’apporte aucune preuve de tels faits. Des représentants de l’équivalent de l’ANPE allemande interviewés précisent qu’ils n’ont jamais eu de telles annonces car les agences ont leur propre service de recrutement. Un porte-parole du bureau du travail déclare en addition qu’on ne peut pas intervenir dans ce secteur à cause du fait que l’obligation à un tel travail violerait différents droits.
L’information est reprise par Clare Chapman dans le Telegraph du 30 janvier 2005 sous le titre “If you dont take a job as a prostitue, we can stop your benefits” avec une nouvelle version. L’article raconte ici l’histoire d’une berlinoise de 25 ans n’ayant pas été identifiée pour des raisons légales, qui risque de perdre ses allocations. Elle souhaite travailler dans un bar de nuit et se voit proposer un poste dans un bordel. Chapman explique que les agences d’escortes peuvent passer des annonces dans les registres de l’ANPE, que la loi allemande oblige toute femme de moins de 55 ans n’ayant pas travaillé pendant plus d’un an d’accepter un travail incluant ceux de l’industrie du sexe. Le gouvernement allemand ne pouvant pas distinguer suffisamment correctement les bordels des bars de nuit, les agences pour l’emploi seraient donc contraintes de traiter ces annonces de la même façon que les autres. Cependant le lecteur appréciera les différences entre le premier article du journal de Berlin et sa traduction des faits en anglais dans celui du Telegraph qui est depuis utilisé par les opposants à la législation allemande.[5]
CDH nous a parlé ensuite de l’impact de la légalisation du travail sexuel en Australie, oubliant que l’Australie est un Etat fédéral et que chaque Etat a des lois différentes sur le travail sexuel. Mais qu’à cela ne tienne, le nombre de contaminations au VIH en Australie aurait doublé depuis que le pays aurait légalisé la prostitution. Les premières lois de décriminalisation dans certains Etats ont eu lieu à partir de 1979 comme en Nouvelles Galles du Sud et ont continué dans les années 1980 et 1990 dans d’autres Etats tandis que la loi est restée la même dans les Etats de la côte ouest. Pourtant, les travailleurs du sexe en Australie jouissent d’une santé sexuelle meilleure que la population en général et ont un faible taux de VIH / sida. Les travailleurs du sexe en Australie font aussi état de taux très élevé d’utilisation du préservatif.[6]
Dans le contexte australien aucun cas de transmission au VIH d’une travailleuse du sexe vers un client ou d’un client vers une travailleuse du sexe n’a été documenté au moins jusqu’en 1997.[7] Mais il suffit en effet après cette période d’un seul cas de contamination et d’une mauvaise interprétation des règles mathématiques pour parler malhonnêtement de 100% d’augmentation qui sera traduit ensuite par un doublement des cas. De 1992 à 1997 l’information fournie par la Clinique metropolitan sexual health indique que le taux de prévalence VIH est resté bas parmi les femmes s’identifiant comme travailleuses du sexe autour de 0.1%[8] Les travailleurs du sexe rapportent aussi des taux aux IST inferieurs à ceux de la population générale. Par exemple en 1989 une étude de la Clinique Brisbane Special dans le Queensland conclut que le risque relatif pour une travailleuse du sexe de développer une IST était deux fois moins que celui pour les autres femmes visitant la clinique.[9]
L’expérience australienne indique que la dépénalisation ou la légalisation de la prostitution a créé un climat dans lequel la grande majorité des travailleurs et travailleuses du sexe peuvent accéder aux services sociaux et de santé et créé des conditions de travail sécurisantes pour eux-mêmes, tandis que la pénalisation permet à la police d’arrêter les travailleurs du sexe et de confisquer leurs préservatifs pour les utiliser comme preuve afin de caractériser le délit.
CDH a ensuite pris en modèle la Suède où la prostitution aurait soit disant diminué. Or, en Suède comme en France, seule la prostitution de rue est prise en compte et aucun élément ne permet de dire que la prostitution dans son ensemble aurait réellement diminué quand les scènes de prostitution ont très bien pu se déplacer à la suite de la pénalisation des clients et de l’essor de l’usage d’Internet depuis la loi de 1999.
D’après nos collègues de Suède[10], leur pays est loin d’être un paradis féministe. Depuis que la prostitution a officiellement disparu, il n’y a plus aucune association de santé communautaire pour aller distribuer des capotes dans les rues. Ce serait ‘encourager la prostitution’ quand il faut lutter contre. Même chose sur les drogues, la Suède est contre la réduction des risques et tout comme ce sont les putes qui se distribuent des capotes entre elles, ce sont les usagers de drogues qui organisent l’échange de seringues.
La Suède c’est le pays où on criminalise la transmission du VIH ou sa potentielle transmission.
Les putes suédoises, qui sont censées ne pas être criminalisées car
victimes, vont quand même en prison quand elles sont séropos car elles
mettraient en danger la vie des autres, et ce, même si elles utilisent
des capotes. Tandis que le cas de Julian Assange soupçonné de viol fait
grand bruit, le taux de condamnation pour viol reste très bas malgré des
lois dites pour protéger les femmes.
En Suède, on retire la garde des enfants aux putes car elles représenteraient un risque et une mauvaise influence. Les travailleurs du sexe continuent d’être imposés fiscalement sur leurs revenus même si le travail sexuel n’est pas reconnu comme travail. C’est un pays où il n’y a aucune donnée scientifique sur la prostitution, seulement des estimations. Officiellement 100% des prostituées de Suède sont victimes de la traite car il ne peut y avoir de ‘prostitution choisie’. Or, depuis la loi de pénalisation des clients censée lutter contre la traite des femmes, seulement un cas de victime de traite a reçu le droit d’asile en Suède, tandis que les autres comme tous les travailleurs du sexe migrants sont expulsées.
La Suède est un pays où les travailleurs du sexe n’ont pas le droit d’être consultés sur les lois qui les concernent, certes comme en France, mais c’est la ministre de la Justice Beatrice Ask qui le dit explicitement au Parlement car contraire aux valeurs du pays. C’est un pays où contrairement à ce qui est souvent dit, les putes ne reçoivent aucune aide sociale mais seulement un ‘accompagnement psychologique’ pour leur dire qu’elles sont victimes et que ca fait du bien de pleurer, et cette « aide » est conditionnée au fait d’arrêter le travail du sexe.
C’est un pays où les discriminations et le stigma sont plus forts car nous n’y sommes perçus que comme des cas sociaux. C’est un pays où son image peut être rendue publique dans les medias suite aux grandes opérations policières anti-clients auprès des medias et malgré le fait que nous y soyons censées être des victimes à protéger. C’est un pays où on peut perdre son emploi, son logement, ses amis etc juste après avoir été outée comme pute et ce sans recours légal.
C’est un pays où il faut se cacher dans des endroits dangereux pour rencontrer ses clients et où le prix des passes a diminué. C’est un pays où il vaut mieux ne pas contacter la police après une agression lors de son travail car on se retrouve surveillé et on perd ses clients. C’est un pays où la violence contre les putes a augmenté.
La Suède est tout sauf un pays où les putes ne sont pas pénalisées. C’est un pays prohibitionniste qui refuse de reconnaitre les droits humains des travailleurs du sexe car comment reconnaitre des droits à des personnes qui sont censées ne plus devoir exister? C’est exactement ce que l’une d’entre nous s’est vu répondre quand elle a demandé quel sera l’impact sur les revenus des putes si nous avons moins de clients suite à la pénalisation. Une personne de la salle lui a dit : « Mais il n’y aura plus de putes ».
CDH a même cité l’Inde où les prostituées seraient soit disant organisées sur des positions abolitionnistes alors que le syndicat Durbar avec plus de 60.000 membres revendiquent la décriminalisation du travail sexuel, la reconnaissance du travail sexuel comme un travail et l’autodétermination des travailleurs du sexe comme toutes les organisations de travailleurs du sexe à travers le monde qui se sont développées depuis les années 1970.
Au delà des chiffres, CDH nous énonce les principes d’OLF qui seraient en contradiction avec la prostitution : la dignité humaine, le refus de la marchandisation du corps et le féminisme. Pour nous, ces principes ne sont que des formules toutes faites. Nous concevons notre dignité humaine autrement et si nous comprenons que l’usage de son corps et de sa sexualité et son rapport à l’intime peuvent avoir des significations différentes selon les individus, nous considérons que cela devrait nous regarder nous-mêmes en priorité selon cet autre principe féministe qu’est la libre disposition de son corps.
Quelque soit le travail que nous faisons, notre corps est toujours marchandé et mis à disposition du capital. Le consentement au travail n’est pas le désir de travail. En ce sens, nous sommes d’accord avec CDH pour dire que le travail n’est pas la liberté. Pourtant, personne ne préconise de criminaliser le travail ou de refuser des droits aux travailleurs afin de dénoncer les horreurs du travail que sont l’exploitation et les violences car tout le monde comprend bien que la prohibition empirerait ces problèmes au lieu de les résoudre.
OLF a pour principe que la sexualité doit se dérouler dans la réciprocité du désir et prend le risque de mettre en parallèle l’absence de désir avec l’absence de consentement. Nous pensons que cela créerait un précédent dangereux car depuis la dépénalisation de l’homosexualité en 1981, l’Etat cesse d’intervenir dans la sexualité entre adultes consentants. La pénalisation de nos clients serait ainsi un retour en arrière et impliquerait que tels des mineurs de moins de 15 ans nous ne serions pas capables d’exprimer notre consentement éclairé.
Cette infantilisation, cette réduction au statut de mineurs, c’est exactement ce dont les femmes ont souffert quand leur était déniée l’égalité des droits. C’est parce qu’on estimait qu’elles ne pouvaient exprimer leur propre volonté et qu’elles étaient trop influençables hier par l’Eglise, aujourd’hui par des proxénètes, que le droit de vote était refusé ou le racolage pénalisé. Quand CDH dit que la prostitution renvoie le message que les femmes seraient sexuellement à disposition des besoins irrépressibles des hommes, c’est encore renforcer cette vision paternaliste que les travailleuses du sexe ne seraient pas capables de dire non, et se verraient imposer par l’argent la volonté de leur client.
L’argent peut révéler en effet un rapport de domination, mais la transaction économique en tant que telle ne veut pas toujours dire que celui qui paie a du pouvoir sur l’autre. Quand on consulte un psychologue ou un médecin que l’on doit payer souvent très cher, nous ne sommes pas forcément en position de domination sur ce professionnel. On peut être pute et dire non à un client, imposer ses pratiques, ses tarifs, et le port du préservatif. On peut même être pute et être féministe.
C’est sans doute ce qu’il fut le plus violent à entendre dans ce débat. Nous nous sommes retrouvées non plus en position de victimes mais en celles d’accusées, de complices du patriarcat. Une personne dans la salle allant même jusqu’à utiliser l’expression « armée de réserve du patriarcat » pour nous désigner. L’existence de la prostitution, nous dit on, aurait des conséquences sur toutes les femmes en termes de violences, de domination, de pressions sexuelles de la part des hommes. Florence Montreynaud des Chiennes de Garde nous a expliqué qu’un homme marié dont la femme refuse d’avoir des rapports sexuels peut toujours se diriger vers une prostituée au lieu de tenter de séduire sa femme à nouveau et de renouer le dialogue dans le couple pour essayer de la comprendre.
Les putes se retrouvent ainsi divisées en deux groupes : celles victimes qui ne peuvent s’exprimer par elles-mêmes, dont ce n’est pas la faute et qu’il faut absolument sortir de là par tous les moyens, et les égoïstes libérales minoritaires non-représentatives qui normaliseraient des rapports de domination par simple appât du gain ou par naïveté et mauvaise interprétation de ce que serait réellement la libération des femmes.
Cela revient à porter la culpabilité des violences contre les femmes sur d’autres qui n’en sont pas responsables. Au lieu de voir les putes qui refusent d’arrêter le travail sexuel comme un encouragement fait aux hommes de traiter les femmes comme des putes, pourquoi ne pas plutôt se battre pour exiger que les putes comme toutes les femmes soient respectées, et ainsi le stigmate de putain ne pourra plus être une arme contre nous toutes ?
Rien n’est fait pour lutter contre les vrais problèmes de violences, d’exploitation etc qui demeurent même après qu’on ferme les yeux et qu’on fait comme si la prostitution avait disparu soudainement dans le parfait pays devenu soit disant féministe.
Rien n’est par exemple fait pour lutter contre les vrais viols. Quand on est pute, la police n’enregistre que rarement les plaintes. Et dans ces cas là, il n’y a aucune féministe derrière nous pour nous aider. En fait, on s’entend dire parfois que le seul moyen d’éviter les violences c’est d’arrêter le travail sexuel, comme si nous les méritions.
Pénaliser les clients c’est punir les hommes qui respectent le contrat, qui respectent nos règles. Pendant ce temps les vrais violeurs eux continuent de sévir mais ca n’intéresse personne. Rien n’est fait pour lutter contre l’exploitation et la pauvreté ou contre les contrôles migratoires qui créent la traite des êtres humains en forçant les migrants à passer par des réseaux clandestins. Ce n’est pas la demande pour le sexe qui crée la traite. Le client au contraire pourrait être un allié. Pour l’instant c’est encore le seul qui peut alerter la police sans prendre le risque de se faire condamner ou expulser. Dans certains pays il y a des lignes d’appel gratuites pour les clients afin qu’ils contactent la police s’ils suspectent un problème.
La notion de travail ne veut pas dire que l’on nie l’exploitation ou la violence mais que l’on peut utiliser les droits acquis par les mouvements de travailleurs et enfin devenir de vrais citoyens. Nous ne sommes pas rien, nous ne sommes pas des cas sociaux, ni des victimes au sens où l’on pourrait nous réduire à un rôle de témoignage individuel qui n’aurait aucune valeur politique, comme si nous ne détenions aucune expertise sur nous-mêmes et notre propre condition. Etre un travailleur ça veut dire que nous faisons partie de la classe ouvrière et que nous pouvons faire des alliances avec d’autres en tant qu’égaux. Nous ne voulons plus être en position de personnes que l’on aide et qui doivent se réinsérer dans la société mais en positon d’acteurs et actrices qui ont le droit de transformer la société et d’être politiques. Pour nous, c’est ça être féministe.
[1] http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/06/02/combien-de-travailleurs-du-sexe-sommes-nous-par-thierry-schaffauser_1366353_3232.html
[2] O’Deye A., Joseph V., La prostitution des mineurs à Paris, Données, acteurs et dispositifs existants, rapport final, op. cit.
[3] http://www.bka.de/
[4] http://www.taz.de/index.php?id=archivseite&dig=2004/12/18/a0077
[5] http://www.snopes.com/media/notnews/brothel.asp
[6] http://www.scarletalliance.org.au/library/saunders99
[7] Harcourt 1997
[8] Annual Surveillance Report, 1997: 20
[9] Harcourt, 1994: 217
[10] http://www.rosealliance.se/