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Les faces cachées de la dette

Lu sur la Forge : « Je suis à la tête d’un Etat en situation faillite !.. Depuis, vingt-cinq ans, aucun gouvernement n’est parvenu à présenter un budget équilibré ». Cette sortie de François Fillon, au moment de la présentation du projet de loi de finance 2008, a indéniablement pour but de justifier la compression des dépenses publiques. Il trahit aussi un certain doute quant au choc sur la croissance que doit provoquer le paquet fiscal, voté au cours de l’été suivant la victoire des nouveaux conservateurs. En l’absence de reprise de la croissance, les rentrées fiscales risquent de faire défaut. L’accroissement prévisible du déficit ne peut que rendre le Premier ministre sceptique quant à la capacité de la France à réduire sa dette et à honorer ses engagements européens à respecter le pacte de stabilité.

Par Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à l’Université de Paris I, auteur de Dix questions sur la dette, Michalon, 2007

L’offensive actuelle sur la dette

La dette a indéniablement augmenté (6 % par an depuis vingt-cinq ans, et notoirement depuis 1993), alors que la production nationale en volume (1) ne s’accroissait que de 2 % par an. Sa résorption est présentée par les néo-conservateurs et les libéraux comme la priorité d’une politique budgétaire « moderne ». La lutte contre la dette fut d’ailleurs le thème commun aux trois principaux candidats à l’élection présidentielle. Elle est au cœur du discours néo-libéral prônant la « réforme de l’Etat », dont les dépenses « improductives » sont accusées de peser sur la capacité d’épargne des générations futures. Le financement de l’investissement public et privé dans les dépenses porteuses d’avenir en serait par conséquent compromis. Ce discours est désormais repris un peu partout, notamment dans les organismes internationaux (FMI, Banque mondiale, OCDE, etc…). On le retrouve également au cœur des recommandations européennes en matière de politique budgétaire, encadrées par le pacte de stabilité. Pérennisant les critères de convergence du Traité de Maastricht, le pacte de stabilité limite le taux d’endettement des pays candidats à ou membre de l’euro à 60% du PIB et le déficit budgétaire à 3% du PIB. Les conclusions de nombreux Conseils européens invitent même les pays membres à tendre vers l’équilibre budgétaire.

En France, la thèse officielle de l’insoutenabilité de la dette a été défendue par le rapport Pébereau, commandé par Thierry Breton en 2005 (2). Partant du principe que le poids de la dette représenterait pour chaque nouveau-né environ 17 500 euros, le rapport recommande donc de réduire progressivement le taux de prélèvements obligatoire en engageant un programme de retour à l’équilibre budgétaire sur cinq ans. Ses partisans envisagent de réduire de moitié les effectifs des trois fonctions publiques (Etat, territoriale, hospitalière) à l’horizon 2012. Dès son accession au pouvoir, la nouvelle majorité a commencé par prendre soin de limiter le droit de grève dans les services publics. 23 900 postes seront détruits la première année, soit un départ en retraite sur trois non remplacés, dont 9 400 postes d’enseignants dans les collèges et lycées (11200 postes au total dans l’éducation), 6000 postes dans l’armée, 2300 dans la police, 2800 à l’équipement.

Réduire le nombre de fonctionnaires, les missions de l’Etat et les politiques sociales.

Le discours sur la dette est l’alibi du meurtre de l’Etat social que les politiques néo-libérales ont, au cours du quart de siècle passé, détricoté, maille après maille. Il entend préparer les esprits à de nouvelles mesures d’austérité pour les serviteurs de la chose publique. La fonction idéologique anxiogène du discours sur la dette doit être dénoncée.

Premièrement, à écouter les apôtres de l’orthodoxie budgétaire, les Français vivraient depuis vingt-cinq ans dans un Etat socialiste qui dépense toujours plus pour entretenir une fonction publique pléthorique et improductive. Or contrairement aux affirmations fréquemment reprises, y compris dans la presse, la part des dépenses publiques n’a pas augmenté depuis 1983. Elle est restée stable, à 53% du PIB. Le tournant « de la rigueur » opéré par la gauche en 1983 y a d’ailleurs participé et l’on peut s’interroger sur le fait de savoir si ce revirement n’inaugurait pas l’ouverture d’une certaine « parenthèse » libérale qui ne s’est jamais refermée ?

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Au cours de cette période, en raison de cette rigueur budgétaire, la part des dépenses de l’Etat s’est réduite de 3 points, passant de 25,7 à 22,7% du PIB. La part des dépenses de fonctionnement (les dépenses en personnel tant décriées par les néo-conservateurs) a diminué de 5 points, passant de 40% à 35% des dépenses de l’Etat ! Avec la décentralisation les dépenses des collectivités territoriales ont certes progressé, mais les transferts de compétences ne se sont pas accompagnés de transferts financiers équivalents, ce qui a amené les responsables des collectivités territoriales à relever les impôts locaux et à pratiquer une gestion de plus en plus serrée des budgets locaux. Ceux-ci ne sont en définitive que faiblement déficitaires. Les « marges de manœuvre » pour réduire les effectifs de l’Etat paraissent, en tout état de cause, faibles, sauf à considérer que la santé, l’éducation et la décentralisation ne sont pas des priorités.
C’est en réalité la part des dépenses sociales qui a particulièrement augmenté malgré la mise en œuvre de multiples plans de maîtrise des dépenses de santé. La part des dépenses sociales dans le PIB est passée de 27,2 à 29,1% du PIB entre 1984 et 2004. Cette tendance est naturelle dans une société de progrès où l’espérance de vie s’allonge et où la demande de bien être se développe. En 2003, dernière année disponible pour des comparaisons dans l’Union européenne à vingt-cinq, la part des dépenses publiques dans le PIB situe la France au quatrième rang (53,4 %), après la Suède (58,2 %) le Danemark (54,9 %) et la République tchèque (53,5 %) (tableau 3).Le véritable débat porte dès lors sur le mode de financement de ces dépenses, plus ou moins solidaires selon le choix de société retenu. Les libéraux et l’actuelle majorité font la promotion de la TVA « sociale » et des franchises, alors que le camp progressiste devrait opter pour une réforme de l’impôt sur le revenu et de la fiscalité des entreprises améliorant la progressivité du système fiscal.

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Source : Eurostat ; Insee, comptes nationaux base 2000.

Ainsi que l’a souligné l’Insee, « En 1995, les dépenses publiques s’élevaient à 650,7 milliards d’euros soit 54,5 % du PIB. Elles ont crû régulièrement mais moins vite que le PIB jusqu’en 2000 (2,7 % en moyenne par an contre 3,8 %). Ainsi, en 2000, elles atteignaient 744,3 milliards d’euros, mais ne constituaient plus que 51,6 % du PIB. Depuis 2001, la croissance des dépenses est supérieure à celle du PIB (4,5 % contre 3,4 %). Leur part représentait 53,8 % du PIB en 2005 » (3) . Au final, la structure des dépenses des administrations a relativement peu évolué en dix ans. Le seul changement notable concerne la santé qui, de quatrième poste de dépense en 1995, est désormais le deuxième poste. Au total, les dépenses de santé et de protection sociale ont gagné 1,5 point chacune en dix ans, passant de 52,7 % des dépenses en 1995 à 55,8 % en 2005. Cette progression explique qu’aujourd’hui les dépenses des administrations de sécurité sociale, qui étaient équivalentes à celles de l’État en 1995, les dépassent de 8,7 points dix ans plus tard.

Deuxièmement, la France n’est absolument pas en faillite. Les tenants de l’orthodoxie budgétaire oublient curieusement de rappeler que tout compte de patrimoine inclut un passif (la dette) et un actif (les bijoux de famille). Ainsi, si le compte de patrimoine des administrations publics est porteur d’une dette, la richesse nette des administrations est positive, compte tenu des actifs physiques que détient l’Etat (routes, écoles, hôpitaux, équipements…). Le solde net représente 19, 7 % du PIB.

Troisièmement, il existe une abondante épargne (16% du PIB, l’une des plus importante du monde) particulièrement friande d’obligations d’Etat, si bien que l’Etat peut se financer en émettant des titres à des taux d’intérêt très bas. La signature de l’Agence France Trésor est l’une des plus réputée du monde, signe que l’Etat peut honorer ses engagements. La dette ne pèse nullement sur les générations futures. Elle est portée par les épargnants à l’instant t qui perçoivent les intérêts prélevés par l’impôt sur l’activité productive du même instant t. La dette n’est aucunement une aberration économique et les progressistes auraient tort de laisser aux néo-conservateurs le monopole de la critique du pacte de stabilité, et plus généralement de la politique économique européenne. L’épargne sert en principe à financer l’investissement. Alors que l’investissement des entreprises est atone, il est sain que l’épargne disponible ne reste pas oisive et que l’Etat la mobilise pour financer des dépenses ayant un effet sur la croissance, sans lesquelles l’économie s’engoncerait dans la récession. Autrement, cette épargne nourrirait inlassablement les bulles financière et immobilière, à perte pour la croissance et l’emploi. Un certain volant de dette est par conséquent justifié, d’autant qu’elle est « désirée » par les épargnants qui considèrent les obligations d’Etat comme des valeurs refuges ! Dès lors financée à bas taux d’intérêt, la dette est dite « soutenable », si son impact sur la croissance est suffisamment fort pour engendrer en fin de course le surcroît de recettes fiscales nécessaire à la stabilisation, puis la réduction du taux d’endettement.

Quelle politique budgétaire ?

Le véritable débat porte alors sur les choix budgétaires effectués, compte tenu des marges de manœuvre réelles dont dispose l’Etat, compte tenu des ressources qu’il peut emprunter sur les marchés et de l’impôt qu’il peut lever, et à condition de mettre en œuvre la bonne réforme fiscale. A cet égard, la politique économique de l’an I de la révolution néo-conservatrice relève d’un véritable gaspillage des deniers publics. Incapable de relancer l’économie, elle fait proliférer la mauvaise dette, celle qui ne finance aucune dépense source de croissance. Cette dette profite doublement aux nouveaux rentiers, une première fois en tant que bénéficiaires du paquet fiscal, une deuxième fois en tant que créanciers de l’Etat, percevant les intérêts des obligations du trésor qu’ils détiennent. Ces intérêts sont notamment prélevés par l’impôt, et donc par la TVA que paient tous les Français, à commencer par les plus fragiles, au premier centime d’euro dépensé…

La politique budgétaire néo-conservatrice donne l’impression d’une rupture parce qu’elle accentue sans complexe le trait des politiques défendues par la droite depuis son abandon du gaullisme économique. Leur mise en œuvre est à l’origine du paradoxe de la dette : la dette publique s’est accrue au cours de ces quinze dernières années alors que c’est précisément au cours de cette période que des gouvernements ont appliqué des politiques censées réduire le poids de l’interventionnisme public.

Il n’y a pas d’exception française en la matière. Malgré leur zèle à comprimer sommet après sommet les dépenses publiques, sept pays de l’Eurogroupe sur quinze, (parmi lesquels l’Allemagne, la France et l’Italie), ne parviennent pas à respecter le pacte de stabilité. La dette publique française (64% du PIB) est même inférieure à celle de la moyenne de l’Eurogroupe (72%). Le paradoxe de la dette est d’autant plus grand que, hors de l’Eurogroupe, le Danemark et la Suède (qui détiennent le record du monde de la dépense publique), mais aussi la Grande-Bretagne dont on ne souligne jamais qu’elle a augmenté de 5 points ses dépenses publiques entre 1999 et 2005 (où 560 000 emplois publics furent créés…), ont vu leur taux d’endettement décroître…

Comme le montre le tableau suivant, la dette publique en France ne dépassait pas 25% du PIB en 1983, lorsque la gauche était accusée d’avoir excessivement nationalisé. Elle était de 36, 5 % en 1991, avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht… Elle explosa littéralement sous les hospices d’Edouard Balladur et d’Alain Juppé entre 1993 et 1997 où elle atteignit 58, 5 % du PIB, plaçant quasiment la France aux limites autorisées par le traité. Cette dette fut précisément la cause d’une certaine dissolution de l’Assemblée nationale qui devait légitimer un nouveau plan d’austérité préalable à l’entrée dans l’euro… La droite fut battue et la dette baissa à 56 % du PIB en 1999. De retour aux affaires en 2002, la droite s’engagea à nouveau sur le chemin de la rupture avec gaullisme. Elle mit en chantier la deuxième réforme des retraites et de l’assurance maladie, de nouvelles baisses d’impôts sur les hauts revenus et une nouvelle vague de privatisations (dont une partie fut consacrées en partie au désendettement !).

Le taux d’endettement culmine aujourd’hui à 65 % du PIB… Les politiques néo-libérales d’hier et d’aujourd’hui se révèlent incapables de soutenir la croissance « par l’offre » alors que les réformes de la structure des prélèvements fiscaux et sociaux ont amplifié l’érosion des ressources fiscales de la République. Les paquets cadeaux à peine envoyés, Nicolas Sarkozy reportait déjà à 2012 l’objectif de retour à l’équilibre budgétaire, initialement prévu en 2010 dans son programme. Usant de la posture permise par l’héritage gaulliste qu’il instrumentalise à souhait, Nicolas Sarkozy ne manquera pas d’emprunter à la rhétorique hétérodoxe en matière budgétaire pour justifier sa dérogation à l’endroit du pacte de stabilité.

Ratio d’endettement des administrations publiques au sens de Maastricht
(en points de PIB)

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Sources : Banque de France et Direction de la prévision

La gauche aurait tort de jouer au Père fouettard en rappelant au Président de la République son devoir de rigueur budgétaire. Tout en rappelant l’absurdité du pacte de stabilité, elle pourrait par contre insister sur le gaspillage par la droite de deniers publics qui auraient pu être consacrés à la santé, à l’éducation, à l’investissement, à l’innovation et la recherche grâce à des dépenses d’investissement, mais aussi des dépenses de fonctionnement (Imagine-t-on des hôpitaux et des établissements scolaires sans personnels ?!) ayant un réel impact économique.

Notes
1/ La production nationale en volume est calculée en monnaie constante pour éliminer l’augmentation des prix. Sa hausse est donc inférieure à celle en valeur (à prix courants) qui inclut non seulement les hausses des quantités produites mais aussi les hausses de prix.
2/Rompre avec la facilité de la dette publique ; Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale. Michel Pebereau (dir), La Documentation française, 196 pages, 2006.
3/Insee première, n°1102, septembre 2006

Ecrit par libertad, à 22:48 dans la rubrique "Economie".



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