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Cela mis à part, les deux tendances des Jeunesses campaient sur leurs positions. Les jeunes Catalans traitaient leurs frères du Centre d'"organisationnistes" et de "centralistes", se voyant traiter, dans un juste retour des choses, de "catalanistes" et de "séparatistes". Cette divergence s'accentua après le 19 juillet.
La F.I.J.L. adopta, dès les premiers mois de la révolution, dans presque toutes les régions de la zone libérée, la position collaborationniste, suivant l'exemple des organisations libertaires aînées. Elle était à la remorque des décisions de la C.N.T. et de la F.A.I. A proprement parler, les Jeunesses libertaires s'étaient retrouvées sans leurs éléments les plus actifs. Les comités avaient tendance à se limiter aux militants les plus indispensables. L'immense majorité des adhérents avait été emportée par l'ardeur du combat, s'enrôlant dans les milices qui couvraient les fronts.
Les cadres militants auxquels nous nous référions plus haut, réduits au strict minimum, étaient exempts de leurs devoirs militaires. Dans les premiers mois de la guerre, l'exemption, lorsqu'elle était nécessaire, était prononcée directement par les comités confédéraux; plus tard, elle devint le privilège des autorités et elle était octroyée sur proposition des comités politiques et syndicaux. Ce problème des exemptés créa dans tous les organismes de l'arrière-garde une classe bureaucratique, qui tendait à se transformer en caste.
Toutefois, au cours de ces premiers mois de la guerre, enrôlement dans les milices n'était pas de rigueur, et il était volontaire. Le gouvernement mobilisait continuellement par décret, mais ces mesures avaient des effets très relatifs. Les centres officiels de recrutement étaient peu fréquentés. Ceux qui ressentaient le devoir de partir au front exerçaient une forte pression morale sur les indécis et sur ceux qui manquaient d'enthousiasme, ce qui donna d'excellents résultats tant que dura la virginité révolutionnaire. De toute façon, jeunes et hommes mûrs préféraient s'enrôler dans les bataillons de volontaires organisés par le comité de leur sympathie.
Cette émigration de jeunes vers les fronts favorisa la mainmise des organisations aînées sur les comités de jeunes de l'arrière-garde. On comprend donc que la F.I.J.L. soit intervenue en tant qu'organisation dans de nombreuses combinaisons du front antifasciste, occupant des responsabilités administratives et gouvernementales. Cette ligne collaborationniste conduisit à une série de contacts avec d'autres organisations de jeunes, et à une participation intense à ce mouvement fertile en pactes d'unités sous le lointain contrôle des Jeunesses socialistes unifiées.
Mais il est juste de dire que si la F.I.J.L. n'opposa qu'une faible résistance à la psychose circonstancialiste qui étouffait la C.N.T. et la F.A.I., il n'en est pas moins certain qu'elle sut, comme ses sœurs aînées, rester hors d'atteinte de la contagion stalinienne. La volonté tenace des J.S.U. (qui étaient elles-mêmes l'exemple le plus visible de contagion stalinienne) de former un grand bloc des Jeunesses qu'elles pensaient dominer par la suite en utilisant la technique d'absorption des alliés, se heurtait à la résistance non moins tenace de la F.I.J.L. Dans leurs relations et leurs pactes avec les jeunes communistes, les jeunes libertaires surent nager sans boire la tasse. Ils marchaient au bord de l'abîme sans faire le faux pas qui les aurait fait irrémédiablement dégringoler au fond.
Essayons d'ordonner ces faits le plus chronologiquement possible. L'état des relations entre les jeunes libertaires de Catalogne et leurs frères du reste de l'Espagne ressort de l'une des motions du congrès tenu par les premiers à Barcelone le 1er novembre 1936. Dans ce congrès fut mise à la discussion "la proposition faite aux Jeunesses libertaires de Catalogne par le Plénum national des comités régionaux, en vue de leur entrée à la F.I.J.L."
La réponse fut celle-ci : Sur proposition de la F.I.J.L., le congrès décide à l'unanimité son entrée dans cette organisation, moyennant la reconnaissance de la pleine autonomie de la Fédération régionale catalane, dans le but de poursuivre ses relations avec la F.A.I.
Cette adhésion sous conditions est la marque d'une fidélité à outrance des jeunes libertaires de Catalogne à leur ligne de conduite classique. Ils continuaient à se considérer comme une filiale de la Fédération anarchiste ibérique. Pour comble de paradoxe, la F.A.I. répondait de la pire manière qui soit à cette fidélité amoureuse de ses jeunes aiglons, en les menaçant, en les pressant, en les sommant de suivre la tortueuse " ligne générale du mouvement ". Déçus dans leur fidélité, les jeunes libertaires de Catalogne s'adonnèrent donc au culte d'une autre fidélité qu'ils estimaient supérieure : la défense à outrance de ce qu'ils appelaient, dans des termes qui allaient faire fortune, "les principes et les tactiques consubstantiels et permanent", en opposition au "circonstancialisme", un autre de leurs termes qui fit aussi fortune et qui faisait référence à la théorie courante selon laquelle "des circonstances imprévues et impérieuses"
avaient imposé le "sacrifice circonstanciel des principes".
C'est au cours de ce congrès du 1er novembre que furent mises en relief de profondes divergences entre la majorité des délégations et les membres du Comité régional. La proposition de la F.I.J.L. contenait en filigrane le point de vue du Comité. La réponse à cette proposition exprimait la volonté de la majorité du congrès. Le premier était docile aux orientations générales du mouvement ; la seconde se cramponnait à un classicisme doctrinaire intransigeant. Il y avait donc un certain divorce entre le Comité régional et ceux qu'il représentait, entre les Jeunesses libertaires de Catalogne et les comités confédéraux et anarchistes de la même région ; entre ces mêmes jeunes libertaires et ceux du reste de l'Espagne.
Bien qu'il fût latent, le conflit passa inaperçu jusqu'à la fin de l'année 1936. La majorité des jeunes se trouvaient sur les fronts et ne se préoccupaient que de la guerre. Le conflit commença à revenir à la surface au fur et à mesure que les déceptions politiques s'accumulaient, et aussi parce que l'appel à la discipline de la part des comités supérieurs se fit de plus en plus insistant. Tant que ces problèmes ne se posèrent pas, les comités de l'arrière-garde firent un large usage de leurs attributions.
La signature d'un pacte, le 17 novembre, entre les Comités des jeunesses libertaires de Catalogne et ceux des Jeunesses socialistes unifiées de la même région n'est donc pas surprenante. Ce pacte était une sorte de suite à celui qu'avaient signé en août la C.N.T. et la F.A.I. avec l'U.G.T. et le P.S.U.C. Le contenu du pacte des Jeunesses, tout autant que celui des organisations aînées, était assez spectaculaire : Etant donné que les moments que nous traversons nécessitent la plus grande coordination de tous les efforts (...) un Comité de liaison est constitué ( ... ) dans l'objectif d'établir immédiatement une étroite cohésion entre les deux organisations, indispensable pour gagner la guerre rapidement, tout en réalisant en même temps la transformation sociale... Ce Comité de liaison est par ailleurs le premier pas en vue de l'étroite collaboration de toute la jeunesse antifasciste et révolutionnaire, dont la base pourra être élargie lorsque les deux parties le jugeront opportun...
Le discours est complété par les consignes liées à la situation du moment représentation de toutes les tendances antifascistes à la direction politique et économique, en fonction des forces qu'elles représentent; mobilisation générale et rapide pour gagner la guerre ; préparation technico-militaire des jeunes combattants ; discipline militaire, mais sans caporalisme ; création d'une véritable économie de guerre ; nettoyage des fronts et de l'arrière-garde de la présence fasciste, etc. Le document était signé, pour le Comité régional des jeunesses libertaires, par Alfredo Martinez, Fidel Miro et Juan Bautista Aso.
Les relations entre libertaires et staliniens étaient déjà assez tendues en ce mois de novembre. Les négociations et les engagements commençaient à manquer de sincérité. Ils se réduisaient avant tout à des manœuvres de diversion ou de propagande. De toute manière, la rupture ne tarda pas à se produire.
En mars 1937, le Comité régional des jeunesses de Catalogne organisa un grand meeting en plein air, sur la grande Place de Catalogne. L'objectif était de manifester le mécontentement qui faisait suite à la perte de Malaga. L'auditoire s'élevait à cinquante mille personnes. Divers jeunes orateurs, du front et de l'arrière-garde, prirent la parole. Les Jeunesses socialistes unifiées refusèrent de participer au rassemblement sous prétexte de la présence des représentants de la Jeunesse communiste ibérique (Jeunesses du P.O.U.M.).
Tout ce qui avait un rapport avec le trotskisme -et tout communiste non orthodoxe était trotskiste- commençait à tomber sous le coup de la violente excommunication stalinienne. Les J.S.U. exigeaient que les jeunes rivaux soient expulsés de la tribune. L'irritation des jeunes libertaires devant des prétentions aussi abusives provoqua la crise du pacte conclu récemment.
Le cours des choses n'allait pas mieux sur le plan national. En février 1937, la F. I J.L. avait tenu un Plénum national de comités régionaux à Valence. On rendit public, à cette occasion, le nombre d'adhérents de chaque Comité régional : Andalousie, 7400 ; Estrémadure, 1907 ; Levant, 8 200 ; Centre, 18 469 ; Aragon, 12 089 ; et Catalogne, 34 156. Les jeunes libertaires de la zone libérée du Nord ne purent assister au plénum, à cause de la guerre.
L'aspect le plus important de ce plénum fut la proposition d'un Front de la jeunesse révolutionnaire à toutes les organisations de jeunesse antifascistes. Le programme de ce F.J.R. fut élaboré ; il contenait notamment cette déclaration : Nous considérons qu'il n'est pas possible de créer le Front de la jeunesse révolutionnaire sans reconnaître la transformation sociale et économique dont a bénéficié le peuple espagnol depuis le 19 juillet ; par conséquent, tous les organismes qui se rallieront à ce front doivent s'engager à accompagner cette transformation sociale... Gagner la guerre, faire la révolution, telle est la mission du Front de la jeunesse révolutionnaire...
Ce paragraphe était un défi à la trouble politique unitaire des Jeunesses staliniennes. Lors de la conférence nationale des J. S.U., qui avait eu lieu environ un mois plus tôt, Santiago Carrillo, qui en était le secrétaire général, avait fait cette déclaration : Nous luttons pour la République démocratique et nous n'avons pas honte de le dire... Oui, camarades, nous luttons pour une République démocratique, plus précisément, pour une République démocratique et parlementaire. Il ne s'agit pas d'un stratagème pour tromper l'opinion démocratique espagnole ni pour tromper l'opinion démocratique mondiale. Nous luttons sincèrement pour une République démocratique car nous savons que si nous commettions l'erreur de lutter en ce moment -y compris pendant de nombreux mois après la victoire pour la révolution socialiste- nous contribuerions à la victoire du fascisme ...
Début avril, les jeunes staliniens organisèrent en grande pompe à Madrid un Congrès de la jeunesse. Ils y invitèrent toutes les organisations de jeunesse de n'importe quelle tendance : libertaires, républicaines, et même catholiques, ce qui était une audace sans précédent. Deux jeunes libertaires qui assistaient au congrès demandèrent la parole. Et lorsque le premier d'entre eux se leva pour parler, les techniciens de la propagande firent en sorte que tout le congrès, comme mû par un ressort, se lève et applaudisse. En même temps, une fanfare interprétait solennellement l'hymne anarchiste.
Le jeune libertaire ne se laissa pas impressionner par cette pluie de fleurs factices, et, sans préambule, commença son discours : Ma déclaration vient diverger presque entièrement de tout ce qui a été dit ici. Le mot "révolution" vous fait peur. Un éminent militant des J.S.U. disait hier qu'il fallait que quelques hommes se déplacent pour organiser la jeunesse de Catalogne... Nous demandons une alliance des jeunes sur une base solide, que l'on n'a pas voulu aborder dans ce congrès, et que l'on a laissée de côté; une base d'alliance pour aujourd'hui et pour demain ; mais nous ne voyons pas la possibilité de parvenir à un accord... Il faut tout sacrifier, comme nous l'avons fait nous-mêmes avec nos principes les plus vénérables. Au nom de la Jeunesse libertaire, je dois vous dire que le rapport des J.S.U. est totalement vide de contenu social et nous leur lançons le défi de présenter des bases solides...
Le congrès ne s'était pas encore remis de la déception produite par ce discours lorsque l'autre jeune libertaire monta à son tour à la tribune. Tout aussi imperturbable, il commença à dire : Je suis venu à ce congrès en pensant y trouver quelque chose de nouveau... Les J.S.U. ont organisé à Valence un congrès dans lequel elles ont évoqué à leur manière la situation de la jeunesse espagnole. Nous aussi, jeunes libertaires, sommes allés à Valence et nous y avons apporté une position ferme et claire, avec un authentique contenu révolutionnaire... Les jeunes libertaires veulent une révolution qui ait une éthique sociale. Les jeunes des J.S.U. ont amené à ce congrès les mêmes bases qu'ils avaient approuvées à Valence. Ces Jeunesses ont dit qu'il fallait réunir en faveur de l'Alliance les combattants qui luttent pour le gouvernement légitime, et à leurs côtés, même les catholiques. Et moi, je demande : comment les J.S.U. peuvent-elles en arriver à s'unir avec les catholiques, alors que ceux-ci ont toujours utilisé la religion pour satisfaire leurs aspirations personnelles ?... Il a été dit ici qu'on luttait pour la République démocratique et parlementaire, D'accord s'il s'agit d'une République au sens où l'entendait Platon ; démocratique, si la démocratie veut dire le gouvernement du peuple par le peuple. Parlementaire, en aucune manière. Nous ne pouvons pas être d'accord avec le parlementarisme. Ce sont les syndicats qui doivent contrôler la politique et l'économie de l'Espagne...
Les divergences entre les Jeunesses libertaires de Catalogne et le comité péninsulaire de la F.I.J.L. s'accentuèrent après les événements sanglants de mai 1937. Au cours de ces événements les communistes avaient assassiné et terriblement mutilé douze jeunes libertaires qu'ils retenaient prisonniers. Les cadavres furent abandonnés dans un cimetière. Parmi ces malheureux se trouvait Alfredo Martinez, membre du Comité régional et secrétaire du Front de la jeunesse révolutionnaire de Catalogne.
Le 15 mai se tint à Barcelone un congrès régional extraordinaire en vue de déterminer la future orientation des J.L. et de nommer un nouveau Comité régional. Les séances de l'assemblée furent houleuses mais il en ressortit clairement qu'une majorité écrasante de l'organisation réclamait le retour aux traditions libertaires. Cette tendance classique prit en main le nouveau Comité régional. Pour dissiper toute ambiguïté, on élabora une motion qui fixait la nouvelle orientation, et qui faisait l'éloge du "concept permanent de nos idées" et condamnait "l'apostasie circonstancialiste".
Cette insubordination préoccupait beaucoup les dignitaires de la C.N.T. F.A.I., qui eurent recours, pour soumettre les rebelles, à tous les moyens, y compris à des moyens peu orthodoxes et ne faisant pas appel à la persuasion. La F.A.I. s'apprêtait à franchir officiellement le Rubicon. Dans les luttes internes des jeunes, la C.N.T. et la F.A.I., et en particulier la seconde, étaient parties prenantes. La C.N.T. n'était pas en reste. Face à Ruta, organe du nouveau Comité régional et l'un des rares journaux anarchistes d'opposition au circonstancialisme, Solidaridad Obrera inaugura, le 17 juin, une rubrique spéciale "Jeunesse révolutionnaire", qu'elle confia à la fraction minoritaire des Jeunesses qui venait d'être mise en déroute au congrès.
Dans les hautes sphères de la C.N.T. F.A.I., on craignait que la rébellion des jeunes libertaires ne s'étende aux groupes anarchistes (ce qui se produisit à partir du mois de juillet) et aux syndicats ; de la Catalogne aux autres provinces. Le comité péninsulaire de la F.I.J.L. exigeait des jeunes insurgés une soumission complète, faisant référence à des engagements envers l'organisation, que ceux-ci n'avaient jamais pris. Les Plénums nationaux de comités régionaux se succédaient à un rythme vertigineux dans le but apparent de faire plier la résistance de ceux que l'on commença à appeler "peaux rouges".
Le problème de l'unité des Jeunesses était le motif principal des tensions. En vertu de sa nouvelle orientation, le Comité régional de Catalogne avait déclaré nuls tous les pactes plus ou moins caducs signés par le comité précédent, y compris ceux qui furent conclus sous l'égide du Front de la jeunesse révolutionnaire. L'un d'eux concernait la Jeunesse communiste ibérique (filiale du P.O.U.M.). Les jeunes libertaires de Catalogne avaient pressenti que le F.J.R. était condamné à mort à court terme par ceux-là mêmes qui lui avaient donné la vie. Le Front de la jeunesse révolutionnaire, comme nous l'avons vu, fut créé par un plénum national de comités régionaux de la F.I.J.L. en février 1937, face à l'Alliance des jeunes antifascistes qui était manipulée par les J.S.U.
Il y avait effectivement deux blocs sur le terrain de l'unité des jeunes. Celui créé par les J.S.U. lors de leur conférence de janvier, avec des républicains et des catholiques, et celui que la F.I.J.L. avait fondé un mois plus tard et dont faisaient partie les Jeunesses du P.O.U.M. Le premier traversait une crise assez sérieuse. Quelques membres des anciennes Jeunesses socialistes dévouées à Largo Caballero commençaient à se rendre compte du guet-apens dans lequel ils étaient tombés grâce au double jeu de Santiago Carrillo et compagnie et ils commençaient à manifester leur désaccord. Les sections asturienne et valencienne des J.S.U. se déclaraient en rébellion. La crise avait son origine dans les interventions des jeunes libertaires comme celles que nous avons décrites.
Devant ce danger, l'état-major des J.S.U. brûla les étapes en vue d'un pacte d'unité des jeunes qui soit suffisamment habile pour que la F.I.J.L. morde à l'hameçon. Il fallait esquiver les points de friction, autrement dit marchander une profession de foi " révolutionnaire " de l'Alliance contre l'élimination du P.O.U.M. Les leaders du bloc libertaire se montraient en même temps intraitables avec les Jeunesses catholiques.
Malgré tout, les contacts se poursuivaient. Et c'est peut-être ce qui rendait méfiants les jeunes Catalans. En fin de compte, le 10 août, le comité péninsulaire de la F.I.J.L. publiait un long manifeste, qui exposait la rupture des négociations en vue de l'Alliance : " Nous nous étions refusés, à d'autres occasions, à participer à un organisme dans lequel s'agglutinent toutes les Jeunesses antifascistes révolutionnaires, tant qu'il exclurait un certain secteur, plus ou moins nombreux, de nos Jeunesses ( ... ) alors qu'en même temps on prétendait accepter l'entrée "organismes de jeunesse à caractère religieux... Notre rapport et celui de l'Union fédérale des étudiants hispaniques ayant été présentés, nous acceptâmes, à la suite de longs débats, que ce soit ce dernier rapport qui serve de base de discussion. Il y a une chose sur laquelle nous n'avons pas voulu et nous ne pouvons pas transiger, parce que nous ne pourrions le faire sans perdre notre dignité, notre honneur et notre sens humaniste ( ... ) c'est d'accepter tel quel le cinquième point des bases de discussion présentées par l'U.F.E.H., qui dit ceci : Et désigner les trotskistes comme agents du fascisme, ennemis de l'unité du peuple et de la jeunesse antifasciste, et organisateurs du centre l'espionnage récemment découvert par la police..."
Il n'est pas besoin de faire un gros effort pour comprendre que l'Union fédérale des étudiants hispaniques en question n'était rien d'autre qu'une succursale mal déguisée des J.S.U. fabriquée pour l'occasion. Ce mimétisme est monnaie courante dans la stratégie stalinienne. Cela mis à part, on comprenait aussi facilement que l'accord ne tarderait pas à se produire. Ce ne serait pas la première fois que les libertaires se débarrassaient du "trotskisme" en cédant à des "réalités suprêmes". Dans les faits, les jeunes du P.O.U.M. avaient déjà été sacrifiés. Il s'agissait seulement d'éviter l'affront.
C'est ainsi que les deux organisations réunirent leurs troupes, le 10 septembre, au sein de l'Alliance des jeunes antifascistes (A.J.A.), dont la déclaration de principes débutait ainsi : L'Alliance des jeunes antifascistes, reconnaissant la transformation politique, sociale et économique réalisée dans notre pays depuis le 19 juillet de l'année écoulée, s'engage à consolider les conquêtes révolutionnaires. Par conséquent les organisations de jeunes travailleront constamment à l'alliance des organisations syndicales C.N.T. et U.G.T. en vue de gagner la guerre et de développer la révolution. De la même manière, elles verront avec sympathie l'unification des forces politiques correspondantes, dans le même objectif.
Les Jeunesses membres de l'Alliance se déclarent favorables à ce que toutes les organisations politiques et sociales de notre peuple, engagées dans le cadre antifasciste, soient représentées à la direction de celui-ci, en fonction de leurs forces et de leur influence, après avoir au préalable élaboré un programme commun pour faciliter notre triomphe sur le fascisme.
"La transformation politique" réalisée étant un contrepoids énorme à la "transformation sociale et économique", les jeunes communistes, en proclamant tout cela, ne faisaient aucune concession révolutionnaire. Rendre possible l'alliance C.N.T.-U.G.T. au moment où cette dernière organisation était sur le point de tomber entre les mains du parti communiste n'était pas non plus une concession. (La stalinisation de l'U.G.T. fut consommée fin 1937). Finalement, ouvrir la porte du gouvernement à la C.N.T. - tel était le secret du dernier paragraphe - était un engagement un peu vague, et qui dépendrait de l'humeur du moment de la décision.
La C.N.T. voulait gouverner à tout prix. Elle avait vaillamment suivi Largo Caballero dans sa disgrâce, et maintenant elle le regrettait. Tous les documents de cette période portent la marque de la soif de gouverner de la C.N.T. Il y eut même un accord avec le parti communiste, que celui-ci trahit perfidement. Le P.C. avait alors en mains les clefs de saint Pierre et c'est à lui que la C.N.T. mendiait quelques miettes de pouvoir. Un journal contrôlé par la tendance proche de Caballero commentait avec compassion cette fureur lamentable : Nous ne nous sommes pas trompés lorsque, à la vue du document du Bureau politique du parti communiste, nous avons dit que personne ne devait s'y fier et qu'il ne voulait rien d'autre que faire de la C.N.T. son jouet.
La C.N.T. hésitait alors entre deux cartes. D'un côté, elle avait renouvelé récemment des bases "unité avec l'U.G.T., laquelle n'était pas encore dominée par les communistes. Mais à présent, voyant cette mainmise proche, elle était aux prises avec l'envie irrésistible de passer dans le camp du vainqueur. Le P.C. voyait loin et jouait sur du velours. D'un côté il faisait obstacle au pacte C.N,T. U.G.T.; de l'autre, il prenait le contrôle de l'U.G.T. en s'y infiltrant. Il se jouait de la C.N.T., tantôt lui donnant des raisons "espérer, tantôt la trompant perfidement. L'entrée de la F.I.J.L. à l'A.J.A. ne peut être comprise que si l'on tient compte de ces faits et de la tutelle qui pesait sur elle.
Il faut de toute façon dire haut et fort que l'A.J.A., qui vécut jusqu'à la fin de la guerre en Catalogne, engloba les jeunes libertaires mais ne put jamais les absorber et les digérer comme l'avaient fait les J.S.U. avec les jeunes socialistes.
Une fois signés les principes que nous venons de commenter, le programme de l'A.J.A. prévoyait une campagne de meetings dans le but de propager la bonne nouvelle dans toutes les grandes villes de la zone loyale. L'AJ.A., qui était présidée par un libertaire, s'adressa immédiatement au comité régional des J.L. de Catalogne, lui demandant d'organiser un rassemblement. La réponse fut négative. Comme il n'y avait pas en Catalogne de succursale de l'A.J.A., il n'y avait pas lieu d'appliquer l'accord. L'intervention du comité péninsulaire de la F.I.J.L. n'eut pas davantage de résultat. Les comités supérieurs de la C.N.T. FAI se cassèrent eux aussi le nez devant l'attitude ferme de ces jeunes. En fin de compte, ils décidèrent de passer outre à leur volonté. Et c'est ainsi que le meeting fut annoncé dans la rubrique jeunes de Solidaridad Obrera directement par le C.P. de la F.I.J.L. Le comité régional des J.L. répliqua dans un autre journal par un communiqué dans lequel on prévenait énergiquement que si cette atteinte à l'autonomie d'une organisation régionale se produisait, les jeunes militants saboteraient le rassemblement, en recourant à la violence si besoin était. Devant cette attitude ferme, on ne parla plus de l'affaire. Le Comité péninsulaire fit marche arrière.
Les J.L. de Catalogne tinrent, à partir du 10 octobre, un congrès régional extraordinaire. Ce congrès était un défi aux affirmations selon lesquelles l'orientation "insensée" des Jeunesses était le résultat de la "dictature de son Comité régional". A l'ordre du jour figuraient des sujets aussi significatifs que les suivants : Discussion du rapport envoyé par un groupe de militants contre le Comité régional, les J.L. doivent-elles continuer entant que section de culture et de, propagande de la F.A.I. ? ; position des J.L. de Catalogne par rapport à l'Alliance des jeunes antifascistes ; désignation d'un nouveau Comité régional, ( ... ).
Voyons rapidement les résultats de ce congrès ; La gestion du Comité régional fût approuvée par une majorité écrasante qui impressionna le comité de la FIJL. lui-même, lequel avait été expressément invité à assister aux délibérations. Les membres du Comité régional, dans leur majorité, furent reconduits dans leurs responsabilités. Cette démonstration de cohésion dans la défense de principes chers se répéta spectaculairement quelques mois plus tard, au cours du IIe congrès de la F.I.J.L. à Valence, du 6 au 13 février 1938.
La Catalogne y eut la délégation la plus nombreuse, et à ses côtés les délégations de sept brigades de combattants, venues du front d'Aragon, formèrent un bloc compact. Deux tendances, l'une centraliste, l'autre autonomiste, s'affrontèrent dès le début du congrès. Celui-ci dut se prononcer sur une motion et sur un vote particulier.
La première parlait de subordination aux intérêts suprêmes qui s'appuient sur de rudes réalités ; le second défendait le principe d'autonomie fondé sur le pacte libre. Les autonomistes furent vaincus.
José Peirats
extrait du livre : les anarchistes espagnols.
Esfuerzo : Journal mural des Jeunes libertaires de Barcelone (15 avril 1937)
Trois articles : Guerre à la politique, Les armes pour le front (pas dans les rues de Barcelone) , Epuration