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par Debora MacKenzie, New Scientist, 2 avril 2008
Apocalypse. La fin de la civilisation. La littérature et le cinéma regorgent de récits de peste, de famine et de guerres qui ravagent la planète, ne laissant que quelques survivants réduits à mener une existence primitive, parmi les ruines. Toutes les civilisations se sont effondrées finalement. Pourquoi en serait-il autrement pour la nôtre ?
Les scénarios d’apocalypse comportent en général une catastrophe majeure : un gigantesque astéroïde, une guerre nucléaire totale ou une pandémie catastrophique. Il existe cependant une autre possibilité glaçante : et si c’était dans la nature même des civilisations, la nôtre comme toutes les autres, que d’être destinées à s’effondrer tôt ou tard ?
Quelques chercheurs l’affirment depuis des années. Malheureusement, les recherches récentes effectuées dans des domaines comme la théorie de la complexité donnent à penser qu’ils ont raison. Il semble que lorsqu’une société se développe au-delà d’un certain niveau de complexité, elle devienne de plus en plus fragile. Finalement, elle atteint un point où même un incident relativement mineur peut provoquer l’écroulement de l’ensemble.
Ils sont quelques uns à considérer que nous avons déjà atteint ce point, et qu’il est temps de commencer à réfléchir sur la façon dont nous pourrions gérer l’effondrement. D’autres insistent sur le fait qu’il n’est pas encore trop tard, et que nous pouvons - nous devons - agir maintenant pour prévenir l’échec.
Les précédents historiques ne plaident pas en notre faveur. Pensez à Sumer, à l’Égypte ancienne et aux Mayas. Dans son ouvrage « Effondrement », paru en 2005, Jared Diamond, professeur à l’Université de Californie, considère que c’est leur mauvaise gestion de l’environnement qui est à l’origine de la chute de la civilisation Maya et des autres qui ont connu le même sort. Il avertit que nous pourrions prendre le même chemin si nous ne décidons pas de cesser de détruire l’environnement qui nous porte.
Lester Brown, du Earth Policy Institute à Washington, en convient. Il fait valoir depuis longtemps déjà que les gouvernements devraient accorder plus d’attention aux ressources environnementales vitales. « Il ne s’agit pas de sauver la planète. Il s’agit de sauver la civilisation », considère-t-il.
D’autres chercheurs estiment que nos problèmes ont une racine plus profonde. A partir du moment où nos ancêtres ont commencé à s’installer et à bâtir des villes, nous avons dû trouver des solutions aux problèmes nouveaux qu’apportait le succès. « Durant les 10 000 dernières années, la résolution des problèmes a produit une complexité croissante dans les sociétés humaines », remarque Joseph Tainter, un archéologue de l’Université de l’Utah, à Salt Lake City, et auteur de l’ouvrage L’Effondrement des Sociétés Complexes.
Si les récoltes périclitent parce que les pluies sont irrégulières, il faut construire des canaux d’irrigation. Quand ils s’envasent, il faut organiser des équipes de curage. Lorsque l’amélioration du rendement des cultures autorise une population plus nombreuse, il faut construire davantage de canaux. Quand l’étendue du réseau de canaux ne permet plus de se satisfaire de réparations ponctuelles, il faut mettre en place une bureaucratie de gestion, et la financer en levant l’impôt sur la population. Quand la population se plaint, il faut créer des inspecteurs des impôts et un système de comptabilité des sommes perçues. Tout cela était déjà bien connu des Sumériens.
Rendements décroissants
Il y a cependant un prix à payer. Chaque couche supplémentaire ajoutée à l’organisation impose un coût en terme d’énergie, l’unité de compte de tous les efforts humains, que ce soient la construction de canaux ou l’éducation des scribes. M. Tainter s’est aperçu qu’une complexité croissante entraîne des rendements décroissants. Le supplément de nourriture produite par chaque heure supplémentaire de travail - les joules d’énergie investis pour cultiver un hectare - diminue à mesure que cet investissement s’accroît. Nous assistons aujourd’hui au même phénomène avec la baisse du nombre de brevets par dollar investi dans la recherche au fur et à mesure de l’augmentation des investissements qui y sont consacrés. Cette loi des rendements décroissants semble être présente partout, note M. Tainter.
Pour continuer de croître, les sociétés doivent continuer à résoudre les problèmes à mesure qu’ils surviennent. Pourtant, chaque problème résolu signifie plus de complexité. Le succès induit une population plus nombreuse, plus de spécialistes, plus de ressources à gérer, plus d’informations à traiter - et, in fine, moins de retour sur l’argent dépensé.
Au bout du compte, estime M. Tainter, on atteint un point où toutes les énergies et les ressources à la disposition d’une société sont nécessaires uniquement pour maintenir son niveau actuel de complexité. Puis, quand le climat change ou qu’arrivent les barbares, les institutions proches du point de rupture s’effondrent et l’ordre civil avec elles. Ce qui émerge ensuite c’est une société moins complexe, organisée sur une plus petite échelle, ou qui est dirigée par un autre groupe.
M. Tainter voit dans les rendements décroissants la raison sous-jacente de l’effondrement de toutes les civilisations anciennes, des premières dynasties chinoises à la cité-état grecque de Mycènes. Ces civilisations, utilisaient l’énergie solaire sous la forme de cultures et de récoltes de nourriture, de fourrage et de bois, ainsi que l’énergie du vent. Lorsque ces ressources ont atteints leurs limites, le système s’est brisé.
La civilisation industrielle occidentale est devenue plus grande et plus complexe que toute les précédentes grâce à l’exploitation de nouvelles sources d’énergie, notamment le charbon et le pétrole, mais elles sont limitées. On observe de plus en plus de manifestations de la loi des rendements décroissants : l’énergie nécessaire pour obtenir chaque nouveau joule de pétrole augmente et bien que la production alimentaire mondiale ne cesse de croître, une innovation constante est nécessaire pour faire face à la dégradation de l’environnement et l’évolution des parasites et des maladies - le rendement par unité d’investissement dans l’innovation est en régression. « Dans la mesure où les problèmes sont inévitables », prévient M. Tainter, « ce processus est en partie inéluctable. »
M. Tainter a-t-il raison ? Une analyse des systèmes complexes a conduit Yaneer Bar-Yam, dirigeant du Complex Systems Institute de Cambridge, Massachusetts, à la même conclusion que celle à laquelle M. Tainter est parvenue en étudiant l’histoire. Les organisations sociales deviennent sans cesse plus complexes car elles doivent traiter à la fois des problèmes d’environnement et relever les défis posés par les sociétés des pays voisins qui sont également de plus en plus complexes, explique M. Bar-Yam. Cela mène au bout du compte à un changement fondamental dans la manière dont la société est organisée.
« Pour piloter une hiérarchie, les dirigeants ne peuvent pas être moins sophistiqués que le système qu’ils pilotent », explique M. Bar-Yam. Quand la complexité augmente, les sociétés doivent ajouter de plus en plus de niveaux de gestion, mais, en fin de compte dans une hiérarchie, un individu doit tenter de conserver une vue d’ensemble, et cela commence à devenir impossible. À ce moment-là, les hiérarchies cèdent leur place à des réseaux dans lesquels la prise de décision est distribuée. Nous en sommes à ce point.
La transformation des organisations en direction des réseaux décentralisés a donné naissance à l’idée largement répandue que la société moderne est plus résistante que les anciens systèmes hiérarchiques. « Je ne prévois pas un effondrement de la société en raison de la complexité accrue », déclare le futurologue et consultant pour l’industrie Ray Hammond. « Notre force réside dans notre prise de décision très distribuée. » Ceci rend les sociétés occidentales modernes plus résistants que celles dans lesquelles la prise de décision était centralisée, comme dans l’ancienne Union soviétique.
Les choses ne sont pas aussi simples que cela, remarque Thomas Homer-Dixon, politologue à l’Université de Toronto et auteur en 2006 du livre The Upside of Down. « Initialement, l’accroissement de la connectivité et de la diversité est une aide : si un village souffre d’une mauvaise récolte, il peut se procurer de la nourriture auprès d’un autre village. »
Cependant, avec l’augmentation des connexions les systèmes en réseau deviennent de plus en plus fortement couplés. Cela signifie que les impacts des défaillances peuvent se propager : plus ces deux villages deviennent fortement dépendants l’un de l’autre et plus les deux souffriront si l’un rencontre un problème. « La complexité conduit à plus grande vulnérabilité à certains égards », explique M.Bar-Yam. « Cet aspect est assez peu compris. »
La raison en est que lorsque les réseaux deviennent toujours plus couplés, ils commencent à transmettre les chocs plutôt que de les absorber. « Les réseaux complexes qui nous relient étroitement ensemble - et transportent des personnes, des matériaux, des informations, de l’argent et de l’énergie - transmettent et amplifient tous les chocs », affirme M. Homer-Dixon. « Une crise financière, une attaque terroriste ou une épidémie provoquent presque instantanément des effets déstabilisateurs d’un bout à l’autre du monde. »
Par exemple, en 2003, de vastes régions d’Amérique du Nord et de l’Europe ont subi des coupures d’électricité, lorsque que des nœuds apparemment insignifiants des réseaux d’électricité sont tombés en panne. Et cette année, la Chine a subi une panne similaire après que de fortes chutes de neige aient endommagé les lignes électriques. Les réseaux étroitement couplés comme ceux-ci, ont le potentiel de propager les défaillances dans de nombreuses activités critique, explique Charles Perrow de l’Université de Yale, un des experts réputé sur les accidents industriels et des catastrophes.
Credit crunch
M. Perrow estime que l’interdépendance dans le système mondial de production a maintenant atteint un point où « une défaillance survenant n’importe où implique de plus en plus une défaillance partout ». C’est particulièrement vrai dans le monde des systèmes financiers, où le couplage est très serré. « Nous avons à l’heure actuelle une crise du crédit concernant un acteur majeur, les États-Unis. Les conséquences pourraient être énormes. Les réseaux qui nous relient peuvent amplifier les chocs. »
« Une société en réseau se comporte comme un organisme multicellulaire, » explique M. Bar-Yam, « des défaillances aléatoires sont semblable à une ablation sur un être vivant. » Que cet être survive ou non dépend du l’organe qui est retiré. Et si nous savons de manière certaine quels sont les organes indispensables à la vie, il n’est pas évident de déterminer avant qu’il ne soit trop tard quelles sont les parties critiques dans notre civilisation à forte densité de réseau, et c’est peut-être même impossible.
« Lorsque nous procédons à cette analyse, nous constatons que presque toutes les partie sont critiques dès lors qu’elles sont gravement altérées, » observe M. Bar-Yam. « Maintenant que nous pouvons passer au crible de tels systèmes grâce à des moyens plus sophistiqués, nous découvrons qu’ils peuvent être très vulnérables. Cela signifie que la civilisation est très vulnérable. »
Que pouvons-nous donc faire ? « La question clé est de savoir si nous réussissons à réagir face aux nouvelles vulnérabilités que nous avons », explique M. Bar-Yam. Ce qui veut dire faire en sorte en tout premier lieu que notre « être vivant mondial » ne subisse pas de « blessure ». Cela peut s’avérer difficile à garantir avec les changements climatiques et les ressources mondiales de carburants et de minéraux qui s’épuisent.
Les scientifiques dans d’autres domaines avertissent eux aussi que les systèmes complexes sont sujets à effondrement. Des idées similaires sont apparues lors de l’étude des cycles naturels et des écosystèmes, à partir des travaux de Buzz Holling écologiste, à l’Université de Floride. Certains écosystèmes deviennent de plus en plus complexes au fil du temps : une nouvelle partie de la forêt grandit et se développe, des espèces spécialiste peuvent remplacer des espèces plus généraliste, la biomasse s’accumule et les arbres, les scarabées et les bactéries forment un système de plus en plus statique et de plus en plus étroitement couplé.
« Cela devient un système extrêmement efficace pour se maintenir dans une plage normale de conditions extérieures », affirme M. Homer-Dixon. Mais des conditions inhabituelles - une épidémie d’insectes, le feu ou la sécheresse - peuvent déclencher des changements dramatiques à mesure que l’impact se propage en cascade à travers le système. Le résultat final peut être l’effondrement de l’ancien écosystème et son remplacement par un nouveau, plus simple.
La mondialisation se traduit de la même façon par un couplage serré et un réglage fin de nos systèmes pour une étendue limitée de conditions, note-il. La redondance est systématiquement éliminée par les entreprises afin de maximiser les profits. Certains produits sont fabriqués par une seule usine dans le monde entier. Financièrement, c’est logique, car la production de masse maximise l’efficacité. Malheureusement, elle minimise aussi la résilience. « Nous avons besoin d’être plus sélectifs sur l’augmentation de la connectivité et de la rapidité de nos systèmes critiques », affirme M. Homer-Dixon. « Parfois, les coûts dépassent les bénéfices. »
Existe-t-il une alternative ? Pourrions-nous tenir compte de ces avertissements et commencer à redescendre prudemment l’échelle de la complexité ? M. Tainter ne connaît qu’un seul exemple de civilisation qui ait réussi à décliner sans tomber. « Après que l’empire byzantin ait perdu face aux arabes la plupart de ses territoire, il a simplifié l’ensemble de sa société. La plupart des villes disparurent, la lecture et l’aptitude au calcul ont diminué, leur économie est devenue moins monétisée, et ils sont passés d’une armée de professionnels à une milice de paysans. »
Réussir le même tout de passe-passe sera plus difficile pour une société plus avancée comme la notre. Néanmoins, M. Homer-Dixon pense que nous devrions prendre des mesures maintenant. « Premièrement, nous devons encourager la production décentralisée et distribuée de produits essentiels comme l’énergie et de la nourriture », prévient-il. « Ensuite, nous devons nous rappeler qu’une réserve n’est pas toujours un gaspillage. Une entreprise industrielle peut perdre un peu d’argent à cause de son stock et des frais d’entreposage, mais elle peut rester en fonctionnement, même si ses fournisseurs sont temporairement incapables de produire. »
L’industrie de l’électricité aux États-Unis a déjà commencé à identifier les points du réseau sans redondance disponible et y introduit des systèmes de secours, indique M. Homer-Dixon. Les gouvernements pourraient encourager d’autres secteurs à suivre cet exemple. Le problème est que dans un monde de concurrence féroce, les entreprises privées cherchent toujours à diminuer les coûts à moins que ce soient les gouvernements qui subventionnent les dépenses de sécurisation dans l’intérêt du public.
M. Homer-Dixon doute que nous puissions complètement échapper à l’effondrement. Il met en garde contre ce qu’il appelle les facteurs de stress « tectonique » qui bousculeront notre système rigide et étroitement couplé en dehors de la gamme de conditions pour laquelle il est de plus en plus finement réglé. Il s’agit notamment de la croissance démographique, du fossé croissant entre riches et pauvres, de l’instabilité financière, de la prolifération des armes, de la disparition des forêts et des pêcheries, et des changements climatiques. En mettant en oeuvre de nouvelles solutions complexes nous allons buter sur le problème des rendements décroissants - juste au moment ou nous allons être à court d’énergie bon marché et abondante.
« C’est le défi fondamental auquel est confrontée l’humanité. Nous devons permettre qu’ait lieu une salutaire rupture dans les fonction naturelles de nos sociétés d’une manière qui ne produise pas d’effondrement catastrophique, mais qui conduise plutôt à une saine rénovation », affirme M. Homer-Dixon. C’est ce qui se passe dans les forêts, qui sont un mélange disparate de vieilles et nouvelles zones créées par la maladie ou par le feu. Si l’écosystème s’effondre par endroit, il est renouvelé et recolonisé ailleurs par la forêt jeune. Nous devons permettre des ruptures partielles ici et là, suivies de rénovations, indique-t-il, plutôt que de tenter d’arrache-pied d’éviter la rupture par une complexité croissante dont les crises résultantes sont en fait plus fortes.
Lester Brown pense que nous manquons déjà de temps. « Le monde ne peut plus se permettre de perdre une journée. Nous avons besoin d’une grande mobilisation, comme nous l’avions fait en temps de guerre », dit-il. « Il y a eu d’énormes progrès par le passé effectués en quelques années seulement. Pour la première fois, je commence à voir la façon dont une économie alternative pourrait émerger. Mais c’est désormais une course entre deux seuils - qui viendra en premier lieu, le passage à des technologies durables, ou l’effondrement ? »
M. Tainter n’est pas convaincu que même une nouvelle technologie permettrait de sauver la civilisation à long terme. « Je considère parfois cela comme une croyance irrationnelle dans nos conceptions du futur », note-t-il. Même une société revigorée par de nouvelles sources d’énergie bon marché finira par faire face au problème des rendements décroissants, une fois de plus. L’innovation elle-même pourrait être soumise à la loi des rendements décroissants, ou peut-être des rencontrer des limites.
Des études sur le développement urbain menées par Luis Bettencourt du Laboratoire national de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, viennent à l’appui de cette thèse. Les travaux de son équipe de recherche suggèrent qu’un taux d’innovation toujours plus élevé est nécessaire pour maintenir la croissance des villes et prévenir la stagnation ou l’effondrement, et à long terme cela ne peut pas être soutenable.
Les enjeux sont élevés. Historiquement, l’effondrement a toujours conduit à une baisse de population. « Aujourd’hui, les niveaux de population dépendent des carburants fossiles et de l’agriculture industrielle », observe M.Tainter. « Enlevez les du tableau et il y aurait une réduction de la population mondiale qui est bien trop horrible pour pouvoir y penser. »
Si les civilisation industrialisés faillissent, les masses urbaines - qui représentent la moitié de la population mondiale - seront les plus vulnérables. Une grande partie de nos connaissances durement acquises pourraient être perdues elles aussi. « Les gens qui ont le moins à perdre sont ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance, » indique M. Bar-Yam, et pour ceux qui survivront, les conditions pourraient finalement s’améliorer.
Les humbles hériteront peut-être vraiment de la Terre.
Publication originale New Scientist via Richard Dawkins, traduction Contre Info
Illustration : Angkor Vat