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"Les Cieux sur la terre": Communautés utopiques américaines de 1680 à 1880
Durant un demi-siècle je me suis trop intéressé aux « colonies », « milieux libres » et « tentatives de vie en commun » (consulter dans « l'en dehors »la longue série de feuilletons qui leur est consacrée sous le titre de « Contribution à l'Histoire des Milieux de vie en commun » et se reporter à mon ouvrage en langue espagnole « Formas de vida en comun sin estado ni autoridad » paru à Madrid en 1934) - pour ne pas avoir prêté toute l'attention qu'il mérite au livre que Mark Holloway vient de faire éditer à Londres sous le titre Heavens on Earth : Utopian Communities in America 1680-1880 (1) (Les Cieux sur la Terre: Communautés utopiques américaines de 1680 à 1880). Il y a quelques mois à peine qu'a paru Le voyage à travers l'Utopie de la regrettée Marie Louise Berneri. La parution, à si peu de temps de distance, de ces deux ouvrages n'est pas pure coïncidence ; à l'insu de leurs auteurs, ils reflètent la préoccupation qui hante sans doute tant d'êtres humains de s'évader d'un monde politique et social où dominent non seulement la contrainte et la servilité, mais où règne la peur - d'un monde où l'on prostitue les mots de liberté, d'égalité, de fraternité, de droits de l'homme, de dignité individuelle quel que soit le gouvernement ou le parti qui les utilisent.

Marie Louise Berneri a exposé dans son ouvrage les rêves romancés des fabricants d'anticipations sociales de Platon à nos jours. Quelques-uns de ces imaginatifs sont célèbres. Mark Holloway, lui, décrit comment des êtres humains ont essayé, aux Etats-Unis, de faire une réalité du rêve utopique. Très documenté, se référant aux sources originales, notre auteur fait défiler sous les yeux de ses lecteurs - rappelant qu'ils avaient été précédés par les Pythagoriciens, les Esséniens, les Cathares, les Vaudois, les Lollards, les Anabaptistes, les Baptistes, les Mennonites (pourquoi, parmi tant d'autres, avoir omis les Carpocratiens ?) - successivement les « Labadistes » du « Manoir de Bohême », les sectaires de la « Femme dans le Désert », puis il nous emmène à « Ephrata », parmi les Shakers, chez les Rappites, les Zoarites. Il nous fait faire connaissance avec de curieux personnages, tels le rose-croix Kelpius, le sabatiste Johann Beissel, associé quelque temps avec Franklin, Anne Lee - la mère Anne - douée du don des langues, qui confondit des universitaires chargés d'enquêter sur son cas, en s'exprimant en douze idiomes différents, Jemina Wilkinson, l'amie universelle, le quiétiste Georges Rapp, etc. Il s'agissait souvent de visionnaires attendant le retour du Christ et la fin prochaine du monde, pratiquant un célibat rigoureux ( bien que les deux sexes participassent à l'expérience) et se réclamant d'un communisme soi-disant analogue à celui de l'église chrétienne primitive (si tant est que ce « communisme » ait été jamais réalisé autrement que localement), s'infligeant des privations alimentaires, se livrant à des danses qui rappellent celles des sectateurs orientaux (Les « Rappites », eux, ne pratiquaient pas l'ascétisme). Certaines de ces communauté ont compté jusqu'à 15.000 membres, ont duré jusqu'à la fin du siècle dernier et existaient encore au début de celui-ci. Quand on considère la discipline à laquelle étaient assujettis leurs membres, on se rend compte que s'ils vivaient séparés de l'ensemble social et de ses servitudes, ce n'est guère que sur le plan spirituel qu'ils pouvaient se targuer de vivre « en liberté ».

A partir de 1825, les tentatives de milieux de vie en commun échappent à l'influence religieuse. D'autres prophètes font entendre leurs voix et ces voix proviennent de l'ancien continent (Robert Owen, Charles Fourier, Etienne Cabet). Neuw Harmony, Hopedale, Brook Farm (dont il a été longuement question dans « l'en dehors » et à laquelle s'étaient au début intéressés Hawthorne Emerson, Margaret Fuller, les « Transcendantalistes »), Icarie. Elles durent peu de temps en général, sont en proie à des dissensions intestines, s'écartèlent.

Au milieu du siècle, nouvelle vague de spiritualisme grâce à une émigration de sectaires religieux. Voici que se fondent Bethel, Aurora, Bishop Hill dont le fondateur, le Suédois Janson, est assassiné par un jaloux), Amana enfin, colonie fondée en 1842 et qui existe encore avec une population constante de 1.500 personnes, répartie en sept villages. Il s'agit ici de « colonies » qui, malgré leur base religieuse, ignorant l'ascétisme, sont des communautés prospères, industrieuses, écoulant au dehors leurs diverses productions, dont les « leaders » ou animateurs méritent la confiance qui leur est accordée, où l'on s'efforce de marier le communisme et l'individualisme. La plus remarquable de toutes est Oneïda (dont il a été tant de fois question dans l'en dehors et à laquelle j'ai consacré un long article dans l'Encyclopédie Anarchiste), Oneïda avec son mariage complexe (qui ne fut jamais de la promiscuité, bien entendu), sa confession publique, sa continence mâle (coïtus reservatus). I1 en fut du mariage complexe des « Perfectionnistes » d'Oneïda, malgré leur moralité reconnue, comme de la polygamie des Mormons. Ils ne purent vaincre la désapprobation ambiante. En 1870, du Canada, où il avait émigré, le fondateur d'Oneïda, John Humphrey Noyes, conseilla aux habitants de la colonie de renoncer au mariage complexe. C'est ce qu'ils firent, mais le célibat trouvant peu d'adhérents, cet abandon d'un principe qu'ils avaient défendu contre vent et marée fut suivi de nombreux mariages. Fondée en 1847, Oneïda dont la population oscilla entre 200 et 300 personnes, finit par disparaître en 1876.

Certes, ces « milieux de vie en commun », ces « colonies » ne présentaient rien d'anarchiste ni d'individualiste au sens où, ici, l'on entend ce terme. Cependant à Skaneateles, colonie fondée par Collins, en 1843, nous nous trouvons non seulement en présence de déclarations nettement antireligieuses, mais encore s'élevant contre tout gouvernement fondé sur la force physique (ce sont « des hordes de banditti », dont il convient de méconnaitre l'autorité); préconisant le refus de porter les armes, celui de payer tous impôts personnels ou fonciers - l'abstention de siéger comme juré ou de rendre témoignage devant les tribunaux de la soi-disant justice; - celle de recourir aux lois pour obtenir réparation de tous torts causés, mais d'user de tous les moyens pacifiques et moraux pour y mettre un terme.

Et enfin, il y a Warren, Josiah Warren, auquel Benjamin R. Tucker a dû d'être ce qu'il fut par la suite, Warren que Mark Holloway considère comme le premier anarchiste des Etats-Unis, le créateur de l'Equity Store (le magasin de l'Èquité), le compositeur, imprimeur, rédacteur et fondeur des caractères qui permirent à son journal The Peaceful Revolutionist (« Le révolutionnaire pacifiste ») de voir le jour. C'était, dans le domaine de l'imprimerie, un inventeur remarquable dont plusieurs des découvertes furent utilisées par des gens du métier. Warren créa trois villages individualistes, basés sur le principe de « l'équité ». Au dernier, Modern Times, situé à Long Island, non loin de New-York, noms avons souvent fait allusion dans les colonnes de nos différents périodiques. Bien que vivant en individualistes, on trouvait les habitants de « Modern Times » toujours prêts à coopérer pour une action commune, intéressant le village tout entier. D'aspect agréable, propre avec ses larges avenues, ses rues bordées d'arbres, ses jardins bien cultivés, la colonie aurait pu vivre longtemps, n'eussent été la crise de 1857 et la guerre de Sécession qui y mirent fin. Warren mourut paisiblement en 1874. En écrivant ces lignes j'ai sous les yeux l'oeuvre principale de son disciple immédiat Stephen Pearl Andrews - The Science of Society (La Science de la Société) - livre basé sur le principe de la Souveraineté de l'Individu l'alpha et l'oméga de l'individualisme anarchiste, comme nul ne l'ignore.

Mark Holloway fixe à 1880 le terme de son voyage à travers les réalisations utopiques des communautés de l'Amérique du Nord. Or, en 1880, ce mouvement n'était nullement en décadence. J'ai autour de moi, en rédigeant ce compte-rendu, des documents bien postérieurs à cette date et ces documents ne constituent qu'une faible partie de ce que je pourrais rassembler. Notre auteur, donc ne consacre que peu de pages à la période 1880-1914 durant laquelle des colonies continuent à se créer et à subsister. Pas un mot de Home, la colonie individualiste de Lake Bay, Washington, dont voici l'hebdomadaire; The Agitator. A Home, réunion de familles (elle en comptait jusqu'à une cinquantaine) vivant chacune pour son propre compte, en consacrant exclusivement à l'agriculture, on pratiquait le végétarisme, on s'abstenait de breuvages alcooliques et jouissant d'un air remarquablement pur, on ignorait médecins et médecines. Pas une ligne sur East Aurora, sise à 70 km. de Buffalo, curieuse tentative de Helbert Hubbard, artiste et poète - alias Fra Elbertus qui fut englouti, avec sa compagne et collaboratrice Alicia, dans le torpillage du Lusitania. Voici un exemplaire de The Philistine, magazine vraiment original. La principale industrie d'East Aurora consistait en impression et reliure d'ouvrages de luxe.

Les buts idéaux de ce milieu éminemment libre, placardés sur les portes des ateliers, étaient les suivants : 1. Industrie, 2. Economie, 3. Santé, 4. Harmonie, 5. Réciprocité, 6. Education, 7. Bienveillance, 8. Courtoisie, 9. Ordre, 10. Propreté, 11. Persévérance, 12. Patience. Hubbard, à l'instar de certaines communautés de la première vague qui aborda aux Etats-Unis, croyait en la « maternité de Dieu » et proclamait que John Ruskin, William Morris. Henry Thoreau, Walt Whitman et Léon Tolstoï étaient des prophètes aussi authentiques que les Elie, les Osée, les Ezéchiel et les Esaïe. Par certains côtés East Aurora rappelait la Brook Farm de la

période transcendantaliste. Chacun s'y livrait à son occupation favorite : celui-ci à la botanique, celui-là à la peinture, cet autre à l'enluminure des livres et ainsi de suite. Inévitablement, East Aurora fut visitée par toutes sortes de « types » à-part et en-marge, car on s'y montrait fort accueillant ; et quiconque s'y arrêtait quelque temps pouvait trouver l'occasion de s'y rendre utile.

Voici un album édité, par Fairhope, la « colonie de l'impôt Unique ». En voici un autre, publié par The Llano Colony. L'une et l'autre méritaient davantage que quelques lignes. A Fairhope, établie sur les rives de la baie de Mobile, dans l'Alabama, on essaya de mettre en pratique les conceptions de Henry George ; cette colonie avait son bulletin : « The Fairhope Courier », elle comptait une population variant entre 3 et 400 personnes, englobait presque tous les corps de métier, possédait 640 hectares de terrain. Llano - colonie coopérative - fut une tentative très importante fondée en 1884 par un socialiste bien connu de son temps, Job Harriman. Etablie dans la partie occidentale de la Louisiane, sa population nombrait entre 5 et 600 personnes dont le niveau de vie était supérieur à celui de 70 % des Américains de l'Union. Elle avait son hebdomadaire « The Llano Colonist » et compta six succursales, dont une au Texas. Llano dura jusqu'en 1939.

Voici une photographie des membres de The Barbara Fellowship en Californie. Hommes, femmes, enfants arborent un visage d'où les soucis semblent absents. Voici une autre revue « Arden Leaves »... Tout ceci pour maintenir que 1880 n'a nullement marqué le déclin aux Etats-Unis du mouvement des milieux voulant échapper aux « compressions sociales ».

Bien plus, à l'heure actuelle, des tentatives s'estompent - et quelques-unes prennent corps - s'insouciant des échecs passés, afin d'amener « les cieux à descendre sur la terre ».

Mark Holloway aurait pu consulter avec fruit (il ne les mentionne pas) : « Brook Farm, Historic and Personal Memoirs » par John Thomas Codman, Boston, 1894 - « Communities of the Past and Present y, Llano Cooperative Colony avec préface de Job Harriman - et mon propre ouvrage (cité plus haut) dont un exemplaire doit bien se trouver au British Museum.

« Heavens on Earth » offre une carte bien lisible, localisant les différentes colonies dont il est question dans le volume. Des illustrations donnent une idée (ce que j'avais déjà fait dans mon livre), des danses mystiques des Shakers et de la vie à Oneïda. Enfin, on y rencontre les portraits des grands inspirateurs ou bâtisseurs de colonies : Jean de Labadie, Robert Owen, Charles Fourier, John Humphrey Noyes, Etienne Cabet.

Mon opinion n'a point changé. Individualistes ou communistes, les colonies m'apparaissent comme une traduction pratique de « l'union des égoïstes » stirnérienne. Leur réussite ou leur échec dépend de l'état d'esprit de leurs participants. Ou bien ils sont décidés à durement oeuvrer, à tout endurer et supporter pour que la colonie réussisse, - ou ils ne le sont pas. Dans ce dernier cas, l'insuccès démontre simplement leur inaptitude à faire rendre à l'expérience tout ce qu'elle pouvait donner. Il faut aussi tenir compte qu'il y a de braves gens qui se lancent dans des aventures de ce genre sans s'être rendu comte des difficultés matérielles qui les attendent, ignorant même ce que vaut le sol acheté ou choisi (en cas de colonie agricole), etc.

On peut constater que les « colonies » à base religieuse ont eu une vie plus longue que les autres, - que le système démocratique et celui de l'incessante remise en question de l'administration de la communauté a fourni de moins bons résultats que la confiance accordée à la sagesse et à la droiture de l'animateur ou « leader » du milieu - que la question si controversée de la liberté des moeurs n'a pas été résolue dans un sens profitable au succès de la communauté - au contraire du maintien de la cellule familiale sous une forme ou sous une autre, ou même du célibat. Ce qu'il faut - je m'adresse à ceux qu'intéresse le problème des milieux de vie en commun - c'est rechercher sans parti pris, les causes psychologiques, les raisons profondes des faits producteurs de ces constatations. J'estime que n'importe quel système de vie en commun est viable, dés lors qu'il est réalisé par des êtres décidés à l'appliquer dans son esprit. De même, je pense que dans un milieu de ce genre, toutes les méthodes de vie à plusieurs doivent pouvoir s'expérimenter, dès lors qu'en son sein aucune méthode n'est considérée supérieure à une autre. J'estime encore qu'il est insensé - même si sa population est nombreuse, même s'il est prospère - de considérer un de ces centres comme destiné à convertir à ses réalisations, à ses aspirations; le reste du monde. Considéré, conçu tout simplement comme -une oasis, un flot d'activité sereine et harmonieuse, un lieu de vie saine et équilibrée, en retrait, à l'écart d'un monde désaxé, en fièvre, agité, chaotique, la « colonie », le « milieu libre », « l'association de vie en commun », « l'union d'égoïstes » justifie pleinement son existence.


E. ARMAND.


(1) HEAVENS ON EARTH, Utopian Communities in America, 1680-1880, by Mark Holloway, 12 plates and map (Ed. Turnstile Press, 10 Great Turnstile, London, W. C. 1, 13,5 x 21,5, 240 pp., 16 sh.).


L'Unique #57 1er mai - 15 juin 1951

Ecrit par libertad, à 00:51 dans la rubrique "L'En Dehors d'Armand".

Commentaires :

  soclliure
19-05-09
à 19:17

lala


salut !
quelqu'un-e sait-il où on peut se procurer ce bouquin ?
merci à tou-te-s
joyeuse vie joyeuses luttes
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