N'enlève pas tes chaussures avant d'avoir sondé les eaux (proverbe afghan)
. Bagram, siège de la plus importante base militaire américaine en Afghanistan, représente peut-être le paradoxe le plus emblématique dans l'histoire de ce pays martyrisé. De par sa position géographique, Bagram a vu depuis les temps anciens se croiser les peuples, les cultures, les empires ; rien que dans les temps récents Bagram a vu quatre armées combattre et mourir : la russe, la britannique, l'islamique et l'américaine.
Ce n'est pas un hasard si dans son livre récent, le reporter de guerre
Tim Judah s'est demandé si les futurs historiens ne devront pas chercher
justement à Bagram les raisons du déclin
américain.
Au 9 janvier, les
bulletins officiels annonçaient seulement 255 militaires américains morts en
Afghanistan ; mais, même si ce fort peu crédible chiffre correspondait à la
vérité, la défaite stratégique américaine, après cinq ans d'occupations, se
voit dans les faits.
En effet
l'Afghanistan demeure comme un espace suspendu dans l'histoire, ou la plus
grande puissance économico militaire non seulement n'a pas réussi à imposer son
ordre, mais ou aussi les tant déclamées paroles fétiches des occupants, telles
que démocratisation et pacification, outre qu'elles se heurtent à la réalité de
la guérilla -"encore pire qu'en Irak" selon le témoignage d'un
capitaine de l'armée américaine publié récemment sur le New York Times -
glissent dans le contexte social afghan comme de l'eau de pluie sur une feuille.
D'après de
nombreux analystes et haut gradés du Pentagone, cela fait longtemps que l'on
aurait du assister a un effondrement total des résistances armées pro talibans,
alors qu'au contraire elles se renforcent et s'étendent.
Les "forces
multinationales de la paix" ne cessent de souligner les progrès du
processus de reconstruction avec les Prt
(Provincial Reconstruction Teams) et
leur déploiement capillaire sur leur territoire d'unités mixtes civiles-militaires,
tandis que l'ONU se vante d'excellents résultats tant dans la réduction de la
production d'opium que dans la mise en oeuvre du programme de désarmement ;
mais ceux qui travaillent an Afghanistan sont unanimes à nier cette idyllique
présentation.
Le gouvernement
américain s'apprête à réduire sa présence militaire, tentant de passer le
relais à l'OTAN qui dirige l'opération internationale ISAF (International
Security Assistance Force) ; c'est Rumsfeld lui-même qui a annoncé que le
nombre de soldats passera en quelques mois de 19000 à 16000. Pendant ce temps
les états membres de l'OTAN devraient mobiliser d'autres troupes en prévision
d'une ultérieure extension opérationnelle dans les provinces du Sud ou
devraient être déployés des contingents anglais, hollandais et canadien, comme
cela est prévu dans la 3ème étape de la phase 2 de la mission.
Comme chacun le
sait, actuellement la mission OTAN-ISAF est dirigée par le général italien
Mauro Del Vecchio du Comando Rapid deployable corps Italy de Solbiate (Varese),
auquel , en Avril prochain, s'ajoutera un anglais de rang égal ; du
commandement ISAF dépendent le détachement pour la gestion de l'aéroport
international de Kaboul et en ce moment les PRT de Mamana (UK), Mazar-e-Sharif
(UK) et Konduz (GE), Feyzabad (GE) et Fole Khumri (NL) dans la zone Nord de
l'Afghanistan, ainsi que les PRT de
Herat (IT), Farah (US), Chagcharan (LI) et Qal e Now (SP), dans la partie
occidentale de l'Afghanistan.
Pour combler les
vides laissés par le départ des forces américaines, le nombre des militaires de
la mission multinationale devrait passer dans les prochains mois de 9000 à
15000 (nous sommes déjà à 11000), ainsi que l'a annoncé en octobre dernier le
secrétaire général de l'OTAN Jaap de Hoop Scheffer pendant sa visite à Kaboul.
Certains pays membres de l'OTAN, à commencer par l'Espagne, l'Angleterre et l'Italie, ont
déjà commencé a aller dans ce sens en renforcent leur présence militaire en
Afghanistan parallèlement à la réduction progressive de leurs effectifs en Irak. Même la Suède et
l'Australie ont décidé d'augmenter leurs contingents (de 100 à 375 et de 190 à
500 respectivement).
Pour ce qui
concerne l'Italie, la continuation de cet engagement a déjà été anticipée par
Prodi lui-même au cas ou l'union de centre-gauche gagnerait les prochaines
élections, sans que les partis qui se définissent "à la gauche de
l'union" n'aient eu la possibilité d'empêcher ou modifier cette
orientation interventionniste, destinée a réaliser la sombre prévision du
ministre de la défense, Martino, qui en Juin 2005 annonçait "une autre
décennie en Afghanistan".
Par ailleurs,
même ce qui reste du mouvement anti-guerre semble ne pas avoir l'intention de
s'opposer à ces projets, et d'ailleurs dans le manifeste du Forum Social
Européen pour la journée internationale du 18 mars contre la guerre et les
occupations, il est stupéfiant de voir que l'Afghanistan n'est même pas
mentionné.
Pourtant la
participation italienne va bien au delà des 2000 militaires déployés à Herat et
Kaboul et de la présence d'un bâtiment
de la flotte dans l'Océan Indien dans le cadre de Enduring Freedom. Le
gouvernement italien, en plus de diverses action de type
"humanitaire" toujours confiées a des unités militaires, joue en
effet depuis un certain temps un rôle déterminant dans le reconstruction de
l'appareil répressif d'Etat pour le compte de Karzai, que ce soit en s'occupant
de l'entraînement des forces de police, ou de la remise en état des structures
carcérales. Une nouvelle récente donnée par le quotidien économique Financial
Times nous a appris que la tristement célèbre geôle de Pol-e-Charki, située
près de la capitale, deviendra une prison spéciale de type Guantanamo, grâce
notamment à l'aide financière italienne (1 million de dollars sur les 2 prévus),,
dans un contexte ou la torture, les humiliations, la mort des détenus, sont une
sordide routine, ainsi que la confirme l'enquête et les révélations autour du
meurtre de quelques prisonniers par les militaires américains dans les cellules
situées près de la base de Bagram.
Uncle Fester
Version originale
en italien parue dans l'hebdomadaire anarchiste Umanità Nova du 29 janvier 2006
Traduction rokakpuos