Les « bonnes pratiques médicales » de fin de vie.
Les dispositions concernant les « bonnes pratiques médicales » que veut prendre l'actuel gouvernement concernant « l'accompagnement en fin de vie » s'inscrivent dans une volonté explicite de « protection des médecins », très particulièrement des médecins réanimateurs, qui voient aujourd'hui passer dans leurs services hospitaliers environ 200 000 mourants par an (sur
plus de 500 000 décès environ). Elles ne concernent aucunement le droit des personnes de choisir l'heure de leur mort. Elles se démarquent même explicitement de la question euthanasique tant il est vrai que c'est toujours et exclusivement d'un point de vue médical qu'est abordée la question de la mort. Or, plus de la moitié de ces 200 000 décès surviennent
à la suite de l'arrêt des soins thérapeutiques et des techniques de réanimation. "Lorsqu'il n'y a plus d'espoir de guérison, écrivait dans Le Monde du 11 juin sous le titre : « Fin de vie en réanimation : il faut légiférer », le pr. Lemaire, professeur de réanimation médicale à l'hôpital
Henri Mondor de Créteil, les réanimateurs doivent interrompre cette insupportable agonie à laquelle se résume désormais leur intervention." Et l'on sait que l'interruption des techniques de survie va conduire à coup sûr à la mort. C'est pourquoi le pr. Lemaire affirme : « il faut légiférer ». Mais il ajoute aussitôt : pour "protéger les médecins". Et il se croit obligé d'ajouter aussitôt : "Il faut totalement dissocier le problème de l'arrêt des soins actifs en réanimation du débat en cours sur l'euthanasie".
Et de rappeler à cet égard la "définition simple et robuste" de la
récente législation belge de l'euthanasie : "un acte pratiqué par un tiers
qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de
celle-ci". Autrement dit, le pr. Lemaire admet que l'euthanasie se tient
hors du champ médical proprement dit. On ne peut qu'être d'accord avec lui !
Ce n'est pas aux médecins de suggérer une légalisation de l'euthanasie pas
plus d'ailleurs que de s'y opposer. On saura gré aux réanimateurs de ne pas
s'immiscer en tant que médecins dans ce débat.
La question euthanasique reste donc entièrement posée. Elle est distincte
que celle de l'accompagnement de fin de vie en service hospitalier de
réanimation. Car il faut le répéter haut et fort : l'euthanasie ne relève
pas de la médecine mais de l'éthique. Elle représente l'une des dernières
libertés fondamentales l'un des derniers droits que la personne doit
conquérir dans notre société : celle de choisir librement Sa propre mort,
celle d'une Interruption Volontaire de Vie (IVV) pour celui qui désire être
aidé à mourir et quitter une vie qu'il ne supporte plus alors qu'il se
trouve affecté d'une maladie incurable et irréversible. Comme la
reconnaissance légale de l'IVG est le droit pour une femme de refuser de
donner la vie. L'euthanasie n'est pas un problème médical mais une question
éthique que l'hyper médicalisation de la vie et de la mort pose aujourd'hui
et posera chaque jour davantage à la société. L'euthanasie ne regarde pas
d'abord et surtout le médecin mais la personne qui en a fait la demande
expresse en toute conscience. Or, aujourd'hui les uns interdisent
l'euthanasie pour tous, les autres ne la réclament que pour eux-mêmes. Quel
étrange paradoxe ! Le corps médical refuse d'accéder à la demande d'une
personne et dans le même temps « aide à mourir » celle qui n'a jamais rien
demandé à personne.
Le pr. Lemaire ne veut donc pas entendre parler d'euthanasie lorsqu'il
décide de l'arrêt des soins en phase terminale de maladie. Car il ne s'agit
pas alors d'euthanasie mais de mettre en ouvre une "bonne pratique
médicale" et par conséquent de protéger le médecin réanimateur contre les
rigueur d'une loi manifestement inadaptée et quotidiennement tournée. Il
reste que l'interruption des soins thérapeutiques puis celle des techniques
de réanimation permettant de maintenir le patient en vie, laissent ouvertes
un certain nombre de questions au sein d'un service de réanimation. Car
l'arrêt des techniques de survie ne peut qu'entraîner une aggravation
médicale de l'état du mourant, tant d'un point de vue physiologique que
psychique : étouffement, angoisse, convulsions agoniques etc. Que fait
alors le médecin réanimateur ? Il ne le dit pas. En réalité, il ne veut pas
le dire. Mais au fait pourra-t-on rétorquer, est-ce si important, de
connaître les substances et les doses employées,? Oui, c'est important car
le mourant est alors positivement aidé à mourir. Pourquoi ne pas le dire ?
Par peur de tomber sous le coup de la loi selon laquelle « un médecin ne
doit pas donner la mort » ? Comme s'il s'agissait de cela ! En réalité, le
plus souvent, le patient reçoit une perfusion de morphine fortement dosée
afin de l'endormir, à laquelle il est ajouté progressivement une substance
proprement létale. La mort intervient dans les heures qui suivent, le
patient gardant dans un premier temps assez de conscience pour voir et
entendre ses proches qui entourent son lit puis perd progressivement
conscience pour finalement rendre le dernier soupir. On ne peut
qu'approuver de telles pratiques, qualifiées de "bonnes". Le patient est
véritablement accompagné dans la mort qui survient dans les deux ou trois
heures après la décision de l'arrêt des soins (après avoir été "débranché").
Qui pourrait trouver à y redire ? Et peut-on sérieusement dire que le
médecin a « tué » son malade ? Prenons garde cependant que ces nouvelles
dispositions visant à protéger le médecin ne dérivent pas dans certains cas
en une « permission de tuer ».
Est-ce donc pour complaire à une idéologie conservatrice et morbide que le
pr. Lemaire se croit obligé de s'élever, non sans un certain pathos, contre
toute injection létale (potassium, curare) "dont l'usage aujourd'hui
inexcusable semble persister dans certains services de réanimation et qui
sont et doivent rester totalement prohibées" ? Et de fustiger une mort
immédiate provoquée "à la pointe de l'aiguille . qui ne laisse aucune place
à un rythme de mort "naturelle" ( comme si un tel qualificatif, d'évidence
erroné, était employé à dessein pour rassurer tous les bien-pensants, de
droite comme de gauche !) ., dénonçant ainsi du même coup la pratique du
Docteur Chaussoy utilisant du sulfate de potassium pour délivrer Vincent
Humbert d'une vie qu'il était le seul en droit de vouloir quitter. Belle
solidarité médicale !
Ne vaudrait-il pas mieux reconnaître ici que le choix volontaire de
quitter une vie devenue insupportable pour vous, relève strictement d'une
liberté individuelle que la médecine se doit de respecter (même si, comme
pour l'avortement, une « clause de conscience » permettra toujours à tel
médecin de refuser de la mettre en ouvre.) Légaliser l'euthanasie c'est
reconnaître à la personne le droit de disposer librement et souverainement
de sa vie. Certes, il faut légiférer : il faut réformer le code de
déontologie médical à l'usage des médecins afin qu'ils ne soient plus
poursuivis comme assassins lorsqu'il ne font que leur devoir d'assistance
avec compétence. Mais il faut aussi supprimer du Code pénal la qualification
d'assassinat lorsque qu'une tierce personne, médecin ou non médecin
d'ailleurs, a aidé positivement quelqu'un à mourir lorsque celle-ci lui en
avait fait explicitement la demande. Il faut légaliser l'euthanasie.
André Monjardet
Docteur en sociologie, auteur de "Euthanasie et pouvoir médical - Vivre
librement sa mort" L'Harmattan 1996 et "L'euthanasie en question" paru fin
2003 aux éditions l'Esprit frappeur, 9 passage Dagorno, 75019 Paris
andré.monjardet@wanadoo.fr