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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Le Mouvement Anarchiste en RUSSIE
L'état de notre mouvement en Russie a subi, dans le courant de cette année, des changements importants.
D'idée connue par quelques petits groupes seulement, l'anarchisme est devenu un vaste mouvement avec lequel on est obligé désormais de compter. Il a pénétré dans les masses du peuple, surtout dans les milieux ouvriers des grands centres industriels.
C'est d'ailleurs là qu'il est né en Russie comme mouvement pratique : son point de départ a été l'action d'un groupe ouvrier dans une des villes industrielles du nord-ouest.
De là le mouvement s'est répandu dans le midi (Ekaterinoslav, le bassin de Donetz), où il a gagné rapidement les masses ouvrières. Peu à peu il s'étend vers la région centrale du pays, mais là il est encore localisé dans un petit nombre d'endroits et n'a pas ce caractère de mouvement populaire qu'il a acquis ailleurs.

Cependant, à Moscou d'abord, à Pétersbourg ensuite, des groupes se forment de plus en plus nombreux, pénétrant peu à peu dans les milieux ouvriers et joignant de plus en plus l'action dans ces milieux à la propagande théorique au moyen de livres et brochures. Les groupes de nos deux capitales, ceux de Moscou surtout, se sont occupés, dans le courant de ces derniers mois, à publier tout ce qu'ils pouvaient des œuvres anarchistes parues en Occident.

Presque tous les écrits de Kropotkine, de Grave, de Reclus, plusieurs de Bakounine, puis de Malatesta, ainsi que les écrits plus spécialement syndicalistes de Pouget ont paru et ont pu se vendre ouvertement dans les librairies, malgré toutes les confiscations gouvernementales.

Des brochures et des articles de journaux, autrefois imprimés à l'étranger, ont été réédités.

Tout cela a contribué à augmenter l'intérêt pour nos idées. Le moment est même venu — et c'est le moment le plus redoutable pour tout anarchiste sincère — où l'anarchisme devient « à la mode ». «Si vous voulez trouver un éditeur, écrit de Russie une personne à qui un ami de l'étranger avait demandé de lui chercher du travail, écrivez ou traduisez des ouvrages anarchistes. » Un orateur, un conférencier qui annonce qu'il parlera sur l'anarchie est sûr d'avoir un nombreux auditoire.

Mais - question de mode à part — le mouvement s'étend maintenant un peu partout : dans les régions centrales, dans les provinces baltiques, sur les bords du Volga, dans la région de l'Oural, en Petite Russie, en Pologne. Au Caucase, le mouvement révolutionnaire possède depuis longtemps un caractère plus ou moins anarchiste; dans le courant des derniers mois, la publication de journaux anarchistes et une propagande plus systématique ont contribué à créer un véritable courant d'idées anarchistes.

C'est parmi les ouvriers que nos idées ont, jusqu'à présent, trouvé le terrain le plus propice , les intellectuels ne sont atteints par notre propagande que depuis peu. Quant aux paysans, le travail des anarchistes dans les campagnes ne fait que commencer.

                                                                   ***

Notre jeune mouvement a déjà fourni une longue série de martyrs. L'année était une année sanglante. En janvier, nous avons vu fusiller, sans aucune apparence de procès, 17 des nôtres (à Varsovie ). Et la série a continué, surtout depuis trois mois : depuis l'introduction en Russie des procédés, sommaires des conseils de guerre de campagne. Il nous est impossible de dire combien de nos camarades ont péri, ni de dire leurs noms à tous, mais voici quelques renseignements qui nous sont parvenus. En septembre fut fusillé à Odessa le camarade Tarlé, à Kieff - Roudanovsky, Pinevitch et Prokofieff, à Kokhovka (province de Kherson), Bochœr, Troubitsine, Rakhno, Matvéieff, les deux frèresKoubakoff, Schwach; le 6 octobre, Lapidus et les deux frères Lippmann ; le 23 octobre, six jeunes anarchistes, dont le plus âgé avait dix-neuf ans : Siline, Schafron, Levine, Joffé, Ossipof, Sturé et Podzipe. Cette dernière exécution était particulièrement émouvante : les soldats eux-mêmes avaient d'abord hésité à tirer et avaient ainsi, inconsciemment, prolongé le martyre des malheureux enfants.Trois de ces jeunes gens étaient juifs ; un rabbin était venu leur proposer de se, repentir, avant de mourir, de leurs péchés. Et voici ce qu'ils ont répondu : « Le vol, à mon avis (ils étaient accusés de pillage), c'est quand on prend pour soi les objets volés. J'ai 18 ans; j'ai toujours travaillé et j'ai toujours été très peu payé. Je voyais ceux qui ne produisent rien vivre grassement aux dépens des producteurs, et j'ai compris qu'il existe des producteurs qui ne reçoivent rien et des gens qui ne produisent pas et reçoivent beaucoup.

Le montrer à mes frères, faire comprendre à tous les prolétaires qu'ils sont des enfants éternels esclaves qui ont toujours travaillé et ont toujours été pillés — tel était mon but. Je n'y vois rien de criminel dont je doive demander pardon. De tout l'argent pris, je n'ai pas touché un copeck : tout a été employé pour la sainte cause. »

Joseph Levine, 16 ans, a dit : « De tout l'argent que nous avons enlevé aux capitalistes pour notre sainte anarchie, je ne me suis même pas permis d'acheter un pantalon neuf. Je meurs vêtu d'un vieux pantalon que m'a donné mon frère, un étudiant, car j'étais en haillons. Cet argent était sacré pour moi. Je meurs non pas en pêcheur, mais en combattant pour l'humanité, pour tous ceux que le régime actuel opprime. »

Un troisième que les camarades ont connu sous le nom de Petroff et qui avait, lui aussi 16 ans : « Je suis orphelin, j'ai grandi sans père ni mère. Mon aspect vous montre dans quelles conditions j'ai vécu ; j'avais toujours faim et je vivais où je pouvais. Personne ne me laissait entrer pour passer la nuit et j'ai compris que, non seulement mon père et ma mère étaient morts dans mon enfance, mais que notre mère commune, la terre, m'avait été volée, elle aussi, ma tête ne trouvait pas d'endroit pour s'appuyer, mes pieds n'avaient pas le droit de toucher la terre. Pour obtenir que la terre soit libre pour tous les hommes qui l'habitent, j'ai lutté toute ma vie. Je ne suis pas un criminel, j'ai rempli mon devoir. »

Tous les trois sont morts en criant : « Vive la terre et la liberté ! »

A Kieff, fut fusillé, presqu'en même temps, le camarade Nicolas Jacobson.
A Odessa, d'abord le camarade Pokotiloff, puis trois personnes, dont unu femme: Mlle Cherechevsky. Les deux autres sont Brunstein et Metz.

A Irkoutsk, pour attentat contre le général Rennenkampf (un des plus féroces « pacificateurs ») a été exécuté l'anarchiste Korchoun.

A Moscou — Guillaume Michké (pour résistance armée pendant l'arrestation).

A Bielostock — un camarade qui n'a pas voulu dire son nom, pour résistance armée et meurtre d'un policier.

D'autres condamnations, d'autres exécutions sont, paraît-il, imminentes. Partout où la lutte est active, où il y a un risque à courir, nous trouvons des anarchistes; quoi d'étonnant alors s'ils périssent? Mais rien ne peut éteindre la flamme qui les anime, comme rien ne peut annihiler l'idée anarchiste elle-même.

A côté d'action révolutionnaire et de propagande, un travail intérieur sérieux a lieu actuellement au sein de notre parti. La vie des groupes anarchistes était très difficile au début: l'absence de propagandistes bien préparés, le manque de livres et de brochures, l'hostilité des autres partis — tout cela créait une atmosphère extrêmement pénible. Les groupes agissaient séparément, souvent sans rien savoir l'un de l'autre. L'arrestation de quelques camarades amenait la dislocation du groupe et la suppression du mouvement dans toute une région.

L'étude des questions de théorie ou de tactique devenait très difficile ; certaines fautes étaient inévitables. C'est la vie elle-même qui s'est chargée de résoudre certaines questions, de trancher certaines difficultés. En ce moment on constate parmi nos camarades une tendance a jeter un coup d'oeil en arrière, à examiner les résultats fournis par tel ou tel moyen tactique, à songer aux modifications qu'il faudrait introduire. Au sujet de certaines questions brûlant : telle que l' «expropriation » (on appelle ainsicouramment bien qu'à faux. le pillage dans un but révolutionnaire; il semble se produire un certain revirement : là où ces actes ont été le plus fréquents on s'aperçoit des abus et des inconvénients qu'ils ont entraînés. Ceux qui, il y a peu de temps encore, y voyaient un acte révolutionnaire, ne les considèrent plus maintenant comme une triste nécessité et songent à
les circonscrire à certaines formes, à l'exclusion des autres. On s'occupe également beaucoup de questions d'organisation ; des projets d'entente permanente entre les groupes surgissent; il est question d'un Congrès à bref délai.

Comme tout mouvement, le mouvement anarchiste russe présente plusieurs tendances. Pour
la théorie, nous pouvons dire que tous les anarchistes russes agissants sont communistes et révolutionnaires ; quelques individualistes existent à peine dans le monde intellectuel et littéraire ; quant aux anarchistes pacifiques, parmi lesquels certains rangent les tolstoïens, on n'en entend guère parler en Russie en ce moment. Les divergences portent sur des questions de tactique. Voici ces questions :
D'abord l'attitude à l'égard du mouvement constitutionnel : les uns s'y déclarent ouvertement hostiles et mènent leur propagande autour de cette idée que, le régime constitutionnel ne pouvant apporter aucune amélioration à la vie des ouvriers, il est inutile qu'ils prennent part au mouvement tel qu'il se présente actuellement; ils ne reconnaissent que les mouvements économiques et, parmi les actes terroristes par exemple, apprécient surtout ceux qui frappent les représentants économiques de la bourgeoisie (patrons, contremaîtres, etc.)
Les autres affirment que l'anarchiste luttant contre les gouvernements ne peut pas négliger de combattre un gouvernement tel que le nôtre, quitte à combattre également celui qui lui succédera.

Ils pensent qu'on doit, au contraire, participer à la révolution sous sa double forme économique et politique, sans y établir des séparations artificielles; ils invoquent l'exemple des anarchistes de l'Occident qui ont toujours mené le combat politique tant que ce combat restait révolutionnaire. Les actes de Bresci, d'Angiolillo, de Vaillant, n'étaient-ils pas des actes politiques?

Un autre point de divergence porte sur la conception des actes terroristes. Les uns préconisent ce qu'on a appelé les actes «sans motif», c'est-à-dire sans que les personnes visées aient commis quelque chose qui les distinguent spécialement. Ce sont des actes pour ainsi dire symboliques, dirigés contre la société actuelle tout entière (par exemple jeter une bombe dans un café bourgeois). Les autres ne considèrent les actes terroristes comme utiles que dans la mesure où ils répondent au sentiment général et sont immédiatement compris par la masse, sans longues explications. Il faut dire que, si le premier point de vue est très répandu, en pratique c'est généralement le second qui prévaut.

L' « expropriation » est aussi diversement envisagée : les uns, surtout dans les groupes nouveaux, sont portés à lui donner une part très grande dans leur action ; les autres, ou bien la repoussent entièrement, ou lorsqu'ils s'y résignent font de nombreuses réserves. La polémique à ce sujet a été assez vive à un moment donné ; elle a cessé à la suite des persécutions féroces que fait subir le gouvernement aux « expropriateurs » : le moment aurait été mal choisi pour discuter la question.

La participation aux groupements corporatifs est aussi pour nous une question brûlante : les camarades sont les uns syndicalistes, les autres antisyndicalistes. Là aussi, nous le pensons, la question sera résolue par la vie, comme elle l'a été en France, par exemple.

Toutes les questions doivent l'être, d'ailleurs, de cette façon dans un parti qui n'a ni comité central, ni majorité qui décide; l'unité de vue s'établira à tel et tel sujet n'en sera que plus stable et plus sincère.

M. CORN.

Les Temps nouveaux 12 janvier 1907
Ecrit par libertad, à 10:54 dans la rubrique "Histoire de l'anarchisme".



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