Lu sur Fakir : "Ce vendredi de décembre, Nicolas Sarkozy se rendait en Baie de Somme. L'occasion pour Fakir de mener une opération commando. Et d'observer de près nos confrères parisiens.
Dans
la Twingo, Mokrane, ancien para, nous rassure à sa manière : « Tu
connais le réseau Echelon ? Hein ? Bon, ils savent où on est. J'ai fait
la sécurité des ambassades, je sais comment ça se passe. Et puis merde,
je suis mal rasé. Putain, déconne pas, j'ai pas envie de retourner en
Algérie. Si ça se trouve ils m'ont préparé un charter... »
Notre brigade s'apprête pour une opération commando : Sarkozy (Nicolas)
doit se déplacer en baie de Somme, et l'on va distribuer 200 Fakir aux
journalistes, aux conseillers en communication, aux militants du coin.
Un titre barre la Une de notre canard : « Un patron voyou détruit
Villers : Sarkozy pollueur, Picards payeurs ! » (lire le n°31).
Le candidat UMP officie comme ministre de la police, et ça se voit : y a du bleu bien avant la mer...
Mokrane se jette sur la banquette arrière : « Faut planquer les Fakir !
- Non non, si on planque les trucs, ils vont nous fouiller, arrête tes conneries, concentre-toi...
- Ah mais moi je suis un froid je l'ai appris dans les paras ma qualité
ils le disaient c'était le sang froid nous les Kabyles on est comme ça
les montagnards des vrais renards on peut attendre des heures avant de
sauter sur la poule au bon moment et on la rate pas...
- Mokrane les poules kabyles c'est pas que je m'en fous mais là c'est pas le moment...
- Putain regarde ! C'est eux là-bas ! »
« Tu grisonnes, Franck »
Accrédités grâce à un copain du Monde, les flics nous laissent passer.
Au Cap Hornu, on descend devant un hôtel. L'image sera belle : un rayon
de soleil hasardeux, des moutons qui bêlent dans la prairie et
derrière, l'océan. Les militants s'appliquent à parfaire cette carte
postale : « La voiture arrivera là ! La presse de ce côté, les gens de
l'autre ! Rapprochez-vous ! Voilà, comme ça y aura une jolie haie
d'honneur... »
Les berlines ministérielles finissent par arriver. Hurlements,
applaudissements, ruée vers la première voiture du cortège : « Sarko
Président ! » La voiture disparaît sous les caméras, téléobjectifs,
militants et perches de son. L'étau se relâche. Au milieu, Sarkozy
serre toutes les mains en souriant. Quelques minutes de bain de foule,
puis : « Réservé à la presse ! », hurle son staff. Sous le regard des
agneaux de pré salé, le troupeau des journalistes suit le candidat UMP.
Jusqu'à l'embranchement d'un chemin de terre : là, dans un 4-4, deux
pompiers lui tendent une paire de bottes. Mission de secours hautement
périlleuse : voilà les « soldats du feu » transformés en petites mains
de la campagne électorale, larbins sur fonds publics.
« Dans les bottes le pantalon, Nicolas ! Dans les bottes ! C'est plus
classe ! » Les reporters délivrent leurs conseils vestimentaires, et en
retour le petit grand homme s'approche de nous : « Salut machin, tu vas
bien ? Et toi, ça marche ? » Échange de sourires, de poignées de
mains : la réunion familiale s'annonce bien. Sarkozy effleure ma
jaquette, celle du Monde, recule : « C'est avec ce genre de veste que
vous venez voir les chasseurs dans la Somme ! Vous devriez bosser à
Gala ! » Bon public, la presse se marre, puis accélère le tempo : « Il
faut y aller, Nicolas. » L'essaim part vers la mer.
à côté de nous, le gars du Parisien devise avec Franck Louvrier, dir'com' de Sarkozy. « Tu grisonnes, Franck ...
- Non, tu déconnes ? » Le journaliste passe la main dans les cheveux du
dir'com'. « Si si, je t'assure Franck, tu grisonnes un peu.
- Merde... » Un couple émouvant...
Le maire de Neuilly se dirige vers une hutte au bord de l'eau, un bâton à la main. « C'est quelle espèce, les canards ?
- Ce sont des appelants, Monsieur le ministre. Des faux canards, on les dispose pour attirer le gibier.
- Très bien ! L'illusion est parfaite ! » Il pleut. Les chaussures
s'enfoncent dans la boue salée et la merde de mouton. « Venez voir la
hutte, M. Sarkozy... », propose Nicolas Lottin, élu CPNT.
Les journalistes courent : « Attention, crie le staff, la hutte va
s'effondrer ! écartez-vous ! Pas tous sur la hutte ! » On ne donne pas
d'ordres à une presse libre : les journalistes grimpent, glissent,
s'entassent dessus. Elle tremble légèrement. Puis Sarkozy disparaît par
la petite échelle : journalistes et photographes se jettent à terre,
mitraillent l'intérieur de la hutte, entassés les uns sur les autres.
Sarkozy remonte l'échelle : les photographes se relèvent, couverts de
boue. On croirait qu'ils jouent à « Jacques a dit », ou plutôt à
« Nicolas a dit », que ça les amuse de s'humilier.
« Embedded ! », se marre une nana de Newsweek. Le président de la
Fédération de chasse est ravi : « Je devrais embaucher le ministre
comme chargé de communication ! » Lui en a déjà une soixantaine, qui
tentent d'enlever la boue collée sur leurs habits. Le candidat s'en
retourne vers la voiture des pompiers, suivi par le convoi et plusieurs
centaines de moutons. Le petit peuple de la presse proteste : « C'est
dégueulasse, il rentre en voiture, nous on y va à pied... » Arrivée à
l'hôtel. Les uniformes filtrent les journalistes, les militants : une
réunion va se dérouler avec les associations écolos du coin.
« Regarde le pull du mec, là-bas », me dit Mokrane. » Un léger rebond
au niveau du ventre. « Pas de la graisse crois-moi, c'est un fusil
d'assaut pliable... » Je me rapproche du type. « Crrr... wizzz...
djiiii.. »
« Excusez-moi, vous travaillez pour qui ?
- Pardon ?
- Euh, non, je disais, c'est le GIGN, GIPN, le RAID ?
- Moi ? Quoi ? Je suis garagiste à Abbeville !
- ça tombe bien, ma bagnole déconne en ce moment... Une durite... C'est quel garage ?
- Dans une rue, là, un garage, à Abbeville.
- Sérieusement, j'entends votre talkie walkie, vous avez un fusil pliable autour de la taille...
- ça ? C'est l'âge, c'est tout ! » Clin d'œil.
« Ségo, un problème de cul » Une tribune est dressée dans la
salle de réception de l'hôtel. Sarkozy se lance dans un vigoureux
plaidoyer en faveur du « pôle d'excellence rurale de la baie de
Somme » : « Prenons conscience de la beauté et de l'importance de la
nature. Il faut cesser de fermer les yeux sur le réchauffement
climatique, sur les atteintes à la biodiversité ou encore sur les
dangers de la pollution pour la santé. » Fin de la conférence. La ruche
bourdonne autour de la tribune. Deux conseillers embarquent Sarkozy à
l'écart. Son service de sécurité tient les journalistes à distance,
mais durant sa sortie vingt centimètres me séparent de lui et des
micros : « M. Sarkozy ? », je demande. Il sourit : « Oui ? » J'essaye
de ne pas bafouiller : « Comment pouvez-vous parler de développement
économique respectueux de l'environnement alors que, pas loin d'ici,
votre frère Guillaume Sarkozy a détruit le réseau d'assainissement
d'une ville avec de l'acide sulfurique ? » Le candidat sursaute. Il me
fixe. « Je peux pas répondre, je peux pas répondre, je peux pas
répondre », répète-t-il en filant.
L'essaim s'engouffre vers la sortie. Nuage de poussière : le ministre
d'état repart. à 100 mètres de là, un repas attend les journalistes
(sans doute payé par les frais de campagne...). Les professionnels s'y
livrent à l'analyse politique : « Ségo est nase, elle a perdu. T'as vu
comment elle marche ? Elle sait pas marcher, ça la fout mal... » éclat
de rire général. Une journaliste badgée se dandine : « C'est un
problème de cul. »
Je brandis un Fakir. Tous le prennent machinalement, sauf Jean-François
Achili, qui suit Sarkozy pour France Inter : « Toi et ton journal,
Sarko, il peut vous retourner comme une crêpe. » Des caméras
s'arrêtent : « Oui, vas-y, raconte-nous, c'est quoi cette histoire ?
- Tissage de Picardie.... Guillaume Sarkozy... Acide sulfurique... Canalisations effondrées... »
Un grand type en costard, Alain Gest, lit Fakir devant les objectifs :
« Ces informations ne sont pas fiables... Nous les connaissons, ils ne
sont pas sérieux... » Je m'incruste :
« Bonjour monsieur. Donc par rapport à Tissage de Picardie, quelle est votre réaction ?
- Euh, écoutez, cette affaire n'est pas ce que l'on en dit... Il faut
agir dans cette affaire avec discernement. Voyez-vous, il y a un
certain nombre de salariés à Tissage de Picardie, et nous nous devons
de préserver l'emploi local. Donc votre article n'est pas...
- Vous voulez certainement parler des dizaines de salariés licenciés
par Guillaume Sarkozy, qui a bénéficié pendant de nombreuses années des
subventions des collectivités locales...
- Eh bien, il ne faut pas les mettre en danger... Mais si ces
informations sont fiables, il faut que la justice suive son cours, j'y
veillerai personnellement... Quant à vous, monsieur, faites attention à
votre rythme cardiaque. L'infarctus vous guette. » Il s'éloigne. « En
même temps M. Gest, je ne me préoccupe pas de votre embonpoint. » Lui
revient à petites enjambées. « Voilà ! (Aux caméras.) Voilà le vrai
visage de Fakir ! J'espère que c'est dans la boîte ! Que vous l'avez !
Voilà leur vrai visage ! »
Pierre Odilon