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Lu sur AC : "A ceux qui arrivent chez Emmaüs en disant : « Je ne sais pas conduire ni cuisiner, il y a quand même une place pour moi ? Je ne sais rien faire », on répond : « Ça, ça n’existe pas. Tu sais pousser une tondeuse ? Alors, pose ton sac, tu commenceras demain. » Martin Hirsch, interwiew de l’Express, 2003
Martin Hirsch ne le cache pas : demain, ce sera travail obligatoire pour tous.
Ce que ne dit pas Martin Hirsch, c’est que le gars qui a posé son
sac, lorsqu’il arrivera à l’âge de la retraite, lorsqu’il ajoutera ses
6 ou 10 ans d’activité chez Emmaüs à ses 30 ou 36 ans de cotisations
ailleurs, il s’entendra répondre : Ah non, vous devez rester au RMI et attendre le minimum vieillesse à 65 ans, Emmaüs ne cotise pas aux caisses de retraite.
Ce sera donc Martin Hirsch, le grand patron des Rmistes et autres “Assistés”.
Normal, pour un homme dont les projets pour les allocataires des minima sociaux ont fait l’unanimité pendant la campagne : de l’UMP aux Verts, en passant par Bové et Royal, tout le monde l’a dit et répété : le Revenu de Solidarité Active, c’est l’avenir radieux de la France d’après, d’ailleurs déjà expérimenté dans la France d’avant, quatre départements pilotes de droite et de gauche l’ayant d’ores et déjà adopté.
D’un côté le discours de Martin Hirsch : éradiquer la pauvreté, faire en sorte que la reprise d’emploi ne s’accompagne pas d’une baisse de revenus.
De l’autre, le discours de Sarkozy contre les Assistés", la suppression du RMI donnée comme une promesse de campagne.
Au milieu, les concernés, des millions d’allocataires des minima qui cherchent à comprendre à quelle sauce on va les manger.
Le RSA n’est pas une rupture mais l’aboutissement d’expériences diverses et simultanées de destructions des droits existants sous prétexte de remise à plat.
Le credo qui le soutient est un classique.
La question à laquelle prétend répondre Martin Hirsch est la
suivante : pourquoi les bénéficiaires de minima sociaux hésitent-ils à
reprendre un emploi ?
Vision microcosmique des problèmes sociaux : le problème initial, le point de blocage, ce serait l’allocataire et le prétendu choix qu’il ferait à un moment donné. Cela n’aurait rien à voir avec la réalité du marché de l’emploi, avec un quelconque rapport de forces employeurs-salariés, qui aurait créé une catégorie sociale qui doit vivre avec moins de 400 euros pour une personne seule !
Vision de l’emploi comme étant une donnée brute et intangible sur laquelle aucun compromis, aucun choix n’est possible. A aucun moment en effet, Martin Hirsch ne se pose la question de quels emplois sont proposés aux allocataires du RMI. Son optique en effet est purement utilitaire : il y a des emplois non pourvus, la situation idéale, c’est que les allocataires des minima les prennent, point barre.
Pour lui, s’ils ne les prennent pas, une seule raison éthiquement acceptable : en travaillant dans un temps partiel subi, en occupant ce qu’il appelle des emplois disqualifiés, l’ex Rmiste ne voit pas son revenu augmenter.
Donc le RSA, ce sera agir sur le revenu.
Nous verrons par la suite en quoi consiste cette action mais il faut d’abord souligner ce qui est sous entendu : pas moins que la négation de toute possibilité de choisir son emploi et son domaine d’activité.
Pour Martin Hirsch, l’entrée dans l’emploi est une bonne chose pour l’allocataire, comme pour la société, quel que soit cet emploi.
Ainsi, dans toutes les expérimentations en cours
actuellement, les premières mesures prises concernent l’orientation des
allocataires vers des secteurs d’emploi prédeterminés. A Paris,
l’expérience en cours concerne ainsi les artistes : il s’agit de
rapprocher l’offre et la demande, les entreprises du secteur
définissant leurs besoins, les formations et les actions ensuite
financées par le département dépendant de ces besoins.
Dans l’Oise, il s’agit d’imposer immédiatement aux nouveaux
entrants dans le RMI, une convocation collective pendant laquelle
seront rappelés les fameux devoirs, principalement se conformer aux
actions d’insertion dans l’emploi, toutes conçues en lien avec les
entreprises du département.
Donc en priorité ceux dont personne ne veut, les plus
durs, les plus chiants, les plus précaires, quoi qu’en dise notre haut
commissaire.
Mais aussi des emplois pour lesquels on n’est ni formé ni prêt :
combien de Rmistes sont aujourd’hui, pour quelques mois, dans
l’Education Nationale à assurer sans aucune formation préalable une
présence quotidienne auprès d’enfants ?
Le RSA, c’est donc d’abord un système où les désirs de l’allocataire où sa formation où ses expériences professionelles antérieures n’ont plus aucune importance.
Oui, mais si c’est pour gagner plus ?
A priori, logiquement, un travailleur peut gagner plus ... si son employeur augmente les salaires. A priori si un Smicard ne gagne pas grand chose de plus qu’un Rmiste, c’est que le SMIC est outrageusement bas. Si la perte de la CMU le conduit à dépenser plus en soins, c’est que la partie différée du salaire que constituent les prestations de Sécurité Sociale est de plus en plus petite (pas étonnant vu le montant des exonérations des cotisations patronales). Même chose pour le coût du logement : le 1% patronal payé par l’immense majorité des smicards et censé leur garantir l’accès au logement social est depuis longtemps utilisé à d’autres fins ... comme la destruction des HLM existants.
Mais Martin Hirsch n’a que faire de cette vision sociale. Comme son prédecesseur, l’abbé Pierre, ce serait pour lui un non-sens dangereux que mettre en accusation le patronat.
Donc le Revenu de Solidarité Active opère un magnifique tour de passe- passe : il ne s’agira pas d’imposer aux employeurs de mieux payer le travail ... mais de compenser des salaires de plus en plus bas par une augmentation des prestations assurées par les collectivités publiques.
En cela le Revenu de Solidarité active n’est pas très éloigné de la philosophie du RMI : ne s’agissait-il pas à l’époque déjà de faire compenser par l’Etat, donc par l’impôt, le désengagement de plus en plus grand des employeurs du financement de l’assurance chômage ?
Enorme différence cependant : il ne s’agit plus de prendre acte du chômage de masse et d’accorder un revenu aussi misérable soit-il déconnecté de ce rapport à l’emploi.
Concrètement le modèle idéal est le suivant : quel que soit le gain salarial de la reprise d’emploi, la collectivité garantit le maintien d’un revenu égal au seuil de pauvreté en cas de reprise d’emploi.
Mais, alors nous diront les optimistes, après tout le Rmiste qui se prête au jeu va y gagner ? En réalité, une expérience de masse déjà menée montre le contraire : les contrats aidés du plan de cohésion sociale de Borloo sont une forme de RSA : le salaire est constitué du montant du minima social versé à l’employeur et reversé au salarié, de suppléments de subventions et d’une infime partie payée par l’employeur.
Deux ans après leur entrée en vigueur, 400 000 personnes se retrouvent dans la situation de chômeurs qui travaillent :
leur revenus les placent en effet tout juste au dessus du seuil de
pauvreté. Mais leur statut précaire les prive de tous les droits liés
au poste de travail, notamment dans la fonction publique. Surtout parce
que leur contrat de travail est aussi un contrat d’insertion, c’est non
seulement la fin de contrat qu’ils ont à craindre, mais aussi la
suspension ou la suppression de l’allocation en cas de démission,
considérée comme une rupture du contrat d’insertion.
Dans les faits, cette nouvelle caste de travailleurs pauvres se
trouve soumise à un double système de coercition : celui exercé
classiquement par l’employeur qui profite de la précarité du contrat,
mais aussi celui de l’ANPE ou du service de contrôle RMI qui veille
d’une part au respect du parcours d’insertion hors emploi (par exemple,
lorsque le salarié dépend pour son hébergement du respect d’un
"parcours d’insertion"), mais aussi force le salarié à continuer sa
recherche d’emploi (dans certains départements, l’ANPE tente ainsi
d’imposer à des salariés en CA qui vont être licenciés une période
d’EMT -travail gratuit- à la fin de contrat).
Demain avec le Revenu de Solidarité Active, c’est non seulement le minima social qui sera concerné mais aussi les droits connexes (allocation logement, droits au transports, revenu des ayant droit) qui seront menacés en cas de refus d’un emploi imposé mais aussi en cas de sortie de cet emploi.
En effet, Martin Hisrch reprend à son compte une
vieille rengaine qui a toujours servi à diminuer les droits et à
augmenter le contrôle :
Le
système est trop complexe , il y a trop de guichets différents , trop
de petites aides, trop d’interlocuteurs. Bref, il faut une allocation
unique et surtout un guichet unique.
Le RSA serait dans l’idéal un minima unique, calculé pour fondre en un seul revenu dépendant d’une seule administration l’ensemble des allocations et droits connexes qui existent dans un département donné : allocation logement majorée, CMU, exonération de la taxe d’habitation ou d’autres impôts locaux, réductions tarifaires transports...
Si l’idée d’une allocation unique ne n’est pas encore concrétisée sur le terrain, par contre celle du référent unique qui a accès à l’intégralité du dossier de la personne et donc tous les moyens de sanctionner par la privation totale de revenus le refus d’un emploi ou d’une action d’insertion est lui déjà opérationnel dans les départements où s’expérimente le RSA, notamment par le biais des Maisons de l’Emploi.
Dans les communautés, les compagnons doivent demander
le versement de leur RMI à la communauté qui se charge de les loger et
de les nourrir mais les prive de tout libre choix dans leurs dépenses.
Aujourd’hui de nombreuses CAF procèdent ainsi pour l’APL,
obligatoirement versée au propriétaire, les Conseils Généraux adoptent
le même systèmepour l’éventuelle aide au transport, ou au paiement des
factures EDF.
Il n’y aura pas de loi de suppression en fanfare du RMI inscrite dans les textes et pas de débat démocratique à l’Assemblée, même si l’adhésion totale de la gauche au projet n’augurait pas de toute façon de grandes oppositions.
Le fin mot de l’histoire c’est "l’expérimentation" : en clair, le Parlement vote une loi dont le contenu est en fait une autorisation de déroger à la loi nationale donnée à une collectivité territoriale ou aux "partenaires sociaux ".
En ce qui concerne le RSA, elle a déjà en partie été votée dans la loi dite du droit au logement opposable : dans celle-ci figure un amendement qui permet aux départements de modeler à leur convenance les contrats d’insertion par l’activité votés depuis 2002. Concrètement, un département peut aujourd’hui choisir de fusionner ou d’aménager le contrat d’avenir, le revenu minimum d’activité, le contrat d’accompagnement dans l’emploi.
Remodeler ou fusionner, c’est évidemment prendre dans chaque contrat les dispositions les plus favorables aux employeurs.
Si l’on ajoute les pouvoirs conférés aux départements dans la gestion du RMI par la loi de décentralisation de 2004, on aboutit finalement pour l’allocataire à une soumission quasi féodale au bon vouloir de tel ou tel président de Conseil Général : cette situation est déjà contraire au principe d’égalité lorsqu’il s’agit de droits connexes, comme les aides EDF ou certaines aides au logement, mais lorsqu’il s’agit d’un RMiste en emploi, ce n’est ni plus ni moins que la destruction d’un droit du travail national, et la difficulté accrue de se défendre pour le salarié : difficulté individuelle, car il devient alors quasi impossible de connaitre l’état du droit applicable, difficulté collective pour un cadre de revendications nationales, ou des moments de défense collective d’un droit menacé .
Mais la situation actuelle ne va pas assez loin pour
Martin Hirsh : selon lui, il ne peut y avoir un seul système de cumul
allocation salaire pour tous les allocataires.
Selon lui, des paramètres locaux peuvent avoir pour résultat une adaptation locale.
Actuellement hormis pour les contrats aidés du plan de cohésion
sociale, précurseurs nous l’avons vu du type de contrat qu’implique le
RSA, la loi appliquée par la CAF est la même partout. Demain, encore
une fois un président de Conseil général pourrait décider de la
modifier sur son département.
Selon Martin Hirsch, l’égalité devant la loi est un principe dépassé "Le problème de l’Etat, c’est qu’il est coincé dans les règles qu’il s’est lui-même fixées. C’est plus le pouvoir de dire non que le pouvoir de faire. Par exemple, il a confié aux départements la gestion du million d’allocataires du RMI, mais en maintenant des règles uniformes sur les barèmes, les règles juridiques, les conditions de cumul entre le RMI et les salaires quand les gens travaillent un peu." (Interwiew du Monde, 29 mars 2007)
Au final, les millions d’allocataires des minima sociaux de ce pays seraient, avec le RSA, totalement exclus du droit commun, pour être soumis à une multitude d’"expérimentations " qui porteraient sur l’entièreté de leurs parcours : l’entrée dans le RMI, mais aussi le retour à l’emploi.
Quand à la carotte avancée par l’ex-président d’Emmaüs France, à savoir une augmentation de revenu considérable pour ceux qui se prêteraient au jeu, elle n’est qu’illusion : Martin Hirsh chiffre à huit milliards d’euros le coût de son RSA idéal appliqué au territoire national.
Or depuis la décentralisation, l’ensemble des départements, de gauche ou de droite, justifient leur politique de contrôle et de stigmatisation des Rmistes par l’impossibilité de continuer à financer le RMI du fait du désengagement de l’Etat.
Qui peut imaginer que ces départements investissent plus d’argent en aide directe pour les allocataires qui reprennent un emploi ? Comme de coutume, le seul financement envisageable sera celui de subventions aux employeurs, financement qui, lorsqu’il s’agit d’emplois publics, sont en réalité une économie considérable pour les collectivités territoriales : dans les écoles, dans les Conseils généraux, combien de salariés à bas prix en contrat d’avenir ?
Quant à l’Etat, les seuls financements supplémentaires envisageables seront de nouvelles formes de prime pour l’emploi, reconduites annuellement selon le budget : faut-il rappeler que des dizaines de milliers d’allocataires ont été exclus de la prime de retour à l’emploi, grâce au double jeu d’une procédure compliquée d’obtention et de critères restrictifs et variables selon les années ?
Le seul autre financement supplémentaire voté au Parlement depuis 2002 concernant le RMI est la prime de cohésion sociale : celle-ci est une somme attribuée aux départements, proportionellement ... aux nombres d’allocataires du RMI qui sortent du dispositif.
Pour résumer, le Revenu de Solidarité Active n’est pas
une nouveauté mais l’aboutissement d’un long processus de destruction
du cadre national des minima sociaux, seule garantie de l’égalité des
droits et de leur possible extension.
Processus de destruction aussi du droit du travail, par la multiplication des contrats dérogatoires.
Processus de destruction de l’idée même de statut du salarié, au profit des concepts d’insertion et d’activité.
Il ne s’agit pas d’une avancée qui déconnecterait un peu plus le droit à un revenu du fait d’avoir un emploi. Il s’agit au contraire d’imposer l’obligation d’occuper un emploi sans pouvoir revendiquer aucun droit collectif qui y serait attaché.
En ce sens, les critiques qui en parlent comme d’un pansement sur une jambe de bois ou comme une avancée pas suffisante passent dangereusement à côté du problème : il ne s’agit pas d’un pansement mais d’une gangrène qui va contaminer petit à petit tout le système des droits collectifs.
Demain Martin Hirsch, qui connait bien les vertus médiatiques des images d’Epinal nous présentera, à l’appui de ses projets, quelques projets pilotes pour quelques dizaines de Rmistes heureux et reconvertis (pour combien de temps, le reportage ne nous le dira pas).
Se battre pour contrer la réalité du contrôle et de l’emploi précaire de millions d’autres ne pourra se faire qu’en s’attaquant au fonds de commerce de l’héritier d’Emmaus : la "dignité" par le travail, peu importe le salaire.
Cela passera aussi par le courage de n’avoir rien à proposer de "raisonnable" : les collectifs, les associations de chômeurs et précaires ne sont pas là pour proposer des "solutions acceptables", des modèles "réalistes" dans leur financement dans le cadre d’un système fondé sur l’exploitation maximale de la force de travail où le chômage, indemnisé ou pas, est avant tout une arme de destruction massive du Code du Travail [1]
Nos propositions doivent être des invitations à la lutte, pour le libre choix de sa vie et de son emploi, pour la construction d’un rapport de force qui permette, pour commencer, que soit garanti à chacun le droit fondamental de voir ses besoins fondamentaux satisfaits.
Demain, nous devrons réapprendre les résistances locales face à telle ou telle expérimentation qui ne dira pas son nom.
Mais face à un Haut Commissaire prêt à donner le statut de partenaire social et les subventions qui vont avec à toute association ou collectif qui acceptera de jouer le jeu, une lutte collective ne pourra émerger que si nous sommes assez forts pour réaffirmer tout ce qui ne sera jamais négociable, assez lucides pour déceler le projet global de société caché derrière le revenu de solidarité active : celui des communautés Emmaüs, celui des utopies du contrôle total des pauvres, celui du travail obligatoire .
Au 17ème siècle on enfermait les pauvres et les fous derrière de hauts murs. Aujourd’hui, les camisoles chimiques et l’insertion-sanction appliquée non seulement au temps d’emploi mais aussi à toutes les sphères de la vie sociale ne visent qu’à nous enfermer dehors, à moindre coût.
[1] Ce paragraphe qui mérite d’être développé se réfère aux dérives d’associations qui depuis des années participent à la gestion de l’insertion : l’obsession de rester dans la course en a conduit plus d’une (et parmi elles des collectifs AC ! reconvertis dans le business de l’insertion) à refuser de contrer le discours ambiant sur l’emploi.
N’avoir rien à proposer de "raisonnable", c’est continuer à tenir le cap, par exemple à continuer à revendiquer l’accès à tous les droits même sans emploi, n’avoir rien à proposer de "raisonnable", c’est continuer à soutenir qu’une société doit permettre à chacun s’il le souhaite de faire dix ans de philo même si ce n’est pas une discipline très recherchée sur le marché du travail.
N’avoir rien à proposer de raisonnable, c’est continuer à défendre le droit au revenu décent, ce que fait à sa manière ce texte.
Dans le contexte actuel, il est évident que tout collectif qui défend ce genre de choses ne sera effectivement pas considéré comme un "partenaire social" crédible.