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On y découvre ce que j'écrivais déjà dans mon livre: pour obtenir l'homologation du roundup, Monsanto a fourni des tests menés sur des rats, qui ont été exposés au glyphosate seul - la molécule active de son herbicide- mais pas au cocktail qui constitue les formulations commercialisées, mille fois plus toxiques que la substance active. Or, le roundup contient notamment un poison, le POEA, un détergent qui sert à améliorer la solubilité de l'herbicide et sa pénétration dans les plantes. Or, en intoxication aigüe, la dose mortelle de ce surfactant est trois fois inférieure à celle du glyphosate seul!
Ainsi que je le révélais dans mon enquête, le Professeur Robert Bellé, chercheur au CNRS et à l'Université Pierre et Marie Curie, avait découvert la manipulation lorsqu'il avait comparé les effets du roundup (des formulations commercialisées, qui ne contiennent qu'un pourcentage de glyphosate, le reste étant des surfactants couverts par le "secret commercial")avec ceux du glyphosate seul. Les effets du roundup sur les mécanismes de la division cellulaire ("première étape qui conduit au cancer", avait-il dit) étaient beaucoup plus importants que ceux obtenus avec la molécule active isolée. Normal: sans les surfactants, le glyphosate n'arrive pas à pénétrer les cellules végétales, il ne peut donc pas avoir d'effet!
C'est ainsi qu'il avait constaté que l'homologation du roundup reposait sur une étude qui n'avait pas testé le roundup!
A l'Université de Caen, le professeur Gilles-Eric Séralini était parvenu aux mêmes conclusions.
Voici ce que j'ai écrit:
EXTRAIT
En France, l’équipe du professeur Robert Bellé, de la station biologique de Roscoff, qui dépend du CNRS et de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, a étudié l’impact des formulations au glyphosate sur des cellules d’oursin.
« Le développement précoce de l’oursin fait partie des modèles reconnus pour l’étude des cycles cellulaires », explique Julie Marc, qui a écrit sa thèse de doctorat sur les travaux du laboratoire breton.
De fait, la découverte du « modèle de l’oursin », capitale pour la compréhension des phases précoces de la cancérogenèse, a valu en 2001 le prix Nobel de physiologie et de médecine aux Britanniques Tim Hunt et Paul Nurse et à l’Américain Leyland Hartwell.
Au début des années 2000, le professeur Robert Bellé décide de l’utiliser pour tester les effets sanitaires des pesticides. Son souci est alors motivé par le niveau de pollution constaté dans les eaux françaises ainsi que dans les aliments :
« Les données concernant la qualité des eaux souterraines font état en France d’une contamination considérée comme suspecte dans 35 % des cas, note Julie Marc, qui a consulté toutes les études disponibles. Les eaux marines font elles aussi état d’une contamination généralisée et pérenne par les herbicides. […] L’ingestion des fruits et légumes contribue également aux apports en pesticides pour les humains. Les chiffres à ce sujet sont inquiétants, puisque 8,3 % des échantillons d’aliments végétaux d’origine française analysés contiennent des résidus de pesticides supérieurs aux limites maximales et que 49,5 % en contiennent . »
Dans ce panorama peu rassurant, la région Bretagne affiche un taux de contamination record, qui affecte particulièrement les eaux destinées à la consommation humaine, poursuit Julie Marc :
« Dans 75 % des cas, la norme réglementaire pour le cumul des substances est dépassée et plus de dix substances sont parfois décelées dans le même échantillon, avec des concentrations respectives dépassant le 0,1 microgramme/litre réglementaire. Cette pollution a pour origine des usages agricoles, mais aussi l’utilisation de pesticides sur les zones non cultivées. »
Et de noter, elle aussi, l’une des aberrations de la réglementation : celle-ci a fixé le taux acceptable de résidu dans les eaux à 0,1 microgramme/litre, mais elle ne concerne qu’un seul herbicide, et ne dit rien sur l’effet cumulé de différents pesticides — ce qui est très courant — ni de leur interaction…
C’est ainsi que le professeur Bellé propose au début des années 2000 au conseil régional de Bretagne de conduire une étude visant à évaluer l’impact des herbicides sur la division cellulaire.
« L’ironie de l’histoire, m’explique le chercheur, que je rencontre dans son laboratoire de Roscoff, le 28 septembre 2006, c’est que nous avions décidé de prendre le Roundup comme contrôle dans les expériences, car nous étions persuadés que ce produit était totalement inoffensif, ainsi que le suggérait la publicité du chien avec son os ! Et évidemment, la très grosse surprise a été que cet herbicide nous donnait des effets bien plus importants que les produits que l’on testait. C’est comme cela que nous avons changé l’objet de notre recherche, en nous consacrant uniquement aux effets du Roundup.
– Comment avez-vous procédé ?, ai-je demandé.
–
Concrètement, nous avons fait “pondre” des oursins, dont la
caractéristique est de produire de grandes quantités d’ovules ; nous
avons mis ces ovocytes en présence de spermatozoïdes, et placé les œufs
fécondés dans une dilution de Roundup. Je précise que la concentration était bien inférieure à celle pratiquée généralement dans l’agriculture. Et puis, nous avons observé les effets du produit sur des millions de divisions cellulaires. Très
vite, nous nous sommes rendus compte que le Roundup affectait un point
clé de la division des cellules, non pas les mécanismes de la division
elle-même, mais ceux qui la contrôlent. Pour comprendre
l’importance de cette découverte, il faut rappeler le mécanisme de la
division cellulaire : lorsqu’une cellule se divise en deux cellules
filles, la copie en deux exemplaires du patrimoine héréditaire, sous
forme d’ADN, donne lieu à de très nombreuses erreurs. Jusqu’à 50 000
par cellule. Normalement, un processus de réparation ou de mort
naturelle de la cellule atypique (ce qu’on appelle l’“apoptose”)
s’enclenche automatiquement. Mais il arrive que celle-ci échappe à
cette alternative (mort ou réparation), parce que le point de contrôle
des dommages de l’ADN est affecté. C’est précisément ce “checkpoint”
qui est endommagé par le Roundup. Et c’est pour ça que nous disons que le Roundup induit les premières étapes qui conduisent au cancer. En
effet, en échappant aux mécanismes de réparation, la cellule affectée
va pouvoir se perpétuer, sous une forme génétiquement instable ; et
nous savons aujourd’hui qu’elle peut constituer l’origine d’un cancer
qui se développera trente ou quarante plus tard.
– Avez-vous pu déterminer ce qui, dans le Roundup, affectait la division cellulaire ?
– C’est
une question capitale ! En effet, nous avons également conduit
l’expérience avec du glyphosate pur, c’est-à-dire sans les adjuvants
qui constituent le Roundup, et nous n’avons pas constaté d’effets : c’est donc le Roundup lui-même qui est toxique et non son principe actif. Or,
quand nous avons examiné les tests qui ont servi à l’homologation du
Roundup, nous avons découvert avec surprise qu’ils avaient été conduits
avec du glyphosate seul… En fait, le glyphosate pur n’a aucune
fonction, même pas herbicide, puisque tout seul il ne parvient pas à
pénétrer dans les cellules et donc à les affecter. C’est pourquoi je
pense qu’il y a un vrai problème avec le processus d’homologation du
Roundup et qu’il faudrait s’intéresser de plus près aux nombreux
adjuvants qui le composent ainsi qu’à leur interaction. »
Parmi les adjuvants suspectés, il y a notamment le polyoxyéthylène (POEA),
dont la toxicité aiguë a été confirmée par de nombreuses études, mais
aussi les substances inertes dont on ne peut rien dire, car leur
identité n’est pas communiquée par le fabricant, au nom du « secret commercial » ; sans oublier le principal produit de la biodégradation du glyphosate, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), dont la demi-vie est élevée.
Face à ces dysfonctionnements manifestes du processus d’homologation, certains scientifiques courageux, comme le docteur Mae-Wan Ho (Royaume-Uni) et le professeur Joe Cummins (Canada), membres de l’Institute of Science in Society, réclament une révision urgente de la réglementation relative à l’herbicide le plus utilisé dans le monde .
Je dis « courageux », car l’histoire du professeur Bellé prouve, s’il en était besoin, qu’on ne touche pas impunément au produit phare d’une maison comme Monsanto…
« Évidemment, nous avons tout de suite compris l’importance que pouvaient avoir nos résultats pour les utilisateurs de Roundup, explique-t-il, puisque la concentration de l’herbicide à l’origine des premiers dysfonctionnements est 2 500 fois inférieure à celle recommandée en pulvérisation. En fait, il suffit d’une gouttelette pour affecter le processus de la division cellulaire. Concrètement, cela veut dire que pour utiliser l’herbicide sans risque, il faut non seulement porter une combinaison et un masque, mais aussi s’assurer qu’il n’y a personne à cinq cents mètres à la ronde… Un peu naïvement, nous nous sommes dit que Monsanto ne devait pas être au courant, car sinon ces recommandations figureraient sur la notice d’emploi et nous leur avons communiqué nos résultats avant même de publier l’étude . Il faut dire que nous avons été très surpris par leur réaction : au lieu de se pencher sérieusement sur nos résultats, ils ont répondu un peu agressivement que toutes les agences réglementaires avaient conclu que le produit n’était pas cancérigène pour l’homme et que, de toute façon, le cancer de l’oursin n’intéressait personne ! C’est tout sauf un argument scientifique ! On dirait qu’ils ne savent même pas que si le “modèle de l’oursin” a valu un prix Nobel à ses découvreurs, c’est précisément parce qu’on sait que les effets mesurés sur une cellule d’oursin sont parfaitement transposables à l’homme…
– Et comment ont réagi vos organismes de tutelle, le CNRS et l’UniversitéPierre-et-Marie-Curie ?
– À dire vrai, leur réaction fut encore plus surprenante, répond le professeur Bellé, après un silence. Certains
représentants se sont déplacés jusqu’à Roscoff pour nous demander
instamment de ne pas communiquer avec les médias grand public, sous
prétexte que cela allait créer une psychose…
– Comment l’expliquez-vous ?
– Cette question m’a longtemps obsédé… Aujourd’hui,
je pense qu’on ne voulait pas faire de vagues pour ne pas porter
préjudice au développement des OGM, qui, comme vous le savez, ont été
manipulés pour résister au Roundup…
– N’avez-vous pas peur pour votre carrière ?
– Je ne crains plus rien, murmure le chercheur. Je
vais bientôt partir à la retraite et je ne dirige plus le laboratoire.
C’est pour cela qu’aujourd’hui je peux me permettre de parler… »
Un « tueur d’embryons »
« Ne pas gêner le développement des OGM » : c’est aussi le seul argument qu’a trouvé Gilles-Éric Séralini pour expliquer l’inertie des pouvoirs publics face à la toxicité du Roundup. Professeur à l’université de Caen,
ce biochimiste est membre de la Commission du génie biomoléculaire
française, chargée d’instruire les dossiers de demande d’essais en
plein champ des organismes génétiquement modifiés, ainsi que du CRII-GEN,
le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie
génétique, qui ne cesse de réclamer des études plus poussées sur
l’impact sanitaire des OGM.
Le professeur Séralini a conduit plusieurs études pour évaluer l’impact du Roundup et ses effets sur la santé humaine, comme il me l’explique quand je le rencontre, le 10 novembre 2006, dans son laboratoire à Caen :
« Si je me suis intéressé au Roundup, c’est parce qu’avec les OGM, qui ont été manipulés pour pouvoir l’absorber sans succomber, il est devenu un produit alimentaire, puisqu’on en trouve des résidus sur les grains de soja ou de maïs transgéniques. De plus, j’avais lu des études épidémiologiques réalisées au Canada qui montraient qu’il y avait plus de fausses couches et d’accouchements prématurés chez les couples d’agriculteurs utilisant le Roundup que dans la population générale. »
De fait, une étude publiée par l’université de Carleton,
portant sur des familles de paysans de l’Ontario, a révélé que l’usage
de glyphosate dans les trois mois précédant la conception d’un enfant
était associé à un risque accru de fausses couches tardives
(entre la douzième et la dix-neuvième semaine) . Il est intéressant de
noter que, d’après une autre étude réalisée sur des familles paysannes
d’Amérique du Nord, 70 % des agriculteurs présentaient une
urine contaminée par le Roundup, le jour de l’application du produit
dans leurs champs, avec une concentration moyenne de 3
microgrammes/litre et des pointes à 233 mg/l .
De même, un laboratoire de l’université Tech du Texas a établi que l’exposition
au Roundup des cellules de Leydig, logées dans les testicules et qui
jouent un rôle capital dans le fonctionnement de l’appareil génital
masculin, réduisait de 94 % leur production d’hormones sexuelles .
Enfin, des chercheurs brésiliens ont constaté que des femelles de rats
enceintes au moment de l’exposition au Roundup donnaient plus souvent
naissance à des bébés atteints de malformations du squelette .
Tous ces résultats ont été confirmés par les deux études menées par le professeur Séralini et son équipe, qui ont mesuré l’effet toxique du Roundup, d’abord sur des cellules de placenta humain, puis sur des cellules d’embryons , « issues, tient-il à préciser, d’une lignée de cellules de reins d’embryon cultivée au laboratoire, ce qui ne nécessite aucune destruction d’embryon ».
« Comment avez-vous procédé ?, lui ai-je demandé.
– Nous
avons placé les cellules dans des solutions de Roundup, en variant la
concentration du produit, de la plus infime, c’est-à-dire 0,001 %,
jusqu’aux doses qu’on utilise en agriculture, à savoir le Roundup dilué
à 1 % ou 2 %, me répond le biologiste. Nous avons aussi varié le taux
d’exposition, pour déterminer à quel moment l’herbicide produisait un
effet sur ce que nous appelons la “respiration des cellules”, qui
conditionne leur production d’hormones sexuelles. Nous
avons constaté qu’à des taux qui sont admis par la réglementation comme
des niveaux de résidus acceptables sur les produits alimentaires comme
les plantes transgéniques, le Roundup tuait littéralement les cellules
de placenta humain, en quelques heures, et de manière encore plus
sensible, les cellules issues d’embryons humains. »
Et le professeur d’ouvrir son ordinateur portable pour me montrer les
clichés que son équipe a réalisés des essais. On y voit, au début, une
kyrielle de cellules bien distinctes et transparentes avec au centre de
chacune d’elle, une petite tache sombre qui est le noyau. Après une
journée d’exposition au Roundup, elles se sont dissoutes pour
constituer un amas sombre informe, une « sorte de purée », pour
reprendre les termes de Gilles-Éric Séralini.
« En fait, m’explique-t-il, sous l’effet du produit, les cellules commencent à se contracter, puis, n’arrivant plus à respirer correctement, elles meurent asphyxiées. Et je précise que ce résultat est obtenu à des doses nettement inférieures à celles utilisées dans l’agriculture, puisque, par exemple, pour ce cliché, la concentration était de 0,05 %. C’est pourquoi je dis que le Roundup est un tueur d’embryons. Quand on utilise une concentration encore plus faible — en diluant le produit acheté dans le magasin 10 000 ou même 100 000 fois —, on constate qu’il ne tue plus les cellules mais bloque leur production d’hormones sexuelles, ce qui est aussi très grave, car c’est grâce à ces hormones que le fœtus peut développer ses os ou former son futur système de reproduction. On peut donc en conclure que le Roundup est aussi un perturbateur endocrinien.
– Avez-vous comparé les effets du Roundup à ceux du glyphosate seul ?
– Bien
sûr ! Et nous avons constaté que le Roundup est beaucoup plus toxique
que le glyphosate, alors que les essais qui fondent l’homologation du
Roundup ont été réalisés avec la matière active seule. Nous avons donc
contacté le commissaire européen chargé de l’agriculture, qui a reconnu
que c’était un problème, mais depuis il ne s’est rien passé…
FIN DE L'EXTRAIT