--> Des pistes pour son dépassement. Par Georges Mateos
Lu sur
1libertaire : On mesure la récurrence de ce problème de l'organisation qui – répétitivement à travers le temps et l’espace (celui du moins d’une part de l’Europe) – semble à chaque fois venir des positions individualistes. (Mais sont à l’œuvre aussi d’autres facteurs parmi lesquels nous citerons : le goût du secret, de la clandestinité, le problème de l’autorité - opposé philosophique de la liberté- le problème de la crédibilité d’une utopie par nature à perte de vue, sans oublier les phénomènes de l’inconscient, difficiles à cerner, mais toujours présents dans toute interrelation humaine.)
Toutefois quand la solution de la scission est trouvée, en désespoir de cause, on peut constater que les groupes d’idéologie cohérente, par ex les communistes, s’étiolent et disparaissent, ou pire, perdent leurs propres principes et leur fameuse unité idéologique. On remarque que, tout de même, des événements extérieurs très importants comme guerre, émeutes, révolution, pèsent sur le désir des compagnons de s’unir, désir qu’ils réalisent souvent mais in extremis (c’est le cas de le dire).
Les considérations qui précèdent ne sont pas absentes d’une certaine manière de la rencontre internationale de Barcelone, à l’automne 1993 dont le thème général est : « l’anarchisme devant la crise des idéologies. » Le thème particulier qui nous intéresse s’intitule : « individu, communauté, société. »
En Introduction, S. Ribeiro parle de conjuguer les divers aspects du thème, ainsi Colombo va parler de la construction de l’individu et de l’imaginaire social, utilisant une grille psychanalytique ; Errandonea se servira de la sociologie de la domination pour les besoins de sa cause et Garcia Calvo se penchera sur le comment s’organisent les réalités de l’individu à partir de considérations du langage. Le thème est approché successivement, de la sorte, par une structure subjective, puis sociétale, enfin linguistique. On rappelle que d’après Castoriadis l’objectif de l’autonomie pour l’individu est double : psychanalytique et historico-politique.
Colombo relève alors que les luttes anti-Etat produit les effets escomptés sur nous à coup de revers successifs, à travers la théorie qui les escamote, de l’idéologie qui les ignore, du comportement prétendu neutre, personnel ou intime. Selon Bakounine : « tout individu doit faire des efforts inouïs pour se libérer de la folie collective (l’Etat et la Religion) et n’y arrive jamais complètement. » Selon Castoriadis, il n’y a pas d’individu humain, il y a une psyché de départ qui est socialisée et cette socialisation est le résultat final où il n’y a quasiment rien d’individuel au sens réel du terme ; plus la société est hétéronome, moins il y a d’individualité, la vraie individuation commençant quand les sociétés débutent un mouvement vers l’autonomie pour créer des individus individués jusqu’à une société individuelle.
Errandonea, lui, voit que, pour l’individu isolé, la contre partie de la domination est la participation qui en constitue sa limite, le degré en lequel la domination cesse d’être est exactement le seuil de la participation maximale généralisée, quand celle-ci se substitue avec succès à la domination ; ce qui implique à terme une société égalitaire.
Garcia avance que la civilisation industrielle aspire à ce que l’individu des masses soit conforme, c'est-à-dire que l’institution soit en moi-même ; ou encore, qu’en tant que personne je ne peux être moins qu’un sujet de l’Etat et un élément unitaire du tout.
Colombo : un sociologue USA a écrit un bouquin sur « la fin des idéologies », c’est faux mais par contre il est vrai que la force expansive des contre-idéologies (ou utopies) s’est épuisé et a laissé le champ libre à l’idéologie dominante, d’où la passivité générale des individus face au règne de la pensée unique. Pour combattre cette passivité il faudrait revendiquer un droit inaliénable pour l’individu, celui du blasphème (injure contre Dieu, le sacré, la majesté). Pour l’être soumis, Majesté est l’attribut de la réalité, or l’élément occulte de la réalité, déplacé et condensé sous la forme de la religion, est le sacré (ou transcendance, ou au-delà), sentiment profond de l’homme devant le misterium tremundum. Le sacré, essence de la religion et élément de base du pouvoir politique, caché dans l’Etat, présent dans les institutions de Domination. Le sacré au centre de la relation en permanente interaction de l’individu et de la société. En conséquence de ce sacré les sociétés sont hétéronomes, en ce sens que la loi, les normes, etc. ont été dites organisées de l’au-delà par les ancêtres, héros, dieux, dans un temps primordial où la Loi fut dictée une fois pour toutes. Or l’homme de ce temps obéissait bien à une minorité dominante représentant le sacré sur cette terre… Ceci signifie donc une dépossession originaire de la capacité instituante symbolique de l’homme, un détournement du mot pouvoir (certes pouvoir politique avec l’Etat, mais aussi capacité de faire, notamment déterminer les formes institutionnelles de nos relations en société.)
Les sociétés s’organisent en fonction d’une série d’attributions dont le langage, 1ère institution, 1ère codification par laquelle nous réglons notre mutuelle interaction, et qui fut créée par les hommes eux-mêmes. Cette dépossession des capacités humaines est l’essence du religieux, lequel fait partie de la domination politique. Le devoir est inclus dans la notion de pouvoir, l’aspect central de la domination politique est -à cause de l’hétéronomie du social, le pouvoir semblant venir de ‘l’extérieur- le devoir d’obédience.
Mais la société n’est pas non plus ce qui s’oppose à l’individu, même si celui la sent comme résistance à son désir. Bakounine distingue 3 moments essentiels dans la liberté de l’homme :
1- le fait positif énorme de la création de la société par homo habilis, d’où l’absurdité de croire que l’homme était libre avant d’être en société ; id de croire que chacun doit renoncer à une part de sa liberté pour former un contrat social avec les autres, ce qui amène nécessairement à la domination. Seule l’autonomie de l’individu en société permet l’apparition de la liberté, sauf que c’est bien la société qui a permis l’apparition du pouvoir. Ce sont les constructions de l’homme en société qui ont fait que la liberté prend une valeur positive.
2- Le moment précédent est nécessaire mais pas suffisant, car la société évolue (dans le temps et l’espace) et pour provoquer cette évolution l’individu entre en rébellion ; le désir inné en l’homme rencontre une limite dans le pouvoir que l’autre s’attribue pour construire son désir avec d’autres que lui. D’où ce moment de négation de ce qui existe, faisant surgir ce qui n’exista jamais mais qui peut être !
3- Le plus difficile alors est de se rebeller contre l’institution que le moi a internalisée. C’est alors que la relation avec l’autre lui fait sentir à quel point il est aliéné quand il répond à la société qu’il se représente tout naturellement comme externe. L’autonomie de l’homme naît justement de ce processus d’auto construction du social.
Conséquences : la Liberté comme désir illimité (celui du tyran ou du nourrisson) est absurdité.
La liberté s’étend à l’infini avec celle des autres, cela exigeant des obligations sociales, éléments de base de la norme sociale sachant qu’il n’existe pas de société sans institution, sans norme, sans langage.
Nous sentons aujourd’hui norme et règle sociale comme choses imposées car précisément nous vivons dans une société hiérarchique où nous n’avons en rien décidé et participé. Si nous voulons créer une utopie pour le XXI e siècle comprenons alors qu’Anarchie n’est pas absence radicale de normes (c'est-à-dire chaos) mais bien l’institutionnalisation de la société, la mise en marche d’institutions anarchistes dans lesquelles les individus pourraient vivre, créer l’égalité, la justice et ainsi leur propre liberté…
Pour Errandonea, la crise des idéologies ne concerne pas l’anarchie, mais plutôt le socialisme réel, la social-démocratie, le libéralisme, le marxisme-léninisme, toutes victimes de la post-modernité. Nous avons expérimenté notre propre crise à partir de la fin de la guerre civile d’Espagne où nous avons perdu notre audience et notre confiance. Depuis que l’humanité s’est mise d’accord sur l’objectif final de l’homme libre, une série de solutions ont été instrumentées à travers le rôle de l’Etat. Notre réponse fut d’accuser l’Etat comme principal instrument de la Domination en alternative du sans Etat.
Ce dernier s’est enclavé peu ou prou entre des espaces : le social, le public, le politique, le gouvernemental. Au XIX e siècle, au temps du capitalisme sauvage l’Etat fut, dans le camp socialiste, vu comme le bras armé et l’administrateur de la classe dominante, c’était la Police et l’Armée de la Bourgeoisie.
La réponse de l’Anarchie fut sa théorie : - lutte pour faire germer du sein du peuple des organisations en démocratie directe ; - ces organisations, non temporaires, assumeraient le pouvoir détenu par l’Etat, le dissoudraient et seraient les forces vives de la nouvelle société. Cela identifie l’Etat avec la société exploitée.
Depuis, l’évolution du capitalisme, irréversible, fait que le problème central n’est plus la plus-value mais comment la croissance de la demande peut accompagner la vitesse d’augmentation de la productivité ; ou encore, comment faire croître le marché de la consommation pour qu’il absorbe l’offre de produits.
Ceci a amené conjointement le développement du secteur public, l’Etat en parallèle se complexifiant. Cependant ce développement institutionnel de l’Etat a sa propre dynamique (comme toute institution sociohistorique) finissant par échapper au dessein initial.
-a : l’Etat se fit patron-compétiteur s’appropriant une grande part de la force de travail, introduisant d’autres règles dans ses relations de production que celles du capitalisme privé ; jusqu’à être temporisateur du pouvoir des transnationales.
-b : Il dota la classe politique d’une relative autonomie pour accomplir le marché électoral, la démagogie, le clientélisme.
-c : Il amplifia le phénomène bureaucratique avec sa croissance quantitative.
-d : Il apparaît comme contre-poids défensif des intérêts nationaux face à l’internationalisme du capital, surtout pour les petits pays comme la Suisse ou l’Uruguay de Battle.
-e : Il rendit hétérogène et pluraliste la domination capitaliste.
Ainsi le secteur public s’accrut comme dépassement de l’Etat. Par opposition se développèrent les autonomies, dont la Commune et l’Université sont les précurseurs. En nouvelles phases technologiques, la préoccupation du néocapital est de réduire l’Etat : c’est la grande proposition mondiale de privatiser équivalant à un régrès au capitalisme sauvage.
Etymologiquement, Anarchie est négation de tout système de gouvernement. Cependant le secteur public est très cher aux anarchistes dans la mesure où il protège et institutionnalise l’espace social dans lequel sont inclus le communautaire, le socialisé, le libre. Ceci nous donne l’opportunité de revendiquer l’auto gouvernement des divers organismes déjà autonomisés du service public, en nous opposant radicalement aux privatisations…
Garcia Calvo : Qu’est-ce que la personne individuelle ? C’est Toi, naturellement pas en tant que tu n’est pas toi, mais en tant que je te reconnais. De même, Je, pas comme cette affichette portant mon nom à laquelle je ne m’identifie pas dans l’absolu. Personne individuelle = ultime fondement et bastion du règne de l’argent, représentant de mort. Personne adorée par les représentants de l’Argent, comme cette banque en France dont le slogan était : pour nous votre intérêt est capital. Dans l’idéal démocratique qui nous domine, la forme ultime de domination est fondée sur l’individu, faisant comme si chacun sait ce qu’il fait, ce qu’il vote, ce qu’il achète. Or, par ailleurs, on sait que la vérité est celle du Christ-Roi sur la croix (ils ne savent pas ce qu’ils font), mais c’est pourtant ainsi que se constituent les majorités démocratiques dont le caractère réactionnaire, dont la soumission est par-là garantie. Démocratie dont le symbole tient au mode de transport inutile par excellence : l’automobile individuelle.
On ne peut prétendre, oser parler d’anarchie en continuant à respecter la personne individuelle, ce qui serait de même respecter l’argent. Même dans l’organisation syndicale on se voit obliger in fine d’aduler le travailleur. Et quel con est le travailleur ? Le travailleur, comme le chômeur, est l’exemple de cet individu ; par suite, nous nous voyons obligés de respecter la famille et ses intérêts familiaux, de la même façon dont les gens respectent l’argent. Rien de cela n’est compatible avec la voix de l’Anarchie qui est négation vivante.
L’attaque de ce bastion ultime qu’est la personne individuelle est difficile, car son Je aimerait être présent dans la révolution, aimerait que le monde changé à l’envers fut le sien, qu’il soit en lui. Cela ne peut être, l’individu personnel n’entre pas au paradis même quand ce sont de braves gens. Partout il y a de braves gens, y compris dans la société du bien-être, braves gens généreux, ingénieux, même pour supporter les impositions sans se briser. Quand on parle de braves gens, on feint (l’intérêt de cette locution c’est que ce n’est plus l’individu quelconque) de laisser parler à travers eux le peuple, le commun, à travers l’un et contre l’un, même contre l’ennemi fondamental qui relève du même. Mais l’un, en tant que personne, est constitué pour servir, est identique au pouvoir, un collaborateur indispensable au pouvoir, à la fin comme le disait Shakespeare : « si ce n’est qu’on nous impose cette loi mauvaise, tout homme est mauvais et son mal en lui est le Roi. » C’est bien cela l’institution pour la personne individuelle, ce roi est son mal, sa famille, ses intérêts privés, ce roi de suprématie est le servant et le collaborateur du pouvoir, c’est avec lui que se forment les masses d’individus.
Pourtant ne pas se laisser tromper par ces spéculations qui opposent l’individu à la masse, celle-ci étant composée d’individus et de rien d’autre. L’un, en tant qu’il est être réel, c’est l’idée de soi-même, figée sur la carte d’identité, avec sa figure et ses empreintes digitales, au service de cette idée de moi-même. Idée qui développe un type d’égoïsme a sensuel, égoïsme qui ne peut pas chercher plus qu’idéaux, êtres abstraits, c'est-à-dire l’Argent, le Mariage, la Gloire éternelle. On comprend qu’Epicure tenta d’y opposer un égoïsme sensuel, une résurrection des sens. Connaître l’un, en tant qu’untel, est tuer ce qu’il y a de bon en lui, de peuple en lui. Contre cette méconnaissance de moi-même surgit Freud, procédant à la dissolution de l’âme, découvrant le mensonge de cet individu personnel. De même, la grammaire enseigne ce qu’il y a de commun, de raison commune quand l’un, le moi, parle selon un langage et une raison qui n’appartiennent à personne et que personne ne commande.
Le non-respect de l’individu-Roi entraînerait -il en conséquence le non-respect de sa vie privée ? C’est maintien de la tyrannie du Roi (d’Espagne) quand toute sa vie privée, ses gestes, ses pas, se font politiques. Alors supprimer l’être personnel, l’idéal, l’individuel, c’est la découverte du commun, il n’y a d’autre découverte du commun que cette négation. L’un, le moi, ne fait pas la révolution, cette découverte passe par la négation de moi-même. Le peuple, vu qu’il n’existe pas, ne peut mourir et c’est pourquoi il n’y a jamais urgence pour la Révolution. Cela ne veut pas dire que chacun puisse se perdre dans des impasses que la critique énoncerait comme pièges de l’ennemi, impasse comme celle de conserver des pesanteurs comme l’âme…
Dans son actualisation réflexive sur par exemple le concept d’utopie que charrie l’idée de Révolution violente, c'est-à-dire du changement radical de tout et tout de suite, on peut connaître ce qu’en pensent certains compagnons réunis à Barcelone en automne 93.
Le titre approprié au fil rouge (et noir) de notre étude était : « l’Anarchie, une utopie pour le XXI e siècle. »
Introduction : par G. Jacas qui rappelle l’idée de l’imagination au pouvoir. Mais les idéaux utopistes sont vite délaissés pour des thèmes plus possibilistes, à cause de la tyrannie de la Raison contre espace imaginaire où se meut l’Utopie, souvent apanage de la jeunesse. Créativité donc, ou projection vers le futur comme embellissement contre la désespérance. Fonction critique, également, dans la prospective.
Luce Fabbri : au temps des guerres du 20ème siècle (d’Espagne et mondiale) l’utopie est devenue un élément de l’histoire. Ses références sont des couples antithétiques : pouvoir – anti-pouvoir ; centre – périphérie ; vertical-horizontal. Les pratiques des utopies politiques autoritaires se distinguent de celles de libertaires :
1- en l’usure de leur moyen, le pouvoir s’appuyant sur le mensonge, qui se change en fin. Les expériences libertaires de 36 en Espagne montrent de grandes possibilités, leur versant négatif étant une mystique du paradis social après quoi il n’y aurait plus rien à faire.
2- En le fait que si le centre autoritaire crée et maintient de l’ordre, il peut exister un contrordre créé d’en bas par association, ordre organique.
La société libertaire est société de normes émergeant de la collaboration spontanée de ceux qui vivent la langue, en changement perpétuel et sans nécessité de centre, pourtant ordre par rapport au chaos primitif en tant que classification des choses et des idées.
Cependant, le capitalisme est un fait historique, c'est-à-dire l’ascension d’une classe sociale à l’intérieur d’une nation qui s’est enrichie pour prendre le pouvoir et le garder. Ses formes actuelles sont les multinationales agissant sur le monde. Il est aussi un fait que dans ce monde – malgré le gigantisme des moyens de Production- la faim augmente en même temps que se détruisent des excédents pour optimiser la rentabilité.
Dans ces conditions, la solidarité, l’entraide, est la réponse spontanée, élément d’un futur socialisme libre. Mais les théoriciens du 19ème siècle de ce socialisme ne pouvaient imaginer la situation actuelle, d’où l’idée de Révolution sera très différente de la leur après Hiroshima et l’Informatisation-Communication des pays riches. Ceci oblige la Révolution à être sur d’autres terrains et employer d’autres armes. Par exemple, si elle est capable d’assurer la continuité de la vie quotidienne en période de bouleversement. Si elle détourne les moyens de communication en les faisant moyens d’articulation de petites unités productives, entre elles, avec de grandes entreprises ; en les utilisant pour une assistance médicale généralisée ou pour une éducation à distance. Si elle emploie ses mêmes moyens, ceux de la télé interactive, pour augmenter le rayon d’action de l’individu qui pourra commander sa nourriture, faire ses achats, contrôler ses comptes bancaires, ou être consulté sur les décisions à prendre ensemble.
Ceci ne pouvant se produire qu’après rupture de tous les monopoles dans un processus généralisé d’Autogestion culturelle. Dans cet ordre d’idée, il est vital de préserver aujourd’hui les autonomies existantes, comme celle des universités, de la minorité de décideurs qui contrôle l’ensemble de la vie sociale. Chaque acte antiautoritaire diminue partiellement le pouvoir économique et politique : on pourrait donc favoriser la naissance de réseau capillaire.
Aujourd’hui, le Capitalisme n’a plus besoin de masses de travailleurs et son évolution entraîne des catastrophes écologiques, des luttes pour un croûton, des phénomènes de xénophobie et de fondamentalisme religieux, etc. Si nous gardons foi en la Solidarité, et n’oublions pas notre expérience de la Liberté, alors la sereine espérance sera là pour affronter les défis du siècle prochain…
C. Ferrer : ce thème de l’utopie provoque chez les anarchistes une migraine chronique. Comment procéder pour que de plus en plus de personnes partagent et défendent l’idéal acrate ? Sauf si, par magie, nous pouvions élever le taux de fertilité des anarchistes et que nos descendants en mutant transmettent la peste noire à nos ennemis. Encore que ceci suppose qu’être rejeton de libertaire soit une expérience hautement recommandable, alors que supporter un père bakouniniste soit une tare improbable.
Mary Shelley, avec le Dr Frankenstein, nous a formellement déconseillé le laboratoire social avec lequel, à coup d’ingrédients comme telle conduite, telle valeur, tel mode organisationnel, on pourrait fabriquer le parfait petit anar.
De même, quand nous employons notre rhétorique persuasive : « chère voisine, nous autres anars prétendons à un monde sans prisons, sans Dieu, sans Capitalisme, sans police, sans frontières, sans Etat et nous vous demandons pour cela votre collaboration complètement désintéressée. »
Conclusion : on comprend que presque toute la population considère l’anarchie comme idéal impossible.
Tragédie politique acrate : laquelle n’a sa chance que dans les conjonctures de crise politique, économique, et d’intense mal-être culturel. Alors une grande partie de la population réclame la transformation de sa mort quotidienne (travail et résignation) en jeu et fête. Le 19ème siècle nous a légué 3 philos de vie : - un idéal de conscience réflexive où l’espace public délibératif ferait l’amélioration sociale. – un idéal romantique, basé sur les valeurs de l’émotion, de l’art, de la culture, voire du ciel protecteur. Son alternative est la philo de la volonté, c'est-à-dire de fomenter en chacun la vitalité émotionnelle pour qu’il puisse fonder sa singularité dans une communauté égalitaire, se mutinant contre le type de vie bourgeois avec ses promesses de bonheur toujours inaccomplies, au moyen du travail, de l’épargne et de la famille.
Quel est donc l’origine de l’être acrate dans nos vies personnelles ?
La réponse à cette énigme serait le porte-voix efficace pour diffuser nos idées.
Force et faiblesse de l’anarchisme : l’irréductibilité à cette vie bourgeoise, l’impossibilité de s’intégrer à la vie conformiste, d’où notre intransigeance politique et vitale. Nos théories et pratiques sont irrécupérables par les institutions, ce qui est garantie de notre espoir social mais en même temps condition malheureuse de notre mouvement politique. Paradoxe du pendule de l’anarchisme oscillant entre moment irrationnel et moment réflexif, paradoxe de ses essais ardus et avortés souvent d’organisation et sa survie fragmentaire.
Problème politique libertaire : nous avons raison trop tôt et les personnes sensées du commun sont comme paralysées devant cet excès de vérité, car elles y répondent selon un mécanisme de défense par le déni de leur propre servitude.
Dilemme politique anarchiste : différend des partis politiques qui ne recherchent qu’une majorité clientéliste, alors qu’il est altérité de la hiérarchie. D’où cette règle de stratégie pour le petit nombre de militants de la sensibilité et de la mentalité libertaires : ne pas les enseigner par la pédagogie mais par la contagion.
Objectif de l’anarchisme : mettre en évidence les ombres, les secrets de la domination cachés dans les institutions. Nous accepter comme une minorité influente sur un cercle de sympathisants. Problème difficile : sur quelle substance sociale décharger la critique, sur quelles valeurs, avec quel langage ?
Accepter nos contradictions. Alors que le 20ème s se termine sur une sourde crise spirituelle, peut-être qu’une part de la population se lassera de la vie banale, résignée, crédule ; alors anarchisme = antipode spirituel de la société.
Force politique de l’Idée libertaire : c’est l’effort de détruire le principe de réalité, vertige quand il devient rage aveugle. mieux vaut injecter de fortes doses d’esprit ludique et transmettre joie, plaisir, bonne humeur, aide désintéressée, éclats de rire brisant tout moralisme. Ce style de vie se distingue de la morale sordide de camp de concentration urbain de notre époque. Quand nous sentons chez l’autre que la cause de sa souffrance est injuste et tragique, nous devrions établir le contact, instaurant ainsi une communauté instantanée. C’est une manière de répandre le rêve anar sur le territoire, car le rêve est une liberté étrange qui pourtant nous habite tous. Anar = créateur de rêves dessinant un horizon prometteur.
Donc minimum de l’action militante = conter la nocturne fantaisie d’un autre monde.
Maximum de cette action : que ce conte soit rêvé collectivement grâce à notre imagination politique, grâce à notre pouvoir d’évoquer des rêves chaque nuit plus beaux dans l’imagination politique collective…
I. Escudero : dans utopie et 21ème s, il y a contradiction dans les termes car utopie équivalent d’uchronie, l’espace imaginé n’étant qu’altération du temps. Utopie et futur entraîne l’observation de l’endormissement de nos utopies sentimentales où, au sens poétique, est vraie la phrase : « je me souviens que je mourrai à Paris un soir de pluie. »
Qu’est-ce alors que la Réalité qu’on nous vend ? L’état des choses qui, avant, est choses de l’Etat dont la moelle est l’Argent, au moins dans les pays développés. La valeur d’usage a évolué en valeur d’échange qui s’est changée en valeur de crédit. Soit l’argent c’est du temps, idéal monothéiste qui n’admet d’autre représentant que son Idée. Pour Freud, l’argent c’est de la merde. Pour notre sauvetage, l’Argent spiritualisé est incorporé dans la signature personnelle dans la forme des cartes de crédit. L’Argent majuscule bat des ailes dans les hautes sphères de l’économie et de la politique, soit du Capital et de l’Etat. Argent idéal, tel le roi Midas, touche l’esprit des hommes et le convertit en argent, en valeur.
Or, la société du bien-être se situe entre misère pour certains et insatisfaction permanente grâce au super néant publicitaire et la cathédrale d’inutilités qu’est l’hypermarché.
Crédibilité Image : ici et maintenant l’entrée dans le pouvoir se fait à travers l’image des mass media, c’est la création du personnage pour les masses par des experts en marketing. Cela génère en continu de nouveaux fantasmes, sans arrêt remplacés par d’autres, se dévaluant avec la même vitesse que se télévise l’Histoire. Une autre valeur de crédit, symbolique, passe par la Foi audiovisuelle, ou « croire ce qu’on voit. »
Propositions politiques : n’importe quel monde nouveau implique la dissolution de l’ici et maintenant, c'est-à-dire défaire l’étant, comme Pénélope défaisant la nuit son travail de tapisserie du jour. Que faire alors de l’énergie du subconscient nocturne ? User des matériaux du rêve retissés par le fil rationnel et redits dans le langage populaire en s’inspirant des traditions orales. Cela donnerait un « moi lyrique », populaire, anarchiste, de tous et de personne, parlant avec intelligence et vérité, à la place du « moi étatique, personnel, patriarcal, etc. Le rêveur vigilant est quelque chose de mieux que le rêvé. La raison des rêves est de nous libérer et de nous enlever la peur, celle, par exemple, de se rebeller, latente chez les gens par delà leurs intérêts particuliers et leurs sécurité personnelle.
Quoi d’autre ? S’attaquer au temps dans sa facette de Crédulité (en l’Histoire, au Futur, au Progrès), en résistance et labeur sans fin, sans horaire ni salaire. Défaire la tapisserie sans croire au lendemain (surtout quand il chante) vaincra le temps par sa propre substance, selon le dicton : à chaque jour suffit sa peine.
Défiance envers les Paradis à vendre (contre la fascination des jeunes africains et latino-américaines devant la Consommation et le <progrès technologique.)
Défiance envers Science et Médecine, pouvoir sur notre corps (féminin) capturé et exploré dans ses moindres recoins. Défiance envers les Gouvernements et les ministères de la Culture : l’investissement le plus rentable se fait aujourd’hui dans la culture.
Plainte, face à face avec le tyran, contre l’insupportable de chaque jour qu’il convient de parler, de dire que ceci n’est pas une vie ! Protester contre les inutilités qu’on nous vend. Plainte contre le coûteux amour intéressé que la Publicité porte aux femmes. Plainte contre le Marché qui nous vend le modèle de l’Idéal féminin, inatteignable, mais remplissant 2 fonctions : convertir la femme en Argent pur, créer la frustration féminine continue et en conséquence sa culpabilité de ne pouvoir atteindre l’idéal.
Quant à l’utopie de l’Imaginaire, il est évident qu’il est involontaire de construire un monde nouveau plus juste, plus fraternel, plus merveilleux, ce labeur faisant partie du puits sans fond des désirs.
Il ne faut que rester éveillés (comme Héraklite), pas seulement en état de veille, mais aussi en état de rêve. Que dans cet éveil tombe ce qui tombe, y compris le rêve lui-même !..
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Revenons maintenant à J. Maitron : « l’avenir dira si l’anarchisme, idéologie parmi d’autres qui sut parfois mieux que d’autres traduire cet esprit de révolte, fut de nos jours la plus apte à le comprendre et l’expliquer. »
Question d’une brûlante actualité à l’aube de ce 3ème millénaire !
Question à trancher si l’on veut qu’une théorie sociale du 19ème siècle puisse encore avoir quelques chances d’éclairer le devenir de l’humanité au 21ème siècle.
Et voila qu’enfin, comme à d’autres moments critiques de sa déjà longue histoire, des individus, des groupes, des sympathisants du mouvement libertaire appellent à l’unité par delà leurs appartenances.
Il était temps ! Il ne s’agit pas seulement d’occuper un vide dans le champ socio-politique, vide laissé par le reflux des organisations politiques et syndicales de gauche, voire de l’extrême – gauche. Il ne s’agit pas seulement de se mobiliser, avec l’énergie du désespoir, contre un capitalisme
triomphant à l’échelle du globe. Mais faut-il, à tout prix, trouver une forme d’union entre nous si nous voulons être simplement d’abord perçus, puis crédibles devant cette part de la population qui n’attend qu’un détonateur pour se mettre en marche vers un autre futur.
Voilà très (trop) succinctement posés les enjeux majeurs.
Nous sommes donc contraints, pour nous et pour les autres, de montrer que nous sommes enfin capables de guérir une fois pour toutes de la maladie infantile de l’anarchisme, laquelle a été l’inaptitude totale à s’organiser pour promouvoir son idéal de liberté.
C’est pourquoi nous pensons que la contribution locale des personnes pourrait s’envisager ainsi :
-Un travail d’étude de cette compilation historique qui reprend les grandes phases du mouvement, et ceci pour que les jeunes militants, éventuellement, reprennent contact avec leurs racines ; les militants aguerris se rafraîchissant la mémoire, chose toujours utile pour faire le point. Il serait bon, ne serait-ce que pour ne pas reproduire les errements du passé, de faire une investigation serrée des causes (rationnelles ou pas, apparentes ou pas) qui ont mené le mouvement anarchiste dans son impasse actuelle.
- Un débat, au niveau local en premier, pour se mettre d’accord sur une forme d’union en dehors des organisations existantes, mais susceptible à la fois de respecter l’autonomie de chacun et de valoriser l’efficacité de l’action en commun.
Selon le résultat, et seulement alors, nous pourrions penser à passer au niveau supérieur qui pourrait consister à proposer des regroupements plus larges, par exemple régionaux, ou mieux…
C’est dire que nous pensons à une véritable régénération du mouvement libertaire, au sens où il devrait recommencer sa structuration sur une base locale, comme à ses débuts, en prenant bien garde de ne pas se couper de son environnement social.
Ceci ne préjugeant en rien que ce débat soit répercuté à un niveau national par l’entremise d’Internet, si notre sentiment de nécessité était partagé par d’autres groupes…