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Le Grand soir : "A travers cet ouvrage, Annie Collovald a voulu déconstruire et remettre en cause le terme de « populisme » qui sert aujourd’hui d’explication au succès électoral du Front national. L’auteure retrace l’histoire de ce mot et les raisons de son utilisation récente en science politique pour qualifier le Front national.
C’est Pierre-André Taguieff qui importe le concept des Etats-unis dans les années 1980, issu des débats sur la Nouvelle droite américaine, pour l’appliquer au FN. Ce sont ensuite des historiens du temps présent qui s’emparent de ce mot. Car, lorsqu’apparaît le FN sur le devant de la scène électorale en 1984, on parle d’extrême droite, de fascime, mais pas de populisme. Or ces historiens défendent l’idée que le fascisme n’a jamais existé en France, même dans les années 1930. Ils ont donc voulu démontrer qu’avec le FN on n’aurait pas du tout affaire à du fascisme, mais à du populisme, avec Boulanger et Poujade comme principaux ancêtres de Jean-Marie Le Pen. « Or ce sont des leaders ratés qui ne sont restés en politique que deux ou trois ans ; c’est donc une manière de rassurer, de dire que les précédents du FN n’ont pas réussi à s’implanter. Bien sûr, il vont être démenti dans le cours du temps mais ça ne va pas les empêcher de continuer de dire que le FN c’est du populisme » [2].
Puis, c’est une partie de la science politique, celle dont l’objet d’étude porte sur les élections, qui va s’emparer du terme : « le FN c’est du populisme, la preuve c’est qu’il rassemble très majoritairement les classes populaires » [3]. Enfin, au cours des années 1990, « le terme va s’imposer et devenir l’explication classique et dominante de ce qu’est le Front national » [4].
La définition actuelle du « populisme » est « une “ solution autoritaire ” via le pouvoir charismatique d’un leader et son “ appel au peuple ”, le tout s’accomplissant par delà toutes les médiations établies et contre les élites en place » (p. 46). Or « avant le FN, le terme existait, dans les années 1970, dans trois secteurs d’interprétation politique :
1. la sociologie des intellectuels et de la culture,
2. une science politique s’intéressant aux pays du tiers monde en voie de libération,
3. au sein de l’extrême gauche qui reprenait à son compte la définition de Lénine contre les populistes. Ce qui est intéressant à voir, c’est qu’à ce moment-là le populisme, s’il accuse, s’il stigmatise, stigmatise non pas le peuple mais les élites, intellectuelles et politiques. C’est à dire que les populistes auraient été ceux qui manipuleraient les images, les intérêts du peuple contre le peuple. Donc, dans le cours du temps, ils s’est opérée une inversion de la signification du mot populisme puisque maintenant on n’évoque jamais les élites intellectuelles et politiques, mais le peuple ». Il s’est en effet produit un déclin des partis censés représenter les classes populaires, une transformation politique, à gauche, dans le discours mais aussi dans le recrutement. « Avec le populisme, les classes populaires ne sont plus une cause à défendre mais un problème à résoudre » [5].
Un autre problème de taille avec ce terme de « populisme » est qu’il euphémise l’injure, le terme est beaucoup moins stigmatisant que « fascisme » ou « extrême droite ». A tel point que le FN ne se gène pas pour se réapproprier le terme et se dire fièrement un parti « populiste ». Ce mot change également le regard porté sur le FN. En effet, dans les années 1980, on s’intéressait à Le Pen mais aussi à son équipe (Stirbois et d’autres) et à ses militants. « Avec le populisme, la focale change, on s’intéresse juste à Jean-Marie Le Pen et à ses électeurs » [6]. « Populisme » est un terme qui, à la fois, classe le FN et donne une interprétation des raisons de son succès. De plus, « [une formulation abstraite du populisme] “ désidéologise ” le populisme au moment même où le FN connaît une forte radicalisation idéologique donnant à voir dans une version de son programme rédigée par B. Mégret en 1996 une conception de la Nation focalisée sur le sang et l’ethnie (ce dont la direction frontiste s’était toujours défendue officiellement de partager), revendiquant des auteurs comme Julius Evola, notamment son ouvrage Le Fascisme vu de droite. Elle se substitue au label d’extrême droite au moment où, plus qu’en 1981, le FN rassemble tous les mouvements d’extrême droite en France (même les anciens réfractaires comme Nouvelle Résistance, le Parti national républicain, etc., se sont ralliés). Elle dirige l’attention vers les groupes populaires alors que s’intensifient les stratégies en direction des élites politiques et intellectuelles, que ce soit grâce aux différents postes électifs occupés au niveau municipal, cantonal, régional et européen ou par la mise en place de réseaux de relations par clubs de pensée interposés (songeons au Club de l’Horloge). Elle insiste sur la démagogie (les liens directs entre le leader et ses “ supporters ”) alors que s’amplifie un travail d’implantation systématique dans des catégories professionnelles ciblées (police, transport, santé) et sous la forme de clubs ou de syndicats. Non seulement le “ populisme ” efface les pratiques et les stratégies politiques que le FN adopte, mais il offre à celui-ci une identité bien plus respectable dans le discrédit que le label de fascisme ou d’extrême droite qui le qualifiait précédemment. En effet, en insistant sur la diabolisation dont serait l’objet le FN quand des mobilisations s’effectuent contre lui au nom de son fascisme ou de son racisme, est occultée la considérable euphémisation que connaît l’identité politique prêtée au FN quand il est rangé parmi les “ populismes ” et non plus classé parmi les extrêmes droites ou les fascismes. Euphémisation qui se double d’une légitimation inattendue lorsqu’il devient le “ parti anti-partis ”, celui qui répondrait mieux que les autres à la “ demande d’autorité ” formulée par le “ peuple ”. » (pp. 112-113)
Un autre point important décrypté par Annie Collovald est la question de la fabrication des sondages ainsi que l’analyse des scores électoraux du FN. Les analyses électorales, si elles n’emploient pas toutes le terme de « populisme », en réemploient les présupposés (un mouvement de mécontents qui protestent face à la crise sociale, le « vote protestataire »). Ce seraient donc les classes populaires qui votent FN et ce vote est compris comme une adhésion aux thèses du FN. Bien entendu, il ne s’agit pas pour Annie Collovald de dire que les classes populaires ne votent pas pour le FN, mais elles ne sont pas les seules et pas autant qu’on le dit. Si l’on prend l’exemple des analyses de la présidentielles de 2002, plusieurs problèmes se posent. Ces analyses ont notamment exprimé un fort racisme social (« les largués, les paumés, les incultes, les ignarres »...) et même de la part des savants, « les jugements sociaux l’ont emporté sur l’analyse sociologique de ce qui s’était produit » [7]. Ainsi, des sondages sortis des urnes affirmaient : « 31 ou 33% des ouvriers auraient voté FN avec l’équation les sans-diplôme, les sans-revenu ont une propension à voter FN. A l’inverse, l’intelligence, la culture, les diplômes protègent d’un vote FN ; jugements normatifs violents comme si l’intelligence, la culture nous protégeait d’une adhésion idéologique à un parti politique ! » [8]
Si l’on prend les derniers résultats avancés, toujours pour 2002, sur les votants, 23% d’ouvriers ont voté pour le FN, mais aussi 22% des agriculteurs, 22% des artisans, petits commerçants et environ 20% des professions libérales et cadres suppérieurs. Or les analyses affirment que le FN est le premier parti ouvrier en France. On voit bien qu’on a affaire à un électorat hétérogène, alors pourquoi se focaliser sur les ouvriers plutôt que sur les petits patrons ? D’autre part ces chiffres n’englobent jamais ceux de l’abstention or c’est bien l’abstention qui est le premier « parti ouvrier de France ».
Quant aux sondages ils posent eux-aussi toute une série de questions concernant leur fiabilité. La principale est que le sondage porte sur des déclarations et non sur des pratiques effectives, comme si l’on disait ce qu’on fait et qu’on faisait ce qu’on dit... Ou encore, que dire des catégories sociales choisies, dans les sondages comme dans les analyses électorales : « Que représente exactement la catégorie d’ouvriers quand les différents groupes qui la composent ne se sont jamais répartis de façon identique selon les goûts, les attitudes et les comportements électoraux ? Quand tout sépare les contremaîtres (moins dominés que les autres dans leur travail et leur vie quotidienne, plus qualifiés et votant plus à droite) des ouvriers qualifiés, des ouvriers spécialisés, des manœuvres (votant plus à gauche) ? Quand ces différents sous-groupes se subdivisent encore selon les entreprises où ils sont employés, le type de métier qui est le leur, leur statut et leurs revenus ? Non seulement le rapport au travail n’est pas le même et varie selon la profession et selon les conditions d’exercice de la profession mais le type de diplôme et la valeur de celui-ci changent également. » (pp. 122-123) A travers ce travail rigoureux, Annie Collovald rappelle combien sont dangereux les jugements à l’emporte-pièce et les notions vides de sens, d’autant plus quand il s’agit du FN. Un livre complexe, indispensable à tous les antifascistes.
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