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Lu sur Bellaciao : "Le jeune marine américain est ravi. « c’est le rêve de tous les francs-tireurs », dit-il à un journaliste du Los Angeles Times à la périphérie de Fallujah. « Tu peux aller partout et il y a plusieurs façons de tirer à un ennemi sans qu’il s’aperçoive d’où tu es ». « Parfois je blesse un type et je le laisse crier un peu pour abattre le moral de ses camarades. Ensuite je tire une deuxième fois ». « Tuer un ennemi » explique-t-il, « te donne une décharge d’adrénaline incroyable ». Il se vante d’avoir fait « 24 victimes confirmées » dans la phase initiale de l’attaque brutale des Usa à la ville rebelle de 300 mille habitants.
Face à une résistance populaire et obstinée qui rappelle la défense de Hue par les Vietcong en 1968, les marines ont déchaîné à nouveau une terreur sans discrimination. Selon les journalistes indépendants et le personnel médical, ils ont massacré au moins deux cents femmes et enfants dans les deux premières semaines de combat.
Dans la bataille de Fallujah, comme dans les conflits qui sont en train de se dérouler dans les villes chiites et dans les quartiers pauvres de Bagdad, l’enjeu est élevé : non seulement la politique états-unienne en Irak, mais aussi la capacité de Washington de dominer ce que les stratèges du Pentagone appellent « le champ de bataille du futur » : les villes du Tiers monde.
Le défaite de Mogadiscio en 1993, quand les milices locales descendirent 60% des Army Rangers, a contraint les stratèges américains à repenser ce qu’en « pentagonien » est connu sous le nom de Mout « Militarized Operations on Urbanized Terrain », c’est-à-dire des opérations militaires sur des territoires urbains. Une relation du National Defense Panel de décembre 1997 a accusé l’armée de n’être pas préparée face à des combats prolongés dans les quartiers labyrinthiques, presque impénétrables, des villes les plus pauvres du Tiers Monde.
Par conséquent, les quatre forces armées, coordonnées par le Joint Staff Urban Working Group, ont mis au point un programme intensif pour acquérir les compétences nécessaires aux combats de rues dans des conditions réalistes semblables à celles du tiers monde. « Le futur de la guerre », a déclaré le journal de l’Army War College, « est dans les rues, dans les égouts, dans les palais et les quartiers dont sont faites les villes disloquées du monde entier ».
Ainsi des consultants israéliens ont été invités en secret pour apprendre aux marine, aux ranger et aux navy seal les tactiques les plus avancées – surtout la coordination sophistiquée entre les francs-tireurs et les équipes de démolition avec des chars et des énormes forces aériennes – utilisées sans pitié par les forces de défense israéliennes à Gaza et en Cisjordanie.
Des paysages urbains artificiels ont été construits (équipés de « fumée et de systèmes sonores ») pour simuler des conditions de combats dans des quartiers surpeuplés de villes comme Bagdad ou Port-au-Prince. L’Urban Warfighting Laboratory des marines a aussi simulé des jeux de guerre réalistes (« Urban Warrior ») à Oakland et a Chicago, tandis que le commandement pour les opérations spéciales de l’armée a « envahi » Pittsburgh.
De nombreux marines aujourd’hui à Fallujah ont pris part à ces exercices de Urban Warrior, de même qu’à des simulations de combat à « Yodaville » (le centre d’entraînement urbain de Yuma, Arizona), tandis que quelques unités de l’armée qui entourent Najaf et la bidonville de Sadr City à Bagdad sont des anciens élèves du nouveau simulateur Mout de Fort Polk, Louisiana, qui a coûté 34 millions de dollars.
Cette « israélisation » tactique de la doctrine de combat états-unienne a été accompagnée par une « sharonisation » de la vision du Pentagone. Les stratèges militaires sont engagés maintenant à imaginer comment la guerre à haute intensité technologique, qui évolue sans cesse, peut arriver à contenir, sinon à détruire, les insurrections chroniques des « terroristes » qui ont leurs racines dans le désespoir des bidonvilles qui poussent à perte de vue.
Pour développer le cadre géopolitique où situer la nouvelle guerre urbaine, les planificateurs se sont adressés dans les années 90 à la Rand Corporation : l’alma mater du docteur Strangelove.
Rand, un think-tank no profit fondé par l’aviation en 1948, est connue pour avoir simulé dans les années 50 un conflit nucléaire et pour avoir aidé à planifier la guerre du Vietnam dans les années 60. Aujourd’hui Rand « fait » les villes à grande échelle. Ses chercheurs analysent les statistiques sur le crime urbain, les conditions de santé dans les villes et la privatisation de l’instruction publique ; ils gèrent aussi l’Arroyo Center de l’armée, qui a publié récemment un collection d’études sur le contexte et les dynamiques de la guerre urbaine.
Un des plus importants projets de Rand, démarré au début des années 90, est une étude d’envergure sur « comment les changements démographiques vont influencer les conflits futurs » . L’idée de base, soutient la Rand, est que l’urbanisation de la pauvreté mondiale a produit « l’urbanisation des insurrections » (le titre de leur relation).
« Les insurgés suivent leurs poursuivants dans les villes », dit la Rand, « en créant des ‘zones libérées’ dans les bidonvilles. La doctrine américaine, l’entraînement et l’équipement des soldats ne sont pas adaptés aux actions de contrôle de la guérilla urbaine ». Par conséquent, le bidonville est devenu le maillon faible de l’empire américain.
Les chercheurs de la Rand réfléchissent sur l’exemple du El Salvador, où les militaires locaux, malgré le soutien massif des Etats-Unis, n’ont pas été capables d’empêcher aux guérilleros du Flnfm d’ouvrir un front urbain. Ou mieux, « si les rebelles du Front de libération nationale Farabundo Marti avaient agi efficacement dans les villes dès le début de l’insurrection, on ne sait pas bien jusqu’à quel point les Etats-Unis seraient arrivés à maintenir la situation d’équilibre qui s’était créée entre le gouvernement et les rebelles ».
Plus récemment, un important théoricien de l’aviation a exprimé des préoccupations semblables sur l’Aerospace Power Journal. « L’urbanisation rapide des pays en voie de développement », écrit le capitaine Troy Thomas dans le numéro du printemps 2002, « se traduit en un milieu de bataille de plus en plus difficile à comprendre parce qu’il est de moins en moins planifié ».
Thomas fait la comparaison entre les centres urbains modernes, « hiérarchiques », dont les structures centralisées peuvent être facilement paralysées par les attaques aériennes (Belgrade) ou par des attaques terroristes (Manhattan), et les bidonvilles des périphéries du Tiers monde, qui grandissent sans cesse, organisés en « sous-systèmes informels, décentralisés », où il n’y a pas de schémas et où les points dont se servir comme levier ne sont pas facilement repérables ». En prenant comme exemple « la mer de misère humaine » qui entoure la ville de Karachi au Pakistan, Thomas illustre le défi incroyable d’ « un combat asymétrique » sur des territoires urbains « dépourvus de nœuds, de hiérarchies », contre des milices « dont l’origine sont les clans » animées par le « désespoir et la faim ». Il cite les bidonvilles étendues de Lagos, Nigeria, et de Kinshasa, au Congo, comme d’ autres champs de bataille potentiels à cauchemar.
Toutefois le capitaine Thomas (dont l’article a un titre provocateur « Les seigneurs des bidonvilles : la puissance aérospatiale dans les combats urbains »), tout comme la Rand, est effrontément sûr que le Pentagone, en investissant massivement dans la technologie et dans l’entraînement Mout, peut vaincre toutes les difficultés du combat dans les bidonvilles. Un des « livres de recettes » de la Rand « Opérations aériennes en milieu urbain » fournit même un tableau utile pour calculer le seuil acceptable de « dommages collatéraux » (lire : enfants morts) à cause de certaines contraintes politiques et opérationnelles.
Naturellement les idéologues du gouvernement Bush ont décrit l’occupation de l’Irak comme un « laboratoire de démocratie » au Moyen Orient. Pour les cerveaux du Rand il s’agit d’un laboratoire de type différent, où les francs-tireurs de la marine et les pilotes de l’aviation expérimentent de nouvelles techniques homicides pour une nouvelle guerre mondiale contre les pauvres des villes.
Le dernier livre de Mike Davis est le roman pour enfants « Land of the lost Mammoths » (Perceval Press, 2003). Davis est aussi coauteur de « Under the Perfect Sun : the San Diego Tourists Never See (New Press, 2003).
Traduit de l’italien par karl et rosa
21.06.2004
Collectif Bellaciao
Commentaires :
Anonyme |
J’ai pensé qu’il serait pertinent de placer cet article-ci en parallèle du premier, toujours en relation avec le mécanisme du « modus operandi » connu de la volonté d’influence du Peint-a-gone, par le principe de la manipulation, du secret, et du jeu d’influence, par forceps au niveau des « décideurs confidentiels »...
« La règle, c’est « Chopez qui vous devez choper. Et faites-en ce que vous voulez ! » Lu sur : http://www.gwadaoka.org/guantanamo_article7.htm « La zone grise ou l’ordre secret de Rumsfeld » Par Seymour Hersch, The New Yorker, 24 mai 2004 Comment un programme secret du Pentagone a-t-il pu aboutir aux horreurs d’Abou Ghraïb ? Les prémisses du scandale de la prison d’Abou Ghraïb ne doivent pas être recherchées dans les inclinations criminelles de quelques réservistes américains, mais bien dans la décision, approuvée l’an dernier par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, de procéder à une opération top secret, axée au départ sur la chasse à Al-Qa’ida, et qui aboutit finalement à l (interrogatoire « musclé » de prisonniers en Irak. Cette décision de Rumsfeld avait froissé les milieux américains du renseignement, porté atteinte à l’efficacité des unités combattantes et obéré les perspectives de victoire de l’Amérique dans sa guerre contre le terrorisme. D’après des interviews de plusieurs responsables actuels et passés du renseignement américain, l’opération du Pentagone, connue dans le milieu du renseignement sous différents noms de code, dont Vert de Gris, consistait à encourager la coercition physique et les humiliations sexuelles à l’encontre de prisonniers irakiens, afin de générer plus d’informations au sujet de l’insurrection montante en Irak. Un haut responsable de la CIA, confirmant la semaine dernière ces témoignages, dans le détail, a indiqué que l’opération découlait du désir remontant loin dans le passé, chez Rumsfeld, de contrôler les activités clandestines et paramilitaires de l’Amérique, menées par la CIA. Rumsfeld, au cours de plusieurs auditions, la semaine passée, devant le Congrès, où il devait témoigner au sujet d’Abou Ghraïb, se voyait interdire par la loi de mentionner de manière explicite des informations top secrètes, au cours d’une session publique. Néanmoins, il réussit à donner l’impression qu’il disait au public tout ce qu’il savait sur cette histoire. Il a dit notamment : « Toute suggestion selon laquelle il n’y aurait pas une entière et profonde conscience de la gravité de ce qui s’est passé, et des dommages commis, ne pourrait être due, je pense, qu’à un malentendu ». Le haut responsable de la CIA mentionné plus haut, interrogé sur le témoignage de Rumsfeld et sur celui de Stephen Cambone, son sous-secrétaire au Renseignement, a répondu : « Apparemment, certains pensent qu’on peut embobiner n’importe qui ». L’histoire d’Abou Ghraïb a commencé, d’une certaine façon, quelques semaines seulement après les attentats du 11 septembre 2001, avec les bombardements américains en Afghanistan. Presque dès le début, la traque des membres d’Al-Qa’ida par l’administration américaine, dans la zone de combats, et sa chasse aux terroristes à l’échelle mondiale, se sont heurtées à des difficultés majeures au niveau du commandement et du contrôle. Ainsi, par exemple, les forces qui tenaient leur cible, à savoir Al-Qaïda, dans leur collimateur, devaient obtenir un feu vert légal avant de leur tirer dessus. Le 7 octobre, c’est-à-dire la nuit où les bombardements commencèrent, un avion sans pilote Predator détecta un convoi d’automobiles dont le renseignement américain pensait qu’il comportait le mollah Muhammad Omar, chef des Talibans. Un juriste, de garde au QG du Commandement central des Etats-Unis à Tampa (Floride), refusa d¹autoriser une frappe. Quand finalement la frappe fut autorisée, la cible était déjà hors d’atteinte. Rumsfeld sortit de ses gonds devant ce qu’il considéra représenter une hésitation autodestructrice à attaquer, due au politiquement correct. Un officier me l’a décrit, l’automne dernier, comme « donnant des coups de pied et fracassant des portes ». En Novembre, le Washington Post écrivit qu’à au moins dix reprises depuis le début du mois d’octobre, les pilotes de l’aviation américaine ont cru fortement qu’ils avaient les plus hauts responsables d’Al-Qaïda et des Talibans dans leur viseur, mais qu’ils n’avaient pu agir en temps voulu, en raison des complications légalistes. Le même genre de problème était constaté dans le monde entier, les unités des forces spéciales américaines contraintes à agir rapidement contre des cellules terroristes suspectes étant dans l’obligation d’obtenir le feu vert des ambassadeurs américains concernés et de référer à leurs supérieurs dans la chaîne du commandement. Rumsfeld réagit, à sa façon habituelle, c’est-à-dire très directement : il autorisa la mise au point d’un programme top secret, qu’il autorisa par avance, consistant à tuer ou à capturer et, si possible, interroger des cibles de « grande valeur » pour la guerre de l’administration Bush contre le terrorisme. Un « sap » (« special access program ») [c’est le niveau de sécurité le plus strict défini par le ministère de la Défense américain] fut mis sur pied, et on lui alloua un bureau, dans une partie sécurisée du Pentagone. Ce programme allait consister à recruter des agents et à acquérir le matériel nécessaire, dont des avions, et ses activités seraient maintenues strictement dissimulées. Les opérations de renseignement les plus brillantes de la guerre froide avaient été des « saps », notamment la destruction par des sous-marins de la marine américaine de câbles sous-marins utilisés par le haut commandement soviétique, et la construction du bombardier furtif. Tous ces programmes surnommés « noirs » avaient un point commun : le secrétaire à la Défense, ou son adjoint, devait, pour qu’ils soient lancés, avoir conclu que les niveaux de confidentialité, classiques en matière militaire, n’apportaient pas une sécurité suffisante. L’objectif de Rumsfeld était d’obtenir la capacité de prendre in loco et in tempore la décision de frapper une cible de haute importance (« un groupe en opération devait pouvoir frapper rapidement », a traduit pour moi un haut responsable du renseignement). Il rassembla toutes les agences concernées (la CIA et le NSA) afin d’obtenir l’autorisation préalable. Te casse pas la tête : tu dis le mot de passe, et tu y vas ! Le projet reçut l’approbation par-dessus le bureau, tant de Rumsfeld que de Condolezza Rice, conseillère en matière de sécurité nationale. Le président Bush fut informé de l’existence du programme, a rapporté l’ancien responsable du renseignement. Les personnes affectées au programme ont suivi les consignes à la lettre, m’a dit mon informateur. Ils ont créé des mots de passe, et ils ont recruté, après un examen serré, des commandos et des agents hautement formés issus des forces d’élite [Les marsouins de la Marine, la Delta Force de l’armée de terre et les experts paramilitaires de la CIA]. Ils ont aussi posé certaines questions fondamentales : « Les gens qui doivent régler le problème doivent-ils utiliser des faux noms ? Oui ! Avons-nous besoin de boîtes aux lettres désaffectées pour le courrier ? Oui ! Pas de traçabilité. Pas de budget. De plus, certains programmes confidentiels ne font jamais l’objet d’une reddition complète des comptes devant le Congrès. En théorie, l’opération permettait à l’administration Bush de réagir immédiatement à des renseignements à utiliser très rapidement : des commandos traversaient les frontières sans visas, et pouvaient interroger des terroristes considérés trop importants pour être transférés jusqu¹aux installations militaires de Guantanamo (Cuba). Ils procédaient à des interrogatoires immédiats (au besoin, en recourant à la coercition) dans des centres de détention secrets de la CIA disséminés dans le monde entier. Les renseignements obtenus seraient transmis au centre de commandement « sap » au Pentagone, en temps réel, et expurgés des informations critiques pour le monde « blanc », le monde de la non confidentialité. Un peu moins de deux cents opérationnels et responsables officiels, dont Rumsfeld et le général Richard Myers, président de la réunion des chefs d’état major, étaient « complètement au courant », a indiqué l’ancien responsable du renseignement. Le but était de garder secrète l’opération. « Nous n’allons pas permettre à plus de personnes que nécessaire d’accéder au cœur de notre obscurité », a-t-il ajouté. La règle, c’est « Chopez qui vous devez choper. Et faites-en ce que vous voulez ! » Un des responsables du Pentagone profondément impliqué dans le programme était un certain Stephen Cambone, qui avait été nommé sous-secrétaire à la Défense, chargé du renseignement, en mars 2003. Cette fonction était nouvelle ; elle avait été créée dans le cadre de la réorganisation du Pentagone voulue par Rumsfeld. Cambone était impopulaire auprès des bureaucrates du renseignement tant les civils que les militaires principalement parce qu’il avait peu d’expérience en matière de gestion des programmes de renseignement, même s’il avait servi, en 1998, en qualité de directeur du personnel d’un comité dirigé par Rumsfeld, qui avait sonné l’alarme au sujet de la menace émergente des missiles balistiques, pour les États-Unis. En revanche, il était connu pour sa proximité avec Rumsfeld. « Vous vous rappelez cette réplique, dans Henry II de Shakespeare : « Mais qui me débarrassera de ce prêtre qui fourre son nez partout ? », m’a demandé en plaisantant le haut responsable de la CIA, la semaine passée. « Quoi que Rumsfeld puisse dire de plus extravagant, Cambone fera toujours dix fois mieux ». Cambone était un chaud partisan de la guerre contre l’Irak. Il partageait le dédain affiché par Rumsfeld pour l’analyse et les estimations fournies par la CIA, qu’il considérait trop prudentes, et il se gaussait, comme Rumsfeld, là encore, de l’incapacité de la CIA, avant la guerre en Irak, d’affirmer sans appel que Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive. L’assistant militaire de Cambone, le lieutenant général William G. (Jerry) Boykin, était lui aussi un personnage controversé. L’automne dernier, il fit, à son grand dam, les gros titres de la presse après qu’il eut été rapporté qu’au cours d’un discours prononcé dans une église de l’Oregon, il avait mis le signe Œ= (égal) entre le monde musulman et Satan. Très rapidement, dans ses nouvelles fonctions, Cambone avait provoqué une philippique bureaucratique au sein du Pentagone, en ne démordant pas de son exigence qu’on lui confiât le contrôle des programmes d’accès réservé afférents à la guerre contre le terrorisme. Ces programmes, considérés par beaucoup de monde, au Pentagone, comme sacro-saints, étaient supervisés par Kenneth deGraffenreid, un homme de grande expérience dans le domaine des programmes de contre-espionnage. Cambone obtint ce qu’il voulait : le contrôle. En conséquence de quoi, de Graffenreid quitta le Pentagone. Un porte-parole du Pentagone de qui on avait sollicité un commentaire sur cette affaire avait déclaré : « Ne vous attendez pas à la moindre révélation sur un quelconque programme d’accès réservé ; sachez, toutefois, que le Dr. Cambone n’a assumé sa fonction de sous-secrétaire à la Défense chargé du renseignement qu’à partir du 7 mars 2003. Par conséquent, il n’a pris aucune part au processus de prise de décision en matière de procédures d’interrogatoire. Pas plus en Irak qu’ailleurs ». Au milieu de l’année 2003, le programme d’accès réservé du Pentagone fut considéré comme l’une des réussites (« success story ») de la guerre contre le terrorisme. « C’était un programme actif », m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « Il s’agissait, en l’occurrence, de la capacité la plus importante dont nous ayons disposé afin de faire face à une menace imminente. Si nous découvrons où se trouve Oussama Ben Laden, nous pouvons le choper. Et nous pouvons éliminer une menace existante, capable de porter un coup très réel aux États-Unis « et de le faire sans être vus ». Reste que certaines des méthodes propres à ce programme, problématiques et troublantes, ne pouvaient faire l’objet d’une évaluation serrée, aux fins d’autorisation. Nous étions déjà engagés dans la guerre en Irak. Le « sap » était engagé dans certaines missions en Irak, dit l’ex-CIA. La CIA et d’autres agents des forces secrètes américaines avaient constitué une équipe, dans le plus grand secret, pour traquer Saddam Hussein, et pour trouver sans succès les armes irakiennes de destruction massive. En revanche, elles furent incapables de stopper l’insurrection en train d’émerger. Durant les premiers mois après la chute de Bagdad, Rumsfeld et ses aides continuaient à avoir de l’insurrection une vue bornée. Ils y voyaient tout au plus l’œuvre de Baathistes « de la vingt-troisième heure », de gangs criminels et de terroristes étrangers adeptes d’Al-Qaïda. L’administration américaine estimait son succès, dans cette guerre, au nombre des personnages figurant sur sa liste des cinquante-cinq membres les plus recherchés de l’ancien régime (reproduits sur des cartes à jouer) capturés. Puis, en août 2003, des attentats terroristes à la bombe, perpétrés à Bagdad, frappèrent l’ambassade de Jordanie, tuant dix-neuf personnes, ainsi que le quartier général de l’ONU, coûtant la vie à vingt-deux personnes, dont Sergio Veira de Mello, chef de la mission onusienne en Irak. Le 25 août, soit moins d’une semaine après l’attentat contre la mission de l’ONU, Rumsfeld reconnut, dans une allocution prononcée devant les Vétérans des Guerres à l’Extérieur, que « les baathistes de la vingt-troisième heures étaient toujours là. » Il poursuivit, disant : « D’aucuns semblent surpris, aujourd’hui, qu’il y ait encore des poches de résistance en Irak, et ils suggèrent que cela représenterait un certain échec pour la Coalition. Mais il n’en est rien. » Rumsfeld compara les insurgés avec ces combattants convaincus qui « continuèrent à se battre tout au long et même, après la défaite du régime nazi, en Allemagne ». Quelques semaines plus tard (cinq mois après la chute de Bagdad), Rumsfeld déclara : « De mon point de vue, mieux vaut avoir maille à partir avec des terroristes en Irak, qu’aux Etats-Unis. » Au sein du Pentagone, on se rendait de plus en plus compte du fait que la guerre tournait mal. La direction militaire de plus en plus assiégée et déconcertée disait aux journalistes que les insurgés étaient une bande de cinq cents baathistes loyaux à Saddam, tout au plus. « Mais lorsque vous savez qu’ils sont organisés en fonction d’une structure cellulaire », déclara le général John Abizaid, chef du commandement central, « qu’ils ont beaucoup d’argent et de munitions, vous comprenez à quel point ils sont dangereux ». Les milieux américains de l’armée et du renseignement réussissaient fort peu à s’infiltrer au sein de l’insurrection. Un rapport interne, préparé à la demande de l’armée, et que j’ai pu me procurer, concluait que le « renseignement tant stratégique qu’opérationnel des insurgés est très efficace ». D’après ce rapport, toujours : « Leur capacité à attaquer des convois, ainsi que d’autres cibles et d’autres individus vulnérables résulte d’un effort de surveillance et de reconnaissance exigeant, de leur part. De l’information interne (à l’armée) a été transmise à des cellules d’insurgés quant à des mouvements de convois ou de troupes, et aussi au sujet des habitudes quotidiennes des Irakiens qui collaborent avec la coalition, les informations dans ce deuxième cas émanant du sein même des services irakiens de sécurité, et en particulier de la police irakienne, qui est extrêmement favorable aux insurgés, ou encore de ministère irakiens et de personnes pro-insurgés travaillant dans la « Zone verte » du « Conseil d’Administration Provisoire ». Le rapport concluait ainsi : « Politiquement, les États-Unis ont échoué, jusqu’à ce jour. Les insurrections peuvent être stoppées ou améliorées si l’on s’attaque à ce qui les a causées, au départ. Le désastre qu’est la reconstruction de l’Irak est la cause principale de l’insurrection. Il n’y a pas de gouvernement légitime, et il incombe à l’Autorité Provisoire de la Coalition d’assumer le fait, certes déplorable, mais indéniable, que la plupart des Irakiens ne voient pas dans le Conseil de Gouvernement (l’instance irakienne nommée par le SAP) une autorité légitime. De fait, ils savent bien que le véritable pouvoir est détenu par le SAP ». A l’automne, m’a dit un analyste de l’armée, l’étendue des erreurs d’appréciation des responsables tant politiques que militaires du Pentagone était claire pour tout le monde. Les « partisans de la vingt-troisième heure » de Rumsfeld n’étaient plus seulement quelques Baathistes, mais beaucoup de marginaux (des malfrats et des criminels qui se trouvaient parmi les dizaines de milliers de prisonniers que Saddam avait fait libérer, voici un an de cela, dans le cadre d’une amnistie générale préparatoire à la guerre. Leur désespoir n’était pas ce qui dirigeait l’insurrection ; il ne faisait que faciliter le recrutement de ceux qui étaient déjà désespérés. L’analyse m’a dit : « Nous avons tué, ou capturé, des types à qui on avait donné deux ou trois cents dollars afin qu’ils « arrosent et prient » [en anglais, jeu de mots sur « pray and spray », ndt], c’est-à-dire qu’on leur demandait de tirer à l’aveugle et d’espérer que la providence leur serait favorable. « Ce n’étaient pas réellement des insurgés, mais des déclassés, des paumés, qui étaient payés par des types opulents favorables à l’insurrection ». Dans bien des cas, les financeurs étaient des sunnites qui avaient appartenu au parti Baath. L’analyste me dit que les insurgés « ont mis trois ou quatre mois à chercher de quelle manière nous opérions afin de mettre au point leurs propres contre-mesures. Si cela exigeait qu’ils envoyassent un malheureux bonhomme attaquer un convoi, pour voir comment les troupes américaines répliquaient, pas de problème : ils le faisaient. » Puis, poursuivit l’analyste, « ce sont les cerveaux, parmi eux, qui sont entrés dans la danse. » Par contraste, d’après le rapport militaire, les forces américaines et coalisées connaissaient fort peu de choses au sujet des insurrection : « Le renseignement sociologique est inepte ou inexistant en raison de la rareté des compétences et de l’expertise. L’effort en matière de renseignement n’est pas coordonné, étant donné que soit, ce sont des groupes trop nombreux qui sont affectés au recueil du renseignement, soit la production finale n’arrive pas aux troupes en opération sur le terrain à temps ». C’est le succès, dans la guerre, qui était en cause : il fallait absolument faire quelque chose afin de redresser la dynamique enclenchée. La solution, endossée par Rumsfeld et prise en charge par Stephen Cambone, consistait à adopter la manière forte avec les Irakiens détenus dans le système carcéral de l’armée, et qu’on soupçonnait d’être des insurgés. Un acteur clé en la matière fut le major général Geoffrey Miller, commandant du centre de détention et d’interrogatoire de Guantanamo, qui avait été convoqué à Bagdad à la fin du mois d’août, afin d’évaluer les procédures d’interrogatoire dans les prisons. Le rapport interne à l’armée sur des accusations de mauvais traitements, rédigé en février par le major général Antonio Taguba, révéla que Miller avait exhorté les commandants de l’armée, à Bagdad, à changer de politique et à placer les prisons sous la responsabilité des services du renseignement militaire. Ce rapport citait Miller, recommandant que « les opérations de détention soient une préparation aux interrogatoires des prisonniers ». La conception que Miller avait des choses, telle qu’elle ressort d’auditions récentes au Sénat américain, consistait à « bidouiller » le système carcéral en Irak afin de le rendre plus centré sur l’interrogatoire. Il briefa également les commandants militaire, en Irak, sur les méthodes d’interrogatoire utilisées à Guantanamo (des méthodes qui pouvaient, avec approbation expresse, aller jusqu’à des privations de sommeil, à des expositions à des températures extrêmes, au placement des prisonniers dans des « postures stressantes » durant des laps de temps insupportablement longs. (L’administration Bush avait déclaré unilatéralement qu’Al-Qa’ida et les autres membres des réseaux terroristes internationaux étaient des combattants illégaux, et par conséquent non éligibles à la protection garantie par les Conventions de Genève). Rumsfeld et Cambone allèrent même encore plus loin : ils étendirent la portée du SAP, ce qui eut pour effet d’en introduire les méthodes non conventionnelles dans la prison d’Abou Ghraïb. Les commandos allaient opérer en Irak comme ils l’avaient fait en Afghanistan. Les prisonniers de sexe masculin pourraient être rudoyés, et exposés à des humiliations sexuelles. « Ils n’obtenaient pas d’infos substantielles de la part des détenus, en Irak », m’a expliqué l’ex-responsable du renseignement. « Aucun nom. Rien. Que dalle. Rien à quoi ils auraient pu accrocher leur chapeau. Cambone s’est dit : Y faut que je les fasse accoucher. J’en ai ma claque, moi, de bosser en respectant la chaîne de commandement réglementaire ! J’ai fait bricoler ce système, là, le « programme noir d’accès réservé », comme y disent, alors j’vais m’en servir, et même en rattrapant le temps perdu ! Alors le voilà qui tourne l’interrupteur. Et c’est comme ça que le courant a commencé à s’écouler à flots, l’été dernier. Et ça marche ! Nous obtenons une certaine idée de l’insurrection en Irak, et le renseignement commence à arriver dans le monde « blanc ». On obtient des tuyaux super. Mais nous avons un excédent de cibles (= de prisonniers dans les geôles irakiennes) : nous en avons à revendre bien plus que nous pouvons en « traiter .» Cambone prit alors une autre décision cruciale, m’a expliqué l’ex-espion : non seulement allait-il introduire les lois du « sap » dans les prisons ; il allait amener certains officiers du renseignement militaire à travailler à l’intérieur même des prisons irakiennes, sous la supervision du « sap ». « Alors, voilà que des soldats fondamentalement nickel (des types du renseignement militaire) s’entendent dire que plus aucune règle ne s’applique », a ajouté cet ancien responsable, qui a une connaissance très étendue des programmes d’accès réservé. En ce qui les concerne, il s’agit par conséquent d’une opération secrète, qui doit rester strictement confinée aux réseaux du Département (= ministère) de la Défense .» Les gardiens de prison de la police militaire, a-t-il poursuivi, comportaient « des ploucs recyclés du Cumberland ou du Maryland ». Il faisait allusion aux membres de la 372 ème compagnie de police militaire. Sept membres de cette compagnie sont aujourd’hui mis en examen pour leur participation aux mauvais traitements à Abou Ghraïb. « Comment ces types du Cumberland auraient-ils pu savoir quoi que ce soit ? Les réservistes ne savent absolument pas ce qui se passe .» Qui était responsable d’Abou Ghraïb ? Qu’il s’agisse de la police militaire ou du renseignement militaire n’était désormais plus la seule question qui importât. Des opérateurs spéciaux, dont certains se cachaient sous des surnoms, travaillaient dans cette prison. Les membres de la police militaire affectés à la garde des prisonniers portaient des uniformes, mais beaucoup d’autres officiers du renseignement militaire, interprètes de contrats, officiers de la CIA et les hommes du programme d’accès réservé (« sap ») étaient en civil. Savoir qui était qui n’avait rien d’évident, même pour la brigadier générale Janis Karpinski, qui commandait alors la 800ème brigade de la police militaire, et était l’officier prétendument responsable. « Je pensais que la plupart des civils, dans la prison, étaient des interprètes. Mais il y avait aussi des civils que je n’avais jamais vus », m’a dit Mme Karpinski. « Je les appelais « les fantômes disparus ». Je les avais vus une fois ou deux à Abou Ghraïb, et puis je les avais revus, plusieurs mois après. Ils étaient charmants et m’interpellaient à chaque fois en me disant : « Hey ! Vous vous souvenez de moi ? Comment allez-vous ? » Ces mystérieux civils, poursuivit-elle, « amenaient toujours quelqu’un à un interrogatoire, ou étaient toujours en train d’attendre quelqu’un qui allait être libéré ». Karpinski a ajouté qu’elle n’avait pas la moindre idée sur l’identité de ces gens qui opéraient dans le système carcéral dont elle avait la charge. (Le général Taguba a déterminé que les fautes de commandement commises par Karpinski ont contribué aux violations des droits de l’homme). L’automne venu, d’après l’ex-officier du renseignement, le haut commandement de la CIA en avait sa claque. « Ils ont dit : cela ne peut plus durer ! Nous avons approuvé le programme spécial en Afghanistan (officiellement pré approuvé pour des opérations contre des cibles terroristes particulièrement importantes), et maintenant, vous voulez l’utiliser contre des chauffeurs de taxis, des beaux-frères et des gens piqués dans la rue (c(est le genre de prisonniers, en effet, dont regorgent les prisons irakiennes) ». Les juristes de la CIA protestèrent, et l’agence mit un terme à son engagement spécial à Abou Ghraïb, a expliqué l’ex-responsable. Les plaintes de la CIA furent répercutées dans l’ensemble du milieu du renseignement. On redoutait que la situation à Abou Ghraïb ne conduisît à la révélation du programme secret d’accès réservé, ce qui aurait mis un terme à ce qui avait été, jusqu’à l¹intervention en Irak, une opération secrète d’une grande efficacité. « C’était stupide », m’a dit un consultant travaillant pour le gouvernement. « Vous prenez un programme qui fonctionnait bien dans le chaos afghan, contre Al-Qa’ida, qui est un groupe terroriste dépourvu de structure étatique, et vous le transposez dans une zone de guerre structurée, traditionnelle. Tôt ou tard, les commandos allaient se heurter aux procédures légales et morales propres à une guerre conventionnelle menée par une armée de cent trente-cinq mille hommes. » L’ancien responsable du renseignement mettait la responsabilité du désastre d’Abou Ghraïb au compte de l’hubris (de l’arrogance). « Rien de plus jubilatoire, pour un civil du Pentagone, que d’avoir à traiter d’un sujet important relatif à la sûreté nationale sans avoir affaire à des planificateurs militaires, qui sont toujours inquiets des risques », m’a-t-il dit. « Pourrait-il y avoir quelque chose de plus ennuyeux que la nécessité de coopérer avec des planificateurs logistiques ? » La seule difficulté, ajouta l’ancien responsable, tient à ce que « dès lors que vous élargissez un programme secret au-delà de la capacité de supervision d’une personne expérimentée, vous perdez le contrôle. Nous n’avions jamais été confrontés à un seul cas où un programme d’accès réservé (« sap ») aurait mal tourné (et il en allait ainsi depuis la (fin de la) guerre froide). Dans une interview totalement indépendante de la précédente, un consultant au Pentagone, qui a passé la plus grande partie de sa carrière en étant directement concerné par des programmes d’accès réservé (sap), a étendu la responsabilité. « C’est la Maison Blanche qui a sous-traité ceci au Pentagone, et le Pentagone l’a sous-traité à Cambone », a-t-il dit. « C’est l’affaire de Cambone. Néanmoins, Rumsfeld, et Myers ont approuvé le programme ». S’agissant des opérations d’interrogatoire à Abou Ghraïb, a-t-il expliqué, Rumsfeld laissait Cambone s’occuper des menus détails. Rumsfeld n’est peut-être pas personnellement coupable, a ajouté le consultant, mais il est responsable des vérifications et des évaluations. Le problème, c’est que, depuis le 11 septembre, nous avons changé les règlements sur la manière dont nous devons traiter le terrorisme, et nous avons créé des conditions dans lesquelles les fins justifient les moyens. » La semaine dernière, des déclarations faites par l’un des sept membres de la police militaire mis en examen, le spécialiste Jeremy Sivits, qui plaidera sans doute coupable, ont été rendues publiques. Dans ces déclarations, il affirmait que les hauts responsables de cette unité auraient mis un terme aux mauvais traitements, en eussent-ils eu connaissance. L’une des questions qui sera étudiée lors d’un procès s’il y a un jour procès est celle de savoir pourquoi un groupe de policiers militaires réservistes, dont la plupart sont natifs de petites villes, ont tourmenté leurs prisonniers comme ils l’ont fait, d’une manière particulièrement humiliante pour des hommes, en particulier des Irakiens ? La notion que des Arabes sont particulièrement vulnérables devant l’humiliation sexuelle était devenue un sujet de débat parmi les conservateurs de Washington favorables à la guerre, au cours des mois qui ont précédé l’invasion de l¹Irak, en mars 2003. Un ouvrage était fréquemment cité : The Arab Mind, L (Ame arabe, une étude de la culture et de la psyché arabes, éditée pour la première fois en 1973, de Raphaël Patai, un anthropologue de la culture qui a enseigné, entre autres universités, à Columbia et à Princeton, et qui est décédé en 1996. Ce livre comporte un chapitre de trente-cinq pages consacré au sujet « les Arabes et le sexe ». Le sexe y est décrit comme un tabou revêtu de honte et objet de répression. « La séparation des sexes, le voile des femmes et tous les menus détails qui régissent en les restreignant les contacts entre hommes et femmes, ont pour effet de faire du sexe une préoccupation mentale prépondérante, dans le monde arabe », écrivait Patai. Les pratiques homosexuelles, ou tout soupçon de penchant homosexuel, à l’instar d’ailleurs de toutes les autres expressions de la sexualité, ne sont jamais publiquement évoquées. Il s’agit là de questions strictement privées, qui doivent à n’importe quel prix demeurer telles. » L’ouvrage de Patai, m’a dit un universitaire, était en quelque sorte la Bible des néo conservateurs en matière de comportement sociologique des Arabes. Dans leurs conversations, m’a-t-il dit, deux pétitions de principe prenaient un relief particulier : primo : les Arabes ne comprennent que la force ; et secundo : la plus grande faiblesse des Arabes, c’est leur fragilité devant la honte et l’humiliation. Le consultant du gouvernement m’a dit qu’il y a peut-être eu un objectif sérieux, au départ, visé par l’humiliation sexuelle et les poses photographiques. On pensait que certains prisonniers feraient absolument tout (y compris espionner leurs associés) afin d’éviter la dissémination des photos honteuses qui auraient pu tomber entre les mains d’amis ou de membres de leur famille. Il ajouta : « On m’a dit que le but de ces photos était de créer une armée d’informateurs des gens que l’on aurait pu réinjecter dans la population ». L’idée, c’était qu’ils seraient motivés par la peur d’être dénoncés, et rassembler du renseignement sur des actes de rébellion en préparation, m’a dit le consultant. Dans ce cas, cela n’a pas marché : l¹insurrection a continué, comme si de rien n’était. « Cette saloperie mijotait depuis des mois », m’a dit le consultant du Pentagone chargé de ces « programmes spéciaux ». « On ne laisse pas des prisonniers, nus dans leur cellule, et on ne lâche pas les chiens sur eux. C’est dément ! ». Le consultant m’a expliqué que lui et ses collègues, dont tous avaient été en service actif dans l’armée, avaient été horrifiés par le mésusage des chiens de garde de l’armée dans la prison d’Abou Ghraïb. « Nous n’élevons pas des gosses pour qu’on leur fasse faire ce genre de saloperies. Quand on est après le Mollah Omar et encore : même là ? ! ? Mais lorsqu¹on donne le feu vert à des gamins qui ne connaissent pas le règlement, alors là, c¹est autre chose. » En 2003, le mépris apparent de Rumsfeld pour les Conventions de Genève tandis qu’il menait sa guerre contre le terrorisme avait amené un groupe d’anciens juristes militaires du grade d’officier, du Corps du Juge Avocat Général (jag), à effectuer deux visites surprises, en cinq mois, à Scott Horton, alors président de la Commission des Droits Internationaux de l’Homme de l’Association du Barreau de New York. « Ils souhaitaient que nous intentions un procès à l’administration Bush pour ses « standards particuliers » en matière de détention et d’interrogatoires », m’a rapporté Horton. « Ils nous ont exhorté à nous engager et à élever clairement la voix. Mais cela nous est tombé dessus, comme ça ! Le message était que les conditions étaient mûres pour qu’il y ait des exactions, et qu’elles n’allaient pas tarder à se produire ». Les responsables militaires étaient très inquiets au sujet du recours croissant à des sous-traitants civils pour mener les interrogatoires, se souvenait Horton. « Ils disaient qu’une atmosphère d’ambiguïté légale était en train d’être créée, résultant d’une décision politique aux plus hauts niveaux du Pentagone. Les officiers du « jag » étaient en train d’être court-circuités et évincés du processus de bonne gouvernance en la matière ». Ils lui ont dit qu’avec la guerre contre le terrorisme, c’étaient cinquante ans d’histoire d’application irréprochable des Conventions de Genève qui avaient pris fin. Les exactions perpétrées à Abou Ghraïb furent révélées le 13 janvier, lorsque Joseph Darby, un jeune soldat de la police militaire affecté à Abou Ghraïb fit état des anomalies qu’il avait constatées à la Division des Enquêtes Criminelles de l’Armée. Il lui avait remis, à la même occasion, un CD rempli de photographies numériques. Trois jours plus tard, un rapport était envoyé à Donald Rumsfeld, qui informa le président Bush. Pour le Pentagone, l’enquête représentait un dilemme. Il fallait autoriser la Division des Enquêtes Criminelles à poursuivre son enquête, me dit l’ancien responsable du renseignement. « Vous ne pouvez pas couvrir l’affaire. Vous devez poursuivre ces types pour avoir transgressé le secret. Mais comment pouvez-vous les poursuivre, dès lors qu’ils étaient couverts par le programme d’accès réservé ? Ainsi, vous continuiez à espérer que peut-être cela se passerait, comme ça, avec le temps. ». L’attitude du Pentagone, en janvier dernier, dit-il était la suivante : « Quelqu’un s’est fait pincer, avec des photos en sa possession. Et alors ? Occupez-vous en ! ». L’explication donnée par Rumsfeld à la Maison Blanche, ajouta le responsable, était rassurante : « Nous avons eu un pépin, en cours de programme. Nous allons traiter la question ». « L’histoire racontée aux médias, pour couvrir l’affaire, consistait à dire que « des gamins avaient fait des bêtises. » Dans leur témoignage devant le Congrès, la semaine dernière, Rumsfeld et Cambone ont ferraillé dur afin de convaincre les législateurs que la visite effectuée par Miller à Bagdad, fin août, n’avait rien à voir avec les atteintes aux droits de l¹homme intervenues ultérieurement. Cambone a cherché à persuader la Commission des Armées du Sénat américain que la relation entre Miller et le lieutenant général Ricardo Sanchez, commandant supérieur en Irak, n’avait qu’un rapport fortuit avec son service. Les recommandations de Miller, a dit Cambone, avaient été faites à Sanchez. Son propre rôle, a-t-il ajouté, consistait principalement à s’assurer que le « feed-back de renseignement en direction du commandement » était « efficient et efficace ». Il a ajouté que le but de Miller était « de fournir un environnement sécurisé et humain, favorable à une prompte obtention du renseignement. » C’était difficile à vendre. La Sénatrice Hillary Clinton, Démocrate de New York, posa la principale question à laquelle les Sénateurs étaient confrontés : « Si le général Miller a bien été envoyé depuis Guantanamo en Irak aux fins d’acquérir des renseignements plus utiles de la part de détenus, il est dès lors logique de conclure que les actions qui sont pointées, ici, dans votre rapport [les mauvais traitements à Abou Ghraïb] sont, d’une manière ou d’une autre, liés à l’arrivée du général Miller et à ses ordres expresses, de quelque manière qu’ils aient été interprétés par les hommes de la police militaire et du renseignement concernés. Conséquemment, je ne pense pas disposer jusqu’ici d’une information adéquate, de la part de M. Cambone et du département de la Défense, quant à la nature exacte des ordres donnés par le général Miller notamment sur la façon dont il a veillé à la mise en application de ces ordres, et le rapport entre son arrivée, en automne 2003, et l’intensité des mauvais traitements constatés ultérieurement. » Quelque temps avant que les mauvais traitements d’Abou Ghraïb aient été rendus publics, m’a dit l’ex-responsable du renseignement, Miller a été « chapitré », autrement dit « briefé », au sujet des opération d’accès réservé (sap). En avril, Miller revint à Bagdad afin d’assurer la supervision des prisons irakiennes ; le scandale ayant frappé, avec ses unes de journaux tapageuses, le général Sanchez le présenta aux médias américains et internationaux comme le général qui allait assainir le système carcéral irakien et y instiller le respect des Conventions de Genève. « Son job, c’est de sauver ce qu’il peut sauver », dit l’ancien responsable. « Il est là-bas afin de protéger le programme, tout en limitant autant que faire se peut les pertes de capacités essentielles ». Au sujet d’Antonio Taguba, il a ironisé : « Il fonce là-dedans sans y entraver queue de chique ! », concluant : « Sainte vache ! Où va-t-on ? » Eût le général Miller été convoqué devant le Congrès aux fins de témoignage, à l’instar de Rumsfeld et Cambone, il n’aurait pas pu mentionner le programme d’accès réservé (le « sap »). « Si vous taisez le fait qu’il existe bien un tel « sap » », m’a dit l’ancien responsable du renseignement, « vous détruisez la totalité du programme de réaction rapide .» Un des aspects intrigants de la déposition de Rumsfeld, au sujet de sa réaction initiale lorsqu’il prit connaissance des informations relatives aux interrogatoires menés à Abou Ghraïb, fut son flegme évident et son manque de curiosité. Un facteur explicatif pourrait bien être trouvé dans l’histoire récente : il y avait déjà eu des plaintes au sujet de mauvais traitement à prisonniers formulées par des organisations telles Human Rights Watch (Observatoire des Droits de l¹Homme) et la Croix Rouge Internationale. Et le Pentagone les avait affrontées sans difficulté. Rumsfeld a dit à la Commission sénatoriale des Armées qu’on ne lui avait pas fourni de détails sur les mauvais traitements allégués avant fin mars, époque où il pu lire les accusations circonstanciées. « Quand vous lisez cela, comme je dis, c’est une chose. Mais quand vous voyez toutes ces photos, c’est tout simplement incroyable. Ce n’était pas en trois dimensions. Ce n’était pas de la vidéo. Ce n’était pas en couleurs. C’était bien différent ». L’ex-responsable du renseignement m’a dit qu¹à son avis, Rumsfeld et les autres hauts responsables du Pentagone n’avaient pas étudié ces photos parce qu’ils « pensaient que ce qui y était représenté était permis, en vertu des règlements en vigueur en temps d’engagement militaire », tels qu’ils s’appliquent en matière de « sap ». « Ces photos », ajouta-t-il, « se sont avérées résulter d’un emballement du programme. » Il précisa qu’il ne prétendait nullement que Rumsfeld ou le général Myers savaient que des atrocités étaient en train d’être perpétrées. Mais, me dit-il, « c’est le feu vert qu’ils avaient donné au « sap », d’une manière générale, entouré de trop d’ambiguïtés, qui ont permis que ces exactions se produisent. » L’ex-responsable poursuivit, disant : « Les mecs au noir (c’est-à-dire ceux qui faisaient partie du programme secret du Pentagone) « disent qu’ils doivent admettre les poursuites... « Apparemment, on les a vaccinés contre la réalité ». Le « sap » est toujours en vigueur, et « les États-Unis continuent à choper des types aux fins d’interrogatoire. La question est la suivante : comment pourront-ils protéger la force de réaction rapide sans faire sauter le couvercle qui la dissimule ? » Le programme était protégé par le fait que personne, à l’extérieur, n’en avait connaissance. « Si vous donnez un simple indice que vous connaissez l’existence d’un programme « noir » dans la confidence duquel vous n’avez pas été mis, vous perdez votre crédibilité », a déclaré l’ex-responsable. « Personne ne parlera plus. Ainsi, les seules personnes encore susceptibles d’être poursuivies sont celles qui ne sont pas défendues (= les pauvres gamins, tout au bout de la chaîne alimentaire) ». Le haut responsable officiel le plus vulnérable est Cambone. Le Pentagone s’emploie aujourd’hui à ne pas protéger Cambone, et il ne sait pas trop comment le faire », me dit l’ex-agent du renseignement. La semaine passée, le consultant, qui a des liens étroits avec plusieurs conservateurs, a défendu la politique du secret de l’Administration, au sujet du programme d’accès spécial mis en œuvre à Abou Ghraïb. « Pourquoi garder cela secret ? », a-t-il demandé ? « Parce que le processus est des plus déplaisants. C’est comme les saucisses : vous aimez le résultat, mais vous ne tenez pas trop à savoir comment elles sont fabriquées ! » Et aussi, vous ne voulez pas que l’opinion publique arabe, et le monde arabe en général, sachent. Souvenez-vous : nous sommes allés en Irak afin de démocratiser le Moyen-Orient. La dernière chose que vous puissiez souhaiter, c’est que le monde arabe sache la manière dont vous traitez les prisonniers arabes, en particulier les hommes, dans vos prisons. » L’ancien agent du renseignement me dit qu’il redoutait que le scandale des mauvais traitements à prisonniers n’ait pour effet désastreux de saper la légitimité des opérations s’inscrivant dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, laquelle avait déjà souffert de cette importation de moyens disproportionnés en Irak. Il présenta Abou Ghraïb comme « une tumeur » de la guerre contre le terrorisme, disant : « Tant qu’elle restera bénigne et limitée, le Pentagone pourra traiter la crise des photos sans mettre en danger son programme secret. En revanche, dès que cette crise commencera à prendre de l’ampleur, sans que quiconque ne puisse la diagnostiquer, « la tumeur d’Abou Ghraïb deviendra maligne. » Le consultant au Pentagone fit la même observation. Cambone et ses supérieurs, dit-il, « ont créé les conditions qui ont permis que les transgressions se produisent. Et maintenant, ils vont se retrouver aux prises avec une nouvelle Commission Church » (En 1975, la Commission du Sénat sur le renseignement, présidée par le sénateur Frank Church, de l’Idaho, avait enquêté sur les Abus commis par la CIA durant les deux décennies précédentes). Abou Ghraïb a émis un message selon lequel les dirigeants du Pentagone sont incapables de gérer son pouvoir discrétionnaire. « Quand la merde tombe dans le ventilateur, comme cela s’est produit un certain 11 septembre, de quelle manière appuyez-vous sur la pédale de frein ? » a-t-il demandé, répondant lui-même : « Vous le faites de manière sélective, intelligemment. » « Dans cette affaire, le Congrès ira jusqu¹au bout », m’a dit le consultant du Pentagone. « Il vous faut démontrer qu’il y a des contrôles et des rééquilibrages, dans le système », a-t-il poursuivi, concluant : « Quand vous évoluez dans les zones de pénombre, vous avez besoin de lignes rouges qui soient bien flashy. » Le sénateur John McCain, de l’Arizona, m’a dit : « Si c’est vrai, alors cela élargit considérablement les dimensions du problème, et cela mérite un examen approfondi. Je ferai tout le possible afin d’aller jusqu’au bout de ces allégations, et de celles qui pourraient se faire jour. » « Ce qui est étrange », m’a dit Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch (Observatoire des Droits de l’Homme), « c’est que les Abus sexuels perpétrés à Abou Ghraïb en sont venus à servir de diversion pour qu’on ne parle plus des mauvais traitements à prisonniers ni des violations des Conventions de Genève, qui restent « autorisées » ». « Depuis le 11 septembre », a poursuivi Roth, « l’armée a systématiquement recours à des techniques du troisième degré, dans le monde entier, envers les détenus. Certains juges militaires (« jags ») ont horreur de ça, et ils sont horrifiés à l’idée que la tolérance pour les mauvais traitements reviendra nous hanter durant la prochaine guerre. Nous sommes en train de fournir au monde entier une excuse toute faite pour ignorer les Conventions de Genève. Rumsfeld a déplacé la barre de l¹exigence en la matière. Hélas : vers le bas. » Répondre à ce commentaire
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à 15:01