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Décidément l’anarchie est à la mode avec son lot d’histoires violentes et saignantes à souhait. Des histoires à faire froid dans le dos du lecteur allongé sur la serviette chauffée par le sable brûlant des plages de la Méditerranée, de l’Atlantique ou d’ailleurs selon l’épaisseur du portefeuille. L’année dernière déjà, le très libéral Figaro s’attardait pour ses lecteurs juilletistes sur l’ennemi public numéro 1 en 1912 : le petit Jules Bonnot. Cet excès de zèle figaresque nous livrait, entre deux séances de bronzage un morceau de choix, un bloc de premier ordre. Un bloc que dis-je ? Non, c’est un peu court, jeunes gens et vieilles personnes ! Un météore d’anthologie de la connerie réactionnaire d’expression française considérée dans le domaine historique. Le grand du crime ne pouvait être que petit … comme la pensée politique que l’infâme papier ne daignait même pas lui accorder.
L’actualité booste les ventes. Les trains déraillent depuis Tarnac ; les manifestations anti-OTAN se heurtent à la violence policière à Strasbourg ; place Beauvau, à Paris, une obscure ministress de l’Intérieur extériorise sa vindicte à l’égard des invisibles de la mouvance anarcho-autonome. Les cagoules, bien malgré eux, tendent désormais à faire de l’histoire du mouvement libertaire et de la geste de certaines de ses figures quasi mythiques un marronnier éditorial.
Là où le bas peuple, par définition moutonnier et acéphale parce que bas, se décervelle paradoxalement l’esprit, avant l’apéro, avec le tour de France, après l’apéro avec Secret Story, le péquin moyen (ou plus) a lui aussi droit à sa ration quotidienne de lobotomie intellectuelle, donc consumériste. Cette année encore la recette fonctionne. Du poulet sauté façon Mimile. Cuit dans sa marmite renversée et dans son jus. Et mythonné à la mode de la rue des Bons Enfants. L’ouvrage de John Merriman se focalise sur la vie d’Emile Henry. Il ouvrirait, par l’ampleur du travail de recherche effectué, de nouvelles perspectives. Des perspectives qui éclairent notre époque. Des perspectives qui illuminent notre compréhension. Oyez ! Oyez ! Braves gens !
Rassurons de suite le lecteur et acheteur potentiel de l’ouvrage ci-dessus mentionné et des autres à l’occasion. Le méchant, à la fin, est toujours puni. La tête à Mimile a heureusement fini par rouler dans le son du panier à Deibler et, aujourd’hui, l’ordre règne d’ailleurs à Bagdad, à Kandahar, à Peshawar, à Téhéran, au Tibet, dans le Xinjiang même s’il y a peu de chance pour que l’on n’y entende le bruissement des plis d’un quelconque du drapeau noir.
Depuis les actes de propagande par le fait, le folklore du poseur de bombes colle à l’anarchiste comme montre Rollex au poignet présidentiel. L’anarchiste fait peur. L’anarchiste soulève encore bien des inquiétudes. L’anarchiste fait couler - faute de sang - beaucoup d’encre. L’image du libertaire induit fréquemment la question de la violence en politique. Elle suggère celle de l’action militante hors d’un cadre traditionnel et institué. Mais le politiologue, le spécialiste supposé, l’expert scribouillard attitré ne peuvent s’empêcher de faire un très insupportable et très improbable parallèle rattachant le présent qui fait peur, et dont tout le monde parle, donc consomme, aux évènements passés. Même si elle bredouille de temps en temps, l’histoire ne se répète pourtant pas. Le fait n’est pas nouveau. De la ficelle en veux-tu ? Du bon gros cordage tu auras ! Exemples.
Le 3 juillet 1987, Jean-Noël Jeanneney établit dans les colonnes du Monde un parallèle discutable entre les militants du groupe d’extrême gauche Action Directe, « les terroristes venus du Proche Orient » et le mouvement anarchiste de la fin du XIXe siècle : « Cibles symboliques, violences aveugles, psychose collective … la logique est la même »[1]. L’auteur de l’article reconnaît toutefois l’existence d’un phantasme sécuritaire légitimant, selon lui, les lois dites « scélérates » de 1893-1894. Le parallèle devient nettement ambigu lorsqu’il s’agit de pointer le doigt sur les coupables des atteintes portées par ricochets à la vie démocratique et à notre vieux monde capitaliste et post-industriel.
Le même principe dialectique prévaut quelques années plus tard dans le Monde Diplomatique où l’on retrouve encore cet amalgame facile, issu du rapport violence politique - répression. Le numéro de septembre 2004 de ce journal évoque en effet « le temps du terrorisme anarchiste » pour rendre compte de celui, plus contemporain, des islamistes wahhâbites. Dans les deux cas, le « terreau » du malaise social est exploité par « une minorité de fanatiques ». L’auteur, Rick Coolsaet, prédit en conclusion la fin du terrorisme djihadiste à l’image de celle de la propagande par le fait[2]. Il est vrai que le temps où la marmite servait de titre de rubrique aux grandes feuilles bourgeoises de l’époque fut relativement court. Il est encore plus vrai le fanatisme religieux et le terrorisme enturbanné des sectateurs d’Allah n’a pas encore disparu.
Il est enfin vrai que les deux papiers que nous venons d’évoquer révèlent surtout une profonde et dédaigneuse méconnaissance du mouvement anarchiste en général, des actions militantes des libertaires en particulier. Mais le mot anarchie s’associe dans la mémoire collective à la notion de désordre. L’exploitation politique, médiatique et historique des bombes de Ravachol, de Vaillant, d’Henry, de Pauwels, etc. permet d’occulter l’étymologie du terme : an archos.
L’anarchie organise une société sans pouvoir. Elle ne peut se limiter au seul désordre issu d’une quelconque question sociale, d’un quelconque discours révolutionnaire. Elisée Reclus n’écrivait-il pas d’ailleurs : « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre »[3] ? Pierre Joseph Proudhon affirmait également : «La plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie »[4]. En retenant ces aphorismes, nous pouvons nier de fait l’interprétation, dans la presse, qu’elle soit grand public ou non, faisant de cet idéal politique une simple, mais violente et épidermique, réaction à l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais dans ce cadre, d’aucun pourrait être tenté d’entrevoir l’anarchisme comme l’une des nombreuses utopies qui fleurissent avec la Révolution Industrielle. Rien n’est moins faux.
Cette ignorance conduit finalement à restreindre l’acte de propagande par la marmite, le revolver ou la pince monseigneur à un fait divers un peu moins simple que le moyenne. D’où l’incompréhension journalistique lorsque le terroriste ne correspond pas au profil lombrosien du criminel. Peut-être parce que l’acte criminel et illégal, c’est-à-dire hors du cadre instituée par la société elle-même attaquée, se situe d’abord et avant tout dans le champ politique.
Viennent alors tous les poncifs sur l’individu incriminé et auteur du monstrueux attentat : marginal, refoulé, exclu, aigri, violent. Ajoutons simple d’esprit et par extension victime lui-même de la sphère des théoriciens institués de l’hydre anarchiste. Ceux-là sont des vrais penseurs aux mains propres. Clairs, Sans tâche de sang sur leur chemise. Mais ils dictent par leurs écrits l’épidémie de bombes qui a ensanglanté la France et l’Europe en 1892-1894 ; ils provoquent les actes qui ont semé la mort et la désolation.
Le complot anarchiste, tel que le réinvente Vivien Bouhey dans sa thèse parue aux Presses Universitaires de Rennes en 2009, en réactualisant la notion de réseau, prend dans le titre du livre de John Merriman l’image d’un club, celui de la dynamite. D’où la fatale corrélation, avec, aujourd’hui, des groupes comme Al-Qaida, ETA, le Hamas, le FLNC, le mouvement Tupac Amaru, etc. Et cette confrontation entre le passé et le présent doit fatalement raisonner. D’abord dans la tête du lecteur de l’article, de l’auditeur de l’émission ; elle doit ensuite interpeller l’acheteur, qu’il est censé normalement devenir, de l’ouvrage en question.
L’iconographie devient ensuite primordiale pour accrocher. L’article de Jean Birnbaum dans Le monde des Livres débute en une et en surimpression d’un dessin signé Rita Mercedes. L’image présente Emile Henry surdimensionné et au milieu des décombres que sa bombe a provoqué au café Terminus le 12 février 1894. Le nom du bar, proche de la gare Saint Lazare, apparaît dans l’image. Le frère de Fortuné Henry tient un bâton de dynamite dans sa main droite levé bien haut. La main gauche, baissée, agrippe un haut-de-forme. Nous doutons que le personnage ainsi croqué puisse faire penser au Gavroche de Delacroix dans La Liberté guidant le peuple. Il est plus probable d’envisager une allusion au King Kong né en 1933 de l’imagination cinématographique de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. Mieux encore. Il faut coller à l’actualité récente. La scène, bien que parisienne, peut facilement se transposer à New York le 11 septembre 2001, et le terroriste du XIXe siècle se retrouver au centre de décombres, bien réelles parce que proches de nous dans le temps, des deux tours jumelles.
Jean Birnbaum, auteur de l’article, a alors la paraphrase facile pour rendre compte de l’ouvrage de Merriman. Avec le Dynamite Club, la propagande par le fait du Saint Just de l’anarchie revêt le caractère d’un terrorisme à visage humain. La prose du chroniqueur littéraire, même si elle regrette un ouvrage « Desservi par de trop nombreuses coquilles », encense néanmoins un livre « au style enlevé » et « qui se lit comme un roman ». Patatras ! Tout est dit. Et même plus encore : « un roman noir aux mille résonances particulières ». Nous voilà prévenus. Il fallait bien une ambiance, une atmosphère, un climat, sombre, lourd, brumeux et pesant pour traiter de « l’acte tristement inaugural » de « l’attentat moderne en occident ». Si Dominique Kalifa, dans Libération, ne met pas en avant la volonté de gloire personnelle pour expliquer la propagande par le fait d’Emile Henry nous retrouvons pourtant le même son de cloche … le même son de marmite. La geste de ce petit bourgeois déboussolé « portait en lui un terrorisme d’un genre nouveau, dont les activistes du XXe siècle devaient se souvenir ». Les deux articles, pour finir de dresser le terrible et néanmoins édifiant portrait du monstre, tentent alors de cerner la personnalité de cet « aristocrate du crime », de ce « pâle jeune homme » dont les actes furent accomplis « sans le moindre état d’âme ».
Un choix s’impose à nous : soit nous filons sur les plages de la Méditerranée, de l’Atlantique mais pas d’ailleurs parce que la largeur de notre portefeuille nous l’interdit et nous lisons, après l’avoir honnêtement acheté l’ouvrage de John Merriman ; soit nous gardons en référence l’ouvrage essentiel commis par Walter Badier et publié en décembre 2007 aux éditions Libertaires sous le titre Emile Henry, de la propagande par le fait au terrorisme anarchiste. Là, on y verra plus clair. Nous venons tout juste de poser les deux livres sur notre serviette de plage.
Steve Golden
Commentaires :
revolte |
Exellent article et mis au point salutaire.
Un blog des plus interessant;une bouffée d'oxygène. Répondre à ce commentaire
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revolte 26-07-09
à 10:44 |
Re:En septembre les marmots reprennent le collier de l’éducastration et le Jacoblog fait sa rentrée. Le programme risque d’être chargé pour cette deuxième partie de l’année. Le Marseille d’Alexandre Jacob, le bagne, l’illégalisme et la propagande par le fait, le marchand forain et ses amis, des interviews et des produits dérivés se sont donnés rendez-vous. Du son, de l’image et de la lecture aussi. Et, en attendant le samedi 4 septembre, les aphorismes d’août ne vont pas tarder à arriver. Reste une solution : sur les plages, ou ailleurs, lisez l’honnête cambrioleur !
Programme deuxième semestre 2009 : Juillet : - Quiz juillettiste - Le marronnier et la marmite - Intermède Août : - Aphorismes aoûtiens - Lettre à Guy et Louis Septembre : - Réponse au quiz juillettiste - L’Inco - Genèse d’une lettre - 10 questions à Claire Auzias Octobre : - Illégalistes 1 - Illégalistes 2 - Illégalistes 3 - Nach Berlin! - Lettre ouverte au procureur de Marseille - Dix questions à … Novembre : - Lettre d’un embusqué - Vol à Sète - Les tournées de Marius - Dix questions à … Décembre : - le mois de l’Agitateur: Fumiers de socialistes! - le mois de l’Agitateur: Le bâton et le garrot ibériques - le mois de l’Agitateur: Super Agitateur - le mois de l’Agitateur: la faim de l’Agitateur Plus quelques surprises jacobloguiennes bien sûr Un programme des plus alléchant! Répondre à ce commentaire
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à 14:04