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Lu sur Oulala.net : "Le monde entier est en train de découvrir ce qui se passe dans la prison d’Abu Ghraib prés de Bagdad. Si elle est la plus importante du dispositif carcéral « anti-terroriste » mis en place après le 11 Septembre, elle n’est pas la seule. Rien qu’en Irak, on en compte neuf autres où rien ne permet de penser que le traitement des prisonniers soit différent. Mais l’administration BUSH a constitué à l’étranger un véritable réseau de prisons plus ou moins secrètes où, selon l’organisation humanitaire Human Rights Watch, 10 000 personnes seraient aujourd’hui détenues. Bien sur, à l’échelle des prisons étasuniennes les plus remplies du monde (voir plus loin) ce chiffre n’est pas considérable. La différence est qu’il s‘agit de prisonniers mal connus et de détentions arbitraires dont le caractère commun est la violation des Conventions de Genève sur les prisonniers de guerre.
La grande majorité de ces 10000 personnes est détenue en Irak - au moins 8000 prisonniers - mais il existe aussi 4 prisons en Afghanistan (Bagram, Kandahar, Jalalabad et Asadabad) auquel il faut ajouter un centre d’interrogatoire de la CIA à Kaboul sans oublier la fameuse prison de Guantanamo où croupissent aujourd’hui 600 prisonniers.
Le rapport de Human Rights Watch donne des indications sur la nationalité des prisonniers mais sans prétendre être exhaustif, le Pentagone censurant l’information autant qu’il peut. Les détenus seraient donc originaires des pays suivants : Algérie, Egypte, Inde, Iran, Irak, Jordanie, Liban, Malaisie, Oman, Royaume Uni Arabie saoudite, Somalie, Soudan, Syrie, Suède, Tunisie, Turquie, Ukraine et Yémen.
D’après la Croix Rouge Internationale, seule organisation autorisée à visiter la prison D’Abu Ghraib (visiter ne veut pas dire être présent en permanence et donc les tortures et autres sévices n’ont évidemment pas lieu au moment des visites) entre 70% et 90% des détenus sont arrêtés par erreur. Il faut donc comprendre que l’armée d’occupation et ses supplétifs irakiens opèrent en fait des rafles massives dans le but d’entretenir dans la population un climat de terreur.
L’organisation du système carcéral est la suivante : La gestion de la prison est confiée à la police militaire qui organise, surveille et ... maltraite. Le renseignement militaire intervient pour définir les objectifs : ce qu’il veut savoir, qui il faut faire parler. La police militaire a pour mission, disons, avec l’effroi que suscite le terme, « d’assouplir » le prisonnier c’est-à-dire en clair d’utiliser des procédés dûment répertoriés et détaillés dans les manuels du Pentagone et destinés à briser la résistance psychologique et physique des prisonniers avant les interrogatoires : privation de sommeil, privation de lumière, humiliations diverses auxquelles se rajoutent les viols et sodomisations qui ne sont pas prévus dans les manuels mais font partie du droit non écrit du vainqueur.
Une fois « assoupli », le prisonnier est conduit aux interrogatoires. Traditionnellement de la responsabilité des agents de la CIA, ceux-ci sont maintenant effectués par des agents privés recrutés à la hâte. En effet, la CIA n’a pas échappé à la grande mode des privatisations et manque aujourd’hui cruellement de spécialistes capables d’interroger les prisonniers en arabe, en kurde ou dans d’autres langues. Et si l’interrogateur ne parle qu’anglais il lui faut un interprète.Le problème est le même. Cette privatisation lancée au début des années 90 par Dick Cheney, alors Ministre de la défense et aujourd’hui Vice-Président, a entraîné la création de sociétés privées spécialisées. Deux d’entre elles sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs : la CACI, siège à Arlington (Virginie) et TITAN siège à San Diego (Californie).Elles sont toutes deux citées dans le rapport de 53 pages présenté au Sénat par le Général Antonio Taguba.
Ces entreprises ont donc recruté des « interrogateurs ». Les offres d’emploi apparaissent sur Internet et CACI par exemple indique que des postes sont à pourvoir en Irak en Afghanistan et au Kosovo. Les embauchés doivent avoir la nationalité étasunienne, une certification « Top secret » délivrée par le Pentagone et une certaine expérience professionnelle. Le salaire annuel d’un « interrogateur » est d’environ 100 000 dollars soit environ trois fois le salaire d’un soldat.
Dans son rapport, le Général Taguba donne 4 noms d’interrogateurs ayant travaillé à Abu Ghraib et indiquent que les recrutements sont critiquables à plusieurs égards. Ainsi des émigrés kurdes aux Etats-Unis sont-ils embauchés sans formation uniquement parce qu’ils parlent la langue et quand à leur arrivée à la prison on leur indique que tel ou tel prisonnier faisait - vrai ou faux - partie de la police politique de Saddam Hussein, l’interrogatoire prend inévitablement une tournure brutale...
Parmi les 4 noms cités dans le rapport, trois ont suscité d’interrogations et curiosité. C’est ce qui ressort d’un article du journaliste indépendant Wayne Madsen, ancien employé de l’Agence Nationale de Sécurité et co-auteur (avec John Stanton) du livre :« Le cauchemar américain : la présidence de George Bush II »
Le premier est celui de John Israël. Le rapport précise qu’il n’avait pas la qualification « top secret » requise mais, l’hypothèse que John Israël soit un faux nom pour un agent secret est prise très au sérieux par Wayne Masden d’autant plus que la firme TITAN affirme qu’il n’était pas un salarié mais un sous-traitant et que la « compétence » des services secrets israéliens en matière d’interrogatoire de prisonniers arabes est un fait bien établi par de nombreux témoignages de palestiniens.
Le second est celui de Adel L. Nakhla qui semble être un citoyen égyptien et non étasunien et le troisième celui de Stephan Stefanowicz qui continuerait à exercer « ses talents » à Abu Ghraib alors que le Général Taguba a demandé que ceux qu’il cite soient relevés de leurs fonctions.
Bref, tout ceci fait revenir à la mémoire le mot de gangrène rendu jadis tristement célèbre par le livre d’Henri Alleg « La question » sur la torture en Algérie et donne des Etats-Unis l’image d’un pays où la démocratie est bien malade, où un pouvoir qui a dénommé l’invasion de l’Irak « Choc et soumission » récolte sur le terrain les fruits de son discours meurtrier et en porte l’entière responsabilité politique.
Mais dans l’archipel du goulag américain, la plus grosse île est, de loin, aux Etats-Unis
Un rapport récent de l’organisation étasunienne « Urban Institute » vient d’apporter un éclairage cru sur le cœur du dispositif.
Selon les chiffres publiés en Avril 2003 par le Département de la justice, la population carcérale des Etats-Unis s’élève à 2 019 234. Ce chiffre place les Etats-Unis à la première place mondiale de taux d’incarcération soit 702 prisonniers pour 100 000 habitants. A taux égal, la France aurait aujourd’hui plus de 400 000 prisonniers au lieu d’environ 60000.
La progression est proprement effarante : 218 000 en 74, 316 000 en 80, 740 000 en 90 et 1 320 000 en 2000 soit 700 000 prisonniers de plus en 3 ans de gouvernement BUSH. Pour faire face à cet afflux massif, il a fallu construire des prisons nouvelles. Au nombre de 61 en 1923, de 592 en 1974 elles sont aujourd’hui 1023. Depuis 1923, la population des Etats-Unis a triplé, le nombre des prisons a été multiplié par 17 ! Cette véritable industrie carcérale est concentrée dans une dizaine d ‘états : Californie, Texas, New-York, Floride, Illinois, Michigan, Ohio, Georgie, Colorado et Missouri. Le Texas à lui seul compte 120 établissements pénitentiaires. La plupart des prisons nouvelles sont construites dans des comtés ruraux ou semi-ruraux à l’écart des grandes agglomérations et dans certains de ces comtés la proportion de la population sous les barreaux atteint ou dépasse 20%. Les records sont atteints dans le comté de Concho au Texas (ex gouverneur George W. Bush) avec 33% de la population résidente en prison et dans le comté de Union en Floride (gouverneur : Jeb Bush, le petit frère) avec 30%.
Les comtés ruraux se bousculent pour accueillir les prisons nouvelles. Elles créent des emplois et dans les comtés à forte population carcérale le total « prisonniers+ gardiens + encadrement » peut représenter jusqu’à 40% de la population. La prison devient ainsi une mono-industrie et imprègne tout le tissu social.
Dans la plupart des cas les soldats et les privés qui travaillent dans les prisons en Irak ou en Afghanistan ont fait leur apprentissage dans les prisons US et ont gardé les mauvaises habitudes qu’ils avaient contractées chez eux.
Les prisons nouvelles permettent en incarcérant des prisonniers venus des grandes villes d’augmenter la population du comté. Le phénomène est doublement avantageux : les prisonniers sont recensés sur place et le chiffre de la population sert de base à la fois à l’octroi de nombreuses subventions fédérales et au calcul du nombre d’élus locaux. Mais comme les prisonniers n’ont pas le droit de vote (et pour la plupart ne le récupèrent pas après leur libération) il y a simultanément augmentation du nombre des élus et diminution du nombre des électeurs. Un rêve, car dans nos démocraties fatiguées, les élus aiment bien les élections mais moins les électeurs (soit « passifs » soit « jamais contents » !).
Bien sûr, la majorité des détenus vient des grandes zones urbaines et donc l’incarcération dans des zones rurales éloignées de leur domicile rend difficile le maintien des relations familiales surtout au sein des familles pauvres. Ce détour par les prisons déjà effectué avec brio par le sociologie français Loïc Wacquant conduit à une conclusion qui est une réponse à toutes les explications qui nous sont vendues sur les tortures en Irak : « bavures, mauvais encadrement ... » car ce détour est en fait un passage par le cœur de la société étasunienne contemporaine.
Les Etats-Unis sont en train d’étaler en Irak à la face du monde l’état exact de la crise de civilisation qui les affecte : affairisme, corruption, haine raciale, répression, loi du plus fort, règne des armes : le fusil à la maison, le bombardier à l’étranger, l’assassinat individuel ou de masse comme mode de résolution de tous les conflits.
La classe dirigeante est en crise : des diplomates critiquent ouvertement et sévèrement la politique étrangère du gouvernement, des généraux critiquent durement la politique militaire, Kerry qui sait la profondeur de la crise mais fait partie de l’establishment tente de sauver le système en critiquant non pas la politique de Bush mais son style avouant que toute son ambition se limite à un changement de style.
La dégradation extrêmement rapide de la situation laisse penser que l’Irak va devenir le tombeau du rêve de domination mondiale des Etats-Unis sur le 21° siècle.
Pour autant, et c’est l’enjeu de cette période qui est en train de clore la contre-révolution reaganienne, il faut tout faire pour que, de ses énormes décombres, n’émerge pas comme seule force politique un obscurantisme religieux réactionnaire, fleur vénéneuse de ce marécage historique, dont le seul projet est celui des fascistes espagnols « Viva la muerte ! »
Illustration : Alafia
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