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U’EST-CE QUE le Premier Commando de la capitale (PCC) ?
Daniel Veloso Hirata : Le PCC s’est
formé en 1993 : l’État brésilien laissant
les prisons quasiment à l’abandon, les
prisonniers s’y sont organisés eux-mêmes.
Il s’y déroulait des guerres très violentes
entre petits groupes des différents quartiers. Dès
sa création, le PCC a limité cette violence. Selon
moi, à ce moment-là, c’était moins une organisation
criminelle qu’une organisation de prisonniers
pour « s’auto-administrer ». Pendant dix ans, le PCC
s’est développé dans de nombreuses prisons de
l’État de São Paulo et a mis en place un code de
conduite. En 2001, il a fomenté une grande rébellion
à l’échelle de tout l’État. C’était très organisé,
presque toutes les prisons étaient synchronisées.
Ce mouvement revendicatif souhaitait rendre
publics les problèmes existant à l’intérieur depuis
dix ans. Mais ce n’est pas comme ça que la rébellion
a été perçue. Elle a été cataloguée comme
démonstration de force d’une organisation criminelle.
À partir de là, l’État a tenté de reprendre le
contrôle des prisons sans pour autant y parvenir.
Le PCC a grandi et a développé ses activités à l’extérieur.
Est-ce à ce moment-là que tu vois apparaître le PCC dans les quartiers où tu travailles ?
Je travaille sur le terrain depuis presque huit ans.
Au début des années 2000, je me suis aperçu qu’il
se passait quelque chose dans les quartiers. Les
gens parlaient d’une espèce d’organisation qui
gérait le trafic de drogue mais aussi les transports
clandestins, le commerce des biens de contrefaçon…
Les chercheurs ne croyaient pas à son existence,
à cette époque-là. Ils disaient que c’était une
légende urbaine.
Et puis, en 2006, il y a des émeutes très violentes
fomentées par le PCC, qui a mobilisé dans les prisons,
mais aussi en dehors. Ils ont pris d’assaut
la ville de São Paulo, attaqué la police, les matons
et tous les représentants de l’État, ce pendant plusieurs
semaines. Ils ont enlevé une journaliste de
TV Globo, une chaîne de télé très importante au
Brésil, et négocié sa libération contre la diffusion
nationale d’un communiqué. Ce qui a été fait, et
l’on a vu une personne cagoulée lire les revendications
politiques du PCC. Depuis, s’est engagée
une lutte continue de l’État contre le PCC, dans les
quartiers et dans les prisons.
Il y a une lutte très violente entre l’État et le PCC,
mais ce dernier aurait inventé un mode de régulation
des conflits : le « débat ». Qu’est-ce que c’est ?
Les « débats » ont vu le jour dans les prisons, sous
la forme d’une espèce de duel, parfois verbal, parfois
physique. À Carandiru, par exemple, la plus
grande prison de l’État de SãoPaulo, tous les débats
ont lieu dans ce qu’ils appellent la « 10e
rue ». Tous
les types de litige entre prisonniers sont débattus
dans cet espace : les disputes antérieures à l’incarcération,
les disputes à l’intérieur… Avant, c’était assez violent. Mais sous
l’influence du PCC, l’échange est devenu plus verbal que physique.
Et puis, à partir du moment où le PCC a développé
son action en dehors des prisons, ce mode de résolution
des conflits est apparu dans les quartiers
populaires, il s’est instauré dans l’économie informelle
et dans l’économie illégale, et pas seulement
pour les membres de l’organisation. Cela peut être
interprété comme la tyrannie d’une mafia,mais
ce n’est pas que ça. Les membres du PCC peuvent
également être mis en « débat », et être
condamnés.
Est-ce l’équivalent d’un tribunal, avec un juge, une échelle de peine… ?
Ce n’est pas la forme traditionnelle d’un tribunal,
avec deux parties qui sont en litige et le juge qui
est la figure neutre. Ce sont plutôt plusieurs personnes
qui parlent en même temps. Bien sûr, la
force de la parole varie en fonction de la position
occupée au sein du PCC ou dans le quartier. Les
gens débattent du litige et, après, il y a des punitions.
Il n’y a pas un code écrit et des règles universelles,
c’est un code situationnel : la punition la
plus juste est évaluée, au cas par cas.
Tout peut être objet de « débat ». L’histoire que je
vais raconter s’est déroulée chez les trafiquants,
mais cela arrive aussi dans l’économie informelle,
le marché de la contrefaçon, les associations de
quartier, les problèmes avec des politiciens… Donc,
quelqu’un lié au PCC vend une certaine quantité
de cocaïne à une personne qui ne paie pas. Après
quoi, le vendeur est vu dans la voiture de la mère
de son débiteur ! La population du quartier est choquée
parce que ça déroge au code de conduite qui
stipule que la famille doit être préservée. Les
habitants ont alors convoqué un « débat », où le
vendeur a expliqué que ce n’était
pas une extorsion, que c’était la
propre mère de son débiteur
qui avait offert la voiture
pour mettre un terme
au conflit. Il n’avait pas
forcé cette dame à
donner son bien.
Mais il a,malgré tout,
été contraint à rendre le
véhicule et la dette a
été annulée. C’est
une histoire assez sympathique,
il y en a
d’autres plus dramatiques.
Retrouve-t-on le
« débat » dans des
activités légales ?
Oui. Au Brésil, il y a
une vision partagée
non seulement par les
trafiquants de drogue,
mais aussi par les habitants
des quartiers, de
la police et de l’État.
Les gens sont très
méfiants vis-à-vis des
institutions. Pour eux,
l’État est injuste, la justice
est injuste et la
police est raciste et violente.
Ils font beaucoup
plus confiance
aux habitants du
quartier. Ceux qui participent
aux « débats »
sont des voisins, des
gens que tout le monde connaît.
Je pense que cette situation est la conséquence du
comportement de l’État, de son absence dans les prisons,
de la répression, de son attitude
agressive contre les populations les
plus pauvres. Il y a une multitude
de questions à se poser, dont :
quels sont les rapports entre
l’État et les plus pauvres ? Le PCC
est né de cette situation, de la
politique d’abandon et de répression.
Au Brésil, la gauche et la
droite ont la même perspective : la
création d’un ennemi intérieur, la
criminalité organisée. Une criminalité
qui occupe l’espace et
justifie les répressions les plus
dures.
Les quartiers qui pratiquent le
« débat » sont-ils pour autant
sous la coupe du PCC ?
Dans les quartiers, tout le monde
est armé, et même le PCC n’est
pas capable de prendre le
contrôle. Ce ne sont pas des gens
extérieurs aux quartiers qui
imposent des règles, des normes
et une structure de commandement. Ce sont des habitants qui organisaient déjà la vie du
quartier et qui se disent : « Pourquoi ne pas rejoindre le PCC ? »
Cette organisation s’étoffe plus par l’incorporation de nouveaux
venus que par la menace. C’est un
processus d’incorporation lent et graduel
qui naît de la décision des habitants. Si,
dans un quartier, un groupe ne veut pas
en faire partie, le PCC ne va pas l’affronter.
Dans la deuxième moitié des années 80 et
au début des années 90, le taux d’homicides
à SãoPaulo a énormément augmenté.
En 1996, le taux d’homicides pour 100000
habitants était de 0,7 en France, de 30 au
Brésil et de 60 à SãoPaulo.Et dans le quartier
où je travaille,c’était 200 ! Mais après l’apparition
du PCC, ce taux a considérablement
baissé. Les gens des quartiers se
rendent compte qu’il y a moins de tués,que
la violence est plus « organisée ». Le processus
de pacification que l’État était incapable
de réaliser, c’est le PCC qui le mène,
dans la prison comme à l’extérieur.
Les conflits de voisinages passent-ils
aussi par les « débats » ?
Tous les conflits passent par là. Les petites
embrouilles, les jeunes qui font la fête tard
le soir, écoutent de la musique trop fort,
volent les voisins, fument la marijuana devant les enfants…
Mais aussi les disputes entre mari et femme, etc. Les petits
problèmes de quartier sont démêlés localement,mais les plus
graves arrivent aux oreilles du PCC.
Quand il y a un mort, par exemple, la forme du « débat » est
élargie. Dans les prisons, ils se rejoignent dans la « rue » avec
plusieurs portables et le « débat » a lieu avec des gens audehors,
ainsi qu’avec des prisonniers d’autres quartiers.
Plusieurs personnes de différents lieux se mettent en relation.
Ils font comme une conférence avec les portables et ça
peut durer un jour, deux jours… Ainsi, il est possible d’entendre
tous les témoins.
Parfois, quand il y a un litige entre des gens de deux quartiers
voisins et qu’ils ne réussissent plus à se parler, des arbitres
d’un autre quartier, qui ne sont amis ni des uns ni des autres,
organisent le « débat ». Ainsi, c’est plus neutre.
Est-ce que les militants associatifs des quartiers s’opposent
aux membres du PCC, ou intègrent-ils les « débats » ?
Ils s’y intègrent parfois, mais pas officiellement… Par
exemple, dans le quartier où je travaille, il y avait un étudiant
du lycée qui avait frappé une prof. Ce jeune était dans le trafic
de drogue. La directrice de l’école a convoqué un « débat » et
le jeune a été expulsé du quartier. Pourtant on ne peut pas
dire que l’école fasse partie du PCC, ni la directrice ! Mais elle
sait que si elle appelle la police, ou s’adresse à la justice, elle
n’obtiendra rien. Elle est responsable de l’ordre dans l’école,
donc elle doit faire quelque chose.
Les médias font des amalgames,mais en réalité il
s’agit d’un dispositif mis en place pour contrôler
la violence. Qui en fait partie ? Je ne sais pas,
c’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est qu’on
ne devient pas automatiquement membre du
PCC parce qu’on participe à un « débat ».
Est-ce que cette forme d’organisation, née dans
la sphère criminelle, peut devenir une forme
de résistance des classes populaires ?
Oui, on peut sans doute dire ça. Je pense que
c’est une forme d’organisation de la population
des quartiers contre la violence d’État.
Si c’est conçu comme une forme de résistance
ou pas, je ne sais pas. C’est encore récent, il est
difficile de la qualifier de façon claire.
Le PCC est une organisation qui fait du trafic
de drogue. Son activité criminelle fait qu’il est
difficile d’en parler comme un mouvement
social ou politique. Mais ce qui est intéressant,
c’est qu’au sein de cette organisation criminelle,
il y a la mise en place d’un ordre qui
engendre une pacification, dans les prisons
comme à l’extérieur.
Pour le reste, c’est difficile à dire, et ce que je
raconte n’est pas consensuel au Brésil. Le PCC
est considéré comme une organisation qu’il
faut combattre. Il n’y a aucune reconnaissance
des « débats ». Lors des événements de 2006,
les classes moyennes du centre-ville de
SãoPaulo, qui est une ville énormément ségréguée,
ont senti la violence. Pour eux, ce qui
se passe dans les banlieues est incompréhensible.
Il nous faut examiner ce type d’invention
en mettant de côté les stéréotypes que l’on peut
avoir sur ce mode d’organisation. On y discernera
alors un processus social intéressant,mais
dont on ne connaît pas le devenir.
Article paru dans CQFD N°68 de juin 2009.