LE « CHEZ SOI » ET LES « AUTRES »
--> Matière à réflexion
" Les Français ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux "dixit le Ministre de l’Intérieur de la France le 17 mars 2011.
Ce genre de déclaration n’est pas unique et à même tendance à se multiplier,… surtout à la veille d’élections. Aujourd’hui ce sont pour les Cantonales, qu’est ce que ça va être pour les Présidentielles et Législatives ?
Mettons de côté, ce qui n’est pas facile, les déclarations de mauvaise foi et opportunistes pour essayer de comprendre le sens que l’on peut donner à de telles déclarations qui trouvent, c’est certain, un écho non négligeable dans la population.
Deux définitions s’imposent pour commencer.
Qu’est ce que le « chez soi » et qu’est ce que les « autres » ?
LE « CHEZ SOI »
C’est là où l’on vit, parfois, mais pas toujours, là où l’on est né, où éventuellement on souhaite mourir. C’est là où l’on a ses habitudes, ses repères,… c'est-à-dire, au sens large, sa culture. Mais peut-on dire que l’on est possesseur, osons le mot, le propriétaire, de ce « lieu » ? La réponse est évidemment non… et il est d’ailleurs curieux que ce soit ceux qui ont défendu le colonialisme qui répondent,…oui.
L’histoire de l’espèce humaine, c’est l’histoire des déplacements de population, de changements de territoires, de contacts, de brassages de cultures,… Ceci n’est pas une hypothèse, ni une opinion,… c’est un fait. Les situations historiques sont toutes conjoncturelles. Une situation n’est une situation qu’à un moment donné. Bien sûr, au niveau de la durée d’une vie humaine elles semblent « éternelles »,… mais ce n’est qu’une illusion. Des périodes plus ou moins longues semblent stables, puis les situations changent plus rapidement.
Est-ce à dire qu’il faille abandonner ses repères, sa culture, ses valeurs ? Certes non.
Mais est ce qu’au nom de ce qui est notre culture nous devrions refuser les différences culturelles ? La réponse est également non. Se pose alors une autre question : qu’est ce que la culture ? Des valeurs, une manière de vivre, d’être avec celles et ceux avec qui l’on vit,… Mais ceci est-il définitif, éternel et inaliénable ? L’Histoire répond que non. Toute l’Histoire humaine est fondée sur l’évolution permanente des valeurs, des manières de vivre. Elle n’est qu’un perpétuel brassage des modes de vie.
Peut-on donc, doit-on, pouvoir remettre en question ses valeurs, sa manière de vivre ?... Là est la vraie question.
Quoi que nous disions et quoi que nous fassions – et là aussi l’Histoire nous en fourni la démonstration - tout ce qui constitue la, notre culture est relatif, sera relativisé, modifié. C’est comme cela que se sont constituées les civilisations – toutes les civilisations - et comme cela qu’elles ont évolué, voire disparu. C’est comme cela que s’est constitué l’identité collective, d’ailleurs souvent construite sur la destruction d’autres identités collectives, qui certes existe, mais est en perpétuel devenir, changement.
Emerge, ou doit émerger, de tout ce changement une valeur, une seule : le respect de l’autre.
L’ « AUTRE »
Qui est-il exactement ?
Il n’est pas moi, il n’est même pas celles ou ceux avec qui je partage les mêmes repères, les mêmes valeurs. Il est donc différent, différence qui peut-être accentuée par les coutumes alimentaires, vestimentaires, la religion, l’origine, la couleur de peau, la langue,… et ce sont ces différences qui me font dire qu’il est « autre » que moi, que nous.
Respecter l’ « autre », c’est avant tout respecter sa différence, accepter qu’elle s’exprime. Ceci est valable pour moi, mais aussi pour l’ « autre ». Si le respect est mutuel, la paix règne. Dans le cas contraire c’est le conflit.
CONSERVATISME CONTRE HUMANISME
C’est dans cette alchimie de la relativisation du « chez soi » et du respect de l’ « autre » que se constitue une identité collective. Cette dernière est toujours en devenir, jamais véritablement achevée.
Le conservatisme, dont on voit aujourd’hui les forces à l’œuvre, et dont on peut mesurer le danger dans les évènements du passé, considère le « chez soi » comme une donnée définitive et l’ « autre » comme un danger et potentiellement un adversaire. La position conservatrice, permet toutes les dérives, la xénophobie (la peur de l’ « autre »), toutes les intolérances. La seule issue pour le conservatisme c’est l’exclusion, la mise à l’écart d’où, le conflit, la guerre. La position conservatrice croit défendre une situation existante depuis toujours et inchangeable, allant en ce sens à contre courant de ce qu’est l’Histoire humaine. Ex : Il n’y a pas toujours eu des Eglises en France et il n’y en aura pas toujours.
Le conservatisme est fondé sur la certitude, erronée, de l’immuabilité de ce qui est, et de ce que l’on est.
L’humanisme c’est le respect de l’ « autre », le connaître, le reconnaître et l’accepter dans sa différence…. Cela porte un non, la tolérance. Tolérance et respect de l’ « autre » sont indissociables. C’est ce qui fonde la laïcité. Attitude difficile car, contrairement au conservatisme, l’humanisme a une vision relative de soi et du monde – ce qui n’est pas facile à accepter. En effet, nous ne sommes que dans un moment de l’Histoire, différent de ce qui a été le passé et différent de ce que sera le futur. Une attitude non fondée sur des certitudes, comme le fait le conservatisme, mais un essai permanent de comprendre les mécanismes et phénomènes de l’évolution de l’histoire humaine.
L’humanisme est fondé sur l’intelligence de l’évolution des êtres et des situations.
Cela dit, ne soyons pas naïfs. Il y a toujours eu, et il y aura toujours, probablement, des individus qui auront l’intention d’asservir leurs semblables, et d’autres individus – en civil ou en uniforme - qui par lâcheté ou intérêts se mettrons aux services des précédents. Tout cela motivé par – au choix - le service de Dieu, du Chef, du Guide, du Peuple, de la Patrie, du Progrès, de la Modernité, de la Race, de la Civilisation, de l’Argent,…
Tolérance et laïcité sont fragiles. La Vigilance s’impose. Si le dialogue et la compréhension doivent être la règle, la Résistance est toujours à envisager.
En période de crise généralisée, de stress collectif, de craintes multiples,… et de manque totale de perspectives d’avenir, ce qui est le cas aujourd’hui, le repliement sur soi domine – soit collectivement et c’est le nationalisme, soit individuellement et c’est l’individualisme. On préfère se « raccrocher » à ce que l’on connaît, plutôt que d’envisager le changement. L’étranger, l’ « autre » devient alors immédiatement suspect, accusé d’être un adversaire, soupçonné d’être un concurrent. Suspect de vouloir me « déposséder » de ce qui constitue mon « moi », mon « chez moi »… bref de me voler mon « identité ». L’ « autre » devient pleinement l’ « autre » quand il met en péril, ou on craint, qu’il mette en péril, par sa présence, son existence, notre « chez soi ».
Ce mécanisme primaire et simple se retrouve à toutes les époques et est, a été, largement exploité par des forces politiques qui en font une stratégie pour la conquête du pouvoir. Les forces politiques qui ne veulent pas entrer dans ce jeu, quand elles n’ont aucune perspective à offrir, se trouvent bien en peine pour lutter contre cette tendance qui s’apparente à une forme de panique obsessionnelle. Les discours moralisateurs sont alors largement en deçà des exigences de la situation. L’angoisse nourrit l’angoisse, elle-même alimentée par la démagogie de politiciens sans scrupules,…
L’aboutissement de ce processus on ne le connaît que trop bien.
Aujourd’hui, le développement des moyens de communications et de déplacements, a permis l’explosion d’une mondialisation marchande sources d’inégalités, d’exploitation des plus faibles, du saccage de la nature et donc de ressentiments et de conflits. La classe politique – toutes tendances confondues - des pays dit « développés », par son incapacité, son incompétence et sa veulerie est incapable de gérer, et à fortiori de dépasser les contradictions dans lesquelles se débattent nos sociétés, défendant seulement les intérêts des plus nantis.
Les vieux réflexes de peur et d’agressivité ressurgissent. On n’en est pas encore au « sauve qui peut », mais on n’en est pas loin.
Mars 2011 Patrick MIGNARD