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L'En Dehors


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Le bétail électoral

Allez votez, c'est un devoir, disent-ils! Et le peuple, tel un troupeau bien dressé, va s'aligner docilement devant les abattoirs des espérances que sont les bureaux de votes. Depuis cent ans, les méthodes de nos politicards pour manier le bétail votard n'ont guère changées, tout au plus s'adaptent-elles aux nouveaux médias de propagande que sont la radio, la télé et internet. Mais c'est toujours le même fumier électoral qui engraisse les candidats.

ICI MÊME, j'ai croqué à grands traits le bétail syndical, le bétail patriotique, le bétail des jaunes, le bétail des honnêtes, il faut aujourd'hui que je dépeigne le plus important des bétails, le plus fort par la bêtise, le bétail électoral.
Sur la peau d'âne du tambour nationaliste, sur la baudruche des tambourins républicains, aux cordes de la guitare sentimentalement humanitaire, aux cuivres de la trompette révolutionnaire, voilà que se bat, que se touche, que se donne le rappel du bétail; c'est le ranz des électeurs qui retentit partout à travers l'espace.
Votez pour Tartempion, votez pour Machin, votez pour Truc. Des affiches multicolores vous rapprochent à tous les coins de rue afin de vous raconter la candeur, l'esprit, la loyauté d'un quelconque candidat.
En peu de lignes, un Gérault-Richard des boulevards extérieurs, un Rouvier de grands chemins, un Marchand du surin et de la pince deviennent des parangons de vertu, d'honnêteté et de douceur.
Le bétail électoral commente la force de la houlette d'Untel, le coup de fouet de Tel autre, le doigté crapuleux de Chose et le coup de gueule tonitruant de Machin.
Le bétail pèse aussi la valeur des promesses faites; non,pas qu'il ignore que jamais elles ne sont tenues, mais pour se donner un peu d'illusion.
La lune, le bonheur, la diminution des impôts, la liberté, autant de chimères auxquelles il ne croit plus mais auxquelles pourtant il lui paraît bon de sembler croire encore.
Il court aux rendez-vous que lui donnent les apprentis bergers après avoir fait un choix au zanzibar du troquet.
Chez les nationalos ou chez les socialos? Les dés répondent.
Il garnit la salle et il écoute religieusement l'orateur-candidat qui découpe des tranches de bonheur et débite des petits paquets de réformes. Il ouvre la gueule et les oreilles pour en prendre davantage.
« Les alouettes tomberont toutes rôties dans ta bouche; ton taudis deviendra un palais; tu auras des rentes à trente ans, dit le candidat. -Ah! Ah! Ah! qu'il parle donc bien, cet homme! Ce sont des mensonges qu'il nous raconte, mais que cela nous fait du bien de croire un moment que ce sont des vérités », dit le votard.
Quelquefois, il arrive qu'un autre candidat interrompe pour dire: « Ce n'est pas exact, les alouettes tomberont toutes bouillies dans ta bouche. » Et le bétail électoral suit, attentif, le débat passionnant: « Bouillies ou rôties? Comment seront préparées ces alouettes qu'il ne mangera pas? »
Alors que tous sont dans le rêve, une voix interrompt brutalement, sans précautions oratoires, les bonimenteurs: « Les alouettes ne tomberont ni rôties, ni bouillies dans ta bouche, nigaud. Et si elles tombaient jamais toutes prêtes, ce serait de par ta bêtise, dans la gueule des candidats. »
Alors, ce sont des cris, des vociférations: « À mort! qu'on le tue! qu'on le chasse! La ferme! Mouchard! Agent de la réaction! Jaune! Rouge! Jésuite! Communard! »
Celui qui veut jeter la vérité est entouré, bousculé; les poings se lèvent sur sa tête, on lui crache au visage, on le jette dehors.
Et tranquille, le prometteur détaille le bonheur, offre le paradis et le bétail électoral reprend le fil du rêve qu'il fait tout éveillé, boit à nouveau le vin décevant de l'espérance.
Comme dans tous les troupeaux, il y a les meneurs, les gens du comité. Ce sont ceux à qui le candidat a promis autre chose que la viande creuse de l'espoir. Ils ont mission de « chauffer » la salle, de veiller à ce qu'aucun gêneur ne puisse entrer. Ils préparent le public, ils soûlent de vinasse quelques forts à bras qui feront de leur poitrine un rempart au bonimenteur.
À côté d'eux, il y a quelques sincères: ceux dont la bêtise atteint le dernier degré. Ils font l'appoint le meilleur, ce sont les moutons qui sautent par dessus bord, montrant la voie à tout le troupeau.
Disons-le bien haut: que le bétail électoral soit tondu, mangé, accommodé à toutes les sauces, qu'est-ce que cela peut bien nous faire? Rien.
Ce qui nous importe, c'est qu'entraînés par le poids du nombre, nous roulons vers le précipice où nous mène l'inconscience du troupeau. Nous voyons le précipice, nous crions « Casse-cou! ». Si nous pouvions nous dégager de la masse qui nous entraîne, nous la laisserions rouler à l'abîme; pour ma part même, le dirai-je, je crois bien que je l'y pousserais. Mais nous ne le pouvons pas. Aussi devons-nous être partout à montrer le danger, à dévoiler le bonimenteur. Ramenons sur le terrain de la réalité le bétail électoral qui s'égare dans les sables mouvants du rêve.
Nous ne voulons pas voter, mais ceux qui votent choisissent un maître, lequel sera, que nous le voulions ou non, notre maître. Aussi devons-nous empêcher quiconque d'accomplir le geste essentiellement autoritaire du vote.
Chez les nationalistes et les socialistes, chez les républicains et les royalistes, partout nous devons porter la parole anarchiste « Ni dieux, ni maîtres » .
Et par la raison, et par la violence, il nous faut empêcher la course à l'abîme où nous entraînent la veulerie et la bêtise des votards. Que le bétail électoral soit mené à coups de lanières, cela nous importe peu, mais il construit des barrières dans lesquelles il se parque et veut nous parquer; il nomme des maîtres qui le dirigeront et veulent nous diriger.
Ces barrières sont les lois. Ces maîtres sont les législateurs.
Il nous faut travailler à détruire les unes et les autres, dut-on, pour cela, disperser au loin le fumier où poussent les députés, le fumier électoral.

Libertad
in L'Anarchie, n° 54, 19 avril 1906

Albert Libertad, le Culte de la charogne, Agone, 512 p., 23,75 euros, octobre 2006.

Ecrit par libertad, à 08:07 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Sator
21-04-07
à 08:27

"Il y a deux sortes de bergers parmi les pasteurs de peuples :
ceux qui s'intéressent au gigot et ceux qui s'intéressent à la laine.
Aucun ne s'intéresse aux moutons."

Henri de Rochefort
Répondre à ce commentaire

  satya
21-04-07
à 09:53

Re:

Aucun ne s'intéresse aux moutons.

il faudrait peut être que le mouton commence par s'intéresser à lui même mais pour cela il faut sortir du troupeau et ça fait peur a tellement de personnes. donc il y a une soumission volontaire au diktat du groupe et du nombre qui effectivement entraine dans le précipice: le diktat de la peur... alors qu'il suffirait si peu de conscience de chaque mouton pour justement trouver son propre pouvoir dans le nombre et qui permet de se retourner contre les maitres et les dieux ;)

 
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  Anonyme
21-04-07
à 14:15

Re:

exellent texte au vitriol(une bouffee d'oxygene) d'albert libertad ,un hymne a la libertée et a

l'emancipation.          

                                ni dieu , ni maitre

 

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