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L'En Dehors


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La voie du thérapeute
Chaque fois que me vient sous la main un livre de Georges Picard, je diffère le moment de m'y plonger, comme s'il fallait que, certaines conditions soient réunies avant que je me sente disposé à risquer cette immersion dont je sens toujours qu'elle consacrera un moment de rare bonheur, une expérience assez nouvelle pour conjurer le mal être quotidien à l'influence délétère duquel, comme la majorité de mes semblables, je ne puis espérer malheureusement échapper.

De Georges Picard, je viens précisément de lire le dernier livre, un essai au titre de Tout le monde devrait écrire et dont le propos en forme de confidence concerne tout à la fois l'écriture, le livre, l'éditeur et le lecteur. Rien d'innocent, encore moins de naif derrière ce titre un tantinet provocateur qui semble précéder les promoteurs de la chose imprimée dans leur désir à peine masqué d'attirer le fond de la pensée vers les surfaces d'effeuillement où le texte perdrait enfin sa densité pensante pour ne devenir qu'un bien de consommation très éphémère presque semblable, dans le contenu, à la pléthore des magazines et autres hebdomadaires qui encombrent les rayonnages des maisons de la presse et autres temples de l'information.
Non d'ailleurs qu'à travers ce brillantissime essai Georges Picard s'érigerait en Saint Michel de l'écriture sacralisée, bien au contraire, mais que comme à son habitude, il aborde ce nouveau sujet avec l'extrême rigueur analytique et l'honnêteté intellectuelle qui lui sont propres et qui en quelques livres ont fait de lui l'un des penseurs tout à la fois les plus caustiques, les plus humoristiques, et les plus recherchés . de sa, génération. Au moment même où je rédige cette note pour vanter les nombreux ,mérites d'un livre dont on comprend que je pense le plus grand bien, il m'apparaît d'ailleurs que l'on ne peut en résumer le contenu sans en dénaturer le propos, ce qui signifie que s'y condense une tonalité à proprement parler musicale, c'est-à dire possédant la capacité d'émouvoir et de faire penser dans une durée immobilisée, comme par exemple en d'autres livres devenus des classiques tels que Les Caractères de La Bruyère, La Malle, Poste anglaise de De Quincey ou, d'une façon générale tous les textes qui pour .avoir atteint un sommet d'excellence constituent autant de pôles de référence à par tir desquels fonder une réflexion dè fond.
Particulièrement remarquable en effet l'analyse par laquelle examinant les différents réseaux de sens et d'activités conduisant à l'objet livre, Georges Picard accompagne notre réflexion jusqu'au point de contradiction immanent 'a notre condition de bipèdes pensants. Ce qu'il y a de rare et de bénéfique dans ce livre tient en effet à ceci que jamais Georges Picard ne propose de solution miracle au mal d'indifférence qui caractérise notre époque, montrant qu'il n'existe pas de progrès ni d'excellence sans contrepartie négative et que, ainsi que l'affirmait Georges Bataille, l'homme est aussi merdeux que souverain, et que vivre réellement une culture, c'est aussi bien en accepter les avantages que les travers.
Montaigne lui-même eût adoré ce livre qui tout en faisant un état des lieux des. plus précis - et la situation de la création ne paraît pas bien bonne en effet- n'en conçoit malgré cela aucun pessimisme puisque comme il le montre d'une manière que l'on ne peut récuser, l'acte d'écrire obéit bien à une nécessité, à une urgence aussi vive que celle de l'instinct reproducteur. Tout le monde devrait écrire est bien un livre de thérapeute, un livre que devraient lire toutes celles et tous ceux que minerait un doute profond quant à l'avenir du livre en particulier et à l'avenir de la culture en général. C'est en tout cas sur cette question le livre le plus sain qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps.
Je pensais insérer dans le présent article quelques passages de ce petit çhef-d'oeuvre d'intelligence, mais j'y ai renoncé tant il m'est rapidement apparu que tirées de leur contexte, ces phrases s'en trouveraient gâchées. Si le drame de Fahrenheit 451 devait finalement advenir et qu'il fallût apprendre par coeur certains grands livres pour ne pas les oublier, j'apprendrais personnellement le Laozi pour la stratégie et ce Picard-là pour l'éthique et l'intelligence, capacité qui n'existe pas sans l'appui d'un humour et d'une lucidité accomplis.

Claude Margat

Georges Picard Tout le monde devrait écrire, 152 pages 15 euros), José Corti.


Le Monde libertaire #1446 du 14 au 20 septembre 2006

Présentation de Georges Picard et de ses livres sur le site de son éditeur Les éditions José Corti
Ecrit par libertad, à 23:01 dans la rubrique "Pour comprendre".



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