Lu sur
cnt-ait : Voilà un mal, une morphine, qui nous endort, aujourd’hui comme hier. On entend résonner au loin les klaxons de ces supporters qui hier pourtant décriaient l’équipe qu’ils acclament aujourd’hui. Incapables de victoire dans leur vie de tous les jours, ils se montent la tête derrière leurs écrans de télévision, vénérant les couleurs de l’État qui les oppresse quotidiennement.
Même si je ne suis pas fanatique de football, car c’est bien de cela qu’il s’agit, je peux comprendre qu’on puisse prendre plaisir à regarder, comme un spectacle, ces enchaînements de "prouesses" techniques et sportives. Mais là où le bât blesse, c’est dans l’exultation frénétique et exubérante dont témoignent certains individus. A quoi riment ces manifestations de "liesse populaire" ? Est-ce une victoire construite en commun ou une réalisation collective, une avancée sociale ? Non, rien de tout cela. On est dans l’auto-congratulation relevant plus du fantasme que d’une réalité concrète.
Présentement, les vedettes -ici des sportifs- sont élevés au rang de symboles, d’objets de culte ou de totems, et participent -peut-être bien malgré eux- à l’édification du mythe de la Nation comme groupe homogène ayant une existence réelle.
Pour nous, anarchosyndicalistes, le groupe ne prend de sens qu’à partir du moment où il sous-entend une prise de décision et/ou une réalisation commune, une convergence de perspectives entre des individus dans l’édification de ce que nous qualifierons de réalisation sociale. Il est certain que dans le présent cas le seul groupe pouvant se réjouir de la victoire est composé de 22 joueurs et d’un staff technique. Il va sans dire que derrière leurs tubes cathodiques, les spectateurs n’ont participé que de très loin, c’est encore un euphémisme, à la construction de cette victoire.
De façon plus large, la problématique est là, acceptons-nous d’être de simples spectateurs passifs, subissant les contraintes de la vie sociale, consommateurs amorphes et dociles de la pièce que d’autres jouent pour nous, ou bien désirons nous réaliser nos vies, en tant qu’acteurs et maîtres de nous-mêmes ? Faut-il projeter ses appétits et ses envies dans une sphère inconsciente et irréelle, ou bien décidons-nous d’aller chercher de façon concrète les objets de nos désirs ? Resterons-nous prostrés dans la contemplation asservie, ou vivrons nous notre vie de façon pleine et intense ?
Seule cette dernière démarche permet de s’accorder avec soi-même, et, si elle n’évite pas les regrets, elle annihile les remords. Elle permet de mieux comprendre que la notion de Nation ne recouvre pour nous qu’un mythe que certains essayent de maintenir et de faire perdurer. Ceux là, nous les connaissons : bien conscients de leur supercherie, ils donnent fréquemment des représentations à l’Elysée, à l’Assemblée nationale et dans d’autres lieux de pouvoir. Jouissant de leurs positions dominantes, ces esclavagistes préservent leurs privilèges grâce à cette légende fallacieuse d’un groupe homogène partageant les mêmes valeurs et désireux de vivre ensemble. Foutaises ! Les gouvernants d’ici ont plus d’affinités avec les patrons de l’autre bout de l’hémisphère qu’avec n’importe lequel d’entre nous. Quant à nous, nos revendications trouvent plus d’échos chez nos compagnons dispersés à travers le monde que dans les dire des représentants de tous les pouvoirs que nous subissons.
Les frontières ne servent qu’à segmenter et opposer les exploités. Mais que l’on parle sport ou travail par exemple ; il y a bien longtemps que les capitaux qui gèrent tout ça et que ceux qui les détiennent ne s’embarrassent plus de ces considérations ! Elles n’ont pour usage que de créer une diversion entre les gens du peuple, de nous éloigner de nos préoccupations réelles, de nous faire adorer une icône sportive, ou de nous faire pleurer pour une autre : bref, de nous faire oublier que vivre pleinement est bien plus fascinant que tous les spectacles médiatiques du monde. Alors, donnons-nous en la peine !
F. Auteuil
Tiré du Combat Syndicaliste de Midi-Pyrénée n°96, par la CNT-AIT de Toulouse