La récente élection étasunienne qui a entériné la gouvernance de George W.Bush,après des consultations françaises et italiennes qui ont confirmé dans leurs fonctions des individus à la morale aussi douteuse que Messieurs Chirac et Berlusconi, pose avec une particulière acuité la limite de la démocratie, quand le pouvoir du peuple se change en tyrannie des imbéciles.
Que
constate-t-on outre-Atlantique ? qu’un gouvernement qui n’a pas su prévenir la
déferlante du terrorisme au cœur même de l’Empire se pose contre toute logique
en unique rempart face à ce même terrorisme, qu’une clique de politiciens qui
prône discursivement le retour aux « valeurs morales », probité,
modestie, tempérance, respect d’autrui, honnêté, altruisme, conformisme sexuel,
gestion pantouflarde, patriotisme, démontre pratiquement le contraire :
affairisme, arrogance, connivence avec les lobbies du pétrole et des armes, mensonges
éhontés (les palinodies et autres revirements des Rumsfeld, Cheney ou Bush Jr
himself font cas d’école en ce domaine), mépris des classes populaires, rejet
haineux de toute contradiction en matière politique ou économique, apologie de
l’égoïsme, corruption, hypocrisie et mélange des genres (le véritable homme
fort du régime Bush n’est autre que le vice-président Dick Cheney, ancien PDG
de la firme Halliburton qui engrange les millions de dollars par centaines dans
la très hasardeuse « reconstruction » d’un Irak préalablement détruit
afin d’être plus rentable ensuite, époux d’une des administratrices de la
société Lockheed-Martin et, accessoirement, père homophobe d’une lesbienne
revendiquée*), endettement privé record, déficit public propulsé aux abysses, dollar
en chute libre face à l’euro, bellicisme morveux de bureaucrates jamais
confrontés personnellement aux armes (à l’exception du général Powell, qui
n’est d’ailleurs pas vraiment représentatif du soldat de base) et militantisme ultrasioniste,
via le sous-ministre Wolfowitz, le conseiller Pearl ou copinage saoudien, via
le clan Bush, camouflé en expédition pour la défense de l’Amérique, en croisade
pour la démocratie (les ADM virtuelles de Saddam Hussein, bien incapables de
voler jusqu’à Washington, n’auraient de toute façon jamais menacé autre chose
qu’Israël ou Riyad).
Cyniques,
agressifs, avides et prétentieux, tartufes d’anthologie entièrement occupés à
profiter de leur puissance séculière comme à faire fructifier leurs placements
financiers, les dirigeants étasuniens issus du parti républicain n’ont
absolument rien de professeurs de vertu ni de pieux pénitents préoccupés du seul
salut de leur âme, pourtant c’est en affichant ces impostures, leur piété
désintéressée, le souci protecteur de leur prochain, la défense publique de
« valeurs » qu’ils conchient en privé, qu’ils drainent in fine à eux
les suffrages qui font la différence et assurent leur maintien au pouvoir.
Certes, à
une époque cruellement bourgeoise où la réussite sociale à tout prix et le
culte des apparences –au demeurant deux caractères fondamentaux de l’idéologie
libérale-marchande dont l’Amérike est la terre élective et missionnaire- justifient tous les compromis,
toutes les trahisons, tous les crimes, on comprend qu’une part considérable des
masses ne demande qu’à emboîter le pas de dirigeants dont les turpitudes
absolvent par avance celles que lesdites masses pourraient développer (à ce
titre, les responsables de l’exécutif français et italien sont un vivant
encouragement à la « magouille »), reste que cette connivence des
coquins, petits et grands, qui pourrait se résumer à un « je ne le condamne pas, car à sa
place, j’en ferais autant », n’explique pas à elle seule l’adhésion de ces
« braves gens » qui n’ont objectivement rien à gagner dans la
pérennité du système et dont les suffrages font l’écart entre les progressistes
et les conservateurs-réactionnaires qui concrétisent actuellement dans le monde
–ou prétendent le faire- les aspirations des majorités.
Quoi,
alors ? la désinformation, le conditionnement, ainsi que le répètent tous
ceux qui ne se résignent pas à désespérer du peuple ?
Bien sûr,
sans doute… Pourtant, au sein des sociétés démocratiques modernes, les milliers
de livres publiés, les centaines de publications éditées chaque jour ou chaque
mois, les dizaines de chaînes de télévision et d’antennes de radiodiffusion,
l’Internet, ne permettent plus à quiconque de n’être pas contradictoirement
informé ; le désinformé, plus que celui qu’on manipule, c’est celui qui,
par manque d’éducation parfois, de curiosité le plus souvent, ne cherche pas à
être diversement informé, sinon la pluralité de l’offre d’aujourd’hui, quoi qu’elle
soit notablement mesurée au boisseau du commerce trivial et des actionnaires,
n’aurait pas le même effet lénifiant que les propositions restreintes d’hier (et encore les Etats-Unis étaient-ils largement en avance sur l'Europe occidentale en ce domaine),
quand une poignée de médias, la plupart du temps contrôlés par la puissance
publique, détenait un quasi monopole de l’information.
En
l’espace d’un quart de siècle, la quantité d’informations disponibles a été
multipliée par mille, néanmoins les masses silencieuses, souvent périphériques
ou profondément provinciales, réagissent comme leurs aïeules analphabètes qui,
contre la Raison et les Lumières, contre la redistribution et le partage, elles
qui ne possédaient rien ou presque, contre une nouveauté qui transforme la moindre réformette en révolution, se pressaient en troupeau apeuré derrière
le nobliau partouzard et le prêtre prévaricateur incarnant les voies du Chef et
du Seigneur, aussi impénétrables soient-elles, qui, la main sur le cœur, les
assuraient qu’il n’est pas de salut hors de la vertu, de l’obéissance, de la
charité bien ordonnée commençant (et finissant) par soi-même, de la procréation
massive de chair à manufacture et à canon.
Le
redneck du fin fond du Wyoming ou du Texas, l’ouvrier ruiné de l’Ohio ou le
petit bourgeois étriqué de Louisiane, ne vote pas Bush parce qu’il est abusé –il
a entendu parler de Michael Moore, par exemple, et le voue par principe aux
gémonies-, mais parce qu’il ne sait rien du monde et n’en veut surtout rien
savoir, parce qu’en dépit du progrès technico-technologique et de la diffusion jamais
vue des idées humanistes, socialistes et libertaires, la seule façon qu’il y a
pour lui de vivre, la plus rassurante, c’est celle de l’arrière-grand-père de
son grand-père, quand la Bible était l’unique livre qu’on lût, quand le fusil tenait
compagnie au coin du lit, quand la femme était au fourneau, le nègre au champ, le
bon indien spolié, et surtout, mort.
Voilà,
puisqu’il faut les dire sans voile sémantique, les vraies « valeurs »
de l’homo lupus, encore dit réactionnaire : la supersitition, le machisme,
le racisme, la rapacité, l’envie, la frustration sexuelle, la peur panique de
la différence, la haine de l’intelligence.
Lorsque
le peuple-roi instaure la tyrannie des imbéciles, la démocratie atteint les
limites dont surent naguère profiter Duce et Führer en désignant à la vindicte
populaire des ennemis imaginaires dont le prétendu pouvoir ne résistait
pourtant pas à la plus modeste analyse, en flattant des croyances archaïques
érigées en fondations éternelles, en exaltant les pires instincts humains travestis
en qualités d’âme, en glorifiant les désirs mortifères investis d’une énergie
positive.
Comment
se défaire de cette tyrannie des plus bornées des masses qui de tout temps tire l'humanité vers le bas s’en faire taire la voix
du peuple ?
Mathias Delfe
*perso,
je m’en fiche, mais c’est son paternel qui fait l’apologie de l’orthodoxie
sexuelle, du mariage hétéro et de la procréation lapiniste, pas moi