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Ca y est ! après le tumulte, les invectives, les polémiques, les conseils, les menaces, les allusions, les promesses… l’instant suprême, le vote. Pris entre trois planches et un rideau, n’offrant, comme dans une cabine d’essayage, au reste du monde que le spectacle de ses chaussures, le citoyen, les mains moites et tremblantes, pliant un papier trop grand pour une enveloppe trop petite,… si ce n’est pas appuyant sur un bouton comme sur une machine à sous, va, selon la formule consacrée, « exercer son droit et accomplir son devoir ».
A la fois écrasé par le poids de la responsabilité politique, qu’on lui a dit et redit, qu’il sent peser sur lui et le caractère dérisoire du bout de papier insignifiant qui se perdra dans l’océan des suffrages, la tête farcie de promesses, de slogans, d’images et de mots, le citoyen va, durant un bref instant, infinitésimal, exercer un pouvoir défini comme essentiel mais qui, malgré le poids de la tradition, de l’Histoire et des symboles, fondamentalement, ne changera rien, ni pour lui, ni pour ses semblables. Rares sont celles et ceux qui ont réussi à jouir dans l’isoloir… ou alors ils ne s’en sont jamais vantés.
A cet instant, ce n’est pas le sens insignifiant d’un soit disant pouvoir du peuple qui s’exprime, mais le sens que lui donne la démocratie marchande pour faire cautionner par les citoyens ce qu’elle est et sa volonté de pérenniser, bref de s’assurer, une stabilité avec une légitimité populaire.
Quand le citoyen a quitté l’isoloir, mis son enveloppe dans l’urne… à cet instant précis il n’est plus rien, ou plutôt si, il est ce qu’il a toujours été, un pion entre les mains d’un système qui le sublime un court instant. Son geste « citoyen », solennellement mis en scène, lui a donné l’impression enivrante d’être « tout »… les apparences sont sauves,… les affaires peuvent continuer.
Au regard de la société il a exercé son pouvoir de citoyen. En tant qu’être social il s’est soumis en fait à un protocole symbolique d’allégeance à sa condition de salarié.
Que vaut réellement cette quarante millionième partie du soit disant « pouvoir du peuple » ? Subjectivement tout, objectivement rien.
Comment se fait-il donc que ce rien multiplié par quarante millions vaille, en principe, autant et pour tout dire tout?
Je connais bien sur la réponse des défenseurs de cette absurdité : « Ceci n’est pas affaire de multiplication ou d’une quelconque arithmétique ». Et voilà que nos adeptes du calcul économique, de la rentabilité, que nos grands consommateurs de sondages et de calculs électoraux abandonnent la rationalité mathématique qui peuple leur univers pour se faire philosophes et moralistes.
Peut-on le leur reprocher ? D’une certaine manière non, ils ont finalement raison… mais pas pour les raisons qu’ils croient.
L’extraordinaire tour de force réussi magistralement par la démocratie marchande, et colporté aujourd’hui par ses serviteurs, a été, et est, de faire croire que le pouvoir est affaire d’addition d’opinions personnelles.
Il faut reconnaître que, formellement, l’idée est séduisante. Pourtant, elle ne résiste pas à la moindre analyse.
Le « pouvoir populaire » serait la synthèse mystérieuse de tous les pouvoirs individuels,… un peu comme la Sainte Trinité qui ne ferait qu’UN.
Adhérer à une telle idée, c’est croire ou feindre de croire, que la réalité sociale, c'est-à-dire ce qui constitue les rapports sociaux, les rapports de forces, les fondements des inégalités sociales, bref, l’essence même de l’organisation sociale, n’est que l’expression directe de ces millions d’opinions, plus ou moins informées, plus ou moins subjectives, mais à coup sûr manipulées, qui s’expriment le jour du scrutin.
Quiconque a vécu, et réfléchi un minimum à cette question, ne peut croire à une telle légende.
Par une mystérieuse, miraculeuse et surprenante alchimie, le pouvoir politique serait déconnecté un instant, un instant seulement et… précisément celui-là, des pouvoirs économiques, au point que le pouvoir politique du salarié ou du chômeur serait identique au pouvoir politique du PDG, (oh miracle !) mais également directement lié à eux au point de les définir et de les orienter (oh miracle ! bis)?
Toute l’histoire du système marchand depuis deux siècles est la plus parfaite dénégation de ce type de conception. Seuls les naïfs, ou les profiteurs, peuvent croire une telle chose.
Le, ou les, pouvoirs économiques, finalement les seuls qui comptent, sont restés et restent ce qu’ils sont et ce, quelque soit la forme et le mode d’élection,… quelle que soit la majorité issue du scrutin.
Quel sens prend alors l’acte de voter ?
Là est toute la question sagement et prudemment écartée par les gestionnaires du système marchand,… et les naïfs qui croient au pouvoir du bulletin de vote.
Le sens ne peut-être que de l’ordre du magique, de la croyance, et disons le, de la foi. Pas, bien sûr, de la foi religieuse au sens de la croyance en un dieu, mais de la croyance en des principes jamais démontrés, religieusement, pardon, civiquement appris, répétés jusqu’à plus soif, intégrés dans nos inconscient et jamais rediscutés.
Quand l’électeur/trice pénètre dans l’isoloir il peut avoir une des deux attitudes :
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->soit il y va avec conviction, sûr de posséder un pouvoir qui lui permet de dire en plagiant Rastignac devant Paris, « Société à nous deux ! », sûr de jouer un rôle historique,
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->soit il y va par habitude, sûr que son geste ne changera rien, mais forcé, en quelque sorte, de l’accomplir en disant « Il vaut mieux ça que rien » ou « Il vaut mieux untel que untel ! ».
Dans le premier cas son impuissance est en proportion de ses illusions mais il ne le sait pas. Dans le second cas ce sont ses illusions qui sont en proportion de son impuissance, mais alors là, il le sait.
Le soir du scrutin, devant son poste de télévision, sirotant une bière ou une tisane, il voit s’étaler devant lui le spectacle affligeant de la convergence de ces millions de gestes, que lui-même il vient d’accomplir. Spectacle mis en scène par les médias et consacrant la « victoire de la démocratie » ( ?).
Le lendemain matin il reprend sa voiture, sa bicyclette ou son métro, retourne à son travail… Rien n’a changé. Le surlendemain d’ailleurs non plus…
L’élection nous rend formellement tous égaux, c’est bien la preuve qu’elle est une mystification de la réalité sociale.
Patrick MIGNARD
Commentaires :
satya |
la grêve des électeurs/trices :DLu sur infokiosque
Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons. Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne ; je comprends M. Chantavoine s ’obstinant à chercher des rimes ; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô chauvin ! Il est bien entendu que je parle ici de l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer - ô folie admirable et déconcertante - des programmes politiques et des revendications sociales ; et non point de l’électeur « qui la connaît » et qui s’en moque, de celui qui ne voit dans « les résultats de sa toute-puissance » qu’une rigolade à la charcuterie monarchiste, ou une ribote au vin républicain. Sa souveraineté à celui-là, c’est de se pocharder aux frais du suffrage universel. Il est dans le vrai, car cela seul lui importe, et il n’a cure du reste. Il sait ce qu’il fait. Mais les autres ? Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les austères, les peuple souverain, ceux-là qui sentent une ivresse les gagner lorsqu’ils se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. Par ma volonté, Floque fait des lois auxquelles sont astreints trente-six millions d’hommes, et Baudry d’Asson aussi, et Pierre Alype également. » Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ? Comment peut-il arriver qu’il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le soûle ? À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?... Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Baihaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie spéciale et qu’il voie, au travers d’un mirage, fleurir et s’épanouir dans Vergoin et dans Hubbard, des promesses de bonheur futur et de soulagement immédiat. Et c’est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies. Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu’il n’a qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point. Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un, et de donner l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines. Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe. Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge. Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève. Octave MirbeauRépondre à ce commentaire
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Anonyme 18-04-07
à 19:00 |
Re: la grêve des électeurs/trices :Dexellent article de patrick mignard,puisse celui ci faire reflechir les moutons d'electeurs . pour la democratie directe et notre emancipation: Répondre à ce commentaire
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à 17:46