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Lu sur l'Humanité : "Contre-enquête . Le nouveau film du réalisateur Michael Moore, Sicko, dénonce les ravages du système de santé aux états-Unis. Il alerte sur les menaces qui pèsent en France. Entretien.
Lors d’un bref passage à Paris, le réalisateur a rencontré les journalistes dans un emploi du temps serré dont il s’excuse avec beaucoup de gentillesse. Le film est sorti aux États-Unis à la fin du mois de juin. Avant que le public français ne l’accueille, Michael Moore semble soucieux de bien lui faire comprendre son propos et souligne spontanément ce qui en constitue l’essentiel : « la santé comme un droit de l’homme ».
Pourquoi ce souci de ne pas être compris ?
Michael Moore. Aux États-Unis, le film fait bouger beaucoup de choses mais certains critiques, et pas parmi ceux qui me sont traditionnellement hostiles, ont considéré que Sicko serait mon film le moins politique. Je pense que c’est le plus radical. Aucun critique américain n’a, par exemple, relevé que je figure à un moment du film sur la tombe de Marx à Londres. Ce n’est pas anecdotique. Je viens d’un pays où la première cause de faillite individuelle réside dans les dépenses de santé. Le film a donc un écho. J’aurais pu m’arrêter aux situations de désastres qu’entraîne le fait de ne pas avoir de couverture sociale. J’ai choisi d’aller au-delà et de m’adresser à tous ces gens qui ont une assurance santé, croient au capitalisme et au « travail qui paie ». Comme metteur en scène, c’était un vrai défi. Réaliser un film sur les plus déshérités, pour un homme de gauche comme moi, il y a une certaine facilité. Je connais cela de l’intérieur. Pas la misère mais une vie compliquée par le manque d’argent. Lorsque nous vivions ma femme et moi dans le Michigan avant que je ne devienne cinéaste, nous conservions les dix cents de consigne de chaque canette de soda pour aller au cinéma. Avec Sicko, je tente de m’adresser aux classes moyennes, voire aux classes moyennes supérieures, ce qui ne va pas de soi, même si personne ne croit plus tout à fait au « rêve américain ».
Vous offrez des systèmes de santé canadien, anglais et français une vision idéale dans laquelle peineront à se reconnaître ceux qui en éprouvent la réalité. Quel est le sens de ces séquences ?
Michael Moore. Ces différents pays du monde capitaliste occidental sont parvenus à mettre en place des systèmes de solidarité. J’en connais les inégalités comme je sais qu’en France des menaces pèsent sur la Sécurité sociale. Je voulais montrer au public américain que je viens d’évoquer qu’il est possible d’envisager des systèmes de ce type, de considérer la santé non comme un privilège mais comme un droit. Je donne de ce qui se passe dans ces pays une vision superficielle, mais souvenez-vous que huit Américains sur dix, toutes couches sociales confondues, n’ont pas de passeport. Aucun américain ne devrait se sentir autorisé à parler de la France. Je montre d’ailleurs des images de grandes manifestations, de luttes sociales que mènent les Français pour maintenir leurs droits. Chez vous une femme et de surcroît sous l’étiquette « socialiste » a pu se porter candidate à l’élection présidentielle et remporter quelque 47 % des suffrages. Même compte tenu de la défaite, c’est une situation qui serait totalement surréaliste aux États-Unis.
Et Cuba, qui n’est pas un pays capitaliste ?
Michael Moore. Ce qui rend les conservateurs américains furieux dans mon périple cubain, ce n’est pas le fait qu’il s’agisse d’un pays socialiste. La diabolisation qu’ils en font ne permet pas une comparaison rationnelle entre différents régimes politiques. Ils m’en auraient moins voulu si j’étais allé en Chine, ce qui aurait pu être pertinent lorsqu’en plus on connaît la qualité de la médecine chinoise et son histoire ancestrale. Que je me sois rendu à Cuba est surtout pour les conservateurs un - facteur d’humiliation. Cette île petite et pauvre soigne ses habitants alors que les États-Unis, première puissance mondiale, arrivent au 37e rang dans ce domaine, juste devant la Slovénie.
Comment le public français peut-il recevoir votre film ?
Michael Moore. Comme une alerte. Si vous voulez ressembler aux Américains, vous allez au-devant d’énormes problèmes sociaux. On tente chez vous aussi de manipuler l’opinion sur la Sécurité sociale qui coûterait trop cher ou les immigrés dont il vaudrait mieux se débarrasser. Je suis un homme d’images et je regarde beaucoup la télévision. Entre mon premier séjour en France il y a trente-trois ans et aujourd’hui, « l’américanisation » de votre télévision est très frappante. Et dangereuse.
Entretien réalisé par Dominique Widemann