Devant l’agression sans précédent contre les conditions de vie, de travail, la protection sociale,… une colère sourde gronde de plus en plus… jusqu’à présent en vain.
Les
organisations politiques et syndicales classiques sont incapables d’offrir une
issue à cette crise, nous en avons aujourd’hui la preuve tangible. Pire le
système en place fait, au travers de son système électoral, et des
manipulations de pseudo dialogue, qu’il peut que reproduire sans problème, avec
la complicité d’une légitimité populaire.
LES LIMITES DE L’ESPRIT DE REVOLTE
L’esprit
de révolte a quelque chose d’enivrant, de grisant, en ce sens qu’il est à la
fois l’expression d’un sentiment profond, individuel et collectif et qu’il
donne l’illusion que tout est possible pour faire cesser la contrainte, l’injustice,
l’inacceptable.
Cet
esprit de révolte a une autre dimension non négligeable, il est un incessant
rappel à des heures passées, glorieuses et qui furent pleine de
promesses : les révoltes ouvrières, la Résistance, Mai 68,… Par lui
l’Histoire nous pousse en avant, en nous incitant à un mimétisme troublant et
artificiel, aussi bien celles et ceux qui ont vécu ces moments que celles et
ceux qui les ont intégré dans leur conscience comme une sorte de mythes.
La
force de la révolte c’est qu’elle est fondée, ancrée dans le vécu… et fait
rêver.
C’est
probablement cette prégnance objective qui fonde l’esprit de révolte qui est à
l’origine de tous les dérapages en matière de pratique politique.
Autrement
dit, ce n’est pas parce que la cause est
juste et que la révolte est logique que la victoire est certaine et que les
objectifs de libération seront atteints. Toute l’Histoire, de Spartacus au
mouvement ouvrier, en passant par les révoltes paysannes dans l’Europe du Moyen
Age et la Commune de Paris, en est la plus évidente confirmation.
Cette
évidence historique nous l’avons complètement oubliée et nous ne nous en tenons
qu’à l’aspect héroïque, voire symbolique, de ces épisodes. Tentant naïvement de
reproduire les exploits de héros mythiques qui, s’ils n’en ont pas moins
défendu des causes justes, n’en ont pas moins non plus été vaincus.
Aujourd’hui, cette révolte ne s’exprime
que de manière corporatiste, symbolique, par des manifestations ridicules de
naïveté et d’inutilité.
Ce
dont nous avons besoin aujourd’hui ce n’est pas d’épopées héroïques, de héros
charismatiques, voire de martyres,… mais d’une stratégie efficace qui, en
tenant compte des erreurs passées, nous assure la victoire, la vrai, celle qui
reste.
LES PIEGES DE LA REVOLTE
La révolte n’est pas une stratégie et si elle est, ce qui est incontestable, l’expression d’une conscience, d’une
intelligence immédiate de la réalité, elle
ne fonde absolument pas la manière d’agir en vue de la transformation de cette
réalité. La révolte est aussi « courte » dans ses projections
dans le futur que spontanée dans l’expression d’un sentiment… et, chose que
l’on a totalement oubliée, l’accumulation
d’un potentiel de sentiment de révolte ne fait pas du tout une stratégie de
changement.
Si
l’esprit de révolte est nécessaire comme expression d’un refus et prise de
conscience, il est tout à fait insuffisant pour faire que l’action menée à ce
moment là soit, stratégiquement, une lame de fond du changement social. Les
exemples sont multiples d’une explosion sociale,… sans lendemain.
La
puissance, conjoncturelle, généralement temporelle, d’un mouvement de révolte
trompe sur sa capacité à changer structurellement la situation qui l’a
provoqué. On croit lire dans la révolte, au-delà de la volonté, l’esquisse d’un
monde nouveau… ce qui est absolument faux… l’Histoire nous le prouve.
Lorsque
cette révolte prend même une allure insurrectionnelle, rien ne dit que le
processus de transformation sociale est enclenché. L’Histoire du 20e
siècle nous a largement montré comment des révoltes habilement menées au point
de s’emparer même du pouvoir – et croyant, à tord se transformer en révolutions
- ont totalement dégénérées dans le contraire de ce qu’elles prévoyaient et ont
disparu, elles et leurs réalisations, au bout de quelques décennies.
Aujourd’hui,
la même vision aberrante, mais dans la version « légaliste » anime
les « leaders médiatico- charismatiques montés comme des blancs d’œuf par
les médias » de la transformation sociale. Surfant sur les
mécontentements, ils essayent de les rassembler en vue de se faire élire… on
sait ce que cela donne.
Donner à croire en un fondement
stratégique de la révolte c’est s’engouffrer dans une impasse.
Le
pouvoir, tous les pouvoirs ont toujours su assurer leur pérennité. Ils ont
toujours trouvé des mercenaires surarmés, brutes payées, prêtes à toutes les
infamies pour assurer leur ordre, déterminés à utiliser la violence, toujours
présentée comme légitime, pour garantir leur domination. Ils ont toujours su
sécréter une idéologie mystificatrice qui trouvait toutes les bonnes raisons du
monde pour justifier l’ordre établi. Le peuple, même armé, n’est même pas sûr
de la victoire,… encore moins armé de bulletins de vote.
La
révolte se termine généralement dans le sang des révoltés.
Pousser
à la colère, à la révolte, sans stratégie correcte, c'est-à-dire allant dans le
sens d’une dynamique de changement de rapports sociaux, et non se limitant,
comme c’est généralement le cas, à un simple coup d’Etat militaire ou coup
d’éclat électoral, c’est se condamner à ne rien changer.
AU DELA DE LA REVOLTE
Il
n’y a rien de possible au-delà de la révolte si celle-ci n’est que l’expression
spontanée d’un simple refus. Ce n’est pas parce que l’on est, et même nombreux,
contre un état de fait que l’on a forcément la solution de son dépassement, et
même si l’on en a une vision idéalisée
– ce qu’ont eu la plupart des « révolutionnaires » au 20e
siècle – cela ne veut pas dire que le changement est possible et viable.
Tout
en prenant l’esprit de révolte pour ce qu’il est – le refus et la prise de
conscience – il faut tout de même se garder de ne pas lui faire dire plus que
ce qu’il signifie et espérer de lui plus qu’il ne peut apporter. Cette attitude
est complètement ignorée aujourd’hui par les pseudo théoriciens du changement
social qui prennent leurs désirs – du moins pour celles et ceux qui sont
politiquement honnêtes - pour la réalité.
L’au-delà
de la révolte, en dehors de son échec source de frustration, ne peut être que
la prise en main collective d’un nouveau type
de relations sociales. Or, et l’Histoire nous le rappelle constamment,
celles-ci ne sont pas d’une génération
spontanée…. C’est d’un aventurisme suicidaire que de le croire.
L’histoire
des changements sociaux n’est que l’Histoire d’une évolution de nouveaux
rapports sociaux qui minent peu à peu le système dominant. Toute expérience qui
a fait l’hypothèse que l’on pouvait faire table rase sans rien avoir construit,
prévu, s’est terminée dans le drame. Des exemples ?
La
« pureté » naïve et le caractère prémonitoire des discours radicaux
aujourd’hui, n’a d’égal que le vide des perspectives qu’ils offrent… ce qui
explique leur stagnation en tant que référence politique.
C’est
donc à cette révision fondamentale de notre conception, vision des changements
sociaux à laquelle nous devons nous atteler au lieu de trépigner d’impatience
devant ce système qui nous conduit à la catastrophe et vis-à-vis duquel nous ne
savons pas quoi faire de concret.
Juin 2008 Patrick MIGNARD
Voir aussi :
« MANIFESTE POUR UNE
ALTERNATIVE »