LA RELIGION EST VIEILLE COMME LE MONDE. Le machisme aussi. Ce n'est pas une raison pour ne pas lutter contre ces fléaux qui paraissent intimement liés. Ils font référence tous deux au pouvoir, et celui (car c'est souvent une figure masculine) qui détient le sacré détient le pouvoir. Le bénéfice non négligeable de cette relation de pouvoir banalise cette forme de relation hiérarchisée qui s'applique aussi à tous les individus. Sa principale victime est la femme. Mais ceux qui pensent qu'il y aurait intérêt à utiliser ce pouvoir oublient qu'ils n'échappent pas au pouvoir que d'autres exercent sur eux.
Le lien entre religion et patriarcat repose au moins deux raisons
- La force physique et le goût de la conquête attribués à l'homme ont permis d'affirmer une volonté de domination sur la femme.
- L'homme est fasciné et dérouté par la femme qu'il ne comprend pas toujours. Il â donc entrepris par la voie du politique et du religieux d'affirmer cette supériorité qu'il revendique.
En ce qui concerne le religieux, les mystères de la procréation, de la mort, de l'univers, etc., sont suffisamment extraordinaires pour que l'espèce humaine ait recherché des réponses et se soit créé un panthéon protecteur ou canalisateur de ses angoisses. Ces divinités lui ont permis notamment d'imaginer avoir un poids sur son environnement (cérémonies, rituels, sacrifices, etc.). Puis les grandes religions monothéistes ont pris le pas, reprenant le rôle de « père ». La défiance de l'homme vis-à-vis de la femme a alors trouvé l'occasion d'y être reconnue, affirmée, érigée en dogmes. Dieu a donc permis de justifier les prérogatives que l'homme s'est octroyées, celles-ci devenant alors « des vérités » voire des évidences.
C'est la question de la procréation qui à donné la première réponse: la semence (le sperme) est devenue plus importante que la terre, la femme, porteuse de vie, réduite de fait à un simple réceptacle. La seule fonction maternelle a été reconnue. Pour le reste, l'infériorisation de la femme, assimilée à une servante, est devenue la règle. Elle est décrétée impure, porteuse de la faute originelle, et affublée de tous les défauts: menteuse, perverse, sournoise, manipulatrice, moins intelligente,d'une valeur marchande inférieure à celle ~ de l'homme. Le fait qu'elle soit mauvaise lui enlève tout droit à l'égalité avec l'homme à qui elle doit être soumise, de qui elle doit accepter toutes les injustices qu'il lui inflige.
La religion a une autre fonction pour l'homme. Elle doit l'aider à se protéger de luimême mais aussi à justifier les violences, les excès dont il est capable. En effet, il est soumis à des pulsions, sexuelles notamment, qu'il a du mal à contrôler. À travers les dogmes, il inflige à la femme le devoir de gérer ces pulsions en attribuant les dérives aux défauts intrinsèques de la femme. C'est à elle de se voiler pour ne pas provoquer l'homme, lui, a droit à l'adultère, pas elle. Pour elle, la punition peut être redoutable (lapidation, etc..). Il gère donc à sa, manière son incontinence sexuelle en utilisant la religion comme une ceinture de chasteté... qu'il fait porter à la femme. En (affublant de tous les maux, il justifie les violences qu'il lui fait subir.
Ces éléments se retrouvent, quelles que soient les « grandes » religions. Dans la Bible, la femme est malmenée et mise en position d'infériorité (Lilith, Ève et Adam, etc.). Qui a écrit la Bible? Il s'agit d'un ensemble de textes dont la quarantaine d'auteurs est exclusivement masculine. Les hadiths du Coran sont interprétés par des « spécialistes » (ayatollahs) qui sont tous des hommes. Seul le bouddhisme entrevoit que le successeur de Bouddha puisse être une femme. Sauf qu'à ce jour, nous n'en connaissons aucune! Et la même défiance est de règle dans les textes fondamentaux du bouddhisme. Le Coran et la Bible ne prennent même pas la peine d'imaginer un dieu nommé au féminin.
La religion est bel et bien un outil d'asservissement pour la femme. Et pour donner à ses dogmes davantage de puissance, l'homme y ajoute le culturel (traditions locales) qui interfère. Un imbroglio se tisse autour de la femme la mettant complètement à sa merci. Si la religion n'a pas de réponse et peut parfois donner une liberté ou un espoir (« Dieu est amour », < Le dernier sera le premier », « Aime ton prochain comme toi-même »), le culturel prend aussitôt le relais pour confirmer la place de citoyenne de seconde zone: l'homme devant, la femme derrière, l'excision voire (infibulation, le voile, la séparation homme e-femme, les mariages arrangés, l'impossibilité pour la femme à occuper le statut de prêtre ou d'imam et sa relégation au statut de simple fidèle, la place de la femme dans, la société avec des salaires de 30 % inférieurs, les crimes d'honneur, les infanticides de filles dans certains pays asiatiques, les « fémicides », les violences conjugales, le sexisme, le trafic sexuel, les viols comme arme de guerre, l'héritage dans le monde musulman, le statut des veuves en Inde, la double journée de la femme occidentale, etc.
Un dernier exemple: les musulmans conservateurs du Bangladesh (Mouvement pour une constitution islamique) ont manifesté le 8 octobre dernier pour protester contre l'organisation du premier championnat de football réservé aux femmes. Ils ont menacé de faire le siège du conseil national des sports « tant que cette idée diabolique ne -sera pas abandonnée ». Leur slogan: « Stop aux activités contraires à l'islam, préservons le caractère sacré de la femme! » Ce caractère est sacré quand c'est nécessaire. Il ne s'oppose pas à l'aliénation de la femme et il est parfaitement compatible avec l'enfermement qu'il lui fait subir (burqas, séparation des sexes, assignation à la maison, interdiction de fréquenter le sexe opposé, attaque des femmes au vitriol, analphabétisme des filles, etc.).
Mais n'oublions pas que la religion est aussi aliénante pour les hommes.
Femmes et hommes ont tout intérêt à se libérer de ce carcan. Une simple raison devrait suffire: la religion refuse toute idée de démocratie directe, de choix, de liberté, dans son fonctionnement. Dieu décide tout le temps. pour tout le monde. La seule réponse est donc l'émancipation politique et religieuse de toutes les femmes.
Marie-Jo Pothier
commission Femmes de la Fédération anarchiste
Le Monde libertaire #1383 du 27 janvier au 2 février 2005