La marche des canards. Ou derrière l’état, la leçon des chars d’assaut…
La tyrannie des fascismes parait parfois loin derrière nous. Avec les horreurs du nazisme, l’autoritarisme a obtenu sa pire gravure. Mais qu’est-ce que l’extrême-droite et le totalitarisme ? Il est, de fait, difficile de caractériser cet appétit de dictature pourri d’idéologies criminelles. La volonté d’imposer un ordre bien à soi construit aussi bien l’état nationaliste que les particularités monarchistes ou théocratiques. Mais il est des leçons que l’on peut aussi tirer des démocraties actuelles.
Par exemple, il y eut un débat pour rendre compte des politiques liberticides des gouvernements Sarkozy et autres implications identitaires. Était-ce du fascisme que de détruire les campements de roms, de réexpédier les immigrants dans des pays en guerre, d’emprisonner ceux de Tarnac, d’établir des lois contre les manifestants masqués, de renvoyer un enfant polyhandicapé entre autres exemples ? Nombre de journaux bien-pensants ont répété que le fascisme était autre chose, de l’ordre de l’idéologie nationaliste plus que de la construction législative, ou encore que l’inspiration de Sarkozy ne venait pas d’une filiation avec Pétain, principalement parce que les intentions pragmatiques de notre gouvernement le dédouanait de risquer un tel dérapage. Non, ces politiques étaient décidées par des « voyous », certes, et votées par des nostalgiques de la droite dure, mais pas par des fascistes. La liberté serait confisquée au nom de la démocratie parce que l’objet en était notre protection.
Outre que c’est oublier un peu vite que le fascisme eut précisément ces méthodes de voyous et ses pseudo-intentions rédemptrices, il me semble que c’est aussi tenter de distinguer les « bons » liberticides des « mauvais ». Mais quand on a des ailes de canard, des pieds de canard et qu’on marche comme un canard, peut-on échapper à cette nomination de canard ?
Le gouvernement brésilien vient, en tout cas, de nous apporter quelques informations en direct des canards. Démocratiquement élu à peine, l’état de gauche décide immédiatement l’envoi de 18000 hommes des forces armées et de six chars de combat pour réinvestir un lieu des plus mal famés, les favelas, ces bidonvilles où s’entassent des milliers de pauvres. Rétablir l’ordre « républicain », châtier toute infraction à l’ordre public, cela vous dit quelque chose ?
Pour user de l’armée contre les pauvres, le discours a été simple. Car la marche des canards est une danse à trois temps. Premièrement, on désigne une catégorie particulière de gens que l’on joue contre les autres. « L’ennemi intérieur » a ainsi toujours fait recette. Pensez-donc, l’ennemi, une catégorie extérieure par excellence devient ainsi un mouton noir contre les autres, mais situé à l’intérieur de la « nation ». C’est aussi la méthode du bouc émissaire. Les métèques, les terroristes, les homosexuels, les juifs, les noirs, les arabes, les roms, les anarchistes, tous ceux-là ont aussi eut leur heure. Le lieu peut tout autant servir depuis les quartiers jusqu’aux favelas. Au brésil, la désignation concerne les « narcotrafiquants ». Quel joli vocable pour parler de cette hypocrisie ordinaire qui fait que les pauvres inventent une autre économie pour survivre. Que cette économie de la misère soit ensuite investie par des mafias et marchands en tout genre n’empêche rien du fait que c’est d’abord parce que les ressources sont confisquées que les pauvres s’organisent autrement. Cette duplicité est un autre débat, mais qui revient toujours à cette même appellation d’ennemi intérieur. Au fait, comment reconnait-on un narcotrafiquant sans son étoile rose ? C’est simple, il est dans le viseur.
Deuxième temps, une fois le groupe ennemi étiqueté, il faut veiller à trouver des textes législatifs ambigus offrant le droit à la police de poursuivre cette illégalité. Si ces textes n’existent pas, ils sont rapidement votés en termes très généraux, mais prétendument applicables à des cas très précis sur le moment, comme ce fut le cas de la loi contre les « manifestants masqués ». La loi punit les actions désignées, puis les associés de ces actions ou « associations de malfaiteurs », et depuis peu, par extension, et notamment en utilisant le fanatisme islamique, on fustige aussi l’intention de ces actions, sous le terme « en rapport avec une entreprise criminelle ou terroriste ». On voit alors des polices militaires s’installer, armes à la main, dans les gares et les jardins publics. Remarquons aussi que les patrons voyous et autres malfaiteurs du peuple sont consciencieusement ignorés dans ces actes légaux et encore davantage dans la punition.
Troisième temps de la marche des canards, l’application de la répression au prétexte de la loi. Soudain, les forces de l’ordre entrent en scène, bruyamment devant les caméras. L’arsenal législatif présente cependant un inconvénient, il ne dit rien de la sortie des chars d’assaut. Car quand la police ne se montre plus assez efficace pour réprimer le peuple, on sort immédiatement l’armée et ses groupes spéciaux de combat, toujours au nom de la loi. Ces assauts révèlent toujours l’inouïe brutalité des forces engagées, frappant sans état d’âme d’estoc et de taille. Dès lors, la peine de mort immédiate peut être banalisée comme cela se fait aujourd’hui, devant nous, dans les favelas. La mort est toujours du côté du plus fort. Notons, au passage, que c’est soi-disant pour éviter les décès accidentels dus à l’absorption de mauvaises drogues, que la police et l’armée brésilienne sont présumées intervenir en ce moment. Bien entendu, ces atrocités constituent une manne pour les journaux qui relaient sans nuances le discours d’état. Mais il n’en reste pas moins que la prétendue légalité est largement bafouée par ceux qui prétendent l’appliquer. Ici, pas d’arrestation dans les règles, le droit est seulement du côté des armes. Alors, pour réinvestir la bourse contre les patrons voyous, envoyons aussi l’armée…
Une leçon peut cependant être apprise ici. C’est que derrière l’état, de la Tchécoslovaquie à la Chine, en passant par mai 68 ou le Brésil d’aujourd’hui, les chars d’assaut ne sont jamais loin pour peu qu’on sache comment en présenter aimablement l’intervention armée. La force brutale impose l’ordre. Peut-on imaginer cela en France ? Non ? Et pourtant les « cités », les « quartiers » n’ont-ils pas déjà fait l’objet d’une loi d’exception, « l’état d’urgence » a été décrété en 2005 contre des enfants des banlieues. Et que dit la loi sur l’état d’urgence ? A combien de morts a-t-elle légalement le droit ? Mesrine aussi a été abattu sans procès.
De fait, la démocratie ne parait bien qu’une des situations possibles de la force de l’état, qui, dès qu’il s’avère un peu bousculé, sait parfaitement ignorer les conditions d’applications de la démocratie elle-même. Démocratie et dictature paraissent deux dispositions provisoires, apparemment à l’extrême l’une de l’autre, mais parfaitement complémentaires et interchangeables selon les évènements. D’ailleurs, plus la droite devient décomplexée, plus Marine se fait présentable, et qui sait, bientôt on les verra ensemble…
Faut-il attendre le troisième temps ? Une république ne peut pas exister à l’ombre de lois d’exception. Le premier temps de la marche des canards, l’établissement de lois scélérates, injustes, illégitimes, liberticides montrent que le totalitarisme n’est jamais loin pour s’en prendre dictatorialement à ceux qui sont désignés. L’acceptation docile de ces légalités douteuses doit être combattue, refusée. La résistance commence là.
Alors, risquons-nous la dictature parce que nombre de lois liberticides ont été adoptées ? Pas encore, mais c’est selon les besoins car nous y sommes un peu quand même. Car quand on a des plumes de canard, des ailes de canard et des pattes de canard…
No Passaran…
Thierry Lodé