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Il y a dix ans, une vingtaine de militant-e-s rouennais de la Fédération anarchiste (FA) a eu la bonne idée de s’attaquer à un projet un peu fou : ouvrir une librairie alternative sur le mode associatif, donc à but non lucratif. L’Insoumise propose aujourd’hui un vaste choix d’ouvrages (sciences humaines et sociales, littérature francophone et étrangère, BD…). Sur quarante mètres carrés, livres, revues, journaux, CD, affiches, autocollants annoncent la couleur : noir (un peu rouge et noir aussi). Neuf et occasion se mélangent. Il y en a donc pour toutes les bourses.
Nous avons déjà parlé ici de Jean-Pierre Levaray. Syndicaliste CGT dans une usine classée Seveso 2 de la région rouennaise, il est l’auteur du célèbre Putain d’usine (livre décliné en BD, en film et en pièce de théâtre) et d’une série de bouquins sur la classe ouvrière (Une année ordinaire - Journal d’un prolo, Classe fantôme, Des Nuits en bleus, Du Parti des Myosotis, Tue ton patron…). Militant de la FA, passionné de littérature, de fanzines et de punk rock, chroniqueur au Monde libertaire et à CQFD, il était évidemment parmi les fondateurs de L’Insoumise.
PACO : Peux-tu nous raconter la naissance de L’Insoumise ?
Jean-Pierre Levaray : Ça faisait plusieurs années que le groupe FA de Rouen voulait avoir une vitrine pour dépasser les réunions internes, les participations aux manifs, les distributions de tracts. Nous voulions un lieu pour rencontrer, pour diffuser la culture libertaire, au sens large, ainsi que montrer que nous n’étions pas des poseurs de bombes. Etant un groupe militant assez nombreux, nous avions un peu d’argent et nous avons cherché dans Rouen, un lieu correspondant à nos souhaits et nos finances. Nous avons trouvé assez vite, dans l’un des derniers quartiers populaires du centre ville, un ancien bar, fermé depuis plus de 10 ans et qui s’appelait « à la cloche d’argent ». Nous l’avons acheté très peu cher car il était délabré et nous y avons passé, à une bonne dizaine, tous nos week-ends pendant un an, à apprendre sur le tas quasiment tous les corps de métier du bâtiment.
PACO : Même si la librairie n’est pas ouverte tous les jours, ça doit représenter un investissement fou pour la tenue des permanences, l’inventaire, les commandes… Vous vous organisez comment ?
Jean-Pierre Levaray : Effectivement ça représente un gros investissement militant, notamment parce que nous tenons les permanences au moins à deux (les mercredis, vendredis et samedis après-midi). Je dois dire que, personnellement j’ai levé le pied. Pour les inventaires et les commandes, on fait ça en fonction des disponibilités. Il n’y a pas de rôle dévolu (sauf pour moi qui suis le trésorier).
PACO : L’Insoumise est aussi un lieu de débat avec des auteurs, un lieu d’exposition. Vous en proposez souvent ?
Jean-Pierre Levaray : Au minimum nous organisons un débat par mois, mais c’est plutôt deux animations. Nous avons nos habitués comme Maurice Rajsfus mais aussi des spécialistes, sur les mesures sécuritaires, sur le mouvement social. Dernièrement nous avons organisé un débat pour tenter d’analyser le mouvement des retraites. Nous faisons également, environ trois fois par an, une soirée poésie animée par Guy Pique (notre poète), qui attire du monde et où les gens font découvrir les textes de leur choix.
PACO : Votre créneau est très ciblé « anar ». Vous vendez des livres publiés par des éditeurs libertaires, mais pas seulement. Il arrive que de « grandes » maisons éditent ou rééditent des livres consacrés au mouvement anar. Comment sélectionnez-vous les livres que vous vendrez ou pas ?
Jean-Pierre Levaray : Nous sommes ciblés « anar » mais pas uniquement. Notre librairie est « libertaire et alternative », ce qui veut dire qu’on s’est ouvert à d’autres courants : féminisme, écologie, éducations… D’autre part, il n’y a pas que des militants FA qui participent à la librairie. Nous essayons de tenir deux assemblées générales par an où nous décidons, ensemble, des projets, animations et des achats. Par contre nous proposons peu de livres qui viennent des « grandes » maisons d’édition, qu’on peut trouver à la FNAC. Nos lecteurs viennent ici pour trouver ce qu’on ne vend pas ailleurs.
PACO : La boutique est située dans un quartier vivant de Rouen. Ça se passe comment avec les riverains ?
Jean-Pierre Levaray : Ça se passe plutôt bien, même si, parfois, les odeurs de kebab gênent nos copains végétariens. Nous avons de bons rapports avec l’association de quartier et nous participons même à la foire à tout annuelle qui voit défiler énormément de monde et qui nous fait rencontrer de nouveaux lecteurs. C’est plutôt avec la mairie que les rapports sont difficiles. Nous avons eu de nombreuses amendes pour affichage sauvage, mais les choses semblent rentrer dans l’ordre. Il a fallu intervenir (avec d’autres assos et mouvements politiques), mais c’est la librairie qui était la plus sanctionnée. Lorsqu’on veut faire vivre un lieu, il faut communiquer, ce que la mairie (socialiste) a eu du mal à comprendre. C’était quand même un comble, nous avions eu un accord avec la municipalité précédente (de droite) et là, par soucis soit disant environnementaux, le PS voulait nous faire couler. Autre point d’achoppement avec la mairie, celle-ci a eu la bonne idée d’installer des poubelles collectives devant notre vitrine…
PACO : Il y a combien de librairies de ce type en France ? Vous fonctionnez en réseau ?
Jean-Pierre Levaray : Je ne connais pas le nombre exact mais, il y en a pas mal. Que ce soit Publico à Paris et La Gryphe à Lyon, pour parler des plus anciennes, il y a l’Autodidacte à Besançon, Le Cri du Peuple à Reims, le CCL à Lille, Antigone à Grenoble, et bien d’autres à Rennes, Angers, Bordeaux. C’est un phénomène qui a pris de l’ampleur ces dix dernières années. D’autant que la littérature et l’édition libertaires sont riches. Le mouvement libertaire a toujours laissé une place importante à l’écriture et à la réflexion. Malheureusement, étant pris par le quotidien de nos librairies respectives, nous n’arrivons pas à fonctionner en réseau. Il y a eu des rencontres, des réflexions mais pas de réseau… Dommage.
PACO : Vous fêtez vos dix ans le 29 janvier à la Maison de l’Université de Mont-Saint-Aignan. Ça vous arrive souvent de sortir de vos murs ?
Jean-Pierre Levaray : Nous sortons souvent de nos murs. À la librairie, on ne peut accueillir, au maximum, qu’une trentaine de personnes. Même si nous avons fait venir du théâtre, des petits concerts, nous avons aussi organisé des « gros trucs » : concerts pour les « nuits de l’anarchie » à Petit-Quevilly, un colloque… La librairie est certes un lieu de rencontre mais nous en sortons…
PACO : Peux-tu nous donner quelques rendez-vous pour 2011 ?
Jean-Pierre Levaray : les rendez-vous ont été fixés en Assemblée Générale, mais je n’ai pas vraiment de dates à te donner. Il y a deux projets en cours, l’un avec le DAL et l’autre avec la CNT de Rouen sur l’antifascisme. Nous avons également invité Normand Baillargeon, libertaire québécois auteur de L’Ordre moins le pouvoir et Petit cours d’autodéfense intellectuelle que l’on voit dans le film Chomsky & Cie…
PACO : Tu aurais un coup de cœur à nous confier sur un livre vendu en ce moment par L’Insoumise ?
Jean-Pierre Levaray : C’est un peu compliqué, mais je dirais : Plutôt la mort que l’injustice – Au temps des procès anarchistes de Thierry Lévy paru chez Odile Jacob, ainsi qu’une brochure intéressante sur ce qui se passe en Chine : Incidents de classe en Chine – Les travailleurs Chinois contre le capital mondial au XXIe siècle. Voilà.
Bon anniversaire à L’Insoumise le samedi 29 janvier à la Maison de l’Université de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime). Au programme : projection de Nosotros del Bauen, un film de Didier Zyserman sur le mouvement des entreprises récupérées et autogérées en Argentine (à 15h30), débats (à 18h), bouffe (à 19h30), concert avec Les Brigades de la basse-cour (à 21h, entrée à prix libre).
Librairie L’insoumise, 128 rue Saint-Hilaire 76000 Rouen. Ouverture les mercredis (de 16h à 18h), vendredis et samedis (de 17h à 19h). Courriel : info-insoumise@no-log.org
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