Dans l'arrière-pays niçois, la ferme du Collet multiplie les alternatives en vue d'une plus grande autonomie. Une expérience qui cherche à accueillir d'autres familles pour améliorer les synergies.
la fin des années 80, Bertrand et Katia se rencontrent et vivent ensemble à Paris, lors de leurs études, lui en économie, elle en architecture. Au bout de cinq ans, ils souhaitent quitter la ville et partent à la recherche d'un écovillage, notamment pour assurer à leurs enfants l'éducation la plus écologique possible. Ils font un tour des lieux existants et découvrent le hameau de Boussac, dans le Lot-et-Garonne, où vivent huit familles et de nombreux enfants (1). Ils s'y installent un moment, le temps de constater que la dynamique collective est en baisse, les familles présentes n'ayant plus tellement d'activités ensemble, même si pour les enfants, c'est l'idéal. Ils trouvent également que le paysage n'est pas assez sauvage. Ils continuent à visiter des lieux. Lors d'une visite à Eau vivante (2), ils rencontrent Françoise et Diégo, également en recherche. Françoise, Parisienne d'origine, a fait des études de russe, Diégo, Espagnol, né en banlieue, a vécu en communauté dès l'âge de 17 ans. 11 est autodidacte et s'est formé avec des agriculteurs, des pépiniéristes, des charpentiers et des boulangers.A eux quatre, ils envisagent de créer un lieu. Des amis leur signale une ferme en vente à La Penne, un village
perché sur un plateau, au-dessus de la vallée du Var, à 750 m d'altitude. La ferme est présentée lors d'une réunion du réseau des écovillages pour voir si d'autres personnes sont intéressées pour y faire une installation collective. Il y a 24 hectares, moitié en forêts, moitié en prairies, et plusieurs bâtiments. Ils proposent d'y installer un lieu d'expérimentation d'autonomie maximale autour de l'écologie pratique, la simplicité de vie, l'agriculture synergétique, la permaculture. Le lieu est ouvert en priorité à des familles avec enfants pour permettre à ceux-ci de vivre sur place une expérience forte en groupe.
Comme les discussions n'avancent pas au sein de ceux et celles qui rêvent de rejoindre un écovillage,les deux couples engagent eux-mêmes des discussions avec la SAFER (3) pour se porter acquéreurs de la ferme. C'est assez long, parce qu'ils ne sont pas agriculteurs et donc non prioritaires. Les expériences présentées dans le réseau des écovillages montrent que les choses ne sont pas toujours claires sur le plan de la propriété et que c'est souvent une cause de conflit et &échec. Après avoir bien débattu, ils créent une société civile immobilière (SCI) pour faciliter une cogestion du lieu. Le prix de vente étant de 120 000 €, ils espèrent au départ trouver six familles qui prennent chacune pour 20 000 € de parts. Devant le manque de candidats, ils font des emprunts dans leurs familles respectives et réunissent les fonds. En janvier 2001, ils deviennent propriétaires des lieux. Ils espèrent toujours voir l'installation d'autres familles à qui ils revendraient alors une partie de leurs parts de SCl pour que les différentes familles aient toujours le même nombre de parts (4).
La ferme comporte une ancienne maison d'habitation, une bergerie, une étable, des granges. Après avoir bien observé les lieux, les familles décident de rénover en appartement l'une la bergerie, l'autre l'étable. L'ancienne maison d'habitation est pour l'instant laissée libre, avec seulement un dortoir pour les personnes de passage. Les travaux minimums sont engagés dès le printemps et l'installation sur place a lieu à l'automne 2001.
Les bâtiments étant à peu près habitables, l'urgence est alors de commencer à produire sa nourriture. Cela ne se fait pas sans mal. La source qui alimente les maisons se tarit en été. Le groupe met alors en place un forage avec un bassin de rétention simple avec seulement une couche d'argile pour assurer l'étanchéité. Ils commencent à faire un grand potager sur 1000 ml, un peu à l'écart des maisons, mais il est ravagé par les animaux (sangliers, criquets...). Ils sont obligés de mettre en place un système de clôture pour se protéger des plus grosses bêtes.
De même, n'étant pas assez nombreux pour mener le projet pensé au départ, ils sont obligés de limiter l'exploitation des terres, de nombreux champs étant laissés en prairie pour les chevaux. C'est là une réserve foncière pour faciliter l'arrivée d'autres projets.
Un lieu ouvertIls décident que le lieu doit être ouvert, avec un rôle pédagogique, mais qu'il ne faut pas tomber dans la marchandisation (gîtes, stages...) ce qui serait contraire à leur volonté de mode de vie simple. Il est alors préféré l'organisation de journées portes ouvertes avec présentation des alternatives mises en oeuvre sur le site et l'accueil de visiteurs- sous forme d'entraide, avec un fonctionnement proche de celui des Wwoof (5). Ils sont très vite débordés par un "tourisme d'écovillages" avec des curieux qui viennent sans aucune intention de s'installer ou d'autres en manque affectif. Pour une annonce de chantier, sur une moyenne de trente réponses, il y en a environ 28 de personnes seules ! Des limites ont été mises à ce genre de visiteurs : ceux qui veulent rester plus d'une journée doivent mettre la main à la pâte.
Des expériences alternativesDes expériences alternatives sont menées dans plusieurs domaines. Les deux familles ne choisissent pas toujours les mêmes solutions pour un même problême, ce qui est source d'enrichissement pour eux et les visiteurs.
Au niveau de la rénovation des bâtiments, tout est fait pour privilégier un habitat sain et économe, rénové à partir de matériaux de récupération ou produits localement (6). Une approche facilitée par la formation d'architecte de Katia. Dans les maisons, on trouve ainsi une isolation à base de fibres naturelles, des poutres rondes provenant des pins de leur forêt (débardage avec les chevaux), du torchis, une ' épuration d'eau par filtres plantés, de l'eau chaude solaire, des cuiseurs solaires... Ils ne disposent pratiquement pas d'électricité et ont supprimé pas mal d'outils électriques, la machine à laver a été adaptée pour fonctionner avec une personne qui pédale.
Au niveau de la nourriture, Bertrand et Katia, après des années de végétarisme, ont opté depuis peu pour le crudivorisme, ce qui libère énormément de temps au niveau de la préparation des repas, mais également au niveau du potager où ils ont privilégié des plantes pérennes. Cela semble une très bonne manière de bénéficier de l'énergie des plantes. Françoise et Diégo ont, eux, après dix ans de végétalisme, choisi maintenant une alimentation riche en plantes sauvages à dominante végétarienne. De fait, chaque famille a son potager, mais de nombreux échanges sont faits pour comparer les résultats obtenus par chacun. En revanche, les activités de plein champ sont plus collectives. Pratiquement aucun outil à pétrole n'est utilisé. Deux chevaux de trait permettent de faire les gros travaux. De nombreux travaux sont effectués soit en reprenant des techniques anciennes (comme les palans pour hisser les charges dans le bâtiment) soit en expérimentant des techniques nouvelles dont ils prennent connaissance par les différents réseaux de la mouvance alternative. Un verger préexistant d'une cinquantaine de pommiers, poiriers et cerisiers, est géré collectivement. D'autres fruitiers ont été plantés par eux : pommiers, pêchers, cerisiers, amandiers, poiriers, azéroliers, amélanchiers, oliviers, jujubiers, grenadiers, pistachiers, plaqueminiers... (7). Ils greffent aussi des arbres fruitiers directement sur des portes greffes sauvages (aubépines, poiriers sauvages, merisiers...). beau, les chemins et les gros chantiers sont également gérés collectivement. Dans la maison principale, une pièce a été isolée pour devenir "pièce fraîche", ce qui permet de stocker fruits et légumes sans avoir recours à un frigo. Quelques panneaux de photopiles assurent un minimum d'électricité.
Au niveau de l'éducation des enfants, chaque famille a un garçon et une fille. Les deux garçons ont 11 ans, les deux filles 9 ans. Ils ont opté depuis deux ans pour un enseignement à distance avec le CNED (8). Celui-ci corrige toutes les trois semaines un grand devoir qui porte sur les différentes matières, de niveau 6e pour les garçons, CM1 pour les deux filles. Les parents assurent en alternance environ trois heures de cours par jour. L'enseignement est parfois confié à des personnes de passage. Beaucoup de livres sont empruntés à la bibliothèque. Les enfants suivent ainsi le minimum exigé par le CNED. Bertrand et Katia ont, eux, complété par de longs voyages : ils sont partis notamment dans des écovillages à l'étranger : six mois à Auroville, en Inde (9), l'année suivante six mois à Crystal Waters en Australie (10).
Si ces deux voyages ont été des moments intenses d'exploration d'autres modes de vie, ils ont posé des problèmes pour le fonctionnement collectif du lieu en provoquant une coupure trop longue à la ferme du Collet. Ils ont décidé d'arrêter et, dorénavant, Bertrand et Katia passent leurs hivers sur place.
Ils testent différentes techniques avec un objectif : que la solution alternative donne de meilleurs résultats pour l'utilisateur (soit en qualité, soit en effort), afin que cela puisse inspirer ceux qui découvrent ces techniques alternatives. Il faut également que cette technique soit reproductible par le plus grand nombre et donc qu'elle ne soit pas trop complexe à mettre en oeuvre.
De l'argent quand mêmeLa recherche d'autonomie n'est pas l'autarcie et, outre une activité collective centrée surtout sur l'agriculture, chacun mène d'autres activités. Ils précisent que le fait qu'ils n'aient pas fait d'emprunt bancaire pour démarrer ou pour acheter des outils coûteux leur permet d'avoir une grande souplesse financière et donc une grande liberté d'esprit.
Bertrand, qui a fait des études d'économie, est très actif au sein des réseaux d'écovillages où il essaie d'aider à la création de nouveaux lieux, en particulier en expliquant l'intérêt de mettre les questions financières au clair avant de démarrer. Il mène également une réflexion avec d'autres pour mettre en place une structure qui permettrait de faciliter l'achat collectif de terrains permettant l'installation de gens socialement différents. Il a travaillé à l'extérieur à Vie et Action (11) pour améliorer les connaissances en permaculture ou culture permanente. II a également suivi une formation en charpente pour assurer les gros chantiers de rénovation. Il a récemment suivi une formation dans le domaine de la spiruline et a mis en place sur place un bassin de production, d'abord pour leur consommation personnelle, et progressivement pour la vente (12). Il mène dans d'autres bassins des expérimentations diverses, la spiruline pouvant se nourrir notamment de purins animaux, de purins de plantes ou d'urine, cela pourrait être un excellent moyen de recyclage. Pour assurer une production optimale, il convient de maintenir l'eau du bassin à la bonne température, d'où aussi des expérimentations pour bénéficier de l'énergie solaire.
Jusqu'en 2004, Katia a exercé comme architecte en libéral, accompagnant localement surtout des projets d'autoconstruction ou de rénovation en habitat sain. Deux ou trois chaque année. Elle a arrêté au niveau professionnel, se contentant de donner des conseils dans le milieu associatif local.
Ils ont tous deux donné des conférences dans des lieux alternatifs sur leurs expériences dans les écovillages visités ici ou à l'étranger.
A terme, des formations et la vente de spiruline devraient leur permettre de couvrir leurs faibles besoins financiers.
Du côté de Françoise et Diégo, ce dernier s'est lancé dans la production de pain biologique qu'il vend par différents réseaux associatifs locaux (13) : un tiers dans un rayon de 20 km, les deux autres tiers sur la côte. Le pain s'avère un excellent mode de contact avec l'extérieur. En dehors des fournées hebdomadaires (entre 150 et 200 kilos selon les commandes), Diégo gère la traction animale. Il produit lui-même l'ensemble des céréales dont il a besoin pour la fabrication du pain : blé, seigle et, en projet, petit épeautre et kamut. Il compte aussi démarrer une pépinière de plantes utiles et méconnues.
Françoise se charge de l'accueil des visiteurs, de la communication extérieure. Elle gère la question des stagiaires sur les lieux et étudie l'idée de faire de l'accueil actif sans tomber dans le tourisme. Elle a mis en place des cours de danse et de musique.
Dans les prochains chantiers collectifs, il est envisagé de mettre en place une salle commune dans l'ancienne maison pour favoriser l'accueil et l'arrivée de nouveaux projets en lien avec la recherche d'autonomie. Cette ancienne maison est pour le moment mal isolée et désagréable à vivre en hiver. Son aménagement pourrait permettre à une autre famille de s'installer, de même que l'aménagement d'une grange voisine encore disponible.
Une des difficultés est le manque de temps : au fur et à mesure que se mettent en place les différentes activités (pains, agriculture, potager, spiruline ...), il devient difficile de s'occuper de ces chantiers collectifs. Mais cela permet une réflexion : comme ils cherchent à privilégier les solutions les plus écologiques possibles, ils découvrent qu'il faut du temps. L'écologie, c'est souvent long ! Il y a toujours des compromis, mais ce qui est important c'est que les choix soient conscients.
Tisser au niveau localAutour d'eux, des agriculteurs descendent chaque jour pour vendre sur les marchés de Nice. Ils se lèvent à 5 h du matin, reviennent en début d'après-midi et partent aux champs... pour des journées de travail de l'ordre de 15 h. Face à cela, les deux familles suivent un mode de vie complètement en décalage, qui provoque une grande méfiance dans la commune. Même les agriculteurs bios sont éloignés d'eux, enfermés dans une course à la production. La montagne se tourne de plus en plus vers le tourisme venant de la côte, avec de nombreux retraités qui achètent des maisons où ils ne viennent que l'été. Le côté humain n'est donc pas des plus agréables.
Au départ, les enfants ont été scolarisés dans la commune pendant trois ans et Françoise a essayé de s'investir dans les structures de parents d'élèves. Si la mairie annonce officiellement son intérêt pour l'implantation de familles avec enfants, les néo-ruraux installés ici sont très marginalisés. Le pain se vend bien, mais peu localement. Quant aux visiteurs, ils ne viennent pas non plus du voisinage.
Depuis 2005, Françoise et Diego sont actifs dans "Grain de sel", une association citoyenne sur la communauté de communes. Cela leur a permis de rencontrer d'autres personnes locales plus intéressantes, mais les distances sont un frein. Les réunions se font au chef-lieu de canton, Fuget-Théniers, dans la vallée du Var, à 11 km... mais avec un dénivelé impressionnant. Sur les routes de montagne, il est difficile de se déplacer autrement qu'en voiture et il y a vite une heure de route pour aller voir quelqu'un. C'est l'un des aspects négatifs de la ferme : en altitude, elle est loin des axes de passage, loin de la côte, loin du reste de la France. Heureusement, le soleil et les paysages sont là pour tenir chaud au coeur.
La ferme du Collet est donc aujourd'hui un lieu particulièrement riche en expérimentations aussi bien techniques que sociales, qui attire beaucoup de personnes en recherche d'installation, même si peu franchissent ensuite le pas. Symbole de la réussite du lieu : des enfants épanouis, en pleine forme, de nombreux stagiaires... et des demandes pour des installations de célibataires qui font que les deux premières familles s'interrogent actuellement sur cette possibilité.
MB
Ferme du Collet, 06260 La Penne, tel : 04 93 03 27 81 ou 04 93 05 84 50.
Et également
Réseau français des écovillages du Soleil, Pascal Poussange, 5, rue Henry-de-Cessoie, 06100 Nice. Promouvoir, coordonner et réaliser des éçovillages de fraternité locale.
(1) Hameau de Boussac, voir Silence n°29I-292, p.55. (2) Eau vivante était à l'époque dans le Gers, maintenant en Lot-et-Garonne, tel : 05 53 95 44 56.
(3) La SAFER (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) est un organisme d'état qui contrôle les ventes de terre pour donner la priorité aux agriculteurs.
(4)Concrètement, une troisième famille qui voudrait s'installer devrait acheter 30 000 € de parts qu'elle récupérerait en partie à l'installation de la suivante.
(5)Wwoof (World workers on organic farms): système d'entraide dans les fermes biologiques où les stagiaires font un, mi-temps en échange du logement et de la nourriture.
(6)Le local inclut des relations avec les Alpes italiennes toutes proches.
(7)Les plants ont été achetés en biodynamie auprès des pépinières Burry, 11500 Brénac, tel : 04 68 20 94 16.
(8)Le CNED (Centre national d'enseignement à distance) est un service de l'Éducation nationale permettant d'assurer un suivi scolaire aux enfants qui ne peuvent aller à l'école : itinérants, malades, en site isolé...
(9)Auroville, voir article dans Silence n°332, p.43.
(10)Crystal Waters se trouve à une centaine de kilomètres au nord de Brisbane, dans le Queensland, en Australie. Cet écovillage s'étend sur 260 hectares dans un climat subtropical et a développé la permaculture - ou culture permanente - qui privilégie les plantes pérennes. Sa structure juridique est une coopérative née en 1981. Y vivent environ 130 adultes et une soixantaine d'enfants.
(11)Vie et action, le Roc fleuri, 380, route de Coursegoules, 06620 Gréolières, tel: 04 93 59 98 99.
(12)La spiruline est une algue microscopique, très riche en protéines, qui peut constituer un complément alimentaire intéressant pour les végétariens et les végétaliens. Elle peut aussi être cultivée dans les pays du Sud comme source de protéines. Le bassin de 24 m' installé ici permet une production maximale de 200 g par jour.
(13)Notamment par celui des Diables bleus à Nice (voir page 22) qu'il fournit en envoyant le pain par le train de la ligne Nice-Digne, une gare se trouvant à 11 km de la ferme, par (association je sais d'où à Nice (tel : 04 93 53 19 81) ; ou encore par la MCE, Mouansoise de commerce équitable, à Mouans-Sartoux (tel : 04 93 75 14 05).
La ferme du Collet en images sur
AnecdoblogS!lence #342 janvier 2006