Dans un grand journal du soir, français, daté des 22 et 23 juillet, à propos de la situation en Turquie et plus particulièrement du succès populaire du parti des « islamistes modérés », le AKP, on pouvait lire un reportage sur le « petit peuple des barbecues » qui constitue la partie la plus pauvre de la société turque et qui se voit, par les autres classes, montré du doigt car, « tous les week end ils envahissent les espaces publics avec leurs familles et leurs barbecues ».
A
une question du journaliste, l’un d’eux répondant : « c’est pour
cela que nous allons voter pour un parti qui nous accorde le droit d’allumer
nos barbecues » ( ???)
UNE
DERIVE DE LA DEMOCRATIE
Remarque
anodine diront certains et même prêtant à sourire. En sommes nous si sûrs qu’il
faille sourire ? Pas à cause de ce qu’est ce parti… que ce soit celui là
ou un autre, là n’est pas le propos, mais sur le principe que recouvre ce type
d’attitude de la part de ce qui s’appelle et que l’on appelle un citoyen.
La
question qui se pose, quand on voit ce genre d’attitude, c’est tout
simplement : est ce cela la démocratie ?
Bien
sur, les puristes politiques, et il n’en manque pas, me rétorqueront que ce
n’est qu’une expression et qu’elle reflète une réalité sociale et
politique,… et qu’il ne faut pas prendre l’expression au « pied de la
lettre ».
Pourtant,
le comportement que l’on qualifie de citoyen, même dans un pays comme la
France, se résume parfois, souvent, à une défense d’intérêts particuliers, accessoire,
voire un fantasme,… et même quand ces intérêts sont collectifs, leur décalage
total avec la réalité sociale en fait des particularismes élevés au rang de,
sinon valeurs politiques, du moins éléments de positionnement politique. Un
exemple ? un parmi tant d’autres… « les dates d’ouverture de la
chasse au canard »( ?)
Un
tel comportement, une telle situation fait de la démocratie un « fourre
tout » inextricable ou l’ « impression », le « fait
divers » tiennent lieu de « conscience politique ».
L’INSTITUTIONALISATION
DU « N’IMPORTE QUOI »
Le
système politique tel qu’il est conçu aujourd’hui, dans ce que l’on appelle les
« démocraties modernes » est essentiellement fondé sur ce « n’ importe
quoi ».
Quel
est ce « n’ importe quoi » et quel sens a-t-il ?
« N’importe
quoi » signifie que la volonté politique, peut se fonder sur tout et
son contraire, sur des détails souvent inessentiels de la vie quotidienne.
L’éclatement et la diversité des « intérêts » fait que le
particularisme, l’accessoire, l’emporte sur l’essentiel. L’exemple des
« barbecues » est significatif : le choix politique s’arrête à
ce simple aspect d’une réalité sociale qui est autrement plus complexe et dont
souvent le particularisme n’est que le révélateur. Le signifiant devient
le signifié et acquière un statut d’impératif catégorique.
Au
nom d’une conception particulièrement démagogique et perverse de la
« liberté », le système dit « démocratique » a
institutionnalisé cette pratique non
pas qu’il faille taire ces revendications, mais, vouloir en faire la colonne
vertébrale de l’investissement citoyen est la meilleur manière d’en détourner
le sens… et les politiciens ne s’en privent pas.
Quand
on observe de près le fonctionnement de la politique c’est effectivement
aujourd’hui, comme cela, que fonctionne les « démocraties »… Les
politiciens « déguisés en Père Noël » se livrent à une surenchère de
promesses alléchantes, enveloppées dans un verbiage pseudo
philosophico-économico-scientifique, pour faire bonne mesure, et se donner, et
surtout, donner l’illusion de la profondeur de pensée – discours toujours écris
par des professionnels de la manipulation, du marketing politique et des
experts toujours prêts à vendre leurs « compétences ».
Le
citoyen se place en demandeur et le politicien en offreur
reproduisant parfaitement le schéma du marché.
Nous
avons là les bases les plus fétides du populisme.
UNE
DEMOCRATIE DEGENEREE
Cette
dégénérescence populiste est scrupuleusement entretenue, vantée et même louée,
par une classe politique qui y trouve tout son intérêt ; en effet une
telle situation est propice aux promesses démagogiques, à la rhétorique de « super
marché », voire au clientélisme.
L’attitude
politique, la parole politique, le discours politique sont fabriqués non plus à
partir d’idées et de conceptions, encore moins de pratiques, portant sur
l’organisation sociale, réfléchies et soumises à la critique publique,
mais à partir du glanage des désirs, voire fantasmes des électeurs. Le discours
politique devient une sorte de mixture dans lequel tout le monde doit y
trouver ce qu’il cherche.
Dénoncer
cette escroquerie c’est risquer les foudres des pseudo démocrates qui tiennent
absolument à ce que le peuple, toujours prenant prétexte de la liberté
d’opinion et d’expression, ne s’en tienne qu’à ces/ses considérations superficielles.
L’intérêt
de tout cela c’est que rien n’est abordé sur le fond, tout reste à la
périphérie des grands problèmes qui, tout en étant la cause de ces
« particularités », ne sont jamais mis et débattus sur la place
publique. L’essence même du politique et donc de ce qui devrait
constituer l’élément essentiel du fonctionnement démocratique, est sacrifiée
sur l’autel des cuisines partisanes et des intérêts des clans politiciens.
Les
organisations politiques qui ont la prétention de changer la société ont été
emportées par le flot de la démagogie ambiante et n’hésitent pas, elles non
plus, à en rajouter dans les promesses. La teneur des discours change mais la problématique
reste la même… on promet, pas tout à fait les mêmes chose (encore
que !),… mais ce que l’on appelle, pas du tout originalement, «
être à l écoute du peuple » revient à fonder son action
politique sur le plus petit commun dénominateur de ce que l’électeur moyen,
gavé d’absurdités diffusées par les médias, est capable d’ingurgiter.
Tant
que nous ne changerons pas de problématique politique, tant que nous adopterons
le système pervers de la soit disante « conquête-du-pouvoir-avec-un-programme-répondant-aux-besoins-du-peuple »,
non seulement nous serons dans le « n’importe quoi », mais
nous n’arriverons même pas à l’imposer,… les aigrefins de la politique, maîtres
chanteurs des médias, feront, en la matière, toujours « mieux » que
nous.
Patrick
MIGNARD