On a vu dans l’article précédent «
LA FIN DES GRANDS PROJETS ? Les raisons écologiques qui sont à l’origine de la contestation des « grands projets » actuels. L’aspect démocratique et citoyen a été seulement effleuré,… il s’agit maintenant de l’aborder.
La préservation de l’environnement est une chose trop importante pour
être délaissée par les citoyens. Il y va de la survie de toutes les
espèces vivantes. Mais le mode de fonctionnement dit « démocratique » de
nos sociétés est loin d’être adapté aux exigences et impératifs du
moment.
INTERÊT GENERAL ET INTERÊTS PARTICULIERS
La frontière entre les deux peut être très imprécise et à géométrie
variable. Ceci vient de la définition des deux concepts et de la manière
dont le système dominant les décline.
L’intérêt général, qui pourrait paraître évident, est en fait une notion
floue qui veut concilier à la fois les intérêts globaux de l’équilibre
du système économique dominant et l’expression des intérêts des
particuliers et des entreprises. L’intérêt général ne peut pas être
dissocié de l’intérêt et des conditions de survie du système économique
dominant en place. De plus, et par voie de conséquence, dans son
acception courante, l’intérêt général ne saurait être entravé par le/s
intérêts/s particulier/s. A moins de dire, ce qui est absurde, que
l’intérêt général n’est que la synthèse des intérêts particuliers.
Vivre en collectivité, démocratiquement, c’est réaliser la difficile
alchimie entre le général et le particulier. C’est là que le bât
blesse !
Dans l’Histoire et dans tous les systèmes économiques, les classes
dominantes ont usé et abusé de leur pouvoir pour faire prévaloir,
l’intérêt de celui-ci, qui correspond en fait à leurs propres intérêts
(donc particuliers) en donnant plus ou moins l’impression de le faire
dans l’intérêt du salut de chacun et de tous. On voit la confusion !
Le capitalisme, aujourd’hui, ne fait pas exception à cette règle.
Privilégiant la rentabilité du capital sous couvert d’un système qui se
veut démocratique, il impose en fait, et en droit, un intérêt général
qui a une conception bien singulière de l’intérêt particulier. La dérive
est totale au stade de la mondialisation du capital et de la domination
dans le champ de l’économique ; des structures économico-financières
imposent de fait,… et bientôt de droit, leur loi. Le TAFTA (Traité de
Libre Echange entre l’Europe et les USA actuellement en négociation)
étant le stade ultime de cette dérive.
A ce stade du conflit entre l’intérêt général, en réalité celui des
grandes firmes, et celui du particulier, on pourrait en conclure à
l’éternel conflit entre les possédants et les spoliés…ce qui donne du
« grain à moudre » aux tribunaux et aux conflits sociaux.
Mais désormais il y a plus grave !
L’INTERET GENERAL CONTRE L’INTERET GENERAL
L’intérêt général du système, même quand il tient compte d’intérêts
particuliers, peut être en parfaite contradiction avec l’intérêt général
de l’Humanité… et c’est cette situation que nous vivons aujourd’hui.
Concevoir un grand projet, même s’il correspond à des intérêts
particuliers locaux (cas de Sivens, de Roybon,…), même s’il est approuvé
par des gens du cru, c'est-à-dire les principaux intéressés, et
premiers concernés,… ne peut plus être aujourd’hui une simple opération
d’aménagement. Pourquoi ? Parce que, désormais, la multiplication,
l’extension, des projets d’aménagement altèrent gravement
l’environnement, autrement dit un intérêt général encore plus vaste que
ce que définissait de manière plus ou moins étroite, l’intérêt général
classique dans sa précédente acception. La généralisation des
destructions des forêts, des bois, des marais, des terres arables,… à
l’échelle d’un département, d’un pays, de la planète, hypothèque
gravement l’avenir de la biodiversité, autrement dit de l’équilibre de
la Nature.
Cette nouvelle dimension échappe complètement aux politiciens qui ne
voient que le court terme (leur mandat), de même que les particuliers
qui ne voient que leurs intérêts immédiats (ce qu’ils peuvent gagner ou
perdre).
On assiste à un véritablement changement d’échelle dans la manière avec
laquelle on doit gérer l’espace de vie. Cette nouvelle vision du monde
est loin d’être partagée par une majorité, elle est au contraire le fait
d’une minorité qui ainsi est marginalisée, suspectée, qualifiée
d’utopiste, d’irréaliste, voire de terroriste quand elle décide de
passer à l’action.
Le processus démocratique classique que nous connaissons est totalement
obsolète pour répondre aux nouvelles contraintes qui s’imposent aux
études prospectives et à la prise de décision. Si à un instant t, une
minorité peut avoir raison contre la majorité, s’oppose à un Etat
reconnu comme démocratique, cela veut dire que l’on doit repenser le
fonctionnement « démocratique » de la société.
Cette situation révèle en fait une réalité beaucoup plus fondamentale :
le système économique, le capitalisme, est parfaitement inadapté aux
limites atteintes par le progrès technique et son utilisation dans le
cadre de la recherche du profit.
Le « phénomène des ZAD » que l’on veut nous faire considérer comme
marginal et provocateur est en fait révélateur d’une crise qu’il ne faut
pas hésiter à qualifier de civilisation.
La solution à ce défi n’est ni dans l’État, ni dans l’État de droit, ni
dans les Instances politiques,… tous garants et soumis aux intérêts du
système, mais désormais dans les initiatives citoyennes.
22 décembre 2014 Patrick MIGNARD