LA CHEVAUCHÉE ANONYME. Une attitude internationaliste devant la guerre (1939-1941)
--> Louis Mercier Vega. Postface de Charles Jacquier
Qui est l’auteur de ce roman qui emprunte aux enjeux historiques de son temps mieux que ne saurait le faire une biographie ou un récit historique ? Louis Mercier Vega (1914-1977) est le pseudonyme de Charles Cortvrin (Autres pseudos : AJOR, Jean Baudant, Courami/Couramy, Damashki, Robert Hersay/R.C., La Paluche, L’Itinérant/L’itinérante, Robert Léger, Liégeois, Carlo Manni, Luis Mercier Vega, Pierre Paillard, Santiago Parane, Charles Ridel, le Parrain, Danton, « A moi seul une fédération de pseudonymes », aimait-il à dire). Il combat en Espagne dans le Groupe international de la colonne Durruti en 1936, puis après la défaite se réfugie en France avant de s’embarquer pour l’Amérique du sud avec quelques camarades dans la même situation que lui. Son livre est le récit de cette errance depuis Marseille, où avec d’autres combattants internationalistes, surveillé par la police française, il rejoint Bruxelles puis Anvers. Embarqué comme marin, il débarque en Argentine puis rejoint Santiago du Chili grâce aux réseaux informels de solidarité.
L’intérêt étonnant de ce livre tient aux constantes remarques et réflexions, discussions « in vivo » qui émaillent le récit depuis la recherche d’un point de chute à Marseille jusqu’à cette traversée de l’Atlantique et l’installation provisoire au Chili.
Remarques et réflexions sur le mouvement social, sur les difficultés de se réclamer encore et toujours d’un mouvement social qui vient d’essuyer une terrible défaite, remise en cause et polémique sur les causes de la défaite, commentaires sur l’état présent du monde, sur les conditions de survie d’un milieu libertaire éclaté, débats difficiles et ponctués de doutes mais toujours d’humanité sur les conditions de l’engagement, de la clandestinité, de la reprise individuelle propre au mouvement anarchiste, sur la nécessité de nouvelles pratiques sociales. Rien ne manque pour que l’on comprenne la densité du vécu instable de Vega et de ses camarades, pour que l’on sente avec eux, les enjeux impérieux qu’ils doivent affronter en tant que révolutionnaires avec la vigilance dont dépend leur survie.
Les conditions de leurs orientations, de leurs choix, les modalités difficiles d’un combat à continuer sinon à renouveler sont quelques unes des problématiques majeures abordées par le livre sans que rien n’y soit dissimulé, ni les fausses pistes, ni les illusions, ni les incertitudes. La question de l’organisation révolutionnaire revient constamment, omniprésente.
La clairvoyance de ces débats et l’appréhension lucide des conditions de la défaite se manifestent également dans l’évaluation contrastée des résultats de l’assaut prolétarien espagnol, question qui demeure au coeur des débats de ces camarades en exil.
Cependant, constamment au fil de leur périple, la solidarité trouve un vrai terrain d’expression que le livre rend parfaitement.
Les conditions historiques et sociales changent, la conscience des militants évolue, de nouvelles priorités surviennent : néanmoins si la solidarité est toujours omniprésente – les réseaux d’entraide fonctionnent encore – elle ne dissimule pas le désarroi et les nouvelles difficultés des militants libertaires dans les pays d’accueil de l’Amérique du sud. Partout autour d’eux la situation politique et militaire est extrêmement tendue. Le monde change plus vite qu’eux, ils doivent alors trouver en eux-mêmes la force nécessaire pour poursuivre la
lutte.
L’Allemagne hitlérienne s’apprête à une guerre qu’ils savent inéluctable. Pour les militants, il faut choisir : continuer l’engagement mais sous quelles formes ?
Comment ne pas réduire sa volonté de construire un monde meilleur à des pratiques fantomatiques ou simplement militaires, pour eux qui ont refusés la militarisation des milices anarchistes ? Le mouvement anarchiste est divisé entre pacifistes et internationalistes, quelle voie faut-il choisir ?
Ce livre est riche d’enseignement : il engage à une problématique que tout révolutionnaire devrait se poser quotidiennement. Quel est le meilleur chemin pour accéder à une prise de conscience réelle, quelle pratique pour quelle théorie, comment ne pas sombrer, quelles sont les priorités d’un combat social ? Comment réactualiser sa pensée et sa pratique dans un monde en constant bouleversement ? Marianne Henckel écrit en épilogue de ce récit (p.213) : « À regarder de près nous ne sommes pas absents du combat, si nous menons le nôtre, tout en connaissant et en développant celui des autres. Nous dirions même que notre combat dépend étroitement de la connaissance de celui des autres. Les chausse-trappes se préparent évidemment bien à l’avance. Pour ne pas y tomber nos généralités préventives ne sont pas suffisantes. (…) »
Critique lucide et exigeant de la révolution espagnole écrasée, Vega écrira dans la revue Témoins N° 12-13 de 1956, l’article Fidélité à l’Espagne, sous la signature de Louis Mercier alias Charles Ridel : « Bâtie sur des hommes, la Révolution espagnole n’est ni une construction parfaite ni un château de légende.
La première tâche nécessaire à notre équilibre est de réexaminer la guerre civile sur pièces et sur faits et non d’en cultiver la nostalgie par nos exaltations.
Tâche qui n’a jamais été menée avec conscience et courage, car elle eût abouti à mettre à nu non seulement les faiblesses et les trahisons des autres, mais aussi nos illusions et nos manquements, à nous, libertaires. La manie qui consiste à vanter nos actes d’héroïsme et nos capacités d’improvisation est mortelle, parce qu’elle réduit au seul plan individuel la recherche des solutions sociales et efface, par un artifice de propagande, les situations auxquelles nous fûmes incapables de faire face. La tendance à magnifier les militants de la C. N. T. et de la F. A. I. masque notre impuissance à œuvrer efficacement là où nous nous trouvons, où nous travaillons et sommes en mesure d’intervenir. Elle est trop souvent évasion hors de notre temps et hors de notre monde. Sans compter que les militants espagnols eux-mêmes s’en trouvent allégés de leurs propres responsabilités, se voient suspendus comme images de saints qu’ils savent ne pas être, et figés dans des attitudes alors qu’il leur
faut agir les yeux ouverts. » [Consulter le site :
http://raforum.apinc.org/article.php3?id_article=3874]
Ce livre est un magnifique rappel qu’en dehors de tout exotisme militant, notre impuissance ou notre puissance à changer les conditions de survie actuelles dépend de notre volonté à les changer dans notre quotidien immédiat, avec naturellement la mentalité correspondante.
Titusdenfer666(a)yahoo.fr
Ce livre est diffusé au Québec par La Sociale (
asociale(a)colba.net) et disponible à
la librairie L’INSOUMISE, 2033 St Laurent Montréal. Tel: 313-3489.
Éditions Agone, collection Mémoire sociales