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Le spectacle de la charité est absolument déprimant, mais quand les acteurs en sont les exploiteurs et les repus, il devient carrément abject. Il passe au stade de l’insupportable lorsque le spectacle de la mort le surdétermine en en faisant la négation même de la vie.
On peut trouver dérisoire l’acte de charité pratiqué par les humbles, les individus aux conditions modestes qui sont prêts à se dépouiller d’une partie de leurs maigres ressources pour en faire profiter plus pauvres qu’eux. Le dérisoire tient au fait que l’acte ne règle en rien le problème posé, celui de la pauvreté, du dépouillement, de l’exclusion car ce problème est social et ne peut avoir qu’une solution sociale, pas individuelle. L’acte pourtant est respectable car fondé sur des valeurs, une éthique qui prend en considération l’autre, le plus faible, le plus démuni.
DETOURNEMENT DE CADAVRE
La cérémonie des hommages à l’abbé Pierre en la Cathédrale Notre Dame à Paris le 26 janvier 2007 avait quelque chose de surréaliste, au sens étymologique du thème… au-delà de la réalité.
Ce n’est pas simplement le spectacle de la cohabitation, temporaire, entre le repus et le miséreux, c’est un chose bien plus grave, c’est la cohabitation, voire la « communion » autour d’un symbole, du responsable de la pauvreté avec sa victime. Il y a là une forme de capitulation de la condition humaine, un sentiment tragique de l’existence sociale, de la négation de la réalité sociale.
Le message que diffuse ce spectacle a un objectif essentiel et particulièrement pervers… il signifie une chose qui est absolument fausse : nous sommes tous égaux, nous sommes tous les mêmes, il n’y aurait aucune différence entre nous… puisque finalement nous sommes tous mortels.
C’est une manière d’instrumentaliser la mort. Nous mourrons tous un jour, conclusion, réconcilions nous,…nous sommes tous égaux… C’est la reprise de manière plus subtile du vieux discours de l’Eglise, et de manière générale des religions, expliquant que la vie terrestre n’est qu’un passage dérisoire, et somme toute peu important, que nos conflits temporels, et donc nos luttes, sur cette terre sont inessentiels,…et que l’essentiel se situe « au-delà »… c’est le vieux discours si prisé par tous les exploiteurs pour soumettre leurs victimes.
La mort étant considérée, à tort ou à raison, comme le contraire de la vie, elle nous affranchi/rait, donc, à nous les vivants, à ceux qui célèbrent le défunt, des contraintes et des lois de cette dernière… Conception bien commode pour faire du spectacle de la mort, la mise en scène d’une communion qui gomme les différences sociales si caractéristiques de ce qu’est la vie. Cette communion prélude à une réconciliation des différentes classes sociales aboutirait qu’à un seul but : accepter la situation telle qu’elle est, ne remettre en aucun cas en question l’ordre, et en premier lieu l’ordre social, des choses sur cette terre.
La crainte de la mort, son angoissant mystère sont propices à cette démarche… Seule la vision de la mort est suffisamment puissante pour faire taire ce qui est présenté comme des « chamailleries stériles et inessentielles » soulevée par celles et ceux qui voudraient remettre en question l‘ordre social. C’est le sens de l’injonction « Le temps n’est pas aux polémiques mais au recueillement »… Ben voyons !
LE SPECTACLE DE LA MORT
Voir ainsi côte à côte, dans la nef de la cathédrale, le riche et le pauvre, le repus et l’indigent, le dominé et le dirigeant avait quelque chose de troublant, d’inexplicable et de pathétique.
Hormis quelques cris, médiatiquement ignorés, la cérémonie s’est déroulée dans une « sérénité officielle », dans le silence pesant d’un troupeau soumis, dans la passivité des humbles qui acceptent et des exploiteurs qui paradent, sûrs de leur sécurité. Comment se pouvait-il qu’autant de potentiel explosif social soit désamorcé ?
Comment se fait-il que, dans un mouvement de dignité et de révolte, les pauvres, les exclus n’aient pas déserté ce lieu, emportant avec eux le cercueil, afin de soustraire le défunt à la souillure que lui infligeait la présence de ces suppôts de ce système d’exclusion et d’inégalités ?
Un tel mouvement, révélant la vie, la vie sociale, dans tout ce qu’elle a d’injuste, d’inacceptable, aurait été jugé indigne et indécent, comme si la vérité, celle de la vie devait se taire, s’incliner devant la mort.
C’est à ce genre d’attitude, de « détail », que l’on peut mesurer le degré de soumission qui fait que, dans un système qui se dit démocratique, on remette toujours au pouvoir les mêmes exploiteurs.
Qu’un ministre de la République… pour ne prendre que lui, responsable de rafles, d’arrestations d’innocents, d’expulsions de familles, puisse aux yeux de tous se livrer aux bondieuseries (on se demande bien ce qu’il a pu avouer au prêtre quand il s’est confessé pour aller ensuite communier devant les caméras) auxquelles il s’est livré, et en présence des exclus de cette société dont il est le gardien… laisse sans voix.
La fausse humilité et l’arrogance des puissants s’emboîtaient parfaitement, je dirais presque harmonieusement, avec la peine sincère de leurs victimes, donnant ainsi l’image d’une société réconciliée, apaisée… la négation même de ce qu’est la vie.
La mort stérilisait la vie par la médiation d’un sentiment plus qu’ambiguë et plus ou moins sincère, la charité.
Cette proximité sociale si contradictoire avec la vraie vie sociale doit nous amener à nous interroger sur les mécanismes de la contrainte, mais aussi et surtout, de l’acceptabilité de l’inacceptable.
Là réside la magie de la mort et de l’usage que l’on peut en faire.
Le spectacle de la mort est probablement le spectacle le plus puissant auquel nous puissions assister. De la mort glorifiée des jeux du cirque, aux funérailles nationales d’aujourd’hui… la mort fait partie de la vie, elle permet d’en donner une image déformée et aux puissants de se mettre à l’abri des conséquences de leurs actes en annihilant dans une subtile alchimie des symboles et des craintes, les ferments de la révolte sociale.
Le spectacle de la mort est certainement le plus grand piège que l’on puisse tendre aux vivants.
A celles et ceux qui perdent leurs repères devant la mort, on offre de nouveaux repères tous neufs et pas dangereux, et en premier la compassion, cette sœur jumelle de la charité.
Et cet abbé Pierre, muet dans sa boîte, une dernière fois manipulé, instrumentalisé comme il ne l’avait jamais été, « obligé », et pour cause, de subir ces derniers outrages,… j’attendais, si j’ose dire, qu’il bondisse pour saccager ce bel agencement indécent…
Mort, on n’a jamais le dernier mot, on ne pourra jamais répondre à celles et ceux qui, comme ils l’ont fait dans la vie, continuent à nous instrumentaliser dans la mort.
Quand on est un symbole de son vivant, on n’imagine jamais assez les risques que l’on prend en mourant.
Patrick MIGNARD