FA-V. :
Les stations de moyenne montagne sont souvent enneigées de façon
aléatoire, selon les années. Par le passé, les enneigements étaient
plus importants, mais surtout, le manque de neige était davantage
accepté comme une fatalité. Depuis quelques années, même les petites
stations s’équipent pour produire de la neige artificiellement. Tu peux
nous en dire plus là-dessus ? La neige artificielle, au-delà de sa
« qualité » purement technique pour le ski, est-elle composée
uniquement d’eau ? Quel impact cela peut-il avoir ?
J’ai entendu dire en effet que dans certaines stations, ils utilisent
un additif à l'eau permettant la fabrication de la neige à des
températures plus élevées (il faut environ - 4 degrés sans additif). Ce
n'est pas le cas dans notre région, mais ils n’hésitent pas à utiliser
de l'eau potable pourtant rare sur un massif karstique. Il existe aussi
un produit dit "calcium" en poudre que l'on met sur la neige pour
ralentir la fonte. Cela la durci presque instantanément. Il est utilisé
uniquement pendant les mauvaises saisons (manque de neige) comme cette
année. Nous le retrouvons à coup sûr dans les nappes phréatiques et
dans nos robinets.
FA-V. : Les saisonniers sont souvent à peine remarqués par les
touristes. Petit personnel quasi anonyme sous « l’uniforme » des
anoraks aux couleurs des stations, votre condition d’employé précaire
est peu ou pas connue du skieur moyen. Peux-tu nous expliquer,
concrètement, ce qu’est un « saisonnier », et en quoi son statut
représente une précarité ?
Tout dépend de l'enneigement : pas de neige = pas de travail.
Des contrats de plus en plus courts (10 semaines) avec une date
effective d'embauche tard dans la saison. Résultat : moins de risques
pour la station et du coup plus pour nous. Par contre, nous restons
prioritaires une fois que nous avons travaillé pour les saisons
suivantes.
FA-V. : Et pour ce qui est de la flexibilité ?
Ils nous appellent au mieux la veille au soir, voir le matin même pour
travailler.
La plupart du temps, les plannings sont fait 2 jours à l'avance et
peuvent être modifiés à tout moment. Impossible de savoir à l'avance
les jours de congés qui ne sont jamais les même d'une semaine sur
l'autre. Par conséquent pour les travailleurs qui ont des enfants,
l’organisation pour la garde est difficile. On a toujours le "choix" de
refuser une journée de travail, mais ceci a pour conséquences d’être
officieusement puni par la suite : moins de journées de travail, un
poste de travail inintéressant... Un jour de travail en moins c'est de
l'argent en moins.
FA-V. : Cette année a été marquée par un très faible enneigement, des températures « douces », bref, le cauchemar des stations de moyenne montagne. Comment cela a pu ressurgir sur les conditions de travail des saisonniers ?
Beaucoup de tensions de part et d'autre.
Encore plus de flexibilité. Du stress, surtout pour les pisteurs pris
entre les problèmes de sécurité et la pression de la hiérarchie de
laisser les pistes ouvertes malgré le manque d'enneigement.
Tout le personnel prévu au départ n'a pas été embauché. Du coup pour
l'équipe restante toute la saison s'est faite avec des semaines de 6
jours de travail. Lors d'une fermeture en cours de saison, entre 2
chutes de neige, une bonne partie du personnel n'a pas été réembauchée
par la suite sans aucune information.
On a vraiment le sentiment que les économies doivent se faire sur le
dos du personnel saisonnier pourtant déjà très précarisé.
Autre conséquence : le problème financier. Le chômage technique ne
couvre qu'à partir de la date effective d'embauche. Résultat, pour
cette année 30 à 40 % de salaire en moins par rapport à l'année
précédente. Sur le terrain courait la rumeur que nous étions payé
gracieusement à rester chez nous, alors que la station a bénéficié
d'une aide pour le chômage technique.
FA-V. : Existe-t-il des syndicats pour que les saisonniers
puissent se défendre ? Et si ce n’est pas le cas, est-ce que ce serait
envisageable ?
Je ne sais pas s'il en existe et le problème c'est le
renouvellement du personnel chaque année. Les jeunes ne se préoccupent
pas trop des conditions de travail car pour la plupart ce n'est qu'une
expérience occasionnelle.
Les seuls qui râlent un peu se sont les anciens et on fait tout pour
les démotiver. S’ils ne reviennent pas l'année suivante, ils seront
remplacé par des jeunes malléables.
FA-V. : Les investissements des municipalités pour gérer ces
stations sont colossales, et pèsent très lourdement sur les budgets de
ces petites communes. Très souvent, les équipements liés au ski font la
fierté et la renommée de ces stations, sans parler des rivalités de
clocher locales. Penses-tu que cette course à l’équipement soit viable,
tant sur le plan financier que sur le plan des perspectives climatiques
?
C'est la politique de l'autruche, on continue à insister, à
penser être plus fort que la nature et le climat. Un investissement
pourquoi pas, mais il faudrait arrêter de penser seulement au ski.
Dans notre région les touristes apprécient la montagne même sans neige,
il y a d'autres choses à faire. Et puis il n'y a pas que le tourisme.
Ce serait bien d'envisager un développement économique dans d'autres
domaines pour enfin sortir de ces emplois précaires : il est de plus en
plus difficile de trouver un travail et un logement sur place.
FA-V. : Les stations de moyenne montagne sont-elles selon toi à
l’abri de la folie des grandeurs ? Perdent-elles leur spécificité de
petites stations familiales ? Ne sont-elles qu’un business comme un
autre ?
Nous ne sommes pas à l'abri de projet ruineux et non rentable.
Vouloir toujours rivaliser avec les grandes stations est une utopie.
Les gens qui veulent du « grand ski » de toute façon ne viendront pas
dans des petites ou moyennes stations. De façon générale, la
fréquentation ne cessent de diminuer depuis 10 ans au moins.
On a la chance d'être une petite station familiale très pratique pour
les débutants où les gens sont plutôt à la recherche de la convivialité.
FA-V. : En tant que personnel, comment ressent-tu la relation
entre les travailleurs des stations et les touristes-skieurs.
D’ailleurs, existe-t-elle ?
Oui, il y a une relation entre le personnel et les clients dans
nos petites stations. C'est d'ailleurs quasiment la seule satisfaction,
voir la seule motivation de mon travail. Je me sens plus considéré par
les clients que par mes employeurs.
FA-V. : Selon-toi, toute station de ski ne porte-t-elle pas en elle-même des contradictions indépassables ? Par exemple, on peut penser que les gens qui veulent skier souhaitent un contact avec la nature, une pratique sportive ou familiale proche du milieu naturel. Pourtant, cette activité peut-elle exister sans mettre en péril son milieu ?
Je ne sais pas si c'est possible. En tout cas nous pouvons
limiter les dégâts, surtout dans nos petites stations, pour ne pas trop
perturber la faune et la flore locale.
Je pense qu'il y a une place pour les stations sans neige artificielle,
dans la mesure où on propose d'autres activités en lien avec la
montagne. Beaucoup de client sont demandeurs. Mais pour d’autres il
faut qu'ils acceptent de faire des efforts et d'être moins exigeants
sur la qualité de l'enneigement.
Nous avons la chance d'être encore une station sans neige artificielle
pour le ski alpin, très apprécié des skieurs. Mais malheureusement cela
ne va pas durer, car pour les décideurs de la station (qui ne demandent
jamais l'avis de leur personnel et de leurs clients) jouer la carte
écolo, cela leur passe à 15000.
FA-V. : Des stations de ski autogérées, tu imagines ça comme quelque chose de possible ?
Bien sûr que c'est possible et dès maintenant si on nous laisse faire !
En tout cas, au niveau technique c'est déjà le cas, car les décideurs
en dehors de toucher une bonne paye, on ne les voit jamais sur le
terrain
FA-V : Puisque ces stations communales sont crées avec l’argent des habitants et ce que la station génère en pertes ou en profits, c’est bien à la population qu’elles devraient appartenir, non ?
A l'origine, la création de ces stations est faite avec,
par, et pour la population locale afin de lutter contre la
désertification. Cela a permis par exemple de maintenir des
agriculteurs en leur offrant une double activité, pour les autres
d'ouvrir des commerces, etc. Tout le monde se sentait concerné par la
station.
Aujourd’hui il est évident que ce lien n'existe plus. Les doubles
actifs sont très peu nombreux aujourd'hui et sont remplacés par des
saisonniers en situation très précaire, qui aspirent évidemment à autre
chose.
La station s'est développée et son fonctionnement s'est hiérarchisée, contribuant encore à casser le lien avec la population.
Tout tourne autour du fric.
Aujourd'hui les enfants de la commune doivent payer leur forfait, alors
que c'était gratuit il y a quelques années jusqu'à l’âge de 10 ans.
Est-ce que la station devrait appartenir à la population ? Je ne suis
pas sûr aujourd'hui que le fonctionnement et l'avenir de la station
intéressent les habitants de la commune. Ils la perçoivent seulement
comme une prestation de loisir supplémentaire.
Interview + photos : groupe du Vercors de la Fédération Anarchiste (juin 2007)
à 10:15