POURQUOI DISCUTER de l'immigration de travail quand nous ne reconnaissons d'autre frontière que celle qui sépare les opprimés de leurs exploiteurs(1)? Tout simplement pour réfuter quelques idées reçues qui laissent croire que les travailleurs migrants représenteraient une chargé (« toute la misère du monde ») pour l'économie des sociétés occidentales. L'immigration de travail provoque-t-elle du chômage et la baissé des salaires en France, oui ou non? Dans un pays qui compte 18 % de sans emploi dans le secteur concurrentiel(2) et des millions de travailleurs; pauvres, la question n'est pas sans intérêt à la veille dû grand carnaval électoral.
Une immigration rentable pour l'économie française.Rappelons tout d'abord que la recherche de travail représente la principale cause d'immigration, mais qu'il y en a d'autres (les guerres, les persécutions...). Ceci dit, une fors partis de chez eux, tous les immigrés doivent subvenir à leurs besoins, quelque ait été leur motif de départ.
Lorsque des individus quittent leur pays pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, c'est qu'ils ne peuvent pas faire autrement: la rupture est douloureuse, le voyage onéreux (3) et dangereux. Les migrants se dirigent vers les régions où des membres dé leur communauté sont susceptibles de les accueillir et où ils pensent pouvoir trouver du travail. Une fois parvenus à bon port, les nouveaux arrivés ne cherchent pas à s'employer dans les secteurs d'activités où ils entreraient en concurrence avec des nationaux: à qualification égale, ils n'ont évidemment aucune chance d'être embauchés. Lorsque le marché de l'emploi local ou sectoriel commence, à s'engorger, la communauté s'organise pour s'implanter ailleurs ou pour investir un nouveau secteur en demande d'emploi. Le slogan cynique de l'« immigration choisie » occulte cette évidence que l'intérêt bien compris des travailleurs migrants consiste à répondre aux besoins de main d'oeuvre de l'économie du pays d'accueil. On peut le vérifier sur le terrain: les, secteurs qui emploient massivement des étrangers:, bâtiment, hôtellerie-restauration, nettoyage industriel, sécurité, services à la personne... restent malgré cela en pénurie de personnel:
La fable. selon laquelle l'immigration aggraverait le chômage des. Français- et tirerait les salaires vers le bas ne tient pas donc, debout.
Au contraire, puisqu'ils répondent à un besoin économique, lès travailleurs migrants permettent le développement d'activités génératrices de plus-values et donc d'emplois pour les nationaux. Le produit dé leur travail s"en va pour l'essentiel dans les poches des entreprises, de l'État et des assurances sociales. Quant à la petite fraction qui leur est restituée sous forme de salaire, une partie est dépensée sur place, contribuant à faire tourner l'économie du pays d'accueil, et l'autre envoyée au pays d'origine pour aider la famille à subsister.
Cet argent représente des sommes colossales au niveau mondial, bien. plus que la prétendue «, aide au développement »; et les familles l'utilisent principalement pour satisfaire des besoins de consommation, éducation et santé notamment. Soit dit en passant, les « experts » du FMI aimeraient bien collectes cette manne et prélever dessus une dîme sensée financer les besoins en investissement des zones de migration, afin d'assurer leur « développement » au service de l'économie du libre marché.
Une étude commanditée aux services du Ministère de l'économie et des finances par Nicolas Sarkozy au temps où il y officiait concluait que l'immigration de travail avait un impact quasiment nul sur lé chômage et les salaires en France. Les fonctionnaires de Bercy soulignaient que le discours anti-immigrés touchait . les catégories sociales menacées de déclassement pour des raisons n'ayant rien -à voir avec l'immigration, et que ce fantasme était instrumentalisé pour créer des tensions sociales à des fins politiques(4).
Tous concurrents ! Bien entendu, le chiffon rouge de l'étranger venu manger « le pain des Français » est destiné à masquer la véritable stratégie du patronat pour faire baisser les salaires afin d'accroitre la part du capital dans la répartition de la plus value.
La méthode est simple: mondialiser et exacerber la mise en concurrence des travailleurs.
Du point de vue de l'économie française, il s'agit d'une externalisation de production parallèlement à une internalisation de main d'oeuvre.
Pour diminuer le coût de la main d'oeuvre sur les produits et services transportables, on systématise la délocalisation des productions vers des pays à faible pouvoir d'achat. Pour obtenir le même résultat sur les travaux et services non délocalisables, le patronat cherche à importer des travailleurs payés au tarif de leur pays d'origine(5). La directive Bolkestein ayant été amendée après l'échec du référendum sur la Constitution européenne, les entreprises étrangères qui interviennent dans l'Hexagone restent en théorie obligées d'appliquer le droit du travail et le SMIC français à leurs employés. Mais elles emploient actuellement 100.000 « salariés détachés» en France, venus des pays de L'Est membres de l'Union pour la plupart, et les services de l'inspection du travail n'ont évidemment pas les moyens de contrôler cette masse en perpétuel mouvement. On ne sait donc pas si les entreprises en question se plient d'elles, même au droit français, ce qui serait bien étonnant.
La systématisation de la délocalisation des productions et l'augmentation constante du recours aux «salariés détachés » (qui peuvent être des ingénieurs payés au SMIC et travailler 60 heures épar semaine), ajouté à l'accroissement du nombre de travailleurs saisonniers étrangers (en particulier dans l'agriculture) employés hors de tout contrôle et totalement dépendants de leur employeur français pour le renouvellement de leur contrat, participent de l'offensive généralisée contre-les droits du travail. Le but que poursuit inlassablement le patronat, c'est de remplacer toutes les protections, réglementations; conventions collectives, etc., par un contrat individuel dont chacune des clauses pourrait donner lieu à une « libre » négociation entre le salarié et son employeur. Lorsque cet objectif sera atteint,»le marché mondial de l'emploi fonctionnera comme une vaste foire aux enchères (6).
Violence, mensonge et manipulationsLa politique de répression menée contre les travailleurs migrants est donc sans, issue, criminelle, absurde, démagogique, manipulatrice et dangereuse.
Sans issue car les migrants n'ont d'autre choix que de s' expatrier; ni contrôles, ni les clôtures électrifiées ne les arrêteront.
Criminelle car elle oblige les voyageurs à prendre de plus en plus de risques pour franchir les frontières: combien de noyés, combien d'étouffés chaque année dans des containers (7)?
Absurde car elle coûte des sommes astronomiques qui permettraient de développer une véritable politique d'accueil et. d'intégration: La Commission européenne vient ainsi de proposer d'affecter 2152 millions d'euros au contrôle des frontières extérieures de l'UE pour la période 2007-2013, auxquels il faudrait ajouter le coût des flics, des juges, des centres de rétention et de tout l'arsenal répressif propre à chaque État.
Démagogique en prétendant que son objectif, l'« immigration choisie », constitue la vraie solution à ce qui est en réalité un faux problème.
Manipulatrice, car sa justification par l'argument économique du chômage et des salaires fait des travailleurs étrangers les boucs émissaires d'une situation doigt ils sont en réalité les victimes, conforte le ressentiment anti-immigrés et permet de masquer sa véritable nature, culturelle, identitaire, et raciste souvent.
Dangereuse car le choix de la répression et l'absence de politique d'accueil et d'intégration des immigrés génèrent des phénomènes de ghettoïsation, de marginalisation, de repli communautaire, lesquels participent au développement d'un racisme dit « de contact » . Le petit blanc qui rentre terrorisé d'une expédition à Barbès un soir de Ramadan, n'a pas distingué dans la foule bigarrée entre les français venus d'outre-mer, les étrangers naturalisés, les travailleurs en situation régulière et les travailleurs sans papiers qui payent néanmoins charges et impôts. Il a vu des nègres et des bougnoules. L'instrumentalisation politique de la peur des étrangers engendre également un racisme abstrait, qui fait voter à 90% pour le FN des villages d'Auvergne où jamais un immigré n'a posé ses babouches.
Attention, c'est ainsi qu'à commencé une sombre histoire, il y a deux générations et tout près d'ici. Aujourd'hui, il suffirait que la crise s'aggrave pour que l'engrenage de la haine raciale s'enclenche. Or si l'économie française supporte parfaitement le rythme actuel de l'immigration (que la société, elle, peine à absorber), on peut être certain que ce rythme va s'accélérer rapidement. Parce que la mondialisation ruine les pays pauvres, et parce que le dérèglement climatique provoque déjà des migrations dont on peut prévoir sans peine qu'elles iront en augmentant.(8)
François Roux
1- Cet article fait suite à
celui paru dans le Monde libertaire du 18 au 24 mai 2006 qui revendiquait la liberté de circulation et d'installation, et expliquait pourquoi l'ouverture des frontières ne provoquerait pas de flux d'immigrés supplémentaire en France ni en Europe.
2- Si on réintroduit les temps partiels subis et les stagiaires dans le calcul du chômage on arrive à un taux de 13.5 % de demandeurs d'emploi et on approche les 18 % si et on ne considère que les travailleurs du privé, les salariés du public et du parapublic n'étant pas susceptibles de se retrouver au chômage. ,
3- Ce qui explique que ce ne sont pas les populations les plus pauvres qui émigrent en Europe.
4- Lire: Les nouvelles migrations; un enjeu Nord Sud de la mondialisation. Dirigé par El Mouhoub Mouhoud. Encyclopédie Universalis, Paris, 2006, 194 pages, 15 euros
5- Un premier coin a déjà été enfoncé dans le secteur « extra-territorial » de la marine marchande.
6- On a - déjà pu voir au Royaume-Uni des emplois mis aux enchères, le candidat le « moins disant » remportant le job
7- Lire: Le Livre noir de Ceuta et Melilla La politique européenne d'asile et d'immigration tue! téléchargeable sur le site du GISTI : www.gisti.org
8- 25 % de la population mondiale habite les plaines côtières et les grands deltas menacés par l'élévation du niveau de la mer: Gange, Yang-Tsé Kiang, Niger, Nil, Pô, etc.
Le Monde libertaire #1456 du 23 au 29 novembre 2006