Question apparemment saugrenue. Pourtant, tout dans son attitude, dans ses rapports avec elle montre qu’il se situe, sinon en dehors de la Nature, du moins dans un statut qui le place en marge d’elle.
Le rapport de l’homme à la nature n’a rien à voir, fondamentalement, avec les rapports qu’entretiennent les autres créatures vivantes avec celle-ci. L’Homme ne vit pas «dans» la nature, «avec» la nature…. il l’instrumentalise. Elle est son objet… elle n’est pas le lieu de son existence, elle est l’instrument de ses conditions d’existence.
C’est une question que nous devons poser pour espérer résoudre sur le fond et socialement les problèmes écologiques qui sont entrain de nous tomber dessus.
LE DIVORCE HOMME / NATURE
Dans les temps immémoriaux de ses origines, l’homme était un animal au même titre que les autres, il appartenait à la nature et il vivait de la nature, c'est-à-dire de ce qu’elle lui procurait directement. Il ne vivait pas en harmonie avec la nature, il vivait «de la Nature», «dans la Nature».
Très vite l’Homme a essayé de donner un sens à ce qu’il observait, à ce qu’il vivait. Les phénomènes naturels dont il était le bénéficiaire, mais aussi la victime, il ne les a pas simplement subi comme font tous les animaux, il a essayé de les comprendre, de leur donner un sens, de les interpréter. Dans cette démarche il a soumis la Nature à ses propres désirs et fantasmes. La Nature s’est peuplée de ses divinités et a pris un sens exclusivement dépendant de l’esprit humain. Dès lors, on ne peut plus dire que l’Homme et la Nature ne font qu’«un»… l’Homme regarde la Nature d’un œil «extérieur». Il «est» et la Nature «est» de son côté… d’ailleurs n’a t-il pas l’impression d’être une créature divine?. Il a un avenir qui n’appartient pas à la Nature,… qui est ailleurs… un «autre monde» étranger à celle-ci.
La découverte du feu l’a totalement distingué et séparé des autres animaux. Tous avaient, et ont, peur du feu… lui a maîtrisé sa peur et a maîtrisé le feu… il est devenu le Maître…. C’est tout le mythe de Prométhée.
Pour expliquer, ou accepter, ce qu’il ne maîtrise pas, la Mort, il a trouvé «la solution» en dehors de la Nature…Dieu. La nature est explicable, maîtrisable, objet de connaissance. Dieu est objet de foi et de mystère. L’Homme a inventé Dieu pour expliquer la seule chose qu’il est sûr de ne pas comprendre: sa Mort. L’Homme n’a de compte à rendre qu’à Dieu… il n’a pas de compte à rendre à la Nature.
LE BESOIN DE DEPASSEMENT DE LA NATURE
La seule limite à l’Homme c’est Dieu qui signifie l’objet de son mystère, la Mort. La seule limite de l’Homme au regard de la Nature c’est la connaissance. Or, la connaissance progresse sans cesse, elle renforce la maîtrise de l’Homme au détriment de la Nature qui cède du terrain à celui qui en dévoile ses secrets, ses lois.
Savoir. Le fait de vouloir «savoir», peut importe la raison qui motive ce désir, change le rapport à la Nature. On peut, sans trop craindre de se tromper, affirmer que ce besoin, ce désir de savoir est une des caractéristiques de ce qu’est l’Homme. Doué d’une intelligence spéculative et pratique, il dispose ainsi de l’outil lui permettant d’aller au-delà de ce qu’est la vie animale: la réalisation de besoins essentiellement guidés par l’instinct… il se crée son propre univers de besoins et pour cela «plie» la Nature à ses désirs. Dés lors la Nature prend à ses yeux un caractère nouveau, elle n’est plus «celle qui donne», il est «celui qui prend».
Etre en harmonie avec la nature devient alors pour l’homme une chimère, pire, un non-sens. Un tel état est vécu comme une capitulation de son pouvoir, de sa maîtrise. Cela dit il ne veut pas détruire la Nature, il veut d’ailleurs plus que l’utiliser… il veut l’instrumentaliser, c'est-à-dire la soumettre à ses besoins. Ses besoins il les décrète souverains… pour cela il prélève comme bon lui semble, il régule, il modifie, il transgresse les lois de la nature. Il utilise la connaissance qu’il a des lois de la Nature pour la forcer dans la relation qu’il a avec lui. Il ne la respecte plus. Il la viole…. Il n’y a pas d’autres mots!
MARCHANDISATION DE LA NATURE
C’est le stade ultime de l’instrumentalisation, de l’aliénation, de la soumission de la Nature à l’Homme.
Il l’a dépouillé du caractère un peu mystique et poétique qu’il lui avait jadis donné. Il l’a réduite, à un système d’équation (les lois de la physique), non pas dans un souci de l’avilir, mais de la comprendre… et enfin de l’utiliser. Doté de cette connaissance il est persuadé d’en avoir, à terme, la maîtrise, avilissant ainsi la connaissance en la mettant au service de la marchandise.
Au stade de la marchandisation l’homme va au-delà de la simple instrumentalisation technique de la Nature… il ne la soumet même plus au besoin de la collectivité, il l’a soumet à une entité nouvelle: le marché. Et là s’opère une extraordinaire mutation puisque le marché est déclaré… naturel (?) ce qui est le comble du cynisme.
Le développement de la puissance productrice de l’Homme s’est accompagné d’un développement aussi important des nuisances induites. Celui-ci comptait sur celle là pour les recycler et en éliminer les «dommages collatéraux»…comme il en avait été ainsi dans le passé,… mais les forces productives avaient atteint un tel niveau de développement que… le calcul était faux. Sa puissance de nuisance a dépassé les capacités de recyclage de la Nature. A trop la dominer, il l’étouffe, et par la même s’asphyxie! Car la logique de production, et donc d’exploitation de la Nature qu’il a mis en place, ne connaît pas de limites, ni techniques, ni éthiques.
Mais il y a encore plus cynique que de faire croire que «le marché c’est naturel», c’est de faire croire qu’il y a compatibilité entre les lois du marché et la préservation de l’environnement. Le «développement durable», ce concept, pur produit idéologique d’un système en manque de justification, et de plus en plus sur le banc des accusés, est entrain de polluer la prise de conscience naissante.
En effet, on assiste aujourd’hui à un renversement de la démarche de l’Homme envers la Nature. Sa connaissance lui dit qu’elle l’a conduit au bord de la faillite de son entreprise. Les excès
engendrés par les conditions marchandes de production et de consommation menacent, à terme, la vie sur la planète.
La Nature,
in fine,et au seuil de l’agonie, se rappelle à l’Homme dans des termes qu’il connaît et qui lui font peur…la Mort. La dialectique de la Vie et de la Mort, passé par «pertes et profit», au profit, c’est le cas de le dire, d’une existence où tout est tarifé nous est rappelée alors que le système nous promettait l’abondance et le «bien être»…
Le rapport marchand créateur de Mort nous signifie clairement que la vie qu’il nous propose, qu’il nous impose, est bien une «non-vie»… au sens qu’il n’est pas capable d’assurer, sur le plan social on savait, mais y compris sur le plan de l’environnement, la préservation de la planète.
Aux delà des discours démagogiques et pseudo écologistes des petits et grands spéculateurs de la pensée politicienne, il va bien falloir un jour poser les vrais problèmes…et montrer que l’on peut vivre autrement: produire non pas pour l’accumulation du profit, mais les besoins; consommer pour satisfaire des besoins et non pour permettre au capital de se valoriser… Il n’y va plus simplement de notre crédibilité en tant que créature intelligente… ou d’un quelconque choix idéologique… il y va tout simplement de notre vie. et /ou de celles et ceux qui viendront après nous.
Patrick MIGNARD