Lu sur
hns-info : Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ont été éprouvés au Japon comme des actes de guerre d’une intervention militaire. Dans les pays occidentaux, en France en particulier, le bombardement et la destruction d’Hiroshima ont donné lieu à une interprétation où la guerre n’était pas l’élément essentiel. Bien sûr, après la capitulation des armées allemandes le 8 mai 1945 on était encore en guerre dans le Pacifique, mais les médias français n’ont vu dans la destruction totale des deux villes qu’un incident militaire, pour eux le sens de la destruction d’Hiroshima et Nagasaki en moins de quelques secondes était ailleurs.
Ainsi le journal Le Monde daté du 8 août 1945 titre en première page
« Une révolution scientifique : les Américains lancent leur première bombe atomique sur le Japon ». La destruction quasi instantanée d’Hiroshima le 6 août 1945, celle de Nagasaki trois jours plus tard, les morts par l’onde de choc, par sublimation, l’agonie des brûlés, toutes ces conséquences objectives épouvantables n’ont pas fait partie des préoccupations majeures des médias français. En Occident et en France en particulier cette réalité fut perçue comme la preuve matérielle que les hypothèses des scientifiques sur l’importance de l’énergie contenue dans la matière étaient vraies. Plus les destructions à Hiroshima étaient importantes et plus cela renforçait ces convictions, conséquences subjectives d’Hiroshima. Pour les scientifiques et les politiciens la destruction d’Hiroshima et Nagasaki a été, non pas un désastre, mais la preuve que la libération de cette énergie annonçait un avenir fabuleux, celui d’une énergie quasi gratuite, sans limite, l’apogée du progrès et la survenue d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité : l’âge atomique.
Quelques années plus tard lorsqu’il est devenu évident que la France et les pays occidentaux pouvaient eux aussi être la cible de ces bombes atomiques l’état d’esprit a changé mais les conséquences subjectives sont restées dans les têtes et finalement l’idéologie à la base du développement de l’électronucléarisation massive de la France a été fondée sur le « progrès » dans l’efficacité des massacres, ceux subis par les habitants d’Hiroshima et Nagasaki.
Où en est le nucléaire aujourd’hui ?
Rappelons qu’en 1974, profitant de la crise pétrolière, le gouvernement français décide d’accélérer le lancement du programme électronucléaire grandiose concocté par les nucléocrates depuis bien des années (il était envisagé 200 réacteurs sur 50 sites pour 1990 !) Il faut remarquer que c’est au moment où aux Etats-Unis les américains décident d’arrêter le développement de l’énergie nucléaire, que la France lance son programme.
[en 2006] Rien de changé par rapport à 1998 : le parc français* comprend 58 réacteurs à eau pressurisée (réacteurs PWR sous licence américaine Westinghouse) installés sur 19 sites représentant une puissance électrique de 62 950 MW et 1 réacteur à neutrons rapides de 233 MWe (ce réacteur « Phénix » a connu une mise à l’arrêt de plusieurs années pour des raisons techniques).
Le lobby nucléaire est toujours aussi puissant en France et la volonté politique est de maintenir et développer l’électricité nucléaire en France et à l’étranger :
- Ainsi la France vient de donner le signal d’une relance du nucléaire mondial par la vente à la Finlande d’un réacteur de 1600 MWe appelé EPR (European Pressurized Reactor, le groupe français AREVA est chargé de la partie nucléaire, la partie non nucléaire revient à Siemens) et par la décision d’implanter un réacteur identique dans la centrale de Flamanville à côté des deux réacteurs existants à eau pressurisée (réacteurs PWR) de 1330 MWe. Ces nouveaux réacteurs EPR sont de même conception, mais avec une puissance plus élevée, que les quatre PWR de 1450 MWe mis en exploitation à Chooz et Civaux avec beaucoup de retard (Chooz, deux réacteurs couplés au réseau en 1996 et 1997 respectivement 12 ans et 10 ans après le début des travaux ; Civaux, deux réacteurs couplés au réseau en 1997 et 1999 après 6 ans de travaux mais qui n’ont eu une production significative qu’en 2001). Ces réacteurs entièrement français, contrairement aux PWR sous licence américaine Westinghouse, ont connu depuis leur mise en route de nombreux incidents et la liste n’est certainement pas close, puisque c’est le réacteur lui-même, lorsqu’il est en fonctionnement, qui permet de détecter les dysfonctionnements qui n’ont pas été imaginés lors de la conception. Par exemple des fissurations et fuites d’eau des tuyauteries dues à des corrosions imprévues dans des zones où se mélangent eau chaude et eau froide.
Il est clair que la compétition va être rude sur le plan international avec la perspective du marché chinois. Mais la Chine ne veut pas seulement importer des réacteurs elle désire également importer la technologie. Or le groupe français AREVA ne peut pas fournir la technologie EPR puisque le nouveau réacteur EPR n’est encore opérationnel nulle part. La promesse de faire l’EPR finlandais en 5 ans paraît très problématique et la propagande faite en faveur de ce réacteur relève de l’escroquerie.
- Un autre signe important de maintenir le nucléaire en France et la volonté de renouveler le parc français en remplaçant au fur et à mesure les réacteurs qui seront mis à l’arrêt en raison de leur vieillissement, est donné par la construction imminente d’une nouvelle usine d’enrichissement d’uranium.
S’il y a eu pour le vingtième anniversaire de Tchernobyl un grand rassemblement antinucléaire dans la ville portuaire de Cherbourg pour protester contre l’EPR de Flamanville -proche de Cherbourg- aucune action d’envergure n’a été menée contre le remplacement de l’usine d’enrichissement d’uranium utilisant le procédé d’enrichissement par diffusion gazeuse (installation EURODIF appelée aussi « Georges Besse I ») par une usine appelée « Georges Besse II » utilisant la centrifugation, procédé beaucoup moins coûteux utilisé à l’étranger depuis des années. Le démarrage était prévu en 2006 mais il y a du retard, peut-être à cause des accords avec les partenaires européens qui ont mis en oeuvre ce procédé depuis très longtemps. Les seuls antinucléaires qui se sont manifestés contre cette nouvelle usine en interpellant la population et les élus sont ceux de la région du Limousin car ils sont préoccupés par l’uranium appauvri qui résulte de l’enrichissement. En Limousin, à Bessines, sur un ancien site d’extraction d’uranium et de transformation du minerai, sont déjà stockés dans des hangars de type agricole, des milliers de conteneurs renfermant près de 100 000 tonnes d’oxyde d’uranium appauvri arrivant dans des convois par chemin de fer depuis le sud-est de la France et il est prévu d’en stocker 199 900 tonnes ! Mais où ira l’uranium appauvri, résidu de la nouvelle usine d’enrichissement ?
En France on continue le retraitement à l’usine de la Hague, on fabrique le combustible MOX qui est désormais utilisé dans vingt réacteurs et pourtant les problèmes s’accumulent en plus du problème du stockage des déchets de haute activité qui est loin d’être résolu.
Où en est la sûreté nucléaire en France ?
Du point de vue de la sûreté le nucléaire français va mal, bien que les incidents soient moins spectaculaires qu’au Japon où il y a eu mort d’hommes.
En effet les incidents se multiplient sur tous les sites mettant en lumière, en plus des erreurs de conception, des dysfonctionnements liés à la libéralisation du marché de l’électricité. Cela ne se traduit pas seulement par la difficulté rencontrée parfois à trouver des pièces de rechange pour la maintenance du matériel (car à EDF comme dans toute l’industrie et tout le secteur commercial c’est le règne du « flux tendu ») mais aussi par des fautes du management quand des incidents précurseurs ne sont pas pris en compte par la hiérarchie et se terminent par un incident plus grave ou que certains incidents ont lieu car les équipes doivent travailler à la limite de leur capacité.
Le stress décrit auparavant pour les travailleurs intérimaires dans les entreprises sous-traitantes d’EDF affecte désormais le personnel EDF à tel point que les médecins du travail, généralement assez respectueux de leur employeur EDF, tirent la sonnette d’alarme en s’inquiétant ouvertement de la situation.
Le malaise gagne les syndicats et il est surprenant de voir que le syndicat CGT, très pro-nucléaire, a organisé une conférence de presse à Nogent-sur-Seine à 80 km de la région parisienne (2 réacteurs 1350 MWe en amont de Paris) au cours de laquelle ont été décrits des incidents sérieux qui ont été minorés par les autorités de sûreté et qui mettent en cause la gestion par le management. Les relations de travail sont détestables, d’où stress, dépressions nerveuses, et il est même question de suicides et d’actes de malveillance. Malheureusement les médias nationaux ne se sont pas déplacés et ainsi la grande presse n’a pas rendu compte d’une détérioration de la situation qui peut conduire à des incidents graves et à l’accident majeur.
Donnons simplement quelques exemples d’erreurs de conception (en plus de celui de Civaux évoqué précédemment) :
- En cas d’urgence avec nécessité de refroidir le coeur, deux circuits sont essentiels : le circuit d’aspersion d’eau et le circuit qui récupère cette eau et permet sa re-circulation or on s’aperçoit que les puisards qui doivent récupérer cette eau sont très souvent bouchés par des détritus de toutes sortes (débris de calorifugeages, peinture et ciment etc.). C’est un problème « générique » qui affecte tous les réacteurs.
- Les centrales ont été construites près de rivières à débit d’eau insuffisant comme Civaux. Arrêt de réacteurs par manque d’eau lors de la canicule de l’été 2004 -on a arrosé sans succès le dôme des réacteurs de Fessenheim !
- Non prise en compte des inondations externes pour la majorité des centrales nucléaires (comme l’a montré l’inondation de la centrale du Blayais lors de la tempête de décembre 1999 ayant nécessité la mise en oeuvre du plan d’urgence interne avec défaillance des circuits de sécurité ; inondation causée, entre autres, par la construction de la plate-forme de l’ilôt nucléaire à une cote trop basse dès l’origine au vu des niveaux des marées observés antérieurement dans l’estuaire de la Gironde, des digues de protection pas assez hautes et par l’ignorance de la hauteur des vagues dans l’estuaire. (Heureusement le jour de la tempête de décembre 1999 c’était une marée de faible coefficient !)
- Non prise en compte des possibilités d’inondation interne (comme à Nogent-sur-Seine en septembre 2005 par éclatement d’une tuyauterie sur le circuit de refroidissement de la turbine).
- Le mauvais positionnement de certaines tuyauteries vapeur par rapport à des locaux importants comme la salle des armoires électriques où le simple oubli de fermeture d’une vanne a entraîné l’arrivée d’une masse de vapeur et eau sur des tableaux électriques provoquant des variations de flux neutronique avec un arrêt d’urgence intempestif et une inondation des locaux. Une rupture de ces tuyauteries mal situées pourrait conduire à une mise hors service de circuits de commandes qui rendrait délicate les manoeuvres pour mettre le réacteur dans un état « sûr ».
- Etc.
Pour l’instant les nombreux incidents n’ont pas eu de conséquences graves. Pour combien de temps ? Étant donné la libéralisation du marché de l’électricité, la logique de baisse des prix de revient va entraîner une sûreté bradée ayant pour conséquences une multiplication des incidents -y compris les actes de malveillance à l’intérieur des centrales, comme l’ont révélé récemment des syndicalistes-, une augmentation de tous les dysfonctionnements de management s’alliant à une détérioration globale liée au vieillissement des réacteurs, à un mauvais contrôle qualité des matériaux, à la négligence d’incidents précurseurs, le tout aggravé par la possibilité d’actes terroristes.
(JPEG) Il y a de quoi être très inquiet, d’autant plus que les autorités françaises se préparent à la gestion d’un accident majeur si l’on se fie au nombre de décrets qui sont publiés sur ce sujet depuis 2003. Or ce qui apparaît clairement c’est qu’une « bonne » gestion d’une catastrophe nucléaire est impossible, elle conduit inévitablement à laisser vivre des habitants et leurs enfants dans des régions contaminées. Pour le prochain accident nucléaire les responsables internationaux en radioprotection recommandent des normes post-accidentelles de vie quotidienne conduisant à des doses de rayonnement très élevées.
Jusqu’à présent les effets biologiques nocifs du rayonnement étaient basés essentiellement sur les études épidémiologiques des survivants d’Hiroshima et Nagasaki qui ont subi un flash de rayonnement externe (gammas et neutrons). Les études récentes montrent que les survivants ont développé, outre les cancers et leucémies, d’autres maladies radioinduites : des pathologies cardiaques, maladies du foie, affections de la thyroïde, myoma utérin etc. Mais les effets biologiques d’une contamination interne chronique par une nourriture produite sur des terres contaminées par les retombées radioactives comme celles de Tchernobyl sont nouveaux, les habitants des zones contaminées de l’ex-URSS sont les sujets d’une « expérimentation » inédite. Les observations effectuées localement par les médecins de ces régions ont montré la dégradation de la santé des habitants et surtout de celle des enfants, soumis à de faibles doses de rayonnement, dégradation perceptible dès les premières années ayant suivi l’explosion du réacteur de Tchernobyl et qui furent à l’origine des manifestations populaires qui ont eu lieu fin 1988-début 1989 car les habitants voulaient être évacués hors des zones contaminées. Depuis, en plus des cancers de la thyroïde qui ont fini par être reconnus par les instances internationales, les enfants et adolescents souffrent de pathologies multiples, cardiopathies, cataractes, fatigue, allergies etc. par atteinte de tous les systèmes fonctionnels, immunitaire et endocrinien entre autres comme l’ont montré les études du Pr. Bandajevsky et de ses collaborateurs de l’Institut de médecine de Gomel (Bélarus, ex-Biélorussie), études à l’origine réelle de son emprisonnement pendant plusieurs années par les autorités du Bélarus. On constate dans les hôpitaux de Minsk une mortalité élevée des nourrissons par malformations cardiaques. Vingt ans après, enfants et adolescents qui n’étaient pas nés au moment de Tchernobyl, sont en mauvaise santé. Or ces pathologies qui ont été observées surtout au Bélarus, le pays le plus contaminé par les retombées radioactives, sont niées a priori par les experts internationaux car les doses efficaces calculées d’après les modèles officiels sont considérées comme trop faibles pour avoir un effet.
Ce qui nous oblige à exiger l’arrêt du nucléaire militaire et civil sans attendre, si nous ne voulons pas que nos enfants et petits-enfants connaissent le sort des populations des zones contaminées de l’ex-URSS.
Roger et Bella Belbéoch.
Extrait de la lettre d’information
n°111/112 du Comité
Stop Nogent-sur-Seine, ce texte a été écrit pour servir de préface à la traduction japonaise de «
Sortir du nucléaire c’est possible avant la catastrophe ».)
* Les 58 réacteurs en exploitation en France sont des PWR (ou REP en français) à eau sous pression, 34 réacteurs ont une capacité de 900 MWe, 20 ont une capacité de 1 300 MWe et quatre une capacité de 1 450 MWe.
Les 9 réacteurs de la filière dite "UNGG" (uranium naturel-graphite-gaz) ont été mis à l’arrêt et sont "en cours" de
démantèlement, voir le
tableau récapitulatif)
www.dissident-media.org/infonucleaire