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L’une des premières contrevérités véhiculées par la vulgate écologiste est l’idée selon laquelle « nous mettrions la planète en danger ». Que ce soit par ignorance ou par souci pédagogique, un tel raccourci est pour le moins inexact. Celui qui exprime cette idée avec le plus de force, et depuis le plus longtemps, est le scientifique indépendant britannique James Lovelock.
James Lovelock travaille depuis bientôt un demi-siècle à l’unification des différents savoirs des sciences naturelles, en vertu d’une hypothèse qu’il a baptisée « Gaïa » au début des années 1970, et qui consiste à supposer que la Terre forme un écosystème autorégulé, un « quasi-être vivant », dont les parties ne peuvent être bien comprises que les unes par rapport aux autres et par rapport au tout qu’elles forment. On pourra étudier l’éponge isolée de l’océan aussi longtemps qu’on voudra, on ne commencera à la comprendre que dans sa relation aux autres espèces et au milieu où elle vit. En posant l’idée que la Terre est un vaste écosystème au sein duquel tout est en relation, Lovelock ne fait qu’étendre la méthode de l’écologie à l’ensemble des sciences naturelles, ou proposer à la maison du savoir de réviser sa structure en fonction des nouveaux outils dont nous disposons. La notion de « chaîne alimentaire », principe maître de l’organisation du vivant, a été forgée par le tout jeune botaniste Charles Elton à Princeton en 1927 ; et la notion d’écosystème en 1930 par Roy Clapham (puis affinée par le botaniste Arthur Tansley en 1935). Il y a fort à parier que l’hypothèse Gaïa, forgée au début des années 1970 mettra encore quelque temps à être validée par la Cité des Sciences. Elle est cependant une théorie si peu farfelue qu’elle est aujourd’hui accréditée non plus seulement par le bon sens, mais aussi, depuis peu, par quelques sociétés savantes [1]. S’il ne peut exister de mammifères sans bactéries, sans insectes, sans oxygène, sans sol, sans eau, peut-être cela signifie-t-il que la vie ne doit pas être attribuée à des individus, mais à la sphère tout entière où ces organismes ont pu apparaître : la surface de la Terre. La Terre pourrait être considérée non comme un endroit mort où des organismes vivent, mais comme un endroit vivant, un « tissu » d’interrelations, dont chaque organisme serait un « fil ». De même qu’il fil isolé du tapis s’effiloche, de même un individu vivant isolé de la tapisserie ne restera pas vivant longtemps. C’est ni plus ni moins qu’étendre la notion de « biosphère » [2] à la planète tout entière ; et en effet, sans roches, pas d’os pour les mammifères ; sans noyau de fer liquide au centre de la planète, garant du champ magnétique qui nous protège des rayons et particules cosmiques, pas de vie possible à la surface ; aussi la géologie, la biologie et la chimie doivent-elles se souvenir de l’unité « organique » de leur objet. La planète n’est pas une superposition de rochers, d’eau, de bactéries et d’animaux.
Il est donc regrettable, selon Lovelock, d’étudier la géologie indépendamment de la botanique, de la zoologie, de la biologie et même de la chimie, dans la mesure où les êtres étudiés par ces différentes sciences, qui ont co-évolué depuis des millions d’années, sont les parties d’un même corps. Et cette unité n’est pas une réalité extérieure à notre propre destin : tout comme les autres organismes vivants, notre corps lui-même, dont les éléments matériels aussi bien que la structure ne proviennent de nulle part ailleurs que de cette planète où nos vies ont lieu, est littéralement une mémoire vivante de l’histoire de la Terre, et il est pour ainsi dire « formé à l’image de Gaïa ». Nos intestins abritent par exemple des bactéries « anaérobies ». Ces bactéries, apparues il y a quatre milliards d’années à l’époque où il n’y avait pas d’oxygène sur la Terre, qui constituent un tiers de l’histoire de la vie sur Terre, n’ont pas cessé d’exister depuis, formant pour ainsi dire la basse continue de l’histoire du vivant [3]. L’histoire planétaire, dont nous pouvons lire quelques chapitres dans nos entrailles, consiste donc en une interaction incessante et mutuelle des êtres inanimés et des êtres animés, des organismes et des milieux, de sorte qu’il semble pertinent de subsumer tous ces êtres, animés ou non, sous un ensemble plus vaste, la Terre, et de tenter de réunir au sein d’un même ensemble ce qui n’aurait jamais dû être séparé : les différentes « sciences naturelles ». Se remémorer quelques dates essentielles de l’histoire de notre planète constitue un préalable indispensable à toute réflexion philosophique sur l’écologie. « Nul n’entre ici s’il n’est biologiste », semble nous suggérer Lovelock.
La formation de la planète Terre remonte à environ 4,6 milliards d’années, et les premières formes de vie – ces bactéries anaérobies – remontent à 3,6 milliards d’années. L’oxygène a commencé à dominer dans l’atmosphère il y a 2,5 milliards d’années, entraînant une mutation et un développement du vivant. Les mammifères (avec qui nous avons en commun l’allaitement, les poils, les dents, le sang chaud, le néocortex…) sont apparus il y a environ 150 millions d’années. Le genre Homo se serait séparé du chimpanzé il y a 7 millions d’années, et l’homme tel que nous le connaissons aujourd’hui (Homo sapiens) il y a 200 000 ans. Que retenir de cette cascade de chiffres ? Par exemple que les mammifères représentent le dernier 1/25e de l’histoire de la vie sur Terre, et qu’Homo sapiens en représente quant à lui le dernier 1/180 000e. Ou que l’état actuel de la biosphère est le résultat d’une histoire naturelle de 36 millions de siècles. Cet auguste processus, dont nous pouvons lire la complexe et harmonieuse beauté dans le paysage où nos vies prennent lieu, dans le trot d’un cheval, dans la forme d’un arbre, dans le bleu du ciel, dans la fertilité du sol, mais aussi dans le corps qui nous fait désirer, marcher, aimer et penser – voilà qui n’inspire du désagrément qu’au naïf, et du dégoût qu’au puritain. Les esprits mieux balancés y concevront plutôt un effroi sacré ou un recueillement apaisé.
Mais ces proportions numériques, certes malcommodes à manier, sont malheureusement tenues pour peu d’intérêt dans le milieu de la culture et des sciences humaines, et sont en général renvoyées par le philosophe spéculatif au rebut du « factuel ». L’esprit anglo-saxon, dans son pragmatisme, sait mieux que nous accorder au « factuel » la place qui lui revient : la première. Ces proportions permettent en effet de mieux accepter l’idée que, selon Lovelock, l’espèce humaine ne puisse pas faire grand mal à la Terre. Certaines métaphores approximatives peuvent donc être invalidées. L’homme, un « cancer de la Terre » ? Lovelock congédie d’un revers de main cette « idée favorite des démagogues écologistes [4] » : « Les conséquences pour Gaïa des changements environnementaux que nous avons provoqués ne sont rien, comparé à ce que vous ou moi subirions à la suite de la prolifération sauvage d’une communauté de cellules malignes [5] ». D’abord, notre impact sur la Terre n’est pas grand-chose en comparaison de ce que la planète a déjà enduré ; et ensuite ce serait sans compter la force d’évolution et de renouvellement de la vie sur Terre. « Tout ce qui rendrait la planète inhabitable a tendance à induire l’évolution d’espèces qui peuvent précisément construire un environnement neuf et plus confortable. Si la planète est rendue inhabitable par notre faute, il y a aura probablement évolution vers un régime qui sera plus favorable à la vie, mais pas obligatoirement à notre avantage [6]. » « Quant à ce qui semble causer le plus d’inquiétude, les radiations nucléaires, elles ne représentent pas grand-chose pour Gaïa, même si elles font peur aux individus humains [7]. » Ainsi qu’il le répétait récemment à Hervé Kempf, le journaliste chargé de la rubrique « Environnement » dans Le Monde, « ce n’est pas la Terre qui est menacée, mais la civilisation [8] . » Le massacre de la biosphère actuelle, quand bien même elle jetterait, peut-être pour plusieurs siècles, le vivant dans le chaos, aurait plus vraisemblablement pour effet notre propre anéantissement que celui de la planète – ce qui est d’une certaine façon rassurant. La thèse, rarement entendue, est malheureusement rarement relayée.
Mais l’expression « La Terre est en danger », objectera-t-on, est un raccourci peut-être inexact d’un point de vue scientifique, mais utile d’un point de vue pédagogique, et « vrai » d’un point de vue pratique. Si nous déséquilibrons la biosphère au point de la rendre inhabitable, la disparition de l’humanité et des autres mammifères constituerait une catastrophe que l’on peut bien résumer en disant que « nous menaçons la planète ». Cette inexactitude factuelle serait tout de même une vérité morale. L’anéantissement de la vie végétale et animale, fût-il provisoire, serait en effet une « fin du monde ». Bien que ce point de vue semble à première vue défendable, un tel raccourci présente de sérieux inconvénients. Il entretient d’abord, de façon fâcheuse, notre tendance à tenir le monde naturel non humain comme quantité négligeable. Assimiler la disparition des êtres humains à l’anéantissement de la planète, c’est reconduire implicitement l’humanisme étroit de Protagoras, qui consiste à « tenir l’homme pour la mesure de toutes choses », et que le fondateur de la philosophie combat comme anti-philosophique. La deep ecology retrouve donc ici un vieux combat, qui va également dans le sens des découvertes de la science à l’époque moderne. Plus nous avançons, plus nous prenons la mesure de la grandeur du monde et du fait que nous sommes partie prenante de ce monde. Après avoir découvert que l’univers était plus grand que ce que nous pensions, puis que l’homme n’était pas au centre, que nous étions une espèce parmi d’autres, nous voici arrivés à l’idée que nous sommes une expression récente et fragile, parmi d’autres, d’une planète vivante. Et pour peu que l’on n’ait pas tout à fait coupé les liens qui nous unissent irrémédiablement à ce monde fait de la même chair que nous, ces idées sont tout à fait supportables. Au point de vue individuel comme au point de vue collectif, les « blessures narcissiques » s’accompagnent en général d’une vie plus riche et plus pleine.
Le fait de savoir que ce qui se joue dans la crise écologique, c’est notre survie et non celle de la planète, n’est donc pas une argutie de détail. Il met en évidence le fait que la crise écologique n’est pas une crise de « l’environnement » (ainsi nous appelons le monde dans une perspective anthropocentrique et technicienne), mais bien une crise de la civilisation – l’un des symptômes des disfonctionnements d’une civilisation qui se conçoit contre le naturel.
L’autre inconvénient d’une inexactitude sur ce point si important de l’impact de nos activités sur la planète est qu’il entretient le climat d’ignorance et d’inculture scientifique qui règne aussi bien dans le monde politique que dans le monde des sciences humaines, et même parfois chez des militants. Tous ces groupes, pour des raisons qui sont propres à chacun d’eux, ne voient pas d’intérêt à étendre aussi loin leur souci de vérité. Il n’est pas étonnant que le monde politique et le monde des sciences humaines, dont les intérêts demeurent purement « intra-sociaux » ne parviennent pas, en toute bonne foi, à percevoir la valeur de ces considérations pour eux « inhumaines », dans la mesure où la société épuise pour eux le champ de la conscience et de l’action. Ces milieux ne sont certes pas les plus propices à l’extension de l’éthique à l’ensemble de l’écosphère. Traduire cette extension en termes dans les termes, humains et sociaux, de « contrat naturel » (comme le fait le philosophe français Michel Serres) ou, pire encore, en termes de « droit des animaux » (comme le fait le tenant de la « libération animale » Peter Singer) est un effort conceptuel inutile dans le premier cas, absurde dans le second, qui relèvent tous deux d’une approche anthropocentrique, et qui ont plutôt nui à la clarté et à la crédibilité de la deep ecology. On ne contracte pas plus avec la nature qu’avec Dieu : on atteste ou non en soi-même qu’on dépend de son règne.
Le fait d’accorder une valeur en soi au monde naturel ou, en d’autres termes, de quitter l’ancien point de vue anthropocentrique pour adopter un point de vue « écocentrique », c’est ce qui caractérise pour le philosophe norvégien Arne Naess le passage à la deep ecology. Là où l’écologie technique ne vise au bout du compte à rien d’autre qu’à « la santé et l’affluence des gens dans les pays développés [9] », l’écologie éthique constitue un refondation radicale de nos valeurs. L’écologie anthropocentrique, Naess la juge « shallow » (superficielle), et l’écologie écocentrique, il la baptiste « deep ». Pour la première, la nature n’a pas de valeur en dehors de l’homme ; elle est donc un outil, une matière ou un décor. Pour la seconde, elle a une valeur indépendamment de l’homme ; elle ne vaut donc pas d’être sacrifiée au développement humain, mais le développement humain soit au contraire en tenir compte comme d’une limite.
Voici toute l’affaire de la deep ecology. Que l’on n’ait cessé de dénoncer une rupture avec l’humanisme » là où il d’approfondir ses valeurs, voilà qui peut sembler étrange. Car ce dont il s’agit précisément pour Naess, c’est de réformer l’éthique et la métaphysique, pour permettre à l’homme de vivre une vie meilleure au sein de ce qui l’entoure, et à quoi il est spontanément capable de s’intéresser. Dès le premier paragraphe d’Ecology, community and lifestyle, ce qui est mis en avant, c’est notre capacité positive à vivre en harmonie avec le monde, en mettant justement en avant la spécificité de notre statut parmi les autres mammifères : « L’humanité est la première espèce sur terre ayant la capacité intellectuelle de limiter consciemment son nombre pour vivre un équilibre durable et dynamique avec les autres formes de vie [10] . » S’il faut que l’espèce humaine apprenne à limiter son nombre pour pouvoir continuer de vivre une vie durable et équilibrée avec l’ensemble de la biosphère et de l’écosphère, cette limitation peut être vue comme un progrès de la civilisation. La nécessité pour l’humanité de contrôler sa démographie pour continuer de vivre au milieu d’une biosphère riche et variée n’est choquante que si l’on tient la nature comme quelque chose d’extérieur à nous ; elle cesse de l’être pour peu que l’on renonce à voir dans cette nécessité une contrainte extérieure, et qu’on la comprend comme une capacité positive d’une vie en équilibre avec le monde naturel dont elle dépend. De même qu’en limitant sa liberté pour respecter celle d’autrui, l’humanité a gravi un échelon décisif, de même en contrôlant son nombre pour respecter l’ensemble de la vie sur Terre, elle accédera à une vie éthiquement plus riche. Limiter sa liberté pour respecter la beauté du monde n’est pas un projet barbare, et comme le rappellent Catherine et Raphaël Larrère, l’essayiste Simon Schama dénonce avec raison « le syllogisme obscène » qui consiste à laisser entendre qu’il y aurait le moindre lien entre la deep ecology et le totalitarisme [11].
Conçue par Arne Naess et
George Sessions en 1984 lors d’une randonnée dans la Vallée de la Mort
en Californie, les 8 points de la « plate-forme » résument de façon
concise et militante les principes de pensée de d’action de la deep
ecology. « 1. La vie humaine et non-humaine ont l’une comme l’autre une valeur en soi. 2. La richesse et la diversité de la vie contribuent à réaliser ces valeurs, et ont elles-mêmes de la valeur. 3. Les êtres humains n’ont aucun droit de réduire la richesse ou la diversité, sauf pour satisfaire des besoins vitaux. 4. La vie humaine peut s’épanouir avec une réduction substantielle de sa population qui est requise pour l’épanouissement de la vie non-humaine. 5. L’interférence humaine actuelle avec le monde non-humain est déjà excessive, et elle empire. 6. Il faut changer de politiques économiques, technologiques et idéologiques pour modifier radicalement le fonctionnement actuel du monde humain 7. Le changement idéologique doit engager le respect de la valeur en soi de toute vie, plutôt que l’accroissement continuel de nos standards de vie matériels. 8. Ceux qui s’accordent avec les points précédents ont l’obligation de mettre en oeuvre les changements nécessaires. » |
Aussi le point n°4 de la « plate-forme de la deep ecology » affirme-t-il avec force la nécessité urgente de dissocier l’épanouissement de la vie humaine de la multiplication des êtres humains : « La vie humaine peut s’épanouir avec une réduction substantielle de la population humaine, qui est requise pour l’épanouissement de la vie non humaine. » À ce stade de notre présentation de la démarche de Naess, il apparaîtra de façon évidente que cette « réduction démographique » ne consiste pas en un holocauste, mais plutôt en une politique mondiale de contrôle de la natalité, comme le préconise également l’écologiste Paul Ehrlich depuis la parution en 1968 de ouvrage The population bomb [12].
Entre 1800 et 1950, la population mondiale est passée d’un à trois milliards d’habitants. Durant cette période, on a converti moins de terres à l’agriculture que depuis 1950 [13]. Aujourd’hui, « un tiers de la superficie terrestre est converti en terre agricole ; mais plus d’un autre tiers est en cours de transformation agricole, urbaine ou en infrastructures [14] ». Car si nous venons de vivre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l’apparition de trois nouveaux milliards d’humains, la même chose nous attend d’ici 2050, date à laquelle, selon les experts, nous atteindrons les 9 milliards [15]. La révolution de l’agriculture industrialisée a permis depuis 1950 de faire face au doublement de la population mondiale. En lançant en septembre 2006 son appel une deuxième révolution agricole, le directeur de la FAO (l’agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation), Jacques Diouf a précisé que dans la mesure « la base des ressources en eau et en terre est en régression dans plusieurs régions du monde [16] », la tâche s’annonçait compliquée. Il ne s’agirait pas seulement, cette fois-ci, d’une révolution technologique, mais d’une « révolution dans la gouvernance », ajoute un autre expert de la FAO. Même si nous parviendrons sans doute, grâce à de nouvelles technologies, à réduire notre empreinte écologique, nous nous approchons du moment, si nous n’y sommes pas déjà, où nous sommes tout simplement trop nombreux pour cette planète.
Se tournant quelques lignes plus loin non plus vers notre avenir et les responsabilités qui nous incombent, mais vers notre passé et les facultés humaines dont nous héritons, Naess ajoute : « Notre héritage biologique nous permet de nous réjouir au sein de la diversité vivante et complexe qui nous entoure ? [17] » En nous exhortant à redécouvrir ou à entretenir notre faculté d’être heureux au sein de ce monde, on voit que Naess est loin de chercher à abaisser la valeur de l’humanité. S’il rappelle à l’homme qu’il doit se soucier du monde dont il est le fruit, il est toutefois loin d’être un ennemi du genre humain. S’il insiste sur notre homogénéité avec le monde, il est toutefois loin de rabattre l’espèce humaine sur les autres espèces.
A la fin du même ouvrage, Naess propose à partir de cette définition générale de la deep ecology (qui est pour lui un courant de pensée général, une sensibilité intellectuelle), sa propre philosophie de l’écologie, son « écosophie » particulière. Or, dans son écosophie, il fonde la valeur de la « diversité » en général sur la valeur première de la « réalisation de soi » (self-realisation). La réalisation de soi passe en effet selon lui par celle « des autres », et ce qu’il entend par « les autres » excède les limites du genre humain. « La réalisation complète de soi pour quiconque dépend de celle de tous [18] » ou « la diversité de la vie augmente les potentiels de réalisation de soi [19]. » Nous réservons à une autre occasion la discussion de ces idées ; nous voulons simplement noter que le fondateur de la deep ecology indexe l’écocentrisme sur notre réalisation personnelle en tant qu’êtres humains. Il s’agit bien pour la deep ecology d’élever l’homme, et de l’agrandir – en qualité, pas en quantité.
Tout au long de cet article, nous avons identifié la « philosophie de l’écologie » et la deep ecology. Certains connaisseurs des différents courants de la philosophie de l’écologie répugneront peut-être à ranger sous le terme de deep ecology (qui n’appartient qu’à Naess) des auteurs aussi différents que Lovelock, Callicott, Carlson, Wilson, Abbey ou Leopold. Non seulement ils proviennent tous d’horizons intellectuels très différents, mais ils ont pour certains disparus avant que la deep ecology n’existe ; et pour les autres, ils ne s’en réclament même pas.
Dans leur ouvrage Du bon usage de la nature : Pour une philosophie de l’environnement, Catherine et Raphaël Larrère se réfèrent comme Callicott, dont ils se réclament, à la notion d’environnement. « Ethique environnementale » ou « philosophie environnementale » : c’est sous cette dénomination que l’on désigne à l’université ce que nous avons appelé dans cet article la deep ecology. À leurs yeux, celle-ci présente le double inconvénient de renvoyer à une branche radicale de la pensée environnementale, et de ne pas comporter d’« éthique environnementale ».
Pourtant, le propos de la deep ecology d’Arne Naess consiste précisément à redéfinir, d’un point de vue indissociablement ontologique et éthique, la façon dont nous pensons notre rapport au monde, et en particulier en substituant à la dualité objet/sujet une notion de « champ relationnel » construite sur la Gestalttheorie. N’est-ce pas là par excellence un projet d’éthique naturaliste ? Quant à la radicalité de la deep ecology, il semble qu’il faille l’entendre au sens philosophique, et non au sens politique. On voit mal comment l’activisme du professeur Naess, explicitement nourri de l’éthique spinoziste et des principes de non-violence de Gandhi, pourrait nourrir une action « radicale ». Quant au fait que toute philosophie écologiste soit nécessairement aussi une pratique militante, c’est bien sûr l’avis de Naess et de Callicott : « la philosophie de l’environnement est un militantisme environnemental [20]. »
Au final, le terme de deep ecology semble mieux définir que la notion d’« environnement » la révolution copernicienne que constitue l’écocentrisme. L’« environnement », qui conçoit la nature comme ce milieu extérieur à nous par lequel nous sommes entourés, ne semble pas la notion la mieux appropriée pour servir de référent à cet effort commun de décentrement éthique. L’environnement demeure en effet le corrélat d’un sujet implicite (« l’environné ») qui, par définition, n’en fait pas partie.
Lovelock, qui se fait « le porte-parole du point de vue de Gaïa [21] » ; Leopold, qui entreprend une extension de l’éthique à la terre (« land ethic ») [22], Callicott, qui revendique directement, comme on l’a vu, l’« écocentrisme » de Naess : tous ces penseurs ont bel et bien en commun d’élargir la sphère éthique en y intégrant le monde naturel, ou, pour le dire à rebours, d’amender l’humanisme moderne d’une clause d’« intégration naturaliste ». Or le premier penseur contemporain à avoir posé dans des termes spéculatifs la nécessité éthique d’accorder une valeur en soi au monde naturel, à avoir forgé à partir de là la notion d’écocentrisme par opposition à un anthropocentrisme qu’il définit comme l’impensé des éthiques occidentales, et qui qualifie de « deep » cette « révolution copernicienne » d’une écologie philosophique, à la fois ontologique et éthique, c’est Arne Naess.
Enfin, contre l’objection selon laquelle le terme de deep ecology aurait focalisé trop de fantasmes et de malentendus pour qu’on puisse aujourd’hui le revendiquer, il faut répondre qu’agir autrement serait une reculade. Catherine Larrère a raison de dire que la deep ecology telle qu’on l’entend en France est « une fiction, un être hybride mêlant le biocentrisme et l’écocentrisme au new age, de façon à en faire un épouvantail » [23] . Dans son dégoût, Luc Ferry a vu juste en rangeant sous le label forgé par Naess l’ensemble des philosophes écocentristes. Pourquoi faire oublier cette dénomination, alors qu’elle renvoie à une pensée cohérente ? Non seulement l’ouvrage de Naess comporte la première et la meilleure formulation du projet philosophique écologique, mais elle bénéficie déjà d’une sorte de notoriété, certes encore négative, mais dont il s’agit justement de renverser la connotation. Le soufre qui entoure le label de deep ecology, aussi injustifié soit-il, est déjà une première réception. Il a incité les ennemis à se découvrir d’eux-mêmes. Assumer ce label, c’est rappeler à l’humanisme étroit qu’il a raison de ne pas aimer la deep ecology, car la deep ecology ne l’aime pas non plus.
Ultime argument, son opposition implicite avec l’écologie « peu profonde » (shallow), technicienne, aménageuse et sécuritaire, n’a rien perdu de son actualité, mais demeure au contraire très pertinente et opérationnelle à l’heure où le capitalisme entame sa mue verte. Car il ne s’agit pas seulement d’intégrer la nature dans la machine (développement durable) ; il faut que la machine change de programme (changement culturel).
La deep ecology ouvre un important chantier philosophique : celui de l’élaboration d’une nouvelle définition de la nature. Alors que le XXe siècle, avec la théorie de la relativité et la physique quantique, aura été un siècle de découvertes scientifiques décisives quant à « la nature de la nature », la philosophie de son côté, prise dans la problématique du sujet, a semble-t-il tenu l’idée de nature comme extérieure à sa tâche et à ses compétences. On peut penser comme Callicott que « la révolution qui a eu lieu au XXe siècle en philosophie naturelle – menée par Planck, Heisenberg, Bohr et d’autres en physique, et par Claments, Elton, Tansley, Haldane et d’autres en biologie – sera suivie par une révolution parallèle en philosophie morale » [24] .
Même si Merleau-Ponty, dans le prolongement de la Critique de la faculté de juger de Kant, invite le sujet à « se découvrir et se goûter comme une nature [25] », c’est, comme chez Kant, seulement au sein d’un sujet (en tant que représentation), que le concept scientifique d’une nature matérielle régie par des causes nécessaires peut être éventuellement discuté. On reste sur la rive, là où il faudrait oser s’aventurer dans l’eau. Le geste philosophique fondamental de la deep ecology, qui consiste à poser la nature comme un principe (un point de départ et une cause), et non comme un objet (une construction et un effet) est pourtant au cœur du naturalisme de ces mêmes Lumières où Luc Ferry fonde l’« humanisme du déracinement ».
Dans le soliloque du savant d’Alembert assoupi, Diderot met en scène les affres de la raison scientifique soudain en proie à l’hypothèse « pan-naturaliste » d’une unité et d’une continuité du vivant, de la bactérie à la pensée. « Tout est en un flux perpétuel… Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal… » Moins souvent cité que Rousseau dans les bibliographies de l’écologie, Diderot incarne pourtant tellement mieux que lui le naturalisme dont il est ici question. Le promeneur solitaire n’aime en effet la nature que dans la mesure où elle signifie pour lui l’absence de la société humaine. Là où le romantisme de Rousseau reconduit sagement le dualisme entre une nature vierge et bonne face à une humanité irréversiblement dégradée par l’état social, le naturalisme de Diderot lui fait voir la même nature (ni bonne ni mauvaise, comme chez Spinoza) en dehors de nous et au-dedans – jusque dans la vie de notre esprit. Rien d’étonnant ainsi à ce qu’il nous peigne donc l’homme de science endormi, rêvant, divagant et passant, tandis qu’il médite, de l’angoisse au désir. Le phénomène du rêve en dit long en effet sur la naturalité de notre esprit, et Diderot insiste sur la concomitance entre les spéculations de d’Alembert et une volupté dont Mademoiselle de Lespinasse ne peut feindre d’ignorer la teneur toute physique puisqu’il semble que le savant s’en soit répandu sous ses yeux [26] .
On a bizarrement « oublié » que la psychanalyse s’ancre, de l’aveu de son fondateur lui-même, dans la Natuurphilosophie de Goethe, et que le projet freudien s’enracine dans le pan-naturalisme de Darwin [27] . Et pouvait-on en effet aller plus loin dans le naturalisme qu’en décelant la façon dont l’esprit s’ancre dans le désir, le désir dans la pulsion – et, ajoute le biologiste Freud, « la pulsion dans la matière ». Il fallait bien en effet que le père de la psychanalyse se fasse une idée de la nature pas tout à fait conforme à celle qui prévaut dans les laboratoires de biologie. Quelle idée de la nature ? C’est la question, cruciale, à laquelle la philosophie contemporaine semble bien décidée à continuer de tourner le dos.
Le « grand naturalisme » auquel les Lumières ont adossé à la fois le progrès de la connaissance (indistinctement scientifique et philosophique) et l’élaboration d’une « religion naturelle » pourrait donc être utilement convoqué de nouveau au moment où il nous faut aborder cette question de la définition de la nature en tant que cause et principe. On retrouve chez le fondateur de la « science moderne », Isaac Newton lui-même, les éléments d’un tel naturalisme. Comme l’a montré Keynes en 1946 dans Newton, The man, l’inventeur de la gravitation universelle voyait Dieu dans cette force primordiale ; et il aura d’ailleurs au final consacré davantage de temps et d’intérêt dans sa vie à la théologie et à l’alchimie qu’à la « philosophie naturelle » – comme on appelait la science en ces temps progressistes.
Toutes ces tentatives d’articuler le physique au spirituel, on peut bien sûr continuer de les balayer d’un revers de la main comme étant « pré-modernes » ou « post-médiévales ». Mais cela ne vaut en aucun cas pour une réfutation. C’est tout le sens du travail de l’héritier de Claude Lévi-Strauss Philippe Descola que d’amener l’ethnologie à dépasser son propre ethnocentrisme et à se laisser enfin conquérir par son objet – les pensées pré-modernes – comme par quelque chose qui nous est intérieur. Au moment où, selon lui, les deux pans bien hermétiques de « l’édifice dualiste » de la maison occidentale moderne du savoir (« lois de la nature » et « conventions de la culture [28] » ) commencent à s’infiltrer mutuellement, on peut commencer, sinon à tracer, du moins à concevoir « l’épure d’une nouvelle maison commune [29] ». Et c’est bien là l’enjeu fondamental du naturalisme à venir : une refonte de la maison du savoir à travers une réunification des sciences de l’homme et du monde. Or un tel chantier passe nécessairement par l’élaboration d’une nouvelle donne éthique et la réévaluation d’une « nature » à laquelle nous ne savons aujourd’hui comment penser notre pleine appartenance. En plaçant en exergue de son ouvrage majeur un propos de Montaigne, Descola lie cet enjeu à une invitation à se tourner vers le seuil de la modernité : « Qui controllera de pres ce que nous voyons ordinairement des animaux qui vivent parmy nous, il y a dequoy y trouver des effects autant admirables que ceux qu’on va recueillant ès pays et siecles estrangers. C’est une mesme nature qui roule son cours [30]. » Aux yeux du moniste, les émerveillements de la zoologie et de l’éthologie, en effet, n’ont pas moins de valeur que ceux de l’histoire et de l’ethnologie.
En quoi le fait d’avoir renoncé à tenir un discours sur la nature ou sur Dieu honorerait-il particulièrement la pensée et la culture modernes ? C’est en ceci que la deep ecology, loin d’être pour nous une importation menaçante, nous renvoie au contraire à ce qui, en plein cœur de notre culture, est comme son impensé ou son refoulé. En replongeant aux sources « médiévales » de l’humanisme, en nous réappropriant ce bras mort de notre modernité, nous pourrons aborder les propositions de la deep ecology comme une extraordinaire occasion pour notre culture de retrouver dans sa propre histoire et dans sa propre conformation un propos et un enjeu universels [31] .
Baptiste Lanaspeze
[1] « En 2001, plusieurs sociétés savantes internationales (Diversitas, IGBP, etc.) endossent la théorie, déclarant que "le système Terre se comporte comme un système unitaire autorégulé constitué des composants physiques, chimiques, biologiques et humains". » (Hervé KEMPF, Le Monde, 11 février 2006 )
[2] La notion de biosphère a été forgée en 1875 par le géologiste Edward Suess, et pour désigner « l’endroit sur la surface de la Terre où la vie est présente [where life dwells] ».
[3] « [Ces batéries anaérobies] vivent encore sur toute la surface de la Terre dans les boues, les sédiments et nos intestins – partout où elles sont à l’abri de ce poison mortel qu’est pour elles l’oxygène. » James Lovelock, Les Âges de Gaïa, Robert Laffont, 1990, trad. Bernard Sigaud, p. 34. Edition originale : The Ages of Gaia, 1988.
[4] Ibid., p. 212.
[5] Ibid., p. 213.
[6] Ibid.
[7] James LOVELOCK, Les Ages de Gaïa, op. cit., p. 17.
[8] « Des milliards de gens vont mourir du fait du changement climatique. Avec le réchauffement, la plus grande partie de la surface du globe va se transformer en désert. Les survivants se grouperont autour de l’Arctique. Mais la place manquera pour tout le monde, alors il y aura des guerres, des populaces déchaînées, des seigneurs de la guerre. Ce n’est pas la Terre qui est menacée, mais la civilisation. » (« James Lovelock, docteur catastrophe », Hervé KEMPF, Le Monde du 11 février 2006.)
[9] Arne NAESS, The shallow and the deep, long-rand ecology movement.
[10] Arne NAESS, Ecology, community and lifestyle, 1989, p. 23. Première phrase du livre.
[11] Voir Catherine et Raphaël LARRERE, Du bon usage de la nature, op. cit., p. 313, note 8.
[12] Voir note 5.
[13] Millenium Ecosystem Assessment, rapport élaboré par 1300 scientifiques du monde entier. Cité par Hervé KEMPF, Comment les riches détruisent la planète, Seuil, 2007.
[14] D’après les chercheurs de Globio. Cité par Hervé KEMPF, ibid.
[15] Alexandra SCHWARRTZBROD, « Nourrir un monde à 9 milliards d’habitants”, Libération, 14 septembre 2006.
[16] « La première révolution était assez facile, explique Henri Josseran, un des experts de la FAO, car c’était une révolution technique et les Etats n’attendaient que ça. La deuxième doit être une révolution de gouvernance, d’allocation des ressources, de gestion des affaires publiques. Ce sera plus difficile et, surtout, ça demandera plus de temps. » (Ibid.)
[17] Ibid.
[18] Ibid., p. 197.
[19] Ibid., p. 199.
[20] Cf. l’article « Environmental philosophy is environmental activism », in John B. CALLICOTT, Beyond the land ethic, State University of New York Press, 1999, p. 27.
[21] « De nombreux lecteurs ont peut-être l’impression que je tourne en dérision tous ces savants spécialistes de l’environnement qui consacrent leur vie à l’étude de ce qui menace la vie des hommes. Telle n’est pas mon intention. Je ne désire que parler au nom de Gaïa, parce que très peu de gens le font, comparé aux multitudes qui s’expriment au nom des humains. » (James LOVELOCK, Les Ages de Gaïa, p. 17)
[22] Dans le dernier chapitre, intitulé « Horizon », de la dernière partie, intitulée « En fin de compte » de son Almanach d’un comté des sables, Leopold écrit : « Il me paraît inconcevable qu’une relation éthique à la terre puisse exister sans amour, sans respect, sans admiration pour elle, et sans une grande considération pour sa valeur. Par valeur, j’entends bien sûr quelque chose qui dépasse de loin la valeur économique ; je l’entends au sens philosophique. »
[23] Entretien avec Catherine Larrère, 12 mars 2007.
[24] « The twentieth-century revolution in natural philosophy (…) will be followed by a parallel revolution in moral philosophy. » (John B. CALLICOTT, Beyond the Lan ethic, Introduction, « Environmental philosophy and mainstream academic philosophy », p. 6)
[25] Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1942, Introduction.
[26] Voici le récit de Mademoiselle de Lespinasse : « Il paraissait éprouver une convulsion. Sa bouche s’était entrouverte, son haleine était pressée ; il a poussé un profond soupir, et puis un soupir plus faible et plus profond encore ; il a retourné sa tête sur son oreiller et s’est endormi. Je le regardais avec attention, et j’étais toute émue sans savoir pourquoi, le cœur me battait, et ce n’était pas de peur. Au bout de quelques moments, j’ai vu un léger sourire errer sur ses lèvres ; il disait tout bas : "Dans une planète où les hommes se multiplieraient à la manière des poissons, où le frai d’un homme pressé sur le frai d’une femme… J’y aurais moins de regret… Il ne faut rien perdre de ce qui peut avoir son utilité. Mademoiselle, si cela pouvait se recueillir, être enfermé dans un flacon et envoyé de grand matin à Needham…" ». (Denis DIDEROT, Le Rêve de d’Alembert).
[27] Freud a en effet déclaré être entré en médecine après avoir entendu le poème « Hymne à la nature », qu’il a attribué à Goethe, mais qui est en réalité l’œuvre du théologien suisse Tobler.
[28] « La vaste demeure à deux plans superposés où nous avions pris nos aises depuis quelques siècles commence à révéler ses incommodités. (…) Des infiltrations bizarres, fragments de philosophies orientales, débris de gnoses hermétiques ou mosaïques d’inspiration New Age, polluent çà et là des dispositifs de séparation entre humains et non-humains. » (Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, « Avant-propos », p. 11.)
[29] « On devra montrer que l’opposition entre nature et culture ne possède pas l’universalité qu’on lui prête, (…) mais aussi du fait qu’elle apparaît tardivement au cours du développement de la pensée occidentale » (Ibid., p. 14) ; « Bien des sociétés dites "primitives" nous invitent à un tel dépassement, elles qui n’ont jamais songé que les frontières de l’humanité s’arrêtaient aux portes de l’espèce humaine. (…) L’anthropologie est donc confrontée à un défi formidable : soit disparaître avec une forme épuisée d’humanisme, soit se métamorphoser. » (Ibid., p. 15)
[30] MONTAIGNE, Apologie de Raymond de Sebonde.
[31] C’est aussi au nom d’une « universalité nouvelle » qui articule le souci écologique au dépassement des attitudes coloniales, que Descola appuie son entreprise : « C’est à chacun d’entre nous, là où il se trouve, d’inventer et de faire prospérer les modes de conciliation et les types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, (…) dans l’espoir de conjurer l’échéance à laquelle, avec l’extinction de notre espèce, le prix de la passivité serait payé d’une autre manière : en abandonnant au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs (…)¬. » (Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture, Épilogue, p. 522)
première partie : L’écologie profonde est-elle un humanisme ? I