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Goodman, pourtant, est peu connu en France, même dans la mouvance libertaire qui pourtant n’ignore pas tout de l’anarchisme américain : des textes de Murray Bookchin, de dix ans son cadet, ou d’autres plus jeunes, comme Hakim Bey ou même John Zerzan, qui sont loin d’avoir atteint la même notoriété, circulent et sont discutés. Qu’est-ce qui a pu faire barrage ? Sans doute le refus de l’idée d’une révolution violente, et les propositions de formes d’action et de coopération considérées alors comme trop réformistes.
Ce qui m’amène maintenant à Goodman, c’est la réédition de deux ouvrages de Bernard Vincent, professeur à l’université d’Orléans, qui lui sont consacrés1. Ils sont désormais réunis en un seul volume. Le premier, Paul Goodman et la reconquête du présent, a été publié d’abord au Seuil en 1976. Il n’a pas eu d’écho en milieu libertaire, mais on peut penser aussi que les attachés de presse n’envisagent pas spontanément qu’il y a des relais à trouver par là… Le second, Pour un bon usage du monde : une réponse conviviale à la crise de l’école, de la ville et de la foi (essai sur le naturalisme libertaire de Paul Goodman), est paru chez Desclée – à ne pas confondre avec Desclée de Brouwer – mais n’a jamais été diffusé. Dans un avertissement au lecteur, l’auteur attribue cette censure « au radicalisme dérangeant des idées de Goodman, mais surtout à la nature peu orthodoxe pour un éditeur catholique épris de tradition, des idées goodmaniennes en matière de religion et de foi ». N’aggravons pas le cas de Goodman : né dans une famille juive, il était incroyant mais utilisait généreusement un vocabulaire et des références d’origine religieuse.
Avant ces deux livres, Bernard Vincent avait soutenu une thèse sur Paul Goodman, « critique de la société technologique et théoricien de l’utopie » (Lille) et tenté de faire connaître ses idées dans deux articles de la revue Esprit qui sont intégrés dans le présent ouvrage.
Une voix inimitable
Ce qu’il note d’emblée, c’est que Goodman était un écrivain inclassable, sans attache avec un clan, donc perturbant pour l’ordre établi des idées toutes faites. Son oeuvre passe sans cesse d’un registre à l’autre, poésie, nouvelle, roman, théâtre, critique littéraire, psychologie, sociologie. Son écriture est inégale, « existentielle et pressée », irrégulière comme on l’a dit pour Proudhon. Il laisse derrière lui une « oeuvre hirsute ». Immergée dans l’expérience concrète, sa pensée reste, malgré une vaste culture, une « pensée à l’état sauvage ». Mais on reconnaît toujours la voix de Goodman, « un ton et un timbre inimitables, une sonorité directe et véridique ». C’est cette voix aussi que retient l’essayiste et romancière américaine Susan Sontag dans un livre qui parle également de Benjamin, Canetti, Barthes et Cioran2. Une voix authentique et convaincante, écrit-elle, qui imprègne d’intensité et de sens tout ce dont elle parle, avec un mélange de sûreté et de maladresse, de vivacité langagière et de laisser-aller. Paul Goodman (1911-1972) avait fait des études de littérature et de philosophie à Chicago. Nommé assistant à l’Université de Chicago en 1931, il est licencié en 1941 pour avoir défendu, après être tombé amoureux d’un étudiant, le droit de vivre son homosexualité. Il maintiendra cette position tout au long de sa vie ; elle contribuera à son influence auprès de la jeunesse radicale des années soixante. Elle lui sera reprochée comme un paradoxe quand il sera marié et père. Son pacifisme aussi lui vaudra de l’influence, et pas mal d’inimitiés.
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