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Max Stirner et l'anarchisme individualiste, John Henry Mackay
Max Stirner (1806-1856) est le père de l'anarchisme individualiste à cause de son célèbre livre Der Einzige und sein Eigentum (L'Unique et sa proprieté), [1] paru en 1844. Max Stirner est le pseudonyme de Johann Caspar Schmidt. Il était enseignant à Berlin. Avant la révolution 1848 il a fréquenté le groupe « Die Freien » (Les Libres) composé de jeunes hégéliens. Stirner a parfois écrit dans le Neue Rheinische Zeitung (Nouveau Journal Rhénan) de Karl Marx. Mais plus tard Marx a attaqué Stirner dans son livre Die deutsche Ideologie (L'Idéologie allemande). La critique marxiste selon laquelle les anarchistes sont des petit bourgeois individualistes vient de cette polémique. Stirner n'a jamais utilisé le mot « anarchiste » et son influence sur les courants libertaires de langue allemande est faible.
John Henry Mackay (1864-1933), d'origine écossaise et allemande, fut un successeur de Stirner à la fin du XIXe siècle. Il était écrivain et fréquentait le cercle des artistes du « Neue Freie Volksbühne » (Nouveau Théatre libre du Peuple). Il y a rencontré Heinrich et Julius Hart, Bruno Wille, Johannes Schlaf, Erich Mühsam, Gustav Landauer et d'autres anarchistes. Son roman le plus populaire était Die Anarchisten (Les Anarchistes) paru en 1891. [2] Les anarchistes individualistes existent toujours et à Berlin il y a une société Mackay qui publie le journal individualiste Espero.
Naissance de l'anarchisme de langue allemande en Suisse orientale, influence de la Fédération Jurassienne
Pendant la Révolution allemande de 1848 il y a eu des libres-penseurs comme Georg Herwegh et Ferdinand Freiligrath. Il y a eu quelques individus comme Wilhelm Marr et d'autres, qui ont utilisé le mot « anarchiste », mais il n'y a pas eu de groupes ou de mouvement anarchiste. Michel Bakounine était sur les barricades en Mai 1849 avec Richard Wagner à Dresde. Bakounine a organisé la défense militaire des révolutionnaires de Dresde, mais tous les deux n'étaient pas encore de vrais anarchistes. [3] Les années 1840 et 1850 ont vu la publication d'environ cinquante livres de Proudhon ou sur Proudhon, mais elles n'ont pas vu l'apparition de militants anarchistes. [4]
On peut fixer la naissance de l'anarchisme de langue allemande en Suisse orientale aprés la scission de l'Association Internationale des Travailleurs. La Féderation jurassienne a publié en 1874 le Social-Demokratisches Bulletin (Bulletin social-démocrate) puis en 1876-1877 le Arbeiterzeitung (Journal des Ouvriers) en langue allemande pour les militants de Suisse occidentale et les militants allemands en exil en Suisse. Le journal était communiste-anarchiste et a défendu la propagande par le fait. Le jeune Kropotkine a écrit avec Paul Brousse, August Reinsdorf et d'autres un statut pour un Anarchistisch-kommunistische Partei deutscher Sprache (Parti anarchiste-communiste de langue allemande). Il ne dura que d'avril à octobre 1877. [5]
August Reinsdorf, la propagande par le fait et la loi antisocialiste
Aprés son retour en Allemagne en avril 1877 à Leipzig, August Reinsdorf (1849-1885) fit de la propagande et reussit à créer quelques groupuscules anarchistes en terre allemande. Il a rencontré l'ancien parlementaire social-démocrate Johann Most (1846-1906) lors de sa visite à Fribourg en Suisse. Most, devenu social-révolutionnaire se réfugia dès 1878 à Londres où il fonda le journal Freiheit (Liberté). Most disait qu'il n'y avait pas eu de libertaires jusqu'à sa rencontre avec Reinsdorf en 1880. [6] Reinsdorf écrivait des articles pour Freiheit, qui est devenu anarchiste en 1881. Dans les années 1880, les anarchistes ont eu une cinquantaine de groupes représentant 200 à 300 militants. En 1883, ils pouvaient distribuer environ 4500 exemplaires de Freiheit dans l'Allemagne impériale. Le journal était alors édité à Londres. Son siège fut transféré à New York en 1882. Pour la distribution, des passeurs comme Johann Neve ont expédié le jounal sur la frontière. En Allemagne il y a eu des groupes clandestins de cinq personnes d'après le modèle de Babeuf. [7]
Contre la repression de Bismarck dans l'Allemagne impériale, le parti social-démocrate a réagi de manière opportuniste. Pour critiquer ce légalisme il y eut le courant des sociaux-révolutionnaires. Le 11 mai 1878, Max Hödel tira sur l'empereur Guillaume Ier mais il ne réussit pas à l'atteindre. Hödel connaissait des anarchistes, mais il ne l'était pas lui-même. Le 2 juin 1878, Dr. K. Nobiling tira sur l'empereur et le blessa grièvement. Nobiling n'avait aucun lien avec les courants politiques ; il n'était ni libertaire ni social-démocrate. Mais le chancelier Bismarck a profité des attentats pour édicter des lois anti-socialistes entre 1878 et 1890. Il y eut beaucoup d'arrestations. A Francfort 44 personnes furent arrêtées, 15 furent condamnées d'un à trois ans de prison ferme. Pendant le procès, s'illustra un commissaire de police particulièrement répressif, Rumpf. Le 13 janvier 1885, Julius Lieske, venu de Genève, attaqua Rumpf à coups de couteau. Rumpf décéda et Lieske fut décapité le 17 novembre 1885.
Contre la repression de l'empereur, August Reinsdorf avait prévu un attentat contre lui lorsqu'il inaugurerait le mémorial de Niederwald à Rüdesheim-sur-le-Rhin au mois de septembre 1883. Reinsdorf étant malade, deux de ses amis se chargèrent de faire éclater la bombe mais ce fut un échec car le cordeau était mouillé. Furieux, ils jetèrent alors la bombe dans un restaurant. Reinsdorf et Küchler furent décapités le 7 février 1885. Ce furent les actes de la propagande par le fait en Allemagne. [8]
Le Groupe de Londres, Josef Peukert ; Johann Most et la « Freiheit » à Londres et à New York
Josef Peukert (1855-1910) et Johann Most ont participé au congrès de l'Association Internationale des Travailleurs à Londres en 1881. Josef Peukert était d'origine autrichienne, il a diffusé Freiheit en Autriche et a fondé des groupes à Vienne et Linz. Son influence sur le mouvement libertaire en Autriche fut importante.
Le départ de Most pour New York a rendu la diffusion de Freiheit en Allemagne plus difficile. Peukert a critiqué Most pour avoir déplacé Freiheit à New York. Peukert ne considérait pas Most comme anarchiste. Il pensait que Most resterait toujours social-revolutionnaire, c'est à dire trop proche de la social-démocratie. Peukert a fondé en 1884 le journal Rebell (Rebelle) et plus tard le groupe « Autonomie » ainsi que le journal Autonomie (L'Autonomie), qui fut le journal introduit clandestinement le plus important en Allemagne jusqu'à sa disparition en 1893. Peukert fut critiqué par le fraction Most, car il avait rendu visite à Johann Neve en Belgique en 1887 accompagné d'un indicateur de police. Neve fut arrêté et condamné à 15 ans de prison ferme. [9]
Johann Most resta à New York et fit la connaissance d'Emma Goldman. Il a diffusé Freiheit parmi les exilés allemands aux Etats-Unis.
Haymarket 1886 et les anarchistes de langue allemande de Chicago ; August Spies et la « Arbeiter-Zeitung »
Beaucoup de pauvres, qui venaient d'Allemagne orientale au XIXème siècle, ainsi que de nombreux persécutés politiques ont émigré aux Etats-Unis. Entre 1886 et 1872 ils ont été 500 000. Beaucoup d'Allemands exilés aux Etats-Unis se sont installés à Chicago pour travailler dans l'industrie de la viande, dans l'agroalimentaire ou l'industrie du bois. Des quartiers entiers étaient peuplés d'Allemands. Vivant dans des conditions lamentables, ils sont souvent devenus libertaires. On peut dire que le plus gros mouvement libertaire de langue allemande au XIXème siècle se trouvait aux Etats-Unis parmi les immigrés allemands. Ils ont participé au mouvement ouvrier qui a été impliqué dans les évenements de Haymarket à Chicago en 1886. Beaucoup d'anarchistes qui ont été condamnés pour la bombe, qu'ils n'avaient pas jetée, ont été des anarchistes de langue allemande. Georg Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, August Spies ont été condamnés à la peine de mort par pendaison, Oskar Neebe et Michael Schwab ont été condamnés à de longues peines de prison. En particulier August Spies (1855-1887), qui venait d'un village de Hesse, était très populaire comme militant ouvrier dans le mouvement pour la journée de travail de huit heures. Spies a rédigé le quotidien Chicagoer Arbeiter-Zeitung (Journal des ouvriers de Chicago) avec un tirage de 5800 exemplaires en 1886. Il a participé à d'autres publications libertaires de langue allemande. [10]
Les « Jeunes » sociaux-démocrates et leur séparation avec le parti (Rudolf Rocker, Gustav Landauer et « Der Sozialist »)
Pendant ce temps à l'intérieur de l'Allemagne de jeunes membres du Parti social-démocrate étaient mécontents de la stratégie légaliste et réformiste du parti. Leurs critiques étaient tournées en ridicule par Wilhelm Liebknecht et Friedrich Engels. Ils les appelaient « Die Jungen » (Les Jeunes). Les jeunes ont quitté le parti et fondé la Verein unabhängiger Sozialisten (Association des socialistes indépendants) . Parmi les « jeunes » se trouvaient Gustav Landauer (1870-1919) et Rudolf Rocker (1873-1958), les intellectuels les plus importants du mouvement libertaire de langue allemande. Les jeunes ont publié le journal Der Sozialist (Le Socialiste) à partir de 1891, qui fut anti-parlamentaire, mais toujours marxiste. Le journal fut rédigé dès 1893 par Gustav Landauer et a changé son sous-titre en « organe pour l'anarchisme-socialisme », avec une tendance libertaire jusqu'en 1899. Landauer était influencé par Proudhon qu'il a traduit en allemand. Sa deuxième épouse était Hedwig Lachmann, traductrice entre autres d'Oscar Wilde et auteur de poèmes lyriques symbolistes. En 1908, Gustav Landauer a fondé avec Erich Mühsam (1878-1934) et Martin Buber (1878-1965) une organisation intitulée Sozialistischer Bund (Fédération socialiste) . Landauer a écrit des tracts et des ouvrages littéraires, culturels et politiques. Les oeuvres les plus importantes de Landauer ont été Revolution (Révolution) (1907) et Aufruf zum Sozialismus (Appel au socialisme) (1911). Dans Revolution, il expose les théories d'Étienne de le Boétie sur la pyramide de pouvoir et la puissance du refus d'obeissance. Il avait découvert Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie en lisant les textes de l'anarchiste russe Léon Tolsoï. Dans Aufruf zum Sozialismus il décrit le moyen de réaliser la révolution. Il faut d'abord s'écarter de la société ordinaire, puis connaître la solitude, puis s'associer avec des copains qui ont la même aspiration. Economiquement il a fait de la propagande pour les coopératives et la fondation de colonies dans des villages à la campagne comme solution à la situation lamentable des ouvriers dans les cités capitalistes et industrielles. C'était un peu anti-industriel, mais Landauer a quand même fortement influencé Martin Buber et d'autres protagonistes du mouvement des kibboutz en Palestine ainsi que les mouvements alternatifs des années 1970. En Allemagne, il a aussi publié le journal Der Sozialist entre 1909 et 1915 avec un tirage de 2000 à 4000 exemplaires. Son organisation, la Fédération Socialiste avait environ 20 groupes, dont une colonie de végétariens « Eden » à Oranienburg près de Berlin.Chaque groupe se composait de 15 à 20 membres. Mais l'organisation dépendait de Landauer qui en était l'élément principal. En Suisse il y a eu des contacts avec Margarete Faas-Hardegger, qui a écrit dans le Sozialist, et en Autriche il y a eu des contacts avec Pierre Ramus. [11]
Quant à Rudolf Rocker, il a écrit un très grand nombre de livres, par exemple sur Max Nettlau, le grand historicien de l'anarchisme. Mais avant-guerre, il a fui l'Allemagne pour retrouver le milieu juif et libertaire de Paris et de Londres. A Londres il a organisé les juifs de l'East-End, des ouvriers à domicile et des tisseurs. On retrouve Rocker en Allemagne après la première Guerre mondiale. [12]
La « Fédération des Anarchistes de l'Allemagne » AFD (Rudolf Lange, Paul Frauböse)
Les militants anarchistes qui lisaient L'Autonomie dans les années 1880, ont émis des réserves sur le fait de s'associer avec les jeunes socialistes. Ils les trouvaient trop marxistes. Ils ont essayé au début du journal Der Sozialist de s'associer, mais ils ont trouvé Landauer trop dominant et trop intellectuel pour des ouvriers. Ils trouvaient aussi son discours en faveur des coopératives trop réformiste. C'est pour cette raison qu'ils ont quitté le Sozialist et fondé le journal Neues Leben (Nouvelle vie), puis Der freie Arbeiter (L'Ouvrier libre). Ils étaient anarchistes-communistes. En 1901, ils ont fondé une organisation, Anarchistische Föderation Deutschlands, AFD (Fédération anarchiste allemande). Il y a eu environ 40 groupes, représentant de 400 à 500 personnes. Mais il y eut des scissions : en 1903 les adhérents qui continuaient à publier Freiheit de Most ont fondé le journal Anarchist (L'Anarchiste), rédigé par Rudolf Lange. Ce journal eut une vie brève. Paul Frauböse a essayé de critiquer un groupe de Berlin qui rédigeait le journal Der freie Arbeiter et qui ne se préoccupait pas des aspirations des groupes des autres villes et des autres provinces. En 1905 Frauböse a fondé le journal Der Revolutionär (Le Revolutionnaire) qui était le véritable journal de la Fédération avec un tirage de 2000 exemplaires. Ce fut un échec et Frauböse changea de camp en s'affilliant à la Fédération socialiste de Landauer. Der freie Arbeiter sortit gagnant de la querelle des journaux, avec un tirage de 5000 exemplaires environ à son apogée en 1910. Rudolf Lange s'occupait de l'organisation ; il prépara un statut avec des membres officiels, l'autonomie des groupes et une commission de gestion, qui fut acceptée en 1910. Mais cela n'entraîna pas un dévéloppement de l'organisation, et malgré des conférences regionales, l'AFD fut critiquée par Landauer et beaucoup d'autres comme bureaucratique, incapable de mener des actions, comme tentative de créer un nouveau parti anarchiste à l'image du Parti social-démocrate. Ils ne furent pas capables de résister à la Guerre mondiale et ils n'ont pas essayé de faire un front commun avec les anarcho-syndicalistes. Pendant la Rébublique de Weimar entre les deux guerres mondiales, l'AFD se transforma en Föderation Kommunistischer Anarchisten Deutschlands (Fédération des anarchistes communistes d'allemagne). Par rapport à l'organisation des anarcho-syndicalistes, elle n'eut pas un grand développement (500 membres en 1923) et resta moins importante qu'avant-guerre. [13]
Le cercle de Friedrichshagen, les naturalistes libertaires, le cercle Weber et la naissance de l'anarchisme non-violent
La naissance de l'anarchisme non-violent en Allemagne est associée à la lecture des écrits sociaux et éthiques de Léon Tolstoï des années 1880 jusqu'à la première Guerre mondiale. On voit apparaître de nouveaux écrivains, les naturalistes comme Paul Ernst, les frères Heinrich et Julius Hart, Senna Hoy, Bruno Wille, Arno Holz, Gustav Landauer. Ils ont fondé à Berlin le « Friedrichshagener Kreis » (Cercle de Friedrichshagen) en 1889 et le premier théâtre ouvrier, le « Neue Freie Volksbühne » (Nouveau théâtre libre du peuple) en 1892. C'était un mélange de bohème anarchiste avec des artistes, des écrivains et des libertaires individualistes. Leur journal Freie Bühne (Théâtre libre) a interprété les écrits de Tolstoï pour la premier fois considéré comme anarchiste non-violent. Les naturalistes libertaires étaient influencés par Hendrik Ibsen (drames), Emile Zola (romans) et Léon Tolstoï (romans et écrits sociaux et éthiques). Ils ont été les adversaires de Michael Georg Conrad et des naturalistes nationalistes.
Dans la première décennie il y a eu beaucoup d'autres journaux libertaires, naturalistes et expressionnistes comme Der arme Teufel (Le Pauvre diable) en 1902 et 1903 et Kain (à partir de 1911) réalisé par Erich Mühsam (1878-1934), Der freie Arbeiter (L'Ouvrier libre) de l'AFD, Die Fackel (La flambeau) de Karl Kraus à Vienne, Die Aktion (L'Action) de Franz Pfemfert (dès 1911), Der Kampf (La Lutte) de Senna Hoy (1904-1905), Der Sozialist (Le Socialiste) de Gustav Landauer, Wohlstand für alle (Prospérité pour tous) de Pierre Ramus de Vienne. Tous ces journaux ont fait des analyses des écrits de Tolstoï. Il y a eu des tolstoïens allemands comme Moritz von Egidy ou Eugen Heinrich Schmitt. D'autre part, c'était l'époque où l'on passait ses vacances à Monte Verita à Ascona en Italie, dans une colonie végétarienne et alternative, où il y avait beaucoup d'anarchistes non-violents.
A Heidelberg se trouvait le cercle du sociologue Max Weber qui n'était pas libertaire, mais qui a discuté ses thèses avec des étudiants libertaires de Russie comme Isaak Steinberg, avec le sociologue syndicaliste Robert Michels, ou même pendant la première Guerre mondiale avec l'étudiant Ernst Toller (1893-1938). Weber a établi une différence entre l'éthique de responsabilité et l'éthique de conviction. Il a présenté Tolstoï comme modèle de l'éthique de conviction. Isaak Steinberg est devenu social-révolutionnaire de gauche pendant la Révolution russe de 1917 ; il fut conseiller juridique dans la premier gouvernement des bolcheviks et des sociaux-révolutionnaires de gauche jusqu'en janvier 1918. Il se réfugia à Berlin après le rétablissement de la peine de mort en Russie soviétique. Il y retrouva Emma Goldman, Rudolf Rocker et des anarchistes russes en exil. Isaak Steinberg à publié l'une des plus impressionantes critiques libertaires de la révolution bolchevique, Gewalt und Terror in der Revolution (Violence et terreur dans la révolution) , écrit en 1920-1923, publié en 1931 à Berlin. Dans ce livre il présente la violence et la non-violence comme une aporie philosophique : avec la violence révolutionnaire on ne peut abolir le pouvoir, sans violence révolutionnaire on ne peut faire tomber le pouvoir établi effectivement. Ernst Toller était convaincu d'être anarchiste non-violent avant la République des Conseils de la Bavière en avril 1919. Il a été l'un des commandants de l'Armée rouge de Bavière. Contrairement aux positions des communistes, il a tenté de négocier une trève dès qu'il s'est aperçu que la bataille ne pouvait plus être gagnée. Pendant les années 1920 Toller a écrit de remarquables pièces de théâtres comme Hinkemann (L'Homme boiteux), qui ont été les drames les plus populaires de la République de Weimar et qui illustrent tous cette aporie philosophique entre non-violence et violence révolutionnaire. [14]
L'expressionisme de l'avant-guerre (Erich Mühsam), le dadaïsme à Zurich et à Berlin
Erich Mühsam, le poète anarchiste antimilitariste, a participé à la naissance de journaux expressionistes tels que Die Aktion de Franz Pfemfert à Berlin et Simplicissimus à Munich. Dans cette ville, Mühsam faisait partie de la scène bohème expressionniste ou l'on trouvait Franz Jung, la poète Else Lasker-Schüler, l'auteur dramatique Berta Lask et beaucoup d'autres artistes et écrivains. Mühsam était le poète le plus populaire dans le mouvement libertaire d'après guerre.
Mais l'expressionnisme, avec quelques protagonistes comme Richard Dehmel, s'est engagé en faveur de la Guerre mondiale. Comme le futurisme italien, l'art progressiste est devenu soudain nationaliste en souhaitant un bouleversement complet de la société décadente d'avant-guerre.
Ce fut le dadaïsme qui a sauvé l'art progressiste en critiquant toutes les formes de l'art d'avant-guerre. La naissance du dadaïsme a eu lieu à Zurich au Cabaret Voltaire avec des exilés comme Réné Schickele, Tristan Tzara, Hugo Ball, Emmy Jennings, Richard Huelsenbeck et bien d'autres. On a dit que le dadaïsme fut exporté de Zurich à Berlin avec le retour de Richard Huelsenbeck à Berlin début 1917. Mais en 1915 il y avait déjà le journal Freie Straße (Rue libre) de Franz Jung, Georg Schrimpf et Otto Groß qui a cherché à créer des liens entre la psychanalyse progressiste et le mouvement libertaire. Il y a eu aussi en 1916, la naissance du journal Neue Jugend (Jeunesse nouvelle) avec Wieland Herzfelde, John Hartfield et le remarquable dessinateur George Grosz. En 1917, ils ont fondé la maison d'édition Malik. Après la guerre on vu l'apparition de journaux comme Die Pleite (La Culbute), de soirées dada ainsi que l'exposition internationale dada en 1920. Les dadaïstes les plus populaires furent Raoul Hausmann, Hans Arp, Hanna Höch, Kurt Schwitters, Johannes Baader. Les frères Herzfelde-Heartfield et leur maison d'édition Malik se rapprochèrent du Parti communiste pendant la république de Weimar. [15]
La révolution 1918-1919 et la « République des Conseils » de Bavière, 7-30 avril 1919
Les grandes grèves au début 1918, les mutineries, les désertions et les manifestations de masse pour la paix voulaient en finir avec le vieux système aristocratique en Allemagne et en Autriche-Hongrie. A Kiel, les marins mutinés durent tirer quelques coups de feu contre les officiers réactionnaires avant d'occuper la ville de Kiel le 4 novembre 1918. A Munich, le socialiste indépendant Kurt Eisner (1867-1919), Erich Mühsam, Oskar Maria Graf et d'autres partirent de la Theresienwiese et firent le tour des garnisons. Tous les soldats fraternisaient et le régime du prince des Wittelsbacher tomba sans coups de feu ni effusion de sang le 7 novembre 1918 ; il se passa la même chose à Berlin le 9 novembre 1918 avec l'empereur Guillaume II, dernier représentant des Hohenzollern. Mais il y eut des differences entre Munich et Berlin. Dans cette ville, les sociaux-démocrates orthodoxes, dit majoritaires, Ebert, Scheidemann et Noske firent un front commun avec d'anciens officiers de la Reichswehr comme le général Groener et les corps francs politiquement à droite. Ils s'opposèrent au mouvement des conseils des « hommes de confiance » des grandes entreprises de Berlin, appelés Die revolutionären Obleute (Délégués révolutionnaires d'entreprises).
Plus tard en janvier, les sociaux-démocrates écrasèrent l'insurrection spartakiste du nouveau Parti communiste allemand (avec le meurtre de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht). A Munich, au contraire, le nouveau président bavarois, Kurt Eisner, essayait de concilier conseils révolutionnaires et système parlementaire. Ainsi se constitua une sorte de double pouvoir en Bavière. [16]
Quand Eisner fut tué en février 1919 par l'extrême droite, la Bavière a vécu une phase de radicalisation. Des nouvelles recherches montrent, que le mouvement des conseils n'était pas confiné à Munich et dans les grandes villes de Bavière. C'était un mouvement vraiment bien implanté partout, même dans les campagnes et les villages, en particulier dans les semaines qui précédèrent la première République des Conseils. On a pu voir des conseils de paysans, d'ouvriers, de soldats et d'intellectuels. On a salué la nouvelle République des Conseils de Bela Kun et Georg Lukács en Hongrie. Les sociaux-démocrates majoritaires acceptèrent de siéger au conseil éxécutif, fréquenté par des libertaires comme Gustav Landauer, Kurt Sontheimer, Erich Mühsam, Ret Marut, Ernst Toller. Mais ils s'enfuirent ensuite pour installer un gouvernement contre-révolutionnaire à Bamberg et demander à Berlin l'aide des troupes de la Reichswehr. Mühsam a essayé de convaincre les nouveaux responsables communistes comme Eugene Leviné de participer au mouvement mais ils refusèrent en se déclarant neutres envers une république d'artistes et d'écrivains. A la suite d'une grève générale à Augsburg, ville proche de Munich, la première République des Conseils fut déclarée. Elle dura du 7 au 14 avril et était dite anarchiste. Il n'y eut pas d'effusion de sang au début. Aucune force réactionnaire ne fut capable de s'opposer à cette déclaration. Mais les sociaux-démocrates et la Reichswehr firent une tentative de coup d'Etat le dimanche 13 avril à la gare de Munich. Il fut mis en échec par des ouvriers armés spontanément et d'autres qui désarmèrent les soldats et les policiers de Munich qui essayaient d'aider les putschistes. A la suite à ces événements, Mühsam fut fait prisonnier (cela lui a probablement sauvé la vie). Le Parti communiste changea d'avis et se déclara prêt à organiser une armée. Il proclama une deuxième République des Conseils, dite communiste. Les militants anarchistes étaient partagés : Landauer ne soutint pas la deuxième République, tandis qu'Ernst Toller devint le chef de l'Armée rouge. Il était favorable à des négociations alors que les communistes voulaient se battre jusqu'au bout, désirant créer des martyrs du mouvement ouvrier. La répression des forces réactionnaires après leur victoire début mai fut extrêmement violente, avec des massacres faisant des milliers de morts. Gustav Landauer fut battu à mort. Mais Ret Marut, qui s'occupait de la presse révolutionnaire et qui fit publier une revue anti-guerre pendant la guerre, Der Ziegelbrenner (Le Fondeur de briques) a réussi à fuir jusqu'à Mexique. Là, il a pris le nom de B. Traven et a écrit de nombreux romans sur sa vie aventureuse et les Indiens du Mexique. [17]
Lou Marin
[1] Max Stirner : Der Einzige und sein Eigentum, 1844, Stuttgart 1972. Notice sur Max Stirner dans : Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf 1993.
[2] John Henry Mackay : Die Anarchisten, 1891, Leipzig 1992. Notice sur John Henry Mackay dans : Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf 1993.
[3] Wilhelm Marr est devenu plus tard l'un des premiers intellectuels antisémites, Wagner aussi ; Bernd Kramer : „Laßt uns die Schwerter ziehen, damit die Kette bricht...“ Michael Bakunin, Richard Wagner und andere während der Dresdner Mai-Revolution 1849, Berlin 1999.
[4] Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 148.
[5] Bernd Drücke : Zwischen Schreibtisch und Straßenschlacht ? Anarchismus und libertäre Presse in Ost und Westdeutschland, Münster 1998, S. 78f. ; Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 150 ; Ulrich Linse : Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin 1969, S. 120-128.
[6] Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 150ff.
[7] Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 152 ; Ulrich Linse : Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin 1969, S. 128-154.
[8] Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 149, 153 ; Wolfgang Bock : „Terrorismus und politischer Anarchismus im Kaiserreich“, in Hans Diefenbacher (ed.), Anarchismus. Zur Geschichte und Idee der herrschaftsfreien Gesellschaft, Darmstadt 1996, S. 143-168.
[9] Josef Peukert : Erinnerungen eines Proletariers aus der revolutionären Arbeiterbewegung, 1913, Frankfurt 2002 ; Rudolf Rocker : Johann Most. Das Leben eines Rebellen, Berlin 1924.
[10] Horst Karasek (ed.) : 1886, Haymarket. Die deutschen Anarchisten von Chicago, Berlin 1975 ; Heinrich Nuhn : August Spies. Ein hessischer Sozialrevolutionär in Amerika, Kassel 1992.
[11] Ulrich Linse : Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin 1969, S. 275-301 ; Gustav Landauer : Aufruf zum Sozialismus, 1911, Wetzlar 1978 ; Gustav Landauer : Revolution, 1907, Berlin 1974 ; Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 153f. ; notice sur Gustav Landauer dans : Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf 1993.
[12] Peter Wienand : Der ‚geborene' Rebell. Rudolf Rocker, Leben und Werk, Berlin 1981 ; Rudolf Rocker : Aus den Memoiren eines deutschen Anarchisten, Frankfurt 1974 ; Rudolf Rocker : Max Nettlau. Leben und Werk des Historikers vergessener sozialer Bewegungen, Berlin 1978. Notice sur Rudolf Rocker dans : Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf 1993.
[13] Ulrich Linse : Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin 1969.
[14] Wolfgang Sandfuchs : Dichter – Moralist – Anarchist. Die deutsche Tolstojkritik 1880-1900, Stuttgart 1995 ; Edith Hanke : Prophet des Unmodernen. Léo N. Tolstoï als Kulturkritiker in der deutschen Diskussion der Jahrhundertwende, Tübingen 1993 ; Richard Dove : Ernst Toller. Ein Leben in Deutschland, Göttingen 1993 ; Isaak Steinberg : Gewalt und Terror in der Revolution, 1931, Berlin 1981, 2. Aufl.
[15] Hermann Korte : Die Dadaisten, Reinbek 1994 ; Ulrich Faure : Im Knotenpunkt des Weltverkehrs. Herzfelde, Heartfield, Grosz und der Malik-Verlag 1916-1947, Berlin, 1992 ; Kurt Pinthus (ed.) : Menschheitsdämmerung. Ein Dokument des Expressionismus, 1920, Reinbek 1955 ; Erich Mühsam : Tagebücher 1910-1924, München 1994.
[16] Jean-Paul Musigny : La Révolution mise à mort par ses célébrateurs, même, Paris, 2001 ; Bernhard Grau : Kurt Eisner 1867-1919. Eine Biographie, München 2001.
[17] Michael Seligmann : Aufstand der Räte, Grafenau 1989, deux tomes. B. Traven/Ret Marut : Der Ziegelbrenner, Nachdruck, Zürich 1976.