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Les anarchistes sont des poseurs de bombes. Les anarchistes sont des utopistes. L’anarchisme est une maladie juvénile. L’anarchie c’est le chaos. Les anarchistes sont des marginaux… On continue ? Les idées reçues sur l’anarchisme sont nombreuses. Philippe Pelletier, professeur de géographie, libertaire, spécialiste d’Elisée Reclus, géographe anarchiste, a eu la bonne idée de démêler la bobine à bobards pour dresser le portrait fidèle, mais sans complaisance, d’un mouvement complexe et passionnant. « L’anarchisme est la conception politique, philosophique et sociale probablement la plus méconnue, et la plus calomniée au monde. Quelques formules choc et quelques épisodes tapageurs ne sont généralement retenus qu’au prix d’un oubli de ses nombreuses propositions et réalisations positives », rappelle l’auteur.
Pour commencer, Philippe Pelletier explique que l’anarchisme n’a rien d’un bloc monolithique. La grande diversité des idées qui compose le mouvement ne facilite pas l’approche. Entre mauvaise foi, haine et paresse, peu de gens ont donc la volonté de braver le fast-think et le néant politique où s’enlise la société bien-pensante. Pour saisir les contours de cette pensée réfractaire et évolutive, Philippe Pelletier a découpé son livre en quatre chapitres dynamiques. On y croise les grands noms de l’anarchisme (Reclus, Malatesta, Bakounine, Kropotkine, Louise Michel…) et ses « compagnons de doute » (Albert Camus), on suit la fronde libertaire à travers le monde (Russie, Espagne, Chine, Cuba, Argentine, Mexique…), on décortique les principes anars (gestion directe, mutuellisme, municipalisme, fédéralisme…), on évoque les violents débats entre communistes libertaires et communistes autoritaires…
Impossible bien entendu de ne pas revenir sur le gros boulet que traînent les anars dans l’inconscient collectif : la question de la violence. Il y a eu du vrai du temps de « la propagande par le fait ». Depuis, les calomnies policières et politocardes venant des partis réactionnaires et réformistes restent à dessein bloquées là-dessus. C’est bien pratique pour discréditer un mouvement dont l’un des buts est l’élimination de la violence dans la vie sociale. Pourtant, si l’on fait le compte macabre des attentats des deux derniers siècles, on s’aperçoit vite que les anarchistes arrivent très loin derrière divers autres courants politiques, nationalistes ou religieux…
A la « Belle époque » même, les marmites à renversement ne faisaient pas l’unanimité chez les anars. En 1891, Kropotkine soutenait qu’un « édifice basé sur des siècles d’histoire ne se détruit pas avec quelques kilos d’explosif. » Dans le même temps, on « oublie » souvent que de nombreux anarchistes ont trouvé dans le syndicalisme révolutionnaire une autre arme pour partir à l’assaut des injustices. C’est ainsi que des anarchistes ont impulsé les bourses du travail et que l’un d’eux, Emile Pouget, partisan de l’action directe et du sabotage (c’est-à-dire « travailler comme à coup de sabots » pour protester contre l’exploitation : « A mauvaise paye, mauvais travail ! »), fut l’un des piliers de la CGT des origines.
La question de la violence accolée à l’anarchisme est une belle blague. Que dire alors du capitalisme qui a prospéré grâce à l’impérialisme, à la colonisation, aux guerres, à l’épuisement de la planète, à l’oppression et à la répression ? Que dire du bilan « globalement positif » des régimes communistes ? Etc. Où sont les terroristes ? Où sont les fous ? « Selon les libertaires, ce n’est pas l’anarchie qui règne actuellement en Afghanistan, en Irak, en Somalie ou ailleurs, mais le chaos du nouveau désordre mondial », souligne l’auteur. Une précision à transmettre à tous ces commentateurs chiens de garde du capitalisme qui ne ratent jamais une occasion pour dénoncer « l’anarchie » qui règnerait dans des pays mis à feu et à sang par les maîtres du monde.
Philippe Pelletier aborde les défis que doivent relever les anarchistes. Les pratiques libertaires évoluent et se diversifient. En Argentine, des groupes gèrent des coopératives et des potagers communautaires avec l’argent qu’ils « ponctionnent » sur les routes. Au Mexique, une partie du mouvement insurrectionnel est imprégnée d’anarchisme. Ici et là, les libertaires s’investissent dans des luttes sociales, des AMAP, des SEL, des bibliothèques, des squats autogérés, des comités de soutien aux sans-papiers, des villages alternatifs à l’occasion de contre-sommets anti G8 ou G20… « Trois défis attendent plus spécifiquement les libertaires : l’évolution du syndicalisme, également caractérisé par une désaffection mais aussi par l’essor de certaines alternatives (coordinations, actions plus radicales…), le renouveau du coopérativisme et les questions environnementales », assure Philippe Pelletier.
Avec de brèves approches historiques, sociologiques, géographiques, éthiques, philosophiques, pédagogiques, Philippe Pelletier répond à toutes les questions que peuvent se poser bien des curieux, militant-e-s ou non. Ils y découvriront que si les anarchistes contestent l’Etat, l’autorité et le pouvoir ce n’est pas par goût du désordre, mais pour défendre la responsabilité individuelle de chacun d’entre nous et l’instauration de règles librement consenties. « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre », précisait Elisée Reclus.
En conclusion, l’ouvrage offre une bibliographie monumentale pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin sur les chemins des révoltes libertaires. Le beau panorama des éditeurs de livres et de revues anarchistes, ainsi que la liste impressionnante des sites Internet libertaires, témoignent de la vivacité d’un mouvement ancré dans l’histoire ouvrière et qui a encore pas mal de rendez-vous avec l’actualité. Voici donc un livre très instructif à poser à la vue de tous sur la même étagère que L’ordre moins le pouvoir – Histoire et actualité de l’anarchisme de Normand Baillargeon (Agone, 2001, 2008), L’Anarchie une histoire de révolte de Claude Faber (Milan, 2002), Petit lexique philosophique de l’anarchisme de Daniel Colson (Livre de poche, 2001) ou L’ABC du libertaire de Jules Lermina (Mille et Une nuits, 2004).
L’Anarchisme, collection Idées reçues, éditions Le Cavalier Bleu, 128 pages, 9.80€.