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Lu sur Observatoire des inégalités : "Pour Emmanuel Todd, historien et démographe, l’allongement de la scolarité délimite de nouvelles fractures au sein de la société. Propos recueillis par Louis Maurin.
Qu’est-ce qui pousse à agir les jeunes de banlieues dans la flambée de violence de novembre dernier ? Vous avez parlé d’une « aspiration à l’égalité ».
Il est absurde d’opposer les manifestations de 68 qui auraient été porteuses d’un message et les dernières violences, destructrices sans motif ni sens. Ces jeunes, plus jeunes que ceux de 68 il faut le rappeler, portaient une parole, de leur âge, mais qui a toujours mis en avant le « respect », la liberté, l’égalité. Leur rapport à la société est conflictuel, politique, finalement très français.
A partir du moment où on est passé de quelques voitures détruites à un mouvement national, il devenait évident que celui-ci prenait du sens. Par rapport aux jeunes des banlieues, on a deux sortes de réaction. Soit on rejette ces jeunes, soit on est généreux. Le mouvement de violence est l’expression d’un rapport de force : l’alternative de repression n’a pas d’issue aujourd’hui, elle ne peut à terme que déboucher sur une sorte de guerre civile. Cette jeunesse est une composante trop importante de notre société pour qu’elle puisse la rejeter, certains ne l’ont pas encore compris.
Ce conflit s’intègre dans un contexte de montée des inégalités
Il s’inscrit dans un cadre général de perspectives de vies écrasées, de taux de chômage élevés, de montée des écarts qui pèse sur l’ensemble de la société, des catégories populaires aux couches moyennes. C’est un processus de déplacement de la richesse vers le haut qui semble ne pas avoir de fin. A sa racine, on trouve le libre échange qui met en concurrence les facteurs de production au niveau mondial, et qui fini par imposer aux plus pauvres des pays riches de s’aligner sur le tiers-monde pour rester compétitifs.
Pourquoi ce mouvement inégalitaire est-il accepté ?
Au coeur du phénomène, on a l’allongement des scolarités. Du XVIIIe au milieu du XXe, on a eu un fort mouvement dont l’objet était l’alphabétisation des masses. Et, finalement, dans la plupart des milieux on allait jamais très loin à l’école. Il fallait savoir lire et écrire. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on croyait que l’on allait désormais vers un monde de progrès. Mais l’allongement des scolarités a conduit à une nouvelle stratification de la société entre ceux qui disposent d’un diplôme de l’enseignement supérieur, les classes moyennes qui se sont arrêtées avant, et les 20 % de ceux qui ne disposent d’aucun diplôme. Couplé avec la montée de l’individualisme, on a un processus qui légitime de façon puissante les inégalités. Le capital culturel global s’accroît, mais sa répartition demeure davantage inégalitaire. C’est cette bourgeoisie culturelle qui défend le libre échange comme seule solution possible au fonctionnement de l’économie.
Vous avez toujours souligné le rôle des structures familiales profondes dans l’explication des comportements. Quel rôle jouent-elles en l’occurrence ?
Il me semble que la famille souche comme on la connaît en Allemagne ou en Suède, qui reste soudée, moins éclatée, est un meilleur soutien éducatif et produit plus d’égalité, accepte moins le décrochage. A l’inverse, la famille nucléaire de type anglo-saxon protège moins, tolère beaucoup plus l’inégalité. Le type familial individualiste avec un héritage égalitaire qui est celui au fond du bassin parisien me paraît assez bien expliquer les revendications à l’égalité en France.
Ceci dit, j’ai changé de position sur le monde anglo-saxon : je pense qu’on y a atteint certaines limites. Les anglais sont en train d’arrêter les frais, et d’une certaine façon les américains sont tombés dans une certaine forte de folie de violence, religieuse, qui est une forme de régression. L’anthropologie de la famille donne des clés pour comprendre certaines situations, par exemple l’implantation du communisme sur les fondements de la famille communautaire. Mais je ne prétends pas non plus qu’elle explique toutes les transformations sociales.
La montée des inégalités est-elle un phénomène inéluctable ?
Aujourd’hui les forces hostiles à l’ultra-libéralisme me semblent majoritaires sur des bases différentes dans bien des pays, que ce soit en Allemagne, en Pologne ou au Royaume-Uni, où soit dit en passant on ne rêve que de reconstruire les services publics. Mais ces forces sont divisées : en 2005 les jeunes de banlieues, en 2002 c’étaient les ouvriers avec le Front national et la petite bourgeoisie de l’Etat au moment du référendum.
La montée des inégalités a forcément un terme, puisque sa fin théorique c’est « un individu possède tout », ce qui n’est pas concevable. Il me semble que l’unification de la contestation peut se faire sur une base générationelle : il y aura un moment où les jeunes se penseront comme unifiés et où on aura un basculement. A ce titre la Seine Saint Denis ou le Nord me semblent former des sortes de laboratoire.
Il y a deux solutions. Si on ne touche pas au libre échange, on va vers davantage de tensions et d’affrontements, de plus en plus de violences, quels que soient les niveaux de vie. On propose aux gens une vie sans avenir, sans sécurité. L’alternative c’est l’existence d’un processus politique, qui s’avère capable de prendre en compte la demande sociale et par un protectionnisme européen raisonné réintroduise de la sécurité.
Propos recueillis par Louis Maurin