--> extrait, "Les syndicats ouvriers et la révolution sociale" 1930 éditions CGT-SR.
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Bellaciao :
"Le syndicalisme révolutionnaire possède une méthode d’action bien à lui : l’action directe. Il est, je crois, nécessaire d’en donner une définition aussi précise que possible. Cela me paraît même d’autant plus nécessaire que des erreurs de compréhension au sujet de l’action directe sont plus graves et risquent d’être plus dangereuses.
Qu’est-ce donc que l’action directe ? Une action individuelle ou collective exercée contre l’adversaire social par les seuls moyens de l’individu et du groupement. L’action directe est, en général, employée par les travailleurs organisés ou les individualités évoluées par opposition à l’action parlementaire aidée ou non par l’Etat. L’action parlementaire ou indirecte se déroule exclusivement sur le terrain légal par l’intermédiaire des groupes politiques et de leurs élus. L’action directe peut être légale ou illégale. Ceux qui l’emploient n’ont pas à s’en préoccuper. C’est avant tout et sur tous les terrains, le moyen d’opposer la force ouvrière à la force patronale. La légalité n’a rien a voir dans la solution des conflits sociaux. C’est la force seule qui les résout.
L’action directe n’est pas, cependant, nécessairement violente, mais elle n’exclut pas la violence. Elle n’est pas, non plus, forcément offensive. Elle peut parfaitement être défensive ou préventive d’une attaque patronale déclenchée ou sur le point de l’être, d’un lock-out partiel ou total, par exemple, déclaré ou susceptible de l’être à brève échéance.
Quelques exemples me semblent nécessaires pour bien fixer les esprits :
1. L’ouvrier qui discute avec son patron, soit pour conserver des avantages acquis, soit pour faire triompher des revendications nouvelles, fait un acte d’action directe. Il se place, en effet, seul, directement en face de son employeur sans recourir à des concours étrangers au conflit social : parlementaires, arbitres, etc.
Qu’il obtienne ou non satisfaction, que le patron reconnaisse de bonne foi le bien-fondé des desiderata qui lui sont soumis et accorde satisfaction ou qu’il les rejette, il y a toujours action directe. Que le patron cède par impuissance momentanée ou par calcul -ce qui est fréquent - ou bien qu’il résiste, parce qu’il se croit assez fort pour braver la force collective qu’il sent derrière l’ouvrier qui réclame et discute, il y a, de la part de l’individu qui mène la lutte sur ce terrain, action directe.
Que la discussion reste courtoise, qu’elle dégénère en dispute et même en rixe, l’action de l’ouvrier reste, dans tous les cas, une manifestation d’action directe. C’est la discussion de classe.
Ce que l’ouvrier ne doit pas perdre de vue dans cette discussion, c’est son devoir de classe. Il ne doit jamais céder de terrain à l’adversaire. Il ne doit conquérir des avantages qu’en conservant sa dignité d’homme. Il ne doit, à aucun prix, vendre sa conscience, ni ses connaissances professionnelles, même s’il est miséreux, en acceptant de recevoir en échange de sa trahison : un poste de commandement ou de maîtrise, un salaire occulte supérieur à celui de ses camarades, etc., etc.
Composer avec le patron, recevoir de lui des satisfactions personnelles refusées aux autres, c’est commettre un acte de trahison vis-à-vis de ses frères de misère et de travail. Si on ne se sent pas capable de résister aux propositions mielleuses du patron, il vaut mieux se taire que de se faire l’instrument, même inconscient, de l’asservissement des camarades.
L’ouvrier qui se charge de revendiquer ses droits et ceux de ses camarades doit avoir un profond sentiment de ses devoirs de classe. S’il les ignore il doit les apprendre avant d’agir.
2. Le syndicat peut, bien entendu, employer collectivement, le même moyen de lutte. Il doit se conduire de la même façon que l’ouvrier qui agit seul. Lui non plus ne doit ni promettre, ni donner à l’adversaire des concours moraux et techniques qui renforceraient la puissance patronale au détriment des ouvriers. Un syndicat qui accepterait que ses membres, contrôlés ou non par lui, pénètrent dans les organismes de direction et de gestion capitalistes ne pourrait plus, en aucun cas, pratiquer l’action directe, puisque les intérêts des ouvriers et des patrons, même inégaux, se confondraient.
La discussion collective de classe ne peut donner lieu ni à compromis, ni à abandon. Elle peut revêtir tous les caractères de la discussion individuelle. Cependant, elle diffère de celle-ci qur un point important. Tandis que l’acte individuel, qui s’exerce souvent dans en milieu, réfractaire à l’esprit de classe, ne comporte généralement que le renvoi ou le départ volontaire de l’ouvrier lésé mais impuissant, la discussion collective de classe aboutit presque toujours, en cas d’insuccès, à la grève, si les forces ouvrières sont alertées, cohérentes et organisées pour la lutte prévue et en vue des batailles à livrer.
Dans tous les cas, la grève est un acte grave. Il convient de n’utiliser cette arme qu’à bon escient, avec circonspection, en toute connaissance de cause, après un examen très attentif de la situation et de la position du conflit, de ses conséquences possibles. Il convient aussi de se rendre compte des résultats qu’on peut atteindre, des conditions exactes de la lutte à engager, des répercussions en cas de succès ou d’insuccès.
Lorsque, par exemple, la décision de grève est prise, il faut mettre tout en oeuvre pour rendre effective la cessation du travail, agir avec vigueur, courage et méthode. Une grève victorieuse est un facteur de développement, de rayonnement et d’attraction pour l’organisation syndicale. Par contre, une défaite diminue, généralement, la confiance et la combativité des individus. Elle provoque souvent la désertion des syndiqués. Elle émousse toujours leur ardeur et leur esprit de solidarité.
3. L’ouvrier qui, au cours d’un conflit social, décide d’accomplir, selon sa conscience, un acte de destruction ou mise hors d’usage du matériel ou des outils de travail, qui exerce une action violente sur un représentant de la force adverse ou un de ses camarades inconscient de son devoir de classe, fait aussi un acte d’action directe. Il se peut qu’on en discute la valeur, il est impossible, cependant, d’en méconnaître ou d’en nier le caractère.
Il semble bien qu’un tel acte ne doit avoir lieu que s’il est réellement un facteur de succès, de réussite de l’action engagée. Dans le cas contraire, si l’acte est inconsidéré ; s’il est une simple manifestation de mauvaise humeur ou de colère, il risque de desservir - et souvent considérablement - le mouvement en gestation ou en cours.
Avant d’employer ce moyen d’action - qui peut cependant s’imposer - l’individu doit se rendre compte, par avance, de la portée de son acte, de ses conséquences probables. Il ne doit l’accomplir que s’il l’estime réellement utile au succès de la cause qu’il défend.
Se laisser aller à l’accomplissement irraisonné d’un acte de violence ou de sabotage, inutile ou inopportun, c’est faire preuve de faiblesse, d’inéducation, d’incompréhension ; c’est prêter le flanc à l’adversaire et, souvent, justifier la violence adverse, même si on est provoqué, ce qui arrive couramment.
4. Un syndicat peut, lui aussi, décider d’employer la violence et le sabotage. Toutefois, il ne saurait en imposer l’exécution à ceux de ses membres qui n’accepteraient pas ces moyens de lutte ou qui ne désireraient pas les utiliser eux-mêmes.
Dans ce cas, seule la conscience de chacun décide pour l’accomplissement des actes reconnus nécessaires. Il est bon que les participants ou exécutants soient seuls au courant des projets, des tentatives à exécuter et arrêtent entre eux les moyens d’action. Le secret est de rigueur. Seuls, ceux qui ont décidé d’agir dans le bien commun sont juges de leurs actes. Par contre, les autres sont juges des résultats. Ils ne doivent pas hésiter à en condamner l’emploi à nouveau, si les résultats sont défavorables à la cause commune. Pas plus qu’une collectivité n’a le droit de s’opposer aux actes nécessaires, des individualités qui se prétendent conscientes ne doivent perpétrer des actes qui vont à l’encontre du résultat recherché. C’est affaire de conscience et de circonstances. Ce qui était mauvais hier peut être excellent demain et vice versa.
5. L’homme qui abat un tyran, un oppresseur redoutable, par quelque moyen que ce soit, accomplit aussi un acte d’action directe, bien qu’il ne s’attaque pas au régime lui-même et qu’il ne mette que très rarement ce régime en péril. Il agit directement contre un adversaire social particulièrement redoutable.
6. Un groupement peut être appelé à agir dans les mêmes conditions. Dans ce cas, il est nécessaire que les participants acceptent cette façon de mener la lutte, comme ils le feraient pour un acte de sabotage, de violence ou de destruction collective. Les conditions dans lesquelles cet acte doit s’accomplir sont les mêmes que celles qui sont exposées au paragraphe 4. Un tel acte peut parfois s’imposer et devenir un facteur important et même décisif du succès en période révolutionnaire.
Comme on le voit, l’action directe peut se présenter sous des aspects très différents, suivant les circonstances et les buts poursuivis.
Si l’on tient compte des exemples qui précèdent on peut dire qu’elle revêt les caractères suivants : discussion individuelle ou collective de classe ; grève avec ses multiples aspects ; sabotage et sévices contre le patronat et les ouvriers inconscients ; attentats contre un oppresseur ou un groupe de représentants du pouvoir.
De même qu’il peut y avoir discussion de classe sans grève, il peut y avoir grève sans sabotage, sans sévices, sans chasse aux renards. Une seule de ces manifestations caractérise l’action directe. Il suffit qu’elle s’exerce individuellement ou collectivement, de classe à classe, sans recourir à des forces étrangères au conflit lui-même.
En période révolutionnaire, l’action directe prend immédiatement le caractère de grève générale insurrectionnelle. Elle a pour but de permettre à la classe ouvrière de s’emparer des moyens de production et d’échange qui assurent, en tout temps, la continuité de la vie sociale. Dans ce cas, l’action directe devient nécessairement violente puisqu’elle s’exerce contre un adversaire qui se défend par la force.
Elle est le premier acte révolutionnaire d’un prolétariat qui vise à remplacer le pouvoir politique existant par l’organisation sociale, après avoir détruit la propriété individuelle et instauré la propriété collective. Elle s’oppose à l’insurrection, arme des partis politiques, qui tous, sans exception, ont pour but de prendre le pouvoir et de le garder.
L’action directe est la seule et véritable arme sociale du prolétariat. Nulle autre ne peut, quelqu’emploi qu’on en fasse, lui permettre de se libérer de tous les jougs, de tous les pouvoirs, de toutes les dictatures, y compris la plus absurde d’entre elles : celle du prolétariat.
Quoi qu’en disent nos adversaires de classe, l’action directe n’est nullement, on le voit, un acte ou une série d’actes désordonnés, brutaux, violents sans raisons ni motifs, destructeurs pour le plaisir ou la satisfaction de ceux qui les accomplissent. J’affirme, au contraire, que l’action directe est ordonnée, méthodique, réfléchie, violente quand il le faut seulement, dirigée vers des buts concrets, nobles et largement humains.
Mais pour que cette méthode puisse être employée avec chances de succès, il est absolument indispensable que les individus acquièrent une conscience élevée et que l’organisation syndicale dispose de tous les rouages qui lui sont nécessaires pour agir par ses propres moyens et en toutes circonstances.
Pierre Besnard
extrait, Les syndicats ouvriers et la
révolution sociale.