Lu sur
Le Courrier :
"ALTERMONDIALISME - Après son concert de soutien aux squats genevois, la rappeuse marseillaise explique son engagement.
Dimanche aux Pâquis, ils étaient plus d'un millier à danser au son du hip hop de Keny Arkana[1]. Squatters, sympathisants et jeunes des banlieues genevoises se sont rencontrés autour du rap engagé de la Marseillaise. Le public du concert sauvage de soutien à l'Intersquat était bigarré à l'image du parcours de la chanteuse. Issue des «quartiers» et déscolarisée à l'âge de 12 ans, Keny Arkana a rejoint le milieu contestataire militant. Deux mondes qui se croisent encore rarement.
Que ce soit dans l'Appel aux sans voix ou à travers le film Un autre monde est possible qui accompagne son disque Entre ciment et belle étoile, elle porte dans le milieu altermondialiste cette verve incisive typique des banlieusards. Une manière d'exprimer sa détermination sans cacher une certaine fragilité. Malgré son refus de «jouer le jeu» des médias commerciaux, Keny Arkana est un phénomène sur la scène musicale francophone. En exclusivité, elle a accepté de donner un entretien au Courrier.
Pourquoi avoir fait ce concert sauvage à Genève?Pour moi, la question ne s'est même pas posée. Soutenir des gens qui luttent, c'est ma conception du rap. Les artistes sont les derniers à avoir un peu de liberté. Il faut l'utiliser. Et si je ne pouvais faire que des concerts de soutien gratuits, je le ferais. Mais ce n'est malheureusement pas le cas... Concrètement, on a connu beaucoup de monde à Genève quand la caravane de l'Appel aux sans voix a fait halte au squat de la Tour l'an passé. Les squatters genevois, c'est la famille.
Pouvez-vous expliquer justement en quoi consiste l'Appel aux sans voix, où vous militez activement?Je veux d'abord préciser que je suis simple membre de ce collectif et non pas son porte-parole! On a fait une tournée de quatre mois dans toute la France. Le but est d'aller dans les quartiers, les endroits oubliés, pour tisser des liens de résistance avec des gens qui ne sont pas des militants, qui n'ont pas pour habitude de prendre la parole. Ça a donné des rencontres passionnantes avec des personnes de milieux très différents. Pour résumer, la question qui nous intéresse est: «comment se réapproprier nos vies?». Tout ça en-dehors des institutions et de manière strictement horizontale. La prochaine étape sera de favoriser des initiatives concrètes.
Comment en êtes-vous arrivée à vous engager politiquement?Je viens des quartiers de Marseille, mais mes parents ont émigré d'Argentine. J'ai rencontré le mouvement altermondialiste à travers ça. J'étais en mal de mes racines et à 15 ans, je suis allée à des conférences sur la crise en Argentine. Comme j'ai quitté l'école à 12 ans et que dans les banlieues on ne parle pas de ce genre de choses, c'était la première fois que j'entendais des mots comme FMI, OMC ou Forum social mondial. Peu à peu, j'ai parlé avec les militants et j'ai commencé à comprendre ce qui se passait.
Vous appelez à un changement politique. Comment le voyez-vous arriver?Je crois qu'on ne fera pas la révolution par la violence. La violence c'est l'arme du système. Evidemment, on résiste lorsqu'on est attaqué, face aux lacrymos et aux matraques. Mais le système on le nique en construisant sans lui. Sans nous, il s'effondrera. Le changement que j'imagine est une révolution totale, à la fois politique, sociale et humaine. Dans une dimension collective mais indissociable d'un changement personnel. La conscience permet d'aller vers la révolution, vers le changement de nos manières de vivre. Et construire un autre monde passe par nos actes au quotidien. Un sourire, c'est déjà un acte politique.
Votre film entrecroise les réflexions de personnes en prise avec la mondialisation. C'est assez inattendu de le trouver avec un disque de rap...L'idée était de réveiller les soeurs et les frères des quartiers, dans un esprit un peu pédagogique. Aujourd'hui, les quartiers ont une philosophie trop capitaliste. Ce film n'est pas vraiment un documentaire, mais plutôt des souvenirs de voyages où j'ai donné la parole à des personnes rencontrées sur plusieurs continents.
Le rap est-il contestataire?Le rap actuel est déconnecté de la réalité. Il s'est mis hors des luttes. Les rappeurs à la mode ne pensent qu'au fric. Ma démarche est à l'opposé. Je veux diffuser l'idée que l'on peut lutter. C'est la critique qui m'a motivée à rapper. J'ai grandi en écoutant Assassins, NTM ou la Rumeur.
Depuis, la mode est passée au «rap game». Ces gars hyper machos qui posent avec leurs chaînes plaquées or. Financièrement, en faisant du rap en France, on gagne plus qu'un smicard mais on ne roule pas sur l'or. Je le dis parce que plein de jeunes fantasment sur les superbes bagnoles louées pour faire les clips vidéo de rap.
Heureusement, il y a une nouvelle vague contestataire qui émerge. Et puis, la culture hip-hop est toujours vivace dans la rue, avec les grapheurs et le breakdance.
Dans votre chanson «Prière», vous parlez de votre foi. De quelle religion vous réclamez-vous?Je suis croyante, mais je n'adhère à aucune religion instituée. Mon Dieu ne se trouve pas dans leurs dogmes. Il est plutôt une intelligence de vie et d'amour. Ma foi, c'est la vie. Mon concept de Dieu se rapproche d'une sorte d'énergie, d'un quelque chose qui nous relie tous. Et je pense que les camarades athées ont aussi une foi dans ce sens: une croyance dans leurs engagements et leurs idéaux. Mais par contre, je ne crois pas au père Noël.I
Note : [1]Site Internet: http://www.keny-arkana.com