--> Israël/Palestine : Les anarchistes contre le mur Interview par Christine PASSEVANT
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ainfos. : "Le retrait unilatéral d’Israël de la Bande de Gaza, qualifié de « geste de paix »
par les gouvernements et la plupart des medias occidentaux, est loin de permettre
une autonomie réelle à la population palestinienne de Gaza. Les frontières sont
contrôlées par Israël, il n’existe ni port ni aéroport sur le territoire, 80 % de
la
population vit sous le seuil de la pauvreté — pour beaucoup dans des camps et des
décombres — et 65% de la population active est au chômage. Cette paix est donc bien
illusoire pour une population prise au piège dans une région surpeuplée et sans
espoir d’autonomie même réduite.
De plus, la politique israélienne des assassinats politiques « ciblés », présentés
comme des actes légitimes, n’épargne pas la population : missiles et raids aériens
tuent des civils sans que s’élèvent de protestations de la part des politiques ou
des médias.
Et pendant ce temps, la construction du mur d’annexion se poursuit…
Dénonçant la politique de la fuite en avant dans la violence, des Israélien(ne)s
condamnent l’occupation militaire israélienne et soulignent la menace que la
situation actuelle représente pour les deux populations, palestinienne et
israélienne.
Matan et Michal font partie des Anarchistes contre le mur qui manifestent — en
Israël et dans les territoires palestiniens occupés — contre l’occupation
israélienne et contre le mur, mur de sécurité pour les autorités israéliennes et
mur de la honte pour les autres…
Chroniques rebelles : Qui sont les Anarchistes contre le Mur, et de quel milieu
venez-vous ?
Matan : Il y a un peu plus de trois ans, notre groupe s’est formé avec des jeunes
ayant en commun la lutte non violente contre l’occupation israélienne. Nous n’avons
aucun lien avec des partis et nous sommes, pour la plupart, des anarchistes. Nous
travaillons et prenons les décisions ensemble, sans aucune hiérarchie. Beaucoup
d’entre nous ne sont pas encore dans la vie professionnelle, mais à l’université ou
au lycée, et nous venons plutôt d’un milieu privilégié.
CR : Quelles sont les actions du groupe ?
Matan : Depuis le début, nous organisons des actions directes contre l’occupation
et la construction du mur plusieurs fois par semaine. Nous soutenons les
populations touchées par la construction du mur et
nos actions non violentes sont destinées à en entraver le processus. Nous
manifestons aussi quand les Palestiniens ne peuvent se rendre dans les hôpitaux.
Michal : La majorité des militant(e)s viennent de Tel Aviv ou de Jérusalem. En
dehors des grandes villes, s’informer, militer, organiser des actions n’est pas
simple, même avec Internet. Il y a beaucoup d’activisme dans le milieu
universitaire, à l’université de Tel Aviv par exemple, et les rencontres se font
aussi à l’occasion
des manifs.
En Israël, le système scolaire, les livres, la télévision, les films font
l’apologie de la violence et de l’armée : être soldat, c’est servir l’État et se
sacrifier pour le pays. L’éducation comme la culture sont nationalistes et font
rapidement de nous, depuis l’enfance, des soldats. Le mythe du soldat-héros est
perpétré et il est difficile d’aller à l’encontre de cette idéologie et de devenir
objecteur. Il faut affronter quotidiennement la propagande.
CR : Le fait de mener des actions avec la population palestinienne est déjà une
lutte contre la propagande qui propage l’idée de deux populations ennemies ?
Michal : C’est pourquoi il est important que nos actions soient menées ensemble. La
propagande du gouvernement concernant le mur écarte les raisons politiques pour
mettre en avant la question sécuritaire. Le mur n’aurait pour but que de protéger
Israël des attentats-suicides.
Matan : Ce que nous constatons sur le terrain, c’est que la construction du mur, de
fait, annexe à certains endroits jusqu’à 30 kilomètres du territoire palestinien.
Le mur se construit en effet au-delà de la ligne verte de 1967. Or 80 % de l’eau
d’Israël vient de Cisjordanie. L’eau serait-elle dangereuse ? Comment croire la
propagande de l’État qui, pour la construction du mur, a fait arracher 150 000
oliviers ? En tant qu’Israélien, soi-disant menacé par l’ « autre », je découvre au
cours de ces actions des êtres qui sont semblables à nous, nos égaux. Nous agissons
ensemble, hors de la relation occupant/occupé, et c’est là un changement essentiel.
Il s’agit non seulement de briser une barrière physique, mais aussi une barrière
mentale érigée depuis l’enfance. Nous pouvons travailler et lutter ensemble pour
les droits et la justice ; les barrières
disparaissent.
CR : Quelles sont précisément les actions et leurs conséquences ?
Matan : Nous nous rassemblons plusieurs fois par semaine avec les Palestiniens et
des internationaux pour manifester sur les sites de construction du mur. Nous
marchons mains levées pour montrer que nous sommes non-violents et sans intention
de blesser quiconque. Nous manifestons, dans la non-violence, contre l’occupation
et les crimes de guerre. Aux injonctions des soldats ordonnant de quitter une zone
militaire où il est interdit de manifester, nous répondons que l’occupation est
illégale et qu’ils ne peuvent pas nous priver du droit démocratique de protester.
La réponse est alors invariable : la violence. D’abord avec des grenades
lacrymogènes, puis le tir de balles en caoutchouc sur les manifestant(e)s pour nous
effrayer et tenter de nous séparer. Le véritable enjeu est de nous empêcher de
manifester ensemble.
Nos tactiques sont parfois spectaculaires. Nous nous enchaînons dans des cages,
comme enfermé(e)s dans le mur. À Tel Aviv, nous avons bloqué des routes pour
montrer ce que subit la population palestinienne aux check points.
CR : Comment réagissent les gens à vos actions ?
Matan : Les réactions sont différentes. Du côté palestinien, c’est ouvert, en
Israël c’est le contraire. On nous considère souvent comme des traîtres soutenant
les terroristes, et nous sommes dépeints comme violents bien que pacifistes ! La
question soulevée est pourtant simple : peut-on vivre et cohabiter avec les
Palestiniens ou non ?
CR : Des Israéliens-Palestiniens participent à vos actions ?
Michal : Pas encore. Ils sont dans les associations comme Tayyush, Gush Shalom,
mais participent à nos manifestations. Nos liens avec la population palestinienne
sont très forts dans plusieurs villages.
En Israël, la majorité ne s’oppose pas à l’occupation et oublie que les
Palestinien(ne)s sont des êtres humains, avec des droits, et qu’il est nécessaire
de dialoguer, de se rencontrer. C’est la seule solution pour vivre ensemble. Il
faut cesser cette annexion et briser la barrière mentale qui sépare les deux
populations.
CR : Dans les confrontations avec les soldats, pouvez-vous établir un dialogue ?
Matan : Non, ils obéissent aveuglément aux ordres. Ils ne cherchent ni à comprendre
ni à anticiper les conséquences de la violence de l’occupation. Pour les soldats,
nous sommes des ennemi(e)s à combattre, en tous cas une composante de l’ennemi
puisque nous nous élevons contre le pouvoir. Aucun dialogue n’est possible avec le
gouvernement et l’armée, leur réponse est donc forcément la violence.
Les refuzniks sont considérés comme des traîtres à Israël alors que c’est le
contraire. Ils sont des centaines en prison à être classés comme traîtres dans les
campagnes de propagande. La population leur est souvent hostile.
Michal : Pour les femmes, c’est plus facile de refuser le service militaire [femmes
: 2 ans. Hommes : 3 ans + 1 mois de réserve par an] et d’opter pour le service
civil. J’ai refusé de faire mon service militaire, il y a deux ans. Je suis passée
devant une commission après avoir rédigé une lettre expliquant que j’étais
pacifiste,
contre la guerre et les armes. La commission m’a interrogée pour savoir si je
militais. À ma connaissance, seulement deux femmes ont fait de la prison pour être
refuznik.
CR : Vos actions ont-elles une influence sur les jeunes ?
Michal : Oui. En Palestine, les Israélien(ne)s ne sont plus vus seulement comme des
militaires ou des colons. Et en Israël les Palestinien(ne)s ne sont plus uniquement
considéré(e)s comme des kamikazes. Les femmes refusent de plus en plus d’effectuer
leur service militaire, même si elles ne sont pas, comme les hommes, sur
le terrain, et choisissent le service civil. Sur Internet, on trouve une
information pour refuser le service militaire [New Profile] et le phénomène
d’isolement est moins grand. Il faut souligner qu’il est différent de se déclarer
pacifiste et de refuser de faire son service militaire dans une armée d’occupation.
Matan : Les actions — les nôtres et celles d’autres groupes — ont un effet. Au
début de la construction du mur, il était prévu 20 % d’expropriations de terres
palestiniennes, maintenant c’est 10 %. C’est le résultat des luttes. Notre but est
0 % de terres agricoles confisquées.
L’effet sur les jeunes grandit, pas beaucoup, mais c’est constant. Nous étions au
début une poignée à manifester et nous sommes à présent des centaines. Nos actions
constituent une alternative, même une alternative au service militaire.
CR : Tu as parlé des internationaux. Quelle est l’importance du mouvement
international de solidarité ?
Matan : Il est essentiel de venir, de voir en direct ce qui se passe ici et de
soutenir nos actions non-violentes. La police et l’armée font tout pour les
intimider (Rachel Corey tuée à Gaza), pour les refouler. Mais si la violence est la
seule réponse, c’est peut-être un signe que nous progressons. Les autorités
veulent nous décourager et nous isoler de la population palestinienne.
Pour ce qui concerne Gaza et le retrait unilatéral, c’est un écran de fumée. Rien
n’est dit réellement sur la situation : 40 000 colons sont installés en Cisjordanie
pour empêcher la création d’un État palestinien et pour mieux coloniser les terres
palestiniennes. C’est la stratégie de l’état de fait.
Chroniques rebelles, tous les samedis de 13h30 à 15h30
sur Radio Libertaire, 89.4 et sur le net : www.federation-anarchiste.org
[ interview repris du site Recherches sur l’anarchisme
http://raforum.info ]
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