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Hello John, tu es proche des zapatistes, à
ton avis que peut apporter la théorie politique
à un mouvement comme le leur ?
John Holloway : Antonio García de León [2]
a fait remarquer dès les premiers jours de
l’insurrection zapatiste que cette
révolte venait de l’intérieur de
nous-même. En disant qu’ils veulent
construire un monde nouveau
sans prendre le pouvoir, ils nous
ont lancé un défi pratique et théorique.
Les tentatives pour changer
le monde en prenant le pouvoir
ont échoué. Alors comment s’y
prendre ? Il n’y a pas de modèle
préexistant.
Ici, en pleine commémoration de
68, la gauche semble incapable de
penser les émeutes des cités, mais
aussi le refus du travail salarié.
La gauche traditionnelle conçoit la
lutte de classes comme une lutte
entre le travail et le capital. Elle
oublie que Marx insistait sur le
caractère ambivalent du travail
comme une clef pour comprendre
le capitalisme. Il faisait la distinction
entre le travail aliéné ou abstrait
et l’activité vivante consciente
ou travail utile – ce que je préfère
appeler le « faire ». 1968 était avant
tout une révolte contre le travail
aliéné, la révolte du « faire » contre le travail.
En 1968, il devient clair que la lutte
contre le capital est avant tout une lutte
contre le travail. Au lieu de penser la lutte
de classes en termes de « travail » contre
« capital », il faut la penser en termes de
« faire » contre « le travail et donc le capital ».
Voilà le défi : comment développer ici et
maintenant une vie où nous pourrions
faire ce que nous considérons comme
nécessaire ou désirable, au lieu
d’abandonner nos jours à un travail
qui produit le capital ? C’est
pourquoi l’idée de « chômeurs
heureux » est si importante. En
Argentine, les piqueteros [3] les plus
radicaux ne se battent pas pour
l’emploi, mais pour une vie consacrée
à « faire » ce qu’ils considèrent
important.
Si nous refusons de travailler c’est
parce que nous voulons faire
quelque chose de mieux de nos
vies : rester au lit, sortir faire un
tour avec le chien, jouer de la
musique, organiser une révolution,
qu’importe… Notre refus
ouvre la porte à un « faire-autrement
», et ce « faire-autrement »
est l’avant-garde de notre lutte
contre le capital. Cette lutte n’est
pas seulement de la négation,
mais de la négation-et-création,la
création de quelque chose qui ne
colle pas avec le capitalisme.Tant
que nous ne parlons que de refus,
nous autorisons le capital à fixer
le planning.
Mais comment affirmer nos résistances, de
l’émeutier de cité au chômeur qui se lève
tard, face aux vieilles catégories de pensées ?
Nous avons tous nos hauts et nos bas, et parfois
on se sent perdu, en particulier parce que
nos luttes sont fragmentées. Je vois ça en
termes de création de failles, d’espaces ou de
moments dans lesquels nous disons : « Ici,
dans cet espace ou ce moment, nous ne ferons
pas ce que le capital veut que nous fassions. »
Des failles plus que de simples espaces autonomes.
Les failles s’agrandissent, courent, se
creusent. Ces failles sont les espaces du « faire
contre le travail ». Si, comme la gauche traditionnelle,
nous sommes aveugles à cet antagonisme,
tout le reste suit : l’État, le pouvoir,
le progrès, etc.
Pour toi, la prise de pouvoir est donc forcément
un échec pour un mouvement qui souhaite
changer le monde…
Je distingue deux types de pouvoir, le « pouvoir-
sur » (le pouvoir du capital, le pouvoir de
l’État…) et le « pouvoir-faire » : notre pouvoir
de créer, de faire des choses, qui est forcément
un pouvoir social puisque notre « faire »
dépend toujours du « faire » des autres.Rejeter
l’idée de prendre le pouvoir ne nous met pas
dans un vide. Au contraire, cela signifie que
nous ne devons pas prendre le « pouvoir-sur »
mais construire notre « pouvoir-faire. »
Dans ton livre, il est beaucoup question
d’identités. Que t’inspire le repli identitaire ?
Le capitalisme nous pousse à nous identifier
aux rôles qu’il nous fait jouer. Le mouvement
contre le capital est nécessairement anti-identitaire.
Un mouvement qui dit : « Non,
nous sommes plus que ça ! » Si on dit seulement
« nous sommes noirs, nous sommes
femmes, nous sommes gays, nous sommes
indigènes », alors on est piégé dans une
logique qui nous réintègre dans la domination.
Nous avons besoin de dépasser nos
identités, d’affirmer et de nier dans un
même souffle : nous sommes noirs et plus
que cela, nous sommes femmes et plus que
cela. Dès leur soulèvement, les zapatistes ont
dit qu’ils se battaient pour les droits des indigènes
mais aussi pour la création d’un
monde nouveau basé sur la reconnaissance
de la dignité.
Qu’est-ce qui peut donc nous rassembler ? Où
se trouve notre force ?
Notre force, c’est que nous sommes des personnes
ordinaires. C’est la chose la plus profonde
que les zapatistes disent : « Nous
sommes des hommes et des femmes, des vieux
et des enfants ordinaires, donc nous sommes
rebelles. » Si l’antagonisme central est entre le
« faire » et le travail, la contradiction centrale
du capitalisme est donc la frustration. La frustration
engendrée est probablement l’expérience
la plus profonde que nous partageons
tous et toutes. Elle se transforme en explosions
et nous apprend le langage de la révolte.
Articla publié dans CQFD n°57, juin 2008.
[1] Changer le monde sans prendre le pouvoir, Syllepse, 2008.
[2] Historien, auteur de Resistencia y utopia, Era, 1998.
[3] Piqueteros : mouvements de masse rassemblant les chômeurs d’un quartier ou d’une banlieue
Commentaires :
Diggers |
Sortir du travail-marchandiseDans cet interview de John Holloway à CQFD en juin 2008, il comprend très bien que la LCR, LO, le PCF, le PT et l'ensemble des forces syndicales de gauche comme d'extrême-gauche, y compris une large partie des anarcho-syndicalistes (et quand même certaines petites orgas anarchistes), ont tous et sans ambiguités des positions involontairement pro-capitalistes en pensant la lutte des classes et plus parcitucilièrement les petites luttes quotdiennes (contre les licenciemments, pour l'augemntation des salaires, pour la défense des services publics de redistribution de la valorisation, leur thèse prendre aux riches pour donner au pauvres qui est la pierre angulaire de leur " égalité économique et sociale, etc.) comme une opposition entre les travailleurs et les patrons, c'est-à-dire entre le " travail " et le capital.
Tant qu'on reste à défendre le " travail "(qui n'est que le travail à vendre, le travail-marchandise, la vente de son activité ou des capacités de son cerveau), la gauche n'est que sur la position d'un " anticapitalisme acceptant le capitalisme ". On ne peut critiquer le profit, c'est-à-dire le surtravail, en défendant le travail économique, ce sont deux formes, mais successives, du même procès de création de la valeur. Opposer deux formes successives qui naissent l'une dans l'autre et réciproquement, deux formes immanentes au processus de création d'une survaleur, et prétendre que c'est là la lutte des classes, l'émancipation des ouvriers, alors il faut accepter que " l'anticapitalisme " présupposent comme sa condition de possibilité, le processus même de création de la survaleur, donc le capitalisme. L'anti-capitalisme est pro-capitalisme (on la bien vu au XXe siècle, dans le capitalisme d'Etat en URSS, etc, où la survaleur ne partait plus dans les poches des capitalistes mais dans les poches de l'Etat). On ne cherche qu'à répartir en faveur des travailleurs, le plus de valeur économique possible, issue du processus de survaleur. Ce ne sont pas les patrons à qui il faut s'en prendre à mon sens, c'est d'abord à notre servitude volontaire à la dépendance de l'économie et à notre incapacité à nous auto-organiser collectivement et de manière autonome (c'est-à-dire auto-instituante) pour se passer de tout en se fondant sur notre propre liberté. Les militants de la LCR (et le futur NPA) prônent le capitalisme ! Le texte d'Holloway est assez génial, y compris pour penser et pratiquer la " sortie de l'économie ". Dans ce texte on pourra quand même regretté que quand il parle de ce " faire " de " rester au lit, sortir faire un tour avec le chien, jouer de la musique, organiser une révolution, qu’importe… " : là John Holloway retombe dans le travers de la critique de Paul Lafargue opposant la paresse au travail-marchandise et du situationnisme opposant le travail-marchandise à la dérive (puis au conseillisme). La sortie du travail ne peut se faire qu'en s'organisant pour sortir de l'économie, c'est-à-dire relier son besoin directement à son activité (un travail pour soi et son groupe de vie, d'amis, etc.), sans le détour de la production et de la consommation séparées et reliées par l'échange marchand et sa technologie de l'abondance. Ainsi ce " faire contre le travail-marchandise ", ne veut pas dire qu'il faut se tourner les pouces, au contraire, il faut faire une activité directement liée à soi, qui prenne son origine, son déploiement et connaisse son terme, dans ce besoin singulier à chacun dans ses relations de vie concrètes, au quotidien. Sans le détour de l'économie. Je sais pas si Holloway a poursuivi sa réflexion sur ce " faire " dans des textes récents, il est dommage là, qu'il le pose trop implicitement, dans la possibilité de l'autoconsommation, l'autoconstruction, l'auto-fabrication, le perruquage (dans un cadre de travail-marchandise), la prosommation, etc (voir texte de Deun sur le site de l'En-dehors ou sur le forum de decroissance.info, " Sortir de l'économie : pratiques et perspectives possibles ". + voir aussi ce petit livre que l'on trouve en ligne sur internet, P.M, Bolo'Bolo, éditions l'Eclat) Répondre à ce commentaire
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libertad 25-07-08
à 14:54 |
Re: Sortir du travail-marchandise"un travail pour soi et son groupe de vie, d'amis, etc.), sans le détour de la production et de la consommation séparées et reliées par l'échange marchand"
Il me semble que sur cette question il faudrait revisiter la très reiche expérience du mouvement anarchiste avec les milieux libres et les communautés. Ce travail pour soi et pour la communauté fut au centre de bien des discussions et discordes entre ceux qui travaillaient et ceux que les communautaires nommaient les "parasites" et qui vivaient du travail des autres. On a pu constater aussi le lien entre travail et pouvoir : ceux qui travaillaient le plus avaient aussi le plus de pouvoir ou de légitimité dans la communauté. La question de la distinction du travail et de la marchandise, du travail non marchand, repose bien d'autres questions, on peut quitter l'économie pour le pur rapport de pouvoir. Le don n'est jamais vraiment gratuit, il suppose d'autres reconnaissances symboliques Répondre à ce commentaire
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Diggers 26-07-08
à 09:50 |
Re: Sortir du travail-marchandiseJe suis d'accord avec toi (j'ai lu le printemps dernier le très bon livre de C. Beaudet, Les milieux libres), sortir de l'économie, n'enlève rien à la question des rapports de pouvoir. Peut-être aussi que dire que " l'on peut quitter l'économie pour le pur rapport de pouvoir ", est à mon sens à relativiser. Pourquoi serait-il plus " pur " ce rapport ? L'économie est " pacificatrice" mais dans un sens horrible. Dans ce sens où la relation sociale médiatisée par l'échange marchand - achat/vente - est une relation où les échangistes sont quitte de toute dette entre eux à partir du moment où le service a été payé sur le champs. En m'acquittant sur le champs de ce que je dois, ce que j'achète également, c'est le temps impliqué par l'obligation traditionnelle d'attendre pour rendre, et donc, par la même occasion, le droit de ne pas avoir d'histoire avec ceux qui m'ont rendu service. Jean-Claude Michéa rappelle justement que " payer ", " pacere ", veut dire appaiser. Mais avec ou sans l'économie, le rapport de pouvoir n'est il pas déjà là ? Et même encore plus violent (subordination juridique du patron, rapports de pouvoir dans la distribution inégalitaire de l'argent, etc.) ? Si on suit Clastres, c'est même l'aliénation politique (le pouvoir donc) qui est antérieure à l'invention de l'économie. C'est la domination qui crée l'économie, le surtravail (le fait de travailler plus que ses propres besoins) étant d'abord un rapport de domination (esclavage, puis salariat). Travailler plus que ses propres besoins, et en plus travailler pour un autre, c'est pas très naturel... On pourrait dans cette foulée penser alors que la construction du phénomène étatique dans l'histoire, justement au travers de ses prélèvements, ont contribué énormément à vendre les surplus et pas que les surplus, et donc à faire rentrer dans l'économie par la monétarisation (le roi va pas se mettre à réclamer 10 poules et 3 canards par foyer, comme aurait pu le faire le seigneur local), ce qui était " extra-économique ". Charbonneau et Ellul ont aussi une thèse intéressante à ce propos (lien entre le pouvoir et l'économie) : plus la société économique va s'inventer et se complexifier, plus les contradictions et problèmes qu'elle va rencontrer, ne vont pouvoir être solutionner que par les moyens instrumentaux de l'Etat. Plus l'économie croît dans nos vies (la généralisation de l'échange marchand, du travail à vendre et de la consommation séparée), plus l'Etat croît. Mais ceci n'enlève rien à ta question centrale, en quoi la communauté, le milieu libre, institue-t-il pour chacun la liberté ? Pour ma part, c'est encore " Work in progress " ;-) Répondre à ce commentaire
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libertad 26-07-08
à 13:49 |
Re: Sortir du travail-marchandise
Je ne défend pas bien sur l'économie marchande :-) dont les tares sont tellement visibles.
L'idée que l'échange travail contre monnaie ai pu au départ être pacificatrice n'est peut être pas absurde, bien sur avec sa généralisation, le remède est devenu pire que le mal. De ce point de vue les milieux libres anarchistes sont un lieu d'expérience fort intéressant, car le travail à l'intérieur de la communauté y est gratuit mais les tensions dans la communauté y ont souvent amené la rupture. Le travail ne fut pas la seule raison, il y avait aussi la question sexuelle. Ce sont deux points essentiels d'achoppement. On aurait pu penser que le travail libéré de l'économie ( bien sur pas complètement car les milieux libres restent inscrits dans l'économie pour une part de leurs approvisionnements ) aurait pu se faire librement mais ce ne fut pas le cas car le travail est proportionnel à la reconnaissance sociale et au pouvoir qu'il donne. Il n'y a pas de don "pur" et désintéressé. Je disais pur rapport de pouvoir, sans y avoir bien réfléchi, dans le sens ou dans les communautés ce rapport de pouvoir n'était pas médiatisé par l'argent, il n'avait pas d'intermédiaire. Comprendre les "économies" non marchandes ( ou non économie :-) ) comme les milieux libres ou les rapports dans la famille ou à la maison ( le travail dit gratuit des femmes par exemple ) me semble important et faire le lien avec le pouvoir qu'il donne. On se trompe à mon avis dans l'analyse de ces questions en pensant que celui qui travaille le plus est exploité par les autres, cette erreur vient de l'assimilation avec le travail salarié. Or dans les sociétés non marchandes le travail procure du pouvoir et le non travail de la marginalisation sociale. C'est un thème récurrent dans les mileux libres que celui des "parasites" qui profitent du travail des autres et sont vite marginalisés, exclus ou qui provoquent la dislocation de la communauté. Alors bien sur sortir de l'économie mais les anarchistes ont déjà souvent tenté l'expérience, il reste à en tirer les enseignements :-) Répondre à ce commentaire
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à 11:20