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Entre 1996 et 2004, le revenu minimum des 5% les plus riches (1) est passé de 56 264 à 62 095 euros, selon les données de l’Insee. Au cours de la même période, le revenu maximum des 10 % les plus pauvres est passé de 10 327 à 11 477. Les premiers ont touché 5 831 euros en plus, les seconds 1 150. Conséquence, l’écart s’est accru de 4 682 euros.
+ 4 700 euros ! Ce chiffre n’est publié nulle part. On se contente de mesurer l’inégalité de revenu de façon relative : le rapport entre les revenus des 5 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres. On ne met jamais en avant l’inégalité de revenu absolue : l’ écart en euros entre les revenus des plus riches et des plus pauvres. L’écart relatif est effectivement resté stable dans notre exemple : 56 264 divisé par 10 327 = 5,4 en 1996, tout comme 62 095 divisé par 11 477 = 5,4 en 2004… En 1996 comme en 2004, on obtient le même écart relatif.
Pour que cet écart relatif reste stable, il faut que la variation en pourcentage soit la même, quel que soit le niveau de revenu. Ce qui est le cas dans notre exemple, avec une hausse d’environ 10 %. Pourtant, on ne se loge pas, on ne s’habille pas, on ne mange pas avec des pourcentages, mais bien avec des euros. Au cours de la période, les plus riches ont perçu 4 700 euros de plus à dépenser que les plus démunis.
Cet exemple constitue une illustration du brouillard qui règne sur les revenus en France. L’appareil statistique s’est notablement amélioré depuis quelques années, et de très nombreuses données sont publiées sur le site Internet de l’Insee (cliquer ici), qui vient de faire paraître un document synthétique complet sur la question (Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2006). Et pourtant, la vision officielle conduit, comme l’indique le Centre d’étude des revenus et de la cohésion sociale dans un rapport « à une vision réduite des inégalités de ressources » (voir le rapport). Dans un document publié fin novembre 2006 (2), l’Insee parle d’une "réduction très nette" des inégalités dans les années 70 du fait de la hausse du niveau de vie au bas de l’échelle des revenus, ce qui est incontestable. Mais l’institut poursuit en indiquant que ces évolutions ce sont "poursuivies de manière plus atténuée jusqu’en 2004". Une affirmation beaucoup plus discutable, pour plusieurs raisons :
1- La plus grande partie des revenus du patrimoine - majoritairement détenus par les plus riches - ne sont pas intégrés. Les dernières données disponibles datent de 1996.
2- Les revenus des indépendants sont mal appréhendés, notamment parce qu’ils peuvent affecter à leur outil de travail une partie de leurs dépenses personnelles.
3- Le coût du logement est mal pris en compte. L’Insee déduit les impôts des revenus et y ajoute les prestations sociales pour mesurer le réel niveau de vie. Dans ces prestations, l’institut inclut les allocations logement. En revanche, il ne tient pas compte d’un phénomène majeur : le fait qu’une partie de la population a une charge de logement très réduite, les propriétaires qui ont achevé de rembourser leurs emprunts.
Nous vivons une période d’accroissement net des écarts absolus de revenus, et très probablement une hausse des écarts relatifs si l’on prenait en considération les revenus du patrimoine. La France n’est pas l’Amérique, les inégalités y demeurent beaucoup plus modérées. Mais elle est aussi un pays beaucoup plus hypocrite, qui refuse d’appeler un chat un chat.
La grande majorité des commentateurs se satisfont de cette hypocrisie qui permet à chacun d’avoir raison en même temps. Tous les discours se côtoient, quand certains médias mettent en avant la réduction des inégalités, d’autres voient une « explosion ». Autant de discours décalés par rapport à la réalité sociale, qui entraînent une incompréhension de la population.
Il est grand temps que notre pays se dote d’un instrument de mesure des revenus fiable et complet, publié chaque année, diffusé à un large public. Le document édité par l’Insee est un premier pas, mais il n’apporte pas l’ensemble des réponses. Seule figure une première évaluation, très sommaire, des revenus du patrimoine et le coût du logement. Il faudrait pour cela un choix politique fort. La responsabilité de la situation actuelle incombe moins à ceux qui produisent la statistique qu’au désintérêt des différents gouvernements français, mais aussi de la grande majorité des chercheurs et des médias, en matière de connaissance des revenus.
Par Louis Maurin, Observatoire des inégalités
(1) Le revenu pour lequel 95 % gagnent moins et 5 % gagnent plus. (2) "Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2006", coll. Références, Insee.
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