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L'En Dehors


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Identité et pratiques bisexuelles
Lu sur www.blackhart.fr.fm : "En France, peu de recherches ont été consacrées à 1a bisexualité, si ce n'est sous un angle médical ou psychanalitique.Il nous paraît intéressant de présenter ce thème dans le cadre des sciences sociales, a priori plus propices à une approche objective (ce qui ne veut pas dire qu'elles soient exemptes de biais!) et qui à tout le moins ne réduisent pas les bisexuelles/ls à des sujets pathologiques.A cette fin, nous avons interviewé Catherine Deschamps, qui rédige actuellement une thèse intitulée : "Approches anthropologiques des bisexualités et des bisexuelles/ls : pour une compréhension accrue des mécanismes de prise de risques par rapport au VIH".

MPC : Pourrais-tu nous présenter ton travail sur la bisexualité?

Catherine Deschamps : J'ai d'abord fait un DEA en général sur la bisexualité, une recherche un peu étymologique autour du mot, pour voir ce que je pouvais en faire. Ensuite, au niveau de ma thèse d'anthropologie je me suis décidée à travailler sur la sexualité et sur le sida, ce qui n'était pas évident, car paradoxalement travailler sur la sexualité quand on travaillait sur le sida était vraiment perçu de manière très marginale. Malgré tout, j'ai quand même réussi à obtenir le financement de mon étude par l'agence nationale de recherche sur le sida.

J'ai interrogé une trentaine d'individus (en majorité des hommes), ayant des rapports sexuels avec des hommes et des femmes. Ces proportions ne reflètent sans doute pas la réalité de la population bi, mais les hommes paraissent accepter plus facilement les entretiens. Dans le but d'offrir la plus grande facilité de parole à tous et de limiter l'influence du sexe de l'interwievé sur le contenu des entretiens, j'ai réalisé une partie du travail moi-même tout en établissant une collaboration active avec un homme chercheur, Rommel Mendès-Leite qui a parfois pris e le relais.

MPC : Pourquoi avoir choisi de travailler sur les pratiques bisexuelles et non sur la bisexualité ?

C.D. : Pendant mon DEA, j'ai remarqué que c'était une aberration de travailler sur l'identité bisexuelle par rapport à la prévention du sida. Je me suis donc recentré sur les pratiques bi. Il est important de comprendre qu’identité et pratiques bi ne sont pas forcément liées. Les gens que j'interroge ont des rapports sexuels avec des hommes et des femmes mais se disent bi, hétéro, homo, lesbienne. Je ne dis pas que le fait de se dire hétéro, par exemple, n'a pas d'influence sur la conception et sur la façon qu'on a de gérer sa sexualité, ça a des influences. Mais moi, mon critère de sélection, c'est les pratiques.

C'est important de différencier pratique et identité. J'ai rencontré des femmes, assez jeunes, qui par une certaine interprétation du féminisme (en disant qu'un homme = une femme donc, si je suis avec un homme, potentiellement je peux être avec une femme), se disaient bi, parfois en réinterprétant un peu leur parcours sexuel, en ayant une définition beaucoup plus large de la sexualité, donc à la rigueur en faisant entrer dans ce cadre, les baisers.

Il y aussi des personnes à pratiques bi qui se définissent comme homo ou lesbienne. Chez les hommes que j'ai interrogés, la moitié se disait bi et dans l'autre moitié, on trouvait une très forte proportion qui se disait homo et une très faible proportion qui se définissait comme hétéro. Chez les femmes c'est plus équilibré.

Si parmi les personnes à pratiques bi que j'ai interrogées, les gens qui s'identifient comme homo sont plus nombreux que ceux qui se définissent comme hétéro c'est sans doute parce que dans la communauté homo, il est plus habituel de s'exprimer publiquement sur sa sexualité.

Il y a aussi des personnes qui ne se reconnaissent pas dans les catégories, mais c'est très rare. Par contre il y en a pas mal qui disent avoir eu successivement plusieurs identités sexuelles (bi, homo et hétéro) au cours de leur vie.

MPC : Certains bi se définissent quand même comme bi. Comment et quand ont-ils émergé en mouvement ?

C.D. : C'est tout un pan qui me reste à travailler mais je peux quand même en dire deux ou trois mots. Aux Etats-Unis, il y a des groupes bi ou des associations bi qui existent depuis au moins dix ans. En Angleterre ça fait un peu moins longtemps (environ six à sept ans), comme dans tous les pays de l'Europe du nord qui ont des assos bi depuis au moins cinq ans au contraire des pays de l'Europe du sud qui n'en ont pas. En France la première a été crée en novembre/décembre 1995, c'est donc très récent. Les groupes bi sont ti-èsiotiveiit issus et rattachés aux groupes homos et lesbiens. Je vais un peu vite en disant ça mais on retrouve le même conflit qu'il y a entre homos et lesbiennes, à savoir : devons-nous travailler ensemble ou pas ? Alors on essaye de faire des choses collectivement pendant un temps et si ça ne marche pas, on se sépare (C'est un peu des rapports "Je t'aime / moi non plus"), pour parfois ensuite s'engager de nouveau dans des combats communs.

Il y a parfois aussi des tensions qui viennent des groupes homos, et plus encore lesbiens, et qui s'expriment dans des plaisanteries sur la bisexualité et sur ces personnes qui sont supposés ne pas savoir " choisir ". Mais l'agressivité est beaucoup plus nette de la part des lesbiennes.Je pense que c'est en partie lié au féminisme, mais cela va cependant au-delà d'une opposition politique. Je me souviens d'un débat non-mixte femmes au CGL sur la bisexualité. Des lesbiennes racontaient des histoires qu'elles avaient pu avoir avec des femmes bi et elles disaient que ce qui leur posait problème ce n'était pas que leur copine se dise bi mais qu'elle puisse être touchée par un homme.

Par ailleurs, l'image des bis à l'extérieur, chez les homos comme chez les hétéros, est très problématique. Ils sont généralement perçus comme des personnes qui ne sont pas capables de reproduire le fantasme de la fidélité, sexuelle comme affective. Dans un couple liétéro (ou homo-lesbien), même si l'un ou l’autre va voir ailleurs de temps en temps, les deux partenaires du couple peuvent croire, ou vouloir croire, que leur relation reste dans une certaine mesure exclusive. Il y a au moins une fidélité de sexe. De plus, les bis, qui sont vus à l’extérieur comme des personnes qui ont en même temps des relations avec des hommes et des femmes, sont vus comme nécessairement infidèles. En fait, dans les gens que j'ai rencontrés, et chez les femmes surtout, il y a plus d'exclusivité. Elles vivent leur bisexualité plus souvent de manière diachronique, ce qui est aussi le cas de certains hommes.

MPC : Tu as évoqué plusieurs fois le féminisme. Ausein des groupes bi, comment la question se pose-t-elle ? Est-ce qu'il y a une base commune sur la question ?

C.D. : C'est compliqué. Les femmes expriment un certain féminisme, les hommes aussi. Mais c'est dur de déterminer si le féminisme est réellement ressenti ou si c'est un contexte politiquement correct qui impose d'avoir ce discours là. En plus c'est vrai que la justification de la bisexualité par l'être humain (c'est-à-dire un homme = une femme au sens égalité parfaite) se rapproche d'un discours féministe... qui est à mon avis dans l'indistinction puisqu'il peut aller jusqu'à nier la différence d'apparence (ce qui sous-entend ne prendre en compte ni les genres, ce qui peut se comprendre, ni les sexes ce qui est plus problématique).

MPC : Comment les personnes qui se définissent comme bi analysent-elles leur sexualité ?

C.D. : C'est très hétéroclite. Par exemple, entre les gens du groupe bi du CGL il y a sans arrêt de petits affrontements, pas problématiques, parce que personne n’a la même définition de ce que c'est qu'être bisexuel. Il y a des trucs qui reviennent quand même assez souvent, comme l'idée d'être humain. Je n'ai par contre jamais rencontré de discours naturaliste ou de défense d'une bisexualité innée, même si, par ailleurs, il y a très souvent l'idée que c'est quelque chose qui s'est construit très tôt, mais qui a ensuite été choisi.

MPC : Comment les personnes qui se définissent comme bi gèrent-elles leur problème d'invisibilité par rapport aux comportements homo ou hétéro ?

C.D : Leur visibilité passe forcément par des attitudes qui ne sont pas à proiri liées à la sexualité (tee-shirts, badges, panneaux spécifiques en manif, etc.). Elle se construit par la parole, la revendication plutôt que par les pratiques sexuelles.

Vis-à-vis d'eux-mêmes, ceux et celles qui sont dans le groupe du CGL se décrivent, au sein d'une relation avec un partenaire du même sexe, comme bi. Et tous disent qu'ils préfèrent être avec une autre personne bisexuelle, même d'un point de vue sexuel apparemment. Mais peut-être aussi tout simplement au niveau de la compréhension de l'autre. Je pense entre autre à un homme qui a vécu un moment avec une femme hétéro, puis avec un homme homo, tout en se disant bi à chaque fois. Maintenant il a rencontré une femme bi avec laquelle il dit avoir à la fois la sexualité masculine et la sexualité féminine (quoi qu'il mette derrière ces termes), combinaison qui lui manquait avec ces partenaires précédents.

MPC : Qu'en est-il des comportements vis-à-vis de la protection contre le Sida ?

C.D. : Pour l'instant seuls les entretiens avec les hommes ont été catégorisés. Il y a une différence énorme d'utilisation de préservatifs ou de pratiques safe, selon qu'ils sont avec un homme ou avec une femme. C'est flagrant, c'est sans comparaison. Ils se protègent vraiment plus avec les hommes (pas systématiquement, mais personne ne se protège systématiquement), et excessivement rarement avec les femmes.

Au niveau des pratiques, quasiment personne ne se protège en ce qui concerne la fellation (que se soit entre un homme et une femme ou entre hommes – NDMaïa : les recherches récentes ont montré que seul celui/celle qui pratique la fellation de manière active risque une contamination). Pour ce qui est de la sodomie, les hommes se protègent à peu près toujours avec les hommes, mais pas avec les femmes.

Ce qui est très intérressant, c'est qu'au début de l'entretien sur le sida, je ne pose pas du tout de questions conceptualisées ou précises et qu' ils ne parlent que de leurs relations avec les hommes. Quand on leur parle du sida le danger pour eux ce sont les hommes et non les femmes. C'est dû à un problème de conceptualisation des risques. Tous les hommes que nous avons interrogés savent comment se transmet le sida. Il n'y a pas de manque d'information chez eux. Le problème c'est qu'ils associent la sexualité avec une femme à l'affectif. Cela se comprend, puique les femmes elles-même tendent à lier sexualité et affectivité, cela quel que soit le sexe de leur partenaire. Les hommes, par contre, dissocient plus facilement l'un et l'autre. Aussi, quand ils ont une relation avec une femme, ils pensent que cette femme n'a eu de relations sexuelles que si elle était "amoureuse", ou en tout cas très sensible, et ils s’imaginent d’emblée qu'elle a eu moins de partenaires et qu'elle est donc potentiellement moins à risque, d'où une moindre nécessité de se protéger.

Les femmes sont également vues comme plus stables. Or, quand on leur demande s'ils se protègent avec leurs partenaires (réguliers ou occasionnels), ils disent qu'avec des partenaires occasionnels ils se protègent pratiquement tout le temps et avec les partenaires réguliers très rarement (même si ce sont des hommes). Les femmes étant vues comme stables, même s'il s'agit de partenaires d'un soir, les hommes se protègent moins avec elles. Il y a contradiction entre la stabilité réelle de la relation et la stabilité perçue.

La perception de la dangerosité est liée à des critères de sexe, d'affectif et de stabilité qui se recoupent tous pour désigner les partenaires femmes comme susceptibles d'être moins porteuses du VIH.

Pour revenir sur la protection dans les couples réguliers, il est intéressant de noter qu'ils disent ne pas se protéger parce qu'ils supposent que l'autre est fidèle, ou que l'autre se protège s'il a des relations hors couple. Or, quand on leur demande ensuite ce qu'est pour eux la fidélité, ils la perçoivent le plus souvent comme conjuguée sur un mode affectif et non pas sexuel (on peut bien coucher avec qui on veut du moment qu'on n'aime qu'une seule personne). Le décalage entre les deux est un peu inquiétant. Cependant, il faut noter qu'ils disent se protéger plus souvent avec les partenaires occasionnels. Reste qu'il subsiste quand même une zone floue, en particulier avec les femmes.

Les entretiens des femmes, que je n'ai pas encore catégorisés mais qui m'ont quand même laissés une impression générale, laissent penser qu'elles semblent également assez peu se protéger. Si les hommes ne proposent pas de protection, les femmes ne semblent pas le faire non plus, ce qui paraît compréhensible dans une société où elles ont rarement l'initiative du rapport sexuel. Quoi qu'il en soit, leur comportement est également générateur de risque.

MPC : Est-ce qu'il y a catégorisation du plaisir physique par sexe ?

C.D. : Non. Ça dépend de l'individu. Cependant, il y a toujours l'idée, pour les hommes, que la sexualité avec un autre homme est beaucoup plus "impulsive", qu'on n'y résiste pas en quelque sorte.

Il y a aussi sans arrêt l'idée que pour un homme draguer une femme est beaucoup plus laborieux que draguer un homme. De fait, ils ont tous globalement beaucoup plus de partenaires hommes que de partenaires femmes. Pour les bi femmes que j'ai rencontrées, c'est plus équilibré.

MPC : Quelle est l'importance de la pratique au sein des groupes bi ?

C.D. : D'une certaine façon la pratique est considérée comme importante. Au sein du groupe bi du CGL, la politique est que ce soit très ouvert parce qu'ils ont ressenti des discrimination par rapport aux hétéros et par rapport aux homos. Cependant, j'ai constaté que dans ce groupe, les personnes qui n'ont de rapport qu'avec l'un des deux sexes sont plus acceptés s'ils sont homos ou lesbiennes.

MPC : Bien sûr. On admet que la sexualité la plus classique "reste à portée de main", par rapport à une sexualité homo qui serait plus difficile d'accès.

C.D. : Et c'est d'autant plus vrai quand c'est un homme qui n'a de rapport qu'avec des femmes. Le cas s'est présenté d'un homme hétéro, qui est venu parce qu'il avait envie de se renseigner sur la bisexualité. Ça a posé des problèmes dans le groupe, notamment aux femmes, qui voyaient en lui un homme qui a le fantasme de la lesbienne. Quant aux femmes (bisexuelles) qui n'ont jusqu'à présent eu de rapport qu'avec des hommes, leur intégration au groupe semble moins conflictuelle. Elles ne sont pas vues comme recherchant du fantasme lesbien de type fantasme hétéro.

Pour développer un peu sur ce thème, je dirais qu'il y a une invisibilisation sociale des comportements bisexuels féminins (en tant que catégorie à part entière). Il est frappant de regarder la disposition des étalages de cassettes porno dans les sex-shops : quand, dans un film, il y a plusieurs femmes pour un homme et que ces femmes ont à la fois des rapports entre elles et avec l'homme, les cassettes sont classées dans le rayon "vidéo hétéro". Quand il y a plusieurs hommes avec une femme, si les hommes n'ont pas de contacts entre eux, le film est rangé dans la même catégorie. Par contre, si les hommes ont à la fois des rapports entre eux et avec une femme, la cassette est au rayon "films bisexuels". Le non-parallélisme du classement est tout à fait intéressant : si deux femmes peuvent, et doivent, à la fois entretenir des rapports sexuels entre elles et avec des hommes, leurs comportements ne sont malgré tout pas considérés comme bi. Par contre, si deux hommes se touchent, le film sera considéré comme bi, s'il y a une femme, ou homo, s'il n'y en a pas. Les vidéos pornos étant avant tout faites pour des hommes, il est évident que la bisexualité féminine correspond dans ce cas à un fantasme masculin. L'observation d'un club échangiste à Lyon montre la même chose. Dans cet endroit, les hommes échangent les femmes entre eux, mais pas uniquement pour découvrir une nouvelle partenaire ; ils encouragent les attouchements lesbiens entre elles. Ils se revendiquent avec force de l'hétérosexualité mais hommes et femmes n'ont pas les mêmes attitudes. Les comportements bi des femmes sont partie intégrante de la vision que les hommes se font de l'hétérosexualité. Par contre, si les hommes devaient eux-mêmes avoir des rapports entre eux, ils révéleraient à leur épouse une faiblesse, ce qui leur est difficilement concevable. Bizarrement, les femmes des clubs échangistes paraissent se complaire dans ces jeux érotiques destinés à satisfaire avant tout leurs hommes : s'agit-il d'une soumission aux fantasmes masculins ou d'une appétence réelle, d'un désir sincère ? Quoi qu'il en soit, pour les adeptes de l'échangisme, le respect de la norme hétérosexuelle, une fois quelques petits aménagements de forme apportés, est sauf.

Interview réalisée par Anne


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Sur les bis, consultez en outre le Marie Pas Claire spécial bisexualité. C’est le numéro 8, il est beau, il est fantastique, et comme toujours c’est au 115, bd. Voltaire dans le 75011 PARIS. Si c’est le sexe dans son ensemble qui vous intéresse, bande de petites perverses, on a aussi un numéro spécial sexe – car nous sommes aussi perverses que nos lectrices, hé hé hé… c’est le numéro 11, et c’est à la même adresse. ".
Ecrit par libertad, à 23:04 dans la rubrique "Le privé est politique".

Commentaires :

  delphine314
27-04-07
à 21:26

les MPC

Les Marie pas Claires je ne savaient qu'elles existaient encore!
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