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Guerre de classes au Moyen-Orient
Capitalisme et islamisme sont les parasites jumeaux des « Etats Arabes » - mais les travailleurs contre-attaquent en force, d’après John Shute du bimensuel libertaire Freedom.

La cité Etat du Golfe, Dubaï, est d’après des estimations récentes la ville à l’accroissement le plus rapide de la planète et le site de construction le plus grand après Shanghai. Le Cheik multimilliardaire Mohammad bin Rashid al-Maktoum souhaite faire de Dubaï une île de rêve satisfaisant tous les goûts - une espèce de super- Las Vegas, avec ses hôtels sous-marins, ses chaînes de parcs de loisir à thème et Burj Dubaï, le futur bâtiment le plus haut du monde.

Le Moyen Orient est croule sous l’argent pour le moment : après le 9 septembre, les investisseurs moyen-orientaux ont abandonné l’Occident et ramené leurs dollars à la maison. Les Saoudiens ont déjà rapatrié un tiers du trillion de dollars investis à l’étranger, 7 milliards étant déjà réinvestis à Dubaï, et les revenus pétroliers des Emirats Arabes Unis sont dispersés dans la région en quête de profits.

Dubaï est, d’un certain point de vue, un mirage moyen-oriental dont le but était de devenir une sorte d’îles caïmans arabes. Il a aussi cependant de nombreux points communs avec ses voisins, notamment dans son attitude vis-à-vis des droits du travail et de la sur-exploitation de la main d’œuvre immigrée. Les syndicats et les grèves sont illégales, tandis que la majorité des travailleurs sont des employés originaires de l’Asie du sud-est. En 2003, l’ONG « Human Rights Watch » a accusé les Emirats de « construire leur prospérité sur le travail forcé ». Les travailleurs asiatiques se voient confisquer leur passeport et leur visa par les agents recruteurs et sont entassés dans des pièces insalubres dans des camps de travail à l’orée des villes. Ce schéma d’exploitation est reproduit à travers la région toute entière.

Il y a un boom économique en Arabie Saoudite qui attire les investissements étrangers dans le pays. Le fait que les syndicats et les grèves soient interdits augmente sans aucun doute l’attrait exercé sur les investisseurs. Les travailleurs immigrés constituent près de deux-tiers de la force de travail et occupent plus de 90% des emplois dans le secteur privé.

Les immigrants doivent bénéficier d’un sponsor - leur employeur - pour être autorisés à travailler en Arabie Saoudite, et doivent lui remettre leur passeport, sans possibilité de changer d’emploi. En Egypte, la situation est similaire.

La plupart des travailleurs en Egypte ont, en théorie, le droit de créer un syndicat ou de s’y affilier, pour peu qu’au moins 50 employés d’une même entreprise revendiquent le droit de s’organiser. Mais tous les syndicats doivent rejoindre la Fédération des Syndicats Egyptiens (FSE), la seule centrale syndicale reconnue légalement. Dans les faits, la FSE est dans le monde du travail le bras Parti National Démocratique au pouvoir - d’où il ressort que les syndicats indépendants n’ont pas la possibilité de s’organiser légalement en Egypte. Une grève doit, pour être légale, être approuvée par la FSE.

Les grèves sont interdites dans les établissements « stratégiques ou vitaux, dans lesquels toute interruption de travail perturberait la sécurité nationale ou les services de bases fournis par eux au public ». C’est au premier ministre qu’il revient de désigner quels sont ces établissements, par voie de décret. L’état Egyptien n’est pas non plus le dernier à utiliser toute les forces disponibles pour réprimer l’organisation indépendante du travail. En mars 2004, un millier d’hommes de troupes ont été mobilisés pour interdire une manifestation d’ingénieurs contre les restrictions portées à l’établissement d’organisations syndicales. En octobre 2004, la police posait le siège devant les mines de phosphate d’Abou Tartour pour remettre les mineurs grévistes au travail.

On se tromperait en pensant que des répressions de cet ordre sont l’apanage des états moyen-orientaux clients de l’impérialisme occidental. La « République Islamique » iranienne, produit d’une révolution locale en 1979, n’a pas perdu de temps pour écraser les organisations indépendantes du travail ou les organisations spontanées de voisinage.

Le mouvement syndicaliste indépendant fut réprimé par le Shah depuis le coup d’état de 1953. Durant les années de la révolution, l’Iran bruissait de conseils de travailleurs, de groupes de coordination de voisinage, et de campagne de squat organisée, les travailleurs du secteur pétrolier toujours à l’avant-garde de ces mouvements. Les leaders islamiques ont cherché par la suite à présenter la décapitation de la révolution comme faisant partie de « l’ingikab-I-mustaz’afin » - la révolution des déshérités. En réalité, l’état islamique à réprimé l’organisation indépendante de la classe ouvrière et s’est servi du prétexte de la « défense de la Révolution » pour détourner la colère provoquée par ses trahisons des pauvres.

Ainsi, l’Irak et « l’Occident Satanique » ont été agités comme des menaces extérieures portées contre la « Révolution » afin de faire taire les dissensions internes. Malgré une répression constante, le Comité pour des Organisations Libres du Travail continue de se battre pour une auto-organisation de la classe ouvrière en Iran contre les laquais de l’Etat que sont les Conseils Islamiques du Travail. Les violences contre les syndicats indépendants sont monnaie courante en Iran - les récentes agressions et les emprisonnements des chauffeurs de bus de Téhéran n’étant que les plus récentes.

La richesse de la bourgeoisie moyen-orientale se fonde à la fois sur les ressources de la région - principalement le pétrole - et sur la sur-exploitation du travail tant autochtone qu’immigré. La région n’est qu’un immense atelier de travail forcé, où les droits du travail les plus fondamentaux sont réduits en poussière.

Il vaut la peine de relever que les prétendus « hérauts de la démocratie » - les envahisseurs américains et britanniques de l’Irak - ont oublié d’inclure le droit d’organisation sur le lieu de travail dans leur « package » démocratique.

La politique pétrolière menée en Irak transfèrera le contrôle de l’exploitation du pétrole à des compagnies étrangères par le biais d’accord de partage de la production. Le développement d’au moins 64% des champs pétrolifères iraquiens sera confié à des multinationales du pétrole pour le plus grand bénéfice du Capital international et de la sécurité énergétique des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.

Pendant ce temps, le peuple iraquien est laissé sans source sure d’eau potable ou sans électricité, sans services sanitaires et est confronté à des infrastructures de transport en pleine déliquescence. Pour les travailleurs iraquiens, la législation du travail de l’état baasiste a été remplacée par la dérégulation la plus complète, ceux bénéficiant encore d’un emploi ne touchant pas leurs gages pendant des semaines et des semaines. Les entrepreneurs au travail en Irak, comme Halliburton, ont importé des dizaines de milliers de travailleurs immigrés en provenance de pays pauvres, tels le Népal, les Philippines ou le Bengladesh, pour exécuter les jobs les plus ingrats. Les militaires US exigent que les entrepreneurs engagent de la main d’œuvre immigrée pour travailler sur leurs bases afin d’éviter tout risque d’infiltration par des insurgés.

Toute rhétorique mise à part, la situation de la classe ouvrière iraquienne montre les intérêts de classe partagés par les élites chiites, sunnites et kurdes et les envahisseurs américains et britanniques. Et ceci se reflète dans l’ensemble dans la région. Qu’ils soient pro-occidentaux ou islamiques, les états du Moyen Orient reposent sur la répression de l’auto-organisation de la classe ouvrière et l’exploitation du travail dans les intérêts du Capital tant national qu’étranger.

Les débuts de la reconnaissance de ce fait ouvrent la porte à l’organisation d’une résistance de classe à la fois contre l’impérialisme et le capital national. A Gaza, des comités indépendants de travailleurs se sont constitués pour faire contre-poids à l’Autorité Palestinienne (AP) et exiger l’exemption des droits d’inscription scolaire pour les enfants des travailleurs et des chômeurs, la mise sur pied d’un fonds de solidarité sociale pour le payement systématique des allocations de chômage, l’annulation des dettes contractées par les pauvres, une assurance santé gratuite pour les travailleurs et les chômeurs, la régulation de la distribution d’emplois temporaires par l’AP et enfin la tenue d’élections libres au sein de l’Union Générale des Travailleurs Palestiniens.

Les Comités Indépendants de Travailleurs ont appris, au contact de l’establishment de l’AP et de son usage des forces de police dans la répression de manifestations de chômeurs, que ce sont ceux qui ont sacrifié le plus durant l’Intifada qui ont gagné le moins de l’AP. Le combat pour une auto-organisation de la classe ouvrière devrait être vu comme essentiel à la dynamique permettant d’expulser les impérialistes américains et britanniques de la région : les classes dominantes nationales ont, en effet, plus à gagner de la présence des forces armées et du capital étrangers que de leur absence.

A travers la région, une communauté d’intérêts basée sur l’exploitation et l’oppression de la classe ouvrière s’étend de la République Islamique Iranienne aux play-boys des Emirats en passant par les agents d’Halliburton. James Zogby, de l’Arab American Institute à récemment mis en avant que les 10 millions de travailleurs étrangers dans la région constituaient une véritable « bombe à retardement qui n’attend que d’exploser ».

Toute lutte pour l’auto-organisation de la classe ouvrière dans la région doit s’étendre à un combat pour des droits égaux pour la « sous-classe » que constituent les travailleurs immigrés, un réseau de solidarité et de résistance doit s’étendre entre tous les travailleurs de la région - de l’ouvrier du pétrole en Iran à la bonne sri lankaise à Dubaï. Pour les révolutionnaires en Occident, il est important d’éviter de se laisser embourber dans le débat opposant le sécularisme à un islam militant, comme s’il pouvait exister un pur héritage des Lumières dans lequel les droits individuels et la séparation de l’Eglise et de l’Etat seraient le produit de la pensée bourgeoise plutôt que le gain de la lutte politique.

L’islam politique est le visage que revêt le nationalisme militant après l’effondrement du stalinisme et du nationalisme séculier. La rhétorique des mollahs ne sert qu’à camoufler l’incapacité de l’islam politique à établir la justice sociale dans la République Islamique Iranienne ou à se battre pour elle à l’extérieur. Notre rôle doit être d’offrir notre solidarité militante avec ceux qui, dans la région, cherchent à combiner par le biais de l’auto-organisation de la classe ouvrière au Moyen Orient le combat pour la justice sociale avec le combat contre l’impérialisme.

Source :
Freedom, bimensuel anarchiste anglophone. Publié sur libcom.org le 24 mars 2006.
Trad. par A voix autre
Ecrit par , à 22:07 dans la rubrique "Actualité".



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