«La Gauche est morte»… doit-on crier «vive la Gauche»? Nombreuses et nombreux seraient, après s’être lamenté comme il se doit, tenté-e-s de le faire. Pourtant s’ouvre devant nous une occasion exceptionnelle de faire le bilan de près d’un siècle d’erreur stratégique et de trahison en matière de changement social, et de poser une problématique nouvelle en rupture avec les erreurs du passé.
UN BILAN HISTORIQUEMENT DESASTREUX
Quand on regarde, avec le recul de l’Histoire, l’histoire de la Gauche
on ne peut que faire un constat plus que nuancé de son action.
La défense des «travailleurs» - La Gauche a joué un rôle extrêmement ambigu. Il faut cependant distinguer deux situations:
- dans l’opposition: la Gauche s’est toujours présentée comme le «fer
de lance» du progrès social. Elle s’est quasi systématiquement opposé à
tout ce qui allait dans le sens de la régression sociale. Elle a
toujours eu soucis d’incarner l’«espoir pour les plus humbles» et la
morale dans l’action politique.
- au pouvoir - la Gauche a pris des mesures, ou plutôt adopté des
réformes, incontestablement progressistes allant dans le sens de
l’amélioration du pouvoir d’achat, de la réduction du temps de travail…
elle a toujours dans les premiers temps de son accession au pouvoir
donné à croire que ses promesses seraient tenues (Front Populaire,
Libération, Mitterrand). Les choses se sont ensuite très rapidement
dégradées… et ce au nom d’un «réalisme politique» qui consistait, du
moins dans un second temps, à proclamer que «tout n’était pas
possible», puis enfin, à faire carrément une politique digne de la
Droite (4e République et Mitterrand).
La tare essentielle de la Gauche est d’avoir fait croire qu’elle
pouvait-être le moteur du changement social, l’instrument du passage
d’un système d’exploitation, «le salariat», à un système de
non-exploitation… alors qu’elle n’a fait que gérer le système.
Toutes les composantes de la Gauche ont eu cette dérive, avec des
rythmes différents, des discours différents, des références
différentes, une intensité différente, mais la conséquence a toujours
été la même, leurs intérêts, au-delà de tous les discours de
dénégation, sont devenus celui du système marchand. La structure même
de la pratique politique des organisations de Gauche a abouti aux mêmes
aberrations que celles des partis de la Droite: constitution d’une
bureaucratie coupée de la réalité sociale.
Tous ces partis, ces organisations, qui à un moment donné de leur
histoire se sont proclamés les instruments d’une politique de
changement sont devenus des bureaucraties qui n’ont eu de cesse que de
se reproduire, de prospérer et de défendre les intérêts de leurs
membres. Le système, dans son ensemble, a très bien joué en favorisant,
dans ses propres institutions la formation de ses gestionnaires,
pompeusement proclamés «élites». Ainsi, l’Ecole Nationale
d’Administration (ENA) a formé, et forme, le prototype même du
gestionnaire du système marchand, produisant, par delà les valeurs et
les idéologies, des individus qui font de la rationalité marchande la
seule philosophie de la pratique politique. La gestion de la cité a été
confisquée au citoyen par cette technocratie… l’appartenance à la
Droite ou à la Gauche n’étant qu’un superflu idéologique.
Tous les partis de Gauche se sont rapidement «coulés» dans les
institutions du système, investissant les différentes assemblées et
jouant parfaitement le jeu pervers et manipulatoire de la
représentation parlementaire qui a confisqué toute initiative
citoyenne…. Allant jusqu’à cautionner, par exemple,une assemblée telle
que le Sénat, véritable lieu de rente pour politiciens et leurs partis
et parasite de la démocratie.
Le pouvoir a été exercé par la Gauche avec la même morgue et les mêmes
dérives qu’avec la Droite: détournement de fonds, d’influence,
népotisme, affaires troubles, écoutes téléphoniques, complicité avec le
mondes des affaires, mensonges, secrets, fonds secrets, politiques
coloniales et néo coloniales, marketing politique, promesses non
tenues, complicité avec des chefs d’Etat criminels, impunité
judiciaire, manipulation de l’information,…
La gauche n’a pas été pire que la Droite, elle a été comme elle au
point qu’aujourd’hui on ne voit plus très bien la différence, dans les
comportements et même dans les projets politiques. Le seule grande
différence c’est que la Gauche a pu faire passer (grâce à son discours
pseudo progressiste et sa complicité avec les syndicats), sans heurts,
des mesures que la Droite n’aurait pas osé.
Qu’il y ait eu dans la Gauche des femmes et des hommes sincères dans
leurs convictions et leur tentative d’action en faveur du changement,
c’est probable et même certain… mais en l’absence d’une démission
(rares sont celles et ceux qui sont allés jusque là), ils se sont
rendus complices du bilan. Qu’il y ait eu, et qu’il y ait, de parfaits
cyniques, manipulateurs et arrivistes qui ont profité du pouvoir c’est
également probable et même certain…
Il ne reste aujourd’hui plus à la Gauche qu’une référence historique,
celle qui relate l’époque où sa «défense des exploités» constituait
alors son projet politique. C’est d’ailleurs par l’évocation de cette
période qu’elle essaye de continuer à faire encore illusion…. Mais
l’artifice est usé et le masque tombe.
La Gauche n’a jamais envisagé, jamais favorisé, ni même créé, les
conditions du changement social. Le modèle d’action politique qu’elle
propose en vue d’un hypothétique «changement» n’est qu’un leurre qui
permet simplement la gestion et la reproduction du système marchand.
Le bilan est globalement négatif… Tous les acquis sociaux, sans
exception, a laquelle elle a contribué, souvent sous la pression
populaire, sont aujourd’hui menacés.(voir l’article «
ACQUIS SOCIAUX:
RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS»). Historiquement il s’agit d’une faillite.
LES NOUVEAUX «ARCHITECTES»
Que faire face à une telle situation? Les«repreneurs» de l’affaire ne manquent pas.
D’abord au sein même de la Gauche, celles et ceux qui mesurent
lucidement l’ampleur du désastre, dont ils sont d’ailleurs
responsables, essaient de sauver leurs meubles:
Au sein du PS: certains veulent rénover l’édifice vermoulu en lui
insufflant de nouvelles idées et en promouvant une nouvelle
bureaucratie au look plus avenant… on leur souhaite bien du plaisir.
Le PCF: brisé par la disparition du grand frère soviétique, sa
compromission et sa collaboration dans la gestion du système, essaye,
tout en tentant de faire oublier son passé, d’apparaître comme
novateur… qui peut croire à un tel miracle?
Les Verts, aussitôt créés, aussitôt compromis, ont toutes les peines du
monde à se débarrasser de leur image de collaborateurs, incompétents et
arrivistes.
Ces deux dernières organisations essayent frénétiquement d’utiliser le
mouvement social pour se construire une nouvelle virginité politique.
En dehors de la Gauche, principalement la LCR qui, quoi qu’avec un
discours radical n’offre véritablement comme seule issue que… les
élections et s’apprête, après son aventure sans lendemain avec LO, à
passer compromis avec les débris du PCF.
Toutes ces organisations nous concoctent, avec des variantes il est
vrai, la même logique qui nous conduit au désastre et qui peut se
résumer à peu près à: «votez pour nous et vous allez voir ce que vous
allez voir». En effet en dehors de «voter», rien, aucune perspective
sauf pour la LCR la «lutte» (terme vague, essentiellement propagandiste
et sans aucun contenu stratégique).
POUR UNE NOUVELLE PROBLEMATIQUE
Le risque qui nous guette est en fait de reproduire le schéma classique
de l’action politique et qui peut se résumer: construire une
organisation et voter pour elle aux prochaines élections. C’est très
exactement le piège que nous tend le système marchand depuis son
avènement et qui, politiquement, a tout fait pour que cette logique
n’aboutisse à… aucun changement… et il a parfaitement réussi jusqu’à
présent.
Il ne s’agit donc pas de ranimer ou de ressusciter une Gauche qui a
totalement failli, non pas pour la punir… le problème n’est pas là,
mais parce que sa logique est une logique absurde et stérile dans le
domaine du changement social. et politique.
Reconstruire la Gauche serait recommencer les erreurs que nous avons
déjà commises: construire une organisation, permettre à une
bureaucratie de se créer, de s’installer, de s’intégrer à l’appareil de
l’Etat et le jour où nos représentants sont élus ils ne font… rien ou
pas grand-chose. Or, les organisations déjà citées nous entraînent
inévitablement sur cette pente. De plus, et l’Histoire nous l’enseigne,
ce n’est pas de la sorte que les choses changent.
Le changement ne se fait pas spontanément par une simple volonté, aussi
sincère et authentique soit-elle (ce qui n’est pas toujours le cas),
mais par la mise en place d’une alternative en matière de rapports
sociaux. En effet, une fois le pouvoir pris, que va-t-il se passer?…
c’est généralement là que les choses se gâtent.(voir l’article
«
TRANSITION»)
L’urgence est donc, non pas les prochaines élections… qui n’apporteront
rien, que l’on y soit ou pas, mais la mise en place d’une nouvelle
problématique de fonctionnement économique.
Il s’agit non seulement de s’interroger sur le modèle de production et
de distribution des richesses produites, mais de concrètement
expérimenter et pratiquer des relations sociales nouvelles par le
développement de «circuits courts» dans le domaine de la distribution,
un rapport différent producteur-consommateur, et travailler à la
généralisation de ces rapports.
Ces pratiques qui seront modestes au début, pourront s’étendre,
constituer un véritable tissu social et économique alternatif. La
fédération de ces actions doit fonder la nouvelle pratique politique.
Alors, mais alors seulement, l’organisation politique , et ce sans
préjuger de sa forme, prendra tout son sens.
Une occasion historique se présente désormais à nous. Evitons de
reproduire les erreurs du passé. Ne nous laissons pas bercer par les
vaines promesses qui nous ont conduit là où nous en sommes aujourd’hui.
Sachons et ayons le courage de rompre avec les devins et diseurs de
bonnes aventures politiques. Sachons tirer les leçons du passé et de
comprendre comment fonctionne l’Histoire.
Patrick MIGNARD
à 01:44